LE GRAND SCHISME CATALAN. Jérôme VIALARET
Publié le dimanche, 29 octobre 2017 dans International, Libertés
Faisons court, car l’histoire est longue.
En 1378, le pape Grégoire XI meurt à Rome, où il venait, l’année précédente, de réinstaller la résidence officielle des souverains pontifes après 70 années avignonnaises… lesquelles restaient en travers de la gorge des Romains. Lesdits Romains, craignant une nouvelle installation de la papauté en Avignon, redoutant, par suite, l’élection d’un pape français, font alors le siège des cardinaux présents à Rome, et leur intiment l’ordre d’élire un pape italien, à grand renfort de violences diverses. La peur étant bonne conseillère, les cardinaux apeurés leur donnent satisfaction en élisant un prélat napolitain, Bartolomeo Prignano, qui prendra le nom d’Urbain VI (et démontrera, dès les semaines suivantes, qu’il l’était bien peu… urbain). Acte Ier.
Considérant leur vote extorqué par la force, et par conséquent non valable, les mêmes cardinaux se réuniront à nouveau quelques semaines plus tard pour élire le suisse Robert de Genève, qui prendra le nom de Clément VII. Acte II.
Le problème est que, comme on pouvait s’y attendre, les hommes étant ce qu’ils sont, même sous la tiare, aucune des deux papes ne va abdiquer. La Chrétienté se retrouve avec deux chefs, à une époque où on ne rigolait pas avec ça. Oups ! Acte III.
Un acte III qui va durer longtemps. Très longtemps. Car chaque pape aura sa lignée, dans l’une et l’autre obédience… L’histoire a nommé l’épisode, de près d’un demi-siècle, le « Grand Schisme d’Occident ».
Notre époque puissamment sécularisée, grâce à Dieu (si je puis me permettre en un tel contexte !), ne peut se faire qu’une piètre idée des difficultés innombrables posées par la situation. L’Europe se déchire, tel pays reconnaissant le premier des deux papes, tel autre le second… le plus souvent pour des raisons diplomatiques (on est en pleine Guerre de Cent Ans) beaucoup plus que théologiques ! Les pays se divisent eux-mêmes. Les princes se battent. Les populations se déchirent. Revirements, alliances et contre-alliances à tous les étages.
Le petit peuple, au milieu de tout cela, est en panique totale. A quel saint se vouer ? Comment assurer son salut ? Vers qui aller ? Le prêtre de la paroisse, « urbaniste » ? Celui de la paroisse voisine, « clémentiste » ? Rome ? Avignon ? Qui baptise ? Qui confesse ? Qui marie ? A une époque où les moindres événements de la vie personnelle comme de la vie sociale revêtent un aspect religieux, l’incompréhension, l’incertitude, la peur, bientôt, vont s’emparer de tous les coeurs.
Pardon pour la longue digression. Maintenant, revenons à nos moutons.
Mariano Rajoy a dégainé. Le premier ministre espagnol a un défaut : la cécité (il ne s’est rien passé le 1er octobre…), mais il a une vertu : la constance. Voilà un politique qui annonce ce qu’il va faire et qui fait ce qu’il a promis. Enfin, en l’occurrence. Que, pour une fois, il nous soit permis de ne pas applaudir à tout rompre.
L’« article 155 », donc, que l’on ne présente plus (le monde entier connait désormais l’article le moins glorieux de la Constitution du Royaume d’Espagne), a été mis en œuvre le jour même où, de guerre lasse, ses propositions de dialogue ayant toutes été rejetées d’un revers de main méprisant, et ne pouvant répondre à la menace autrement que par le courage, le Parlement catalan avait – enfin – proclamé l’indépendance de la région, désormais « Etat indépendant et souverain, de droit, démocratique et social ».
La liberté aura donc duré un peu plus de deux heures. C’est toujours ça de pris, me direz-vous. Il reste que c’est bien peu… Le vote des députés achevé, la République catalane est proclamée à 15 h 24. Moins d’une heure après, le Sénat espagnol autorise le gouvernement central à activer l’arme fatale : le susdit article 155. A 18 heures, c’est chose faite. Le madrilène est réactif.
