La démocratie n’est pas la guerre, par Edwy Plenel
Le débat sur l’état d’urgence est une question d’efficacité : quelle est la bonne riposte au défi totalitaire de l’État islamique ? La surenchère sécuritaire de la présidence Hollande est une réponse de court terme, inspirée par l’immédiateté politicienne plutôt que par le souci de solutions durables. Concédant à l’adversaire une victoire symbolique, elle désarme notre société autant qu’elle la protège, mettant en péril nos libertés individuelles et nos droits collectifs.
Il n’y a pas, d’un côté, des gouvernants responsables et, de l’autre, des commentateurs irresponsables, des hommes d’État versus des enfants de chœur, des impliqués face à des indifférents. Les six députés – trois socialistes, trois écologistes – qui, jeudi 19 novembre, ont voté contre la prolongation pour trois mois de l’état d’urgence, alors même que, légalement, il pouvait encore durer six jours, ne sont pas moins soucieux de leurs concitoyens et sensibles à leur sécurité que les promoteurs de cette fuite en avant vers l’état d’exception et, par conséquent, la mise en suspens de la démocratie.
Car la démocratie, ce n’est pas simplement le fait de voter, qui n’en est qu’un des instruments. C’est une culture concrète, une pratique vivante, un écosystème complexe qui suppose la participation des citoyens, l’équilibre de pouvoirs et de contre-pouvoirs, l’indépendance de la justice, des libertés d’expression et d’information, de réunion et de manifestation, une société mobilisée, un contrôle des gouvernants par les gouvernés… Sans compter le respect des opposants.
NÉOFASCISME : GLISSEMENT PROGRESSIF VERS LA CATASTROPHE
Est-il encore besoin d’analyser le lien qui existe entre crise économique et sociale et montée du fascisme ? Apparemment oui !… L’évolution des évènements politiques et leurs échéances à court terme sont, dans ce domaine, on ne peut plus inquiétantes.
La montée du néofascisme, aujourd’hui, en France et de manière générale en Europe est un fait incontestable. Appelons-le néofascisme pour ne pas tomber dans l’erreur qui consisterait à plaquer sur la réalité contemporaine des schémas du siècle dernier.
QUELQUES RAPPELS UTILES
Le fascisme
C’est un mouvement politique qui naît dans une société en crise économique, morale et politique.
C’est un mouvement politique qui surfe sur les angoisses, les peurs, les fantasmes et qui affirme pouvoir apporter des solutions, là où toutes les organisations politiques traditionnelles ont échoué.
C’est un mouvement politique qui affabule – en créant par exemple des « boucs émissaires » chargés de tous les maux, mais ne remet absolument pas en question les fondements du système en cause et en crise.
C’est un mouvement qui fait dans le simplisme, propose des images, des slogans, martelés jusqu’à saturation et permettant de créer un monde mythique coupé de la réalité.
C’est finalement un mouvement qui sauvegarde les intérêts du système capitaliste en détruisant momentanément le tissu social et les acquis sociaux.
AU BORD DU GOUFFRE
La configuration économique, politique et morale dans laquelle nous sommes correspond aux prémices de la dérive néofasciste.
État d’urgence ? Principes et réalités de 1955 à nos jours, par Paul Alliés
Une des premières et principales annonces gouvernementales après les attentats de vendredi concerne l’instauration de l’Etat d’urgence. Une mesure peu ou mal commentée. Quelle est sa nature, sa portée ? Est-elle adaptée à la situation ?
L’État d’urgence a été conçu et défini par une loi du 3 avril 1955 portée par le gouvernement Edgar Faure (qui venait de succéder à Pierre Mendes-France) pour renforcer la guerre en Algérie sans pour autant abandonner les pouvoirs aux militaires (ce que fera Guy Mollet un an plus tard). Les communistes et les socialistes de l’époque avaient voté contre.
Appliquée après le coup du 13 mai 1958 en Métropole (où l’on craint l’opposition de la gauche), elle a été actualisée par une ordonnance du 15 avril 1960 visant à contenir les partisans de « l’Algérie Française » (barricades à Alger en février) se mobilisant contre le tournant du Général de Gaulle devenu favorable à une négociation avec le FLN ; mais elle n’empêchera pas le « putsch des généraux » le 21 avril 1961.
Laurent Fabius en fit usage pour la Nouvelle-Calédonie en décembre 1984. Saisi par la droite, le Conseil constitutionnel la juge alors conforme à la Constitution.
Elle a été « ressuscitée » par Dominique de Villepin le 8 novembre 2005 pour répondre aux manifestations dans les banlieues et ce pour les seuls territoires de 31 communes et de 8 Départements de la Région parisienne. Bien au-delà des 12 jours prévus par le texte, elle restera en vigueur jusqu’au 4 janvier 2006 malgré la saisine du Conseil d’État par 75 universitaires.
Pour la première fois dans son histoire, l’application de cette loi ce 13 novembre 2015 vaut pour tout le territoire de la République sans exception. Cela participe donc de l’extension désordonnée des « pouvoirs de crise » de l’Exécutif.