Petit aperçu de pratiques autogestionnaires à Notre-Dame-des-Landes, dans un espace gagné provisoirement aux objectifs fonciers des promoteurs d’un nouvel aéroport en plein bocage nantais.
D’une occupation pensée comme un moyen de résistance enracinée sur le terrain, la Zad de Notre Dame des Landes est progressivement devenue un espace d’expérimentation. La Zad, ce nom technocratique de Zone à aménagement différé devenu Zone à défendre, est un lieu d’expériences plurielles bénéficie de la perspective d’une durée possible, assez rare dans les luttes et donc de temps pour penser autrement le futur proche. La zone autonome temporaire, pour reprendre la formule d’Hakim Bey, a un peu écarté l’immédiateté des menaces d’expulsion militaire, et donc d’une présence très temporaire.
Les squats, occupations de maisons et de terrains, ont le plus souvent pour horizon une éviction par la force, inéluctable. La principale préoccupation, c’est de tenter d’en reculer l’échéance, tant par des moyens de droit que par des issues barricadées et un soutien militant. Mais pour la Zad de Notre Dame des Landes, il y a eu un avant et un après l’opération César, du nom de cette essai, infructueux pour le pouvoir, d’évacuation militaire du terrain en octobre et novembre 2012.
Pendant les mois qui suivirent, jusqu’en avril 2013, la zone a été quadrillée quotidiennement par des forces militaires avec des gendarmes mobiles stationnant en permanence à un carrefour stratégique. Leur départ a rendu la vie quotidienne plus sereine. L’engagement du gouvernement de ne pas faire procéder à des expulsions tant que ne seraient pas purgés tous les recours juridiques lancés contre divers aspects du projet d’aéroport a ajouté à cette extension du temps de la lutte.
Autogestion et subsistance étaient déjà les mots d’ordre de l’occupation du terrain. On a pu alors y ajouter l’avenir. Un futur toujours incertain, qui aura sans doute un terme mais sans que personne ne sache en dresser le calendrier. Ce qui vaut déjà la peine d’être vécu avec intensité, et permet en attendant d’installer des modes de vie et de décision qui ne soient pas simplement dictés par l’urgence et la défensive. Dans les assemblées générales, les règles de distribution des tours de parole, la prise de notes, les signes d’approbation mains agitées et autres codes visuels, sont utilisés comme dans la plupart des milieux militants. S’y ajoutent parfois des innovations, comme le lancer de haricots rouges pour couper court aux orateurs et oratrices qui commenceraient à vider des rancœurs et entrer dans une logique de règlements de compte…
Clivages de classe entre zadistes
Certain.es zadistes le reconnaissent, le rituel des prises de parole en AG et les codes collectifs ne sont pas forcément partagés par toutes et tous. Tout est fonction de son histoire de vie, sa culture, son extraction sociale. Les moins à l’aise viennent de la rue, de la manche, où les conflits se règlent avec plus de rudesse. Le ton monte plus vite. Certain.es ont éventuellement un casier judiciaire garni, des peines avec sursis en cours, des interdictions de territoire…
S’exprimer dans une assemblée, respecter le temps de parole de l’autre, pas évident quand on n’est pas « issu.es de classes moyennes ou intellectuelles, ayant souvent fait des études universitaires, habitué.es à s’organiser en réunions ultra-formelles, avec ordre du jour, modération, tour de parole et tout le bordel » notait un texte de juillet 2013, « A propos du mépris de classe sur la Zad »* : « C’est pas par hasard si certain.es se retrouvent à définir « ce qui se fait« et « ce qui ne se fait pas« ; ce qui est « acceptable« ou non ! C’est toujours les dominant.es dans un rapport social qui ont le pouvoir de définir la morale, de séparer le bien du mal, de trier qui est « dedans« et qui est « dehors« ». Hétérogènes, les zadistes retrouvent les inégalités sociales classiques qui ont ici été nommés les « intégré.es » et les « arraché.es ».
Les chantiers collectifs, et leur investissement physique, manuel, permettent aux moins « beaux parleurs » de trouver plus facilement leur place. Un atelier rap a été lancé avec l’idée d’un autre mode d’expression que le très codé rapport aux assemblées générales et à sa discipline de parole.