Les textes s’enchaînent. Et quels textes ! Parmi les plus importants, et en vrac, si je puis me permettre (bis) : l’autonomie de la région est suspendue, le Parlement catalan est dissous, Carles Puigdemont, Président de la Generalitat, est destitué au bénéfice de la vice-première ministre espagnole Soraya Saenz de Santamaria. Destitués tous les membres de l’exécutif catalan. Destituée aussi la présidente du Parlement (mais il n’y en a plus…). Destitué encore Josep Lluis Trapero, chef de la police catalane (les désormais également célèbres « Mossos d’Esquadra »). Et tout à l’avenant, administration après administration. Bien entendu on annonce la reprise en mains de TV3, la télévision catalane, dangereux repaire d’activistes. Et que dire de l’éducation, les écoles catalanes enseignant, c’est bien connu, la haine du castillan…
Évidemment (et il fait bien), le Président Puigdemont, depuis Gérone, se hâte de déclarer qu’il méconnaît purement et simplement la destitution qui le frappe. Son vice-Président, Oriol Junqueras, lui emboîte le pas, qui affirme dans un article que publie ce dimanche El Punt Avui : « le Président du pays est et continuera à être Carles Puigdemont ».
Il y aura désormais, en Catalogne, une partie de la population qui continuera, vaille que vaille, à ne reconnaître qu’en Puigdemont son Président. Et une autre qui, pour des raisons diverses, se jettera d’enthousiasme dans les bras de la Señora Santamaria. Et, là aussi, tout à l’avenant. Chaque administration pour ce qui la concerne…
Je laisse à imaginer l’effroyable cacophonie !
D’où simplement, et sans prendre partie (on suspecte mes amitiés), une question. Depuis le début de la crise, dès le mois de mai dernier, l’expression « boîte de Pandore » revient en boucle. Les indépendantistes, irresponsables, courraient le risque d’ouvrir ladite boîte, de sinistre mémoire (rappelons que l’ensemble des maux frappant l’humanité s’y tenaient enfermés jusqu’à ce que Pandore, l’écervelée, les « libère » par bévue), puis l’auraient en effet ouverte le 6 septembre, lorsque le Parlement a voté le décret fixant la date et les modalités du vote. Horreur, malheur ! Haro sur les « séparatistes-apprentis sorciers » (autre expression à la mode).
Rappelons simplement que c’est l’attitude du gouvernement central, ainsi que des autonomies principalement entre les mains du Partido Popular, qui a conduit au raidissement – incontestable – des indépendantistes catalans. Rappelons que de nombreuses propositions étaient faites depuis longtemps pour que de nouvelles avancées du statut d’autonomie soient accordées, par voie de négociation… en vain. Rappelons, en un mot, que le problème est récurrent depuis que le dernier statut d’autonomie négocié avec le pouvoir central, adopté en 2006 par les députés, par le Sénat (celui-là même qui vient d’autoriser le recours à l’article 155), ratifié par le roi Juan Carlos et dûment promulgué, s’est vu retoqué par le Tribunal Constitucional (l’équivalent de notre Conseil Constitutionnel) en 2010, en particulier sur le thème, toujours ultra-sensible, de la « nation » (notre Conseil Constitutionnel a traité la problématique avec la même désinvolture, dans sa décision remarquée sur la « nation corse »), alors qu’il était déjà mis en œuvre.
Rappelons que c’est cette décision qui a mis le feu au poudre, réactivant le ressentiment catalan à l’encontre d’un blocage institutionnel ressenti comme se situant au niveau central, s’y situant en effet, et vécu comme un camouflet. Ce mouvement fut à l’origine d’énormes manifestations et de l’organisation d’un premier reférendum d’autodétermination, tenu en 2014 à l’initiative d’Artur Mas (ancien élève du Lycée français de Barcelone, cocoricooo !), alors Président de la Generalitat… lequel sera pénalement condamné en 2017 pour cela !
Le peuple catalan, la nation catalane a fait la preuve de sa patience. Elle dure depuis des siècles. Et c’est cette exaspération contenue, cette impatience contrainte, qui se sont traduites par le vote du 6 septembre. Le pouvoir central espagnol n’ayant rien appris de son histoire (pourtant riche en vilenies…) n’a pas hésité à embastiller des opposants, faire la traque aux urnes et aux bulletins de vote, traque qui l’a couvert de ridicule et a exaspéré les hésitants à voter coûte que coûte. Chapeau M. Rajoy, superbement joué ! Vous auriez voulu, monsieur le premier ministre, motiver les bataillons indépendantistes, vous n’auriez pas agi autrement !
Le pouvoir central espagnol n’ayant rien appris de son histoire (bis…), il n’a pas hésité à faire matraquer les votants du 1er octobre.
Le pouvoir central espagnol n’ayant rien appris de son histoire (ter…), il n’a répondu que par le mépris et l’intransigeance à toutes les propositions de dialogue que le Président Puigdemont, au risque d’être tenu pour parjure par ses propres troupes, n’a cessé de lui faire tout au long du mois d’octobre. Dès lors, la Generalitat ne pouvait pas faire autrement que de respecter le vote intervenu.
« Boîte de Pandore » avez-vous dit ? Sans doute. Mais qui l’a ouverte ? Madrid n’oppose que le dédain à une volonté légitime du peuple catalan d’être reconnu comme nation à part entière.
Il n’est pas sûr que les catalans soient massivement en faveur de l’indépendance. La manifestation d’aujourd’hui, nous ne la balaierons pas d’un revers de mains, nous ne sommes pas Mariano Rajoy. Il faut en tenir compte, évidemment, car une démocratie se définit, d’abord, comme le régime qui respecte sa(ses) minorité(s). Mais le 1er octobre a tranché la question. Et elle l’a tranchée dans le sens de l’indépendance.
Quelles autorités, désormais, seront tenues pour légitimes ? Quels textes applicables, quels principes opposables ?
Ce sont les consciences, M. Rajoy, que vous assiégez, que vous prenez en otage, que vous divisez, que vous affolez. Refusant de parler avec l’autorité légitime, issue du vote des catalans, vous piétinez allégrement la sérénité des cœurs, comme celle de la vie sociale. Vous entrez au plus profond de la vie de chacun. Vous divisez le peuple, mais ça ne vous suffit pas. Ce sont les hommes, les femmes de cette nation que vous déchirez, un à un, une à une, les livrant à un choix impossible.
Le Grand Schisme Catalan.
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Le gouvernement indépendantiste gouvernant la province autonome de Catalunya, voilà le début pour moi de tout le problème
-Soit il faut refuser l’autonomie et créer une état indépendant en s’insubordonnant aux institutions espagnoles en faisant de la désobéissance civile …une sorte d’autogestion … « pour chercher ses propres dépendances un des but de l’indépendance » comme disait Tjibaou l’indépendantiste kanak.
– Soit la gestion du territoire se veut autonome et la gestion se fait avec les rapports de force avec les institutions centrales….comme toute cogestion.
Le gouvernement actuel joue sur les deux tableaux il gère, discute l’autonomie et veut faire une nation indépendante. Comme tu l’as expliqué cette discussion de 2006 fut un clash quand le tribunal constitutionnel invalida certains articles (10%) en 2010 entre parenthèse le sénat de2006 qui vota la loi sur l’autonomie n’était pas le même que l’actuel …Bref cette gesticulation du gouvernement de la Généralitat est à son paroxysme ce dernier mois
D’un côté le gouvernement convoque un référendum impossible vu la répression, mais admet les résultats comme Chirac (sur le contrat jeune…) Le 6 octobre, il promulgue l’indépendance mais ne la signe pas
Puis il veut discuter avec un gouvernement ultranationaliste réactionnaire (Rajoy et Parti Populaire) alors qu’il a négligé une alliance avec les autres partis espagnols (PSOE,podemos,ciutadans ..) après les élections générales espagnoles de 2016.
Puis devant l’opposition de Rajoy de discuter, le gouvernement ne veut pas déclarer « la république indépendante de catalunya » mais laisse ce droit au parlement catalan le 9 octobre.
Puis il refuse de nouvelles élections en disant que l’assemblée existe(le 10 octobre) et maintenant il accepte les élections du 21 décembre de Rajoy (le 31octobre)
Enfin le gouvernement catalan se déclare encore en activité, alors qu’une moitié est en Belgique et que Rajoy a dissout les organes élus de catalogne…
Le gouvernement depuis la Belgique se dit craindre la justice espagnole alors que celle -ci a rendu son verdict « 2ans d’inéligibilité et 36000€ d’amende » contre des membres de l’ex-gouvernement Catalan (2012) qui avait fait un référendum sur l’indépendance en 2014.
Quitter la Catalogne pour cela ,alors que des millions de Catalans le soutiennent …
Sans parler de la politique sociale-libérale-conservatrice de ce gouvernement minoritaire(62 députés sur 135)qui n’existe que grâce au soutien de la CUP indépendantiste socialiste et écolo……
De toutes ses ambivalences je me demande si ce jeu de dupe ou double jeu, sert vraiment l’indépendance dans le sens du choix de ses dépendances et de l’auto-gestion …..……