« Ces assemblées rassemblent une minorité de personnes, concède un zadiste. Une partie des occupant.es préfère continuer ses activités, sans trop se sentir concerné par ce fonctionnement, ou n’y allant pas pour des raisons individualistes. Comme quoi les modes d’assemblée sont toujours à dépasser… »
Zone ingouvernable mais administrée
La Zad se revendique comme « ingouvernable », notamment réfractaire aux alliances avec les partis politiques même à gauche des socio-démocrates. Tout ce qui pourrait s’apparenter à une hiérarchie, fut-elle militante ou dictée par un pragmatisme sincère, est vue comme néfaste. Regroupant des lieux dits connus sur les vieilles cartes et d’autres aux nom inventés depuis leur occupation, cette zone « ingouvernable » assume pourtant parfaitement de s’administrer par bien des instances, discutant de tout, de la vie quotidienne, de la voirie et des chemins, des préparations des manifestations, des relations de voisinage, du sexisme ordinaire, du soutien aux gens arrêtés ou emprisonnés… Des assemblées générales au fonctionnement horizontal.
On y débat régulièrement de la question de ce que chacun.e entend par violence, voire « non violence active », ce qui dessine une ligne de partage mouvante mais récurrente lors des débats entre les différents groupes. Et ce depuis l’occupation du terrain par ce qu’on a appelé « zadistes », implantés après le Camp climat de l’été 2009. Mais au-delà des clivages et a priori, tou.tes ont appris à se connaître, parfois à s’apprécier et à reconnaître l’utilité de modes d’actions divers.
Les premiers mardis de chaque mois à La Vache-rit, l’assemblée générale du mouvement regroupe les diverses composantes, les zadistes comme individu.es avec leurs différences, l’association citoyenniste Acipa, les collectifs de paysans Adeca et Copain, la coordination intégrant les organisations politiques, le collectif des élu.es CéDpa, les comités de soutiens voisins. On y discute le plus souvent au consensus, sans recourir au vote, des actions communes avec l’ensemble du mouvement.
C’est ici que s’envisagent les chantiers d’entretien de route, des actions de solidarité avec les diverses ZAD ouvertes en France -ou plus loin- contre des projets d’aménagement, les appels à soutien lors de procès de militants, l’accueil de délégations et groupes de passage, caravanes de cyclistes, marcheurs… Comme pour les cabanes, les maisons, extensions et réfections de bâtiments existants, de petites éoliennes, l’auto-construction retrouve les principes du DIY. Do it yourself. Gère ton bricolage. Expérimente les possibles à portée de main, débrouille toi avec des ressources partagées, apprends des autres, le bardage, la charpente, la conservation des patates l’hiver, la cuisine vegan, la construction d’un four.
Dépasser la propriété foncière
Cette enclave aborde au quotidien ses volontés d’autonomie alimentaire, l’exercice de l’autogestion généralisée, et éventuellement le dépassement de la propriété du sol, pour l’instant et peut être à moyen terme. Et plus, si jamais la lutte s’avérait victorieuse, avec l’abandon du projet et l’abrogation de la déclaration d’utilité publique de février 2008.
Tous les quinze jours, à La Chataîgne, une assemblée de « Sème ta Zad » débat du devenir des terres, de leur occupation, de leurs usages agricoles, de l’accueil des nouveaux projets. Ou lance dores et déjà des chantiers collectifs de plantation d’arbres fruitiers, pruniers, pommiers, poiriers, cerisiers, après défrichage de ronces et de prunelliers. En plusieurs saisons, les jardins et parcelles maraîchères ont déjà bien des récoltes à leur actif.
Entamées depuis plusieurs années, les discussions sur le devenir des terres ne sont pas les plus évidentes entre les quelques derniers paysans du cru, les zadistes branchés sobriété agricole et le collectif de paysans Copain, regroupant des agriculteurs bio et d’autre à gauche de la Confédération paysanne.
Outre la collectivisation des terres et la création de boulangeries, il est question de dégager des « espaces non motorisés », sans tracteur ni cultures. Il faut de la place pour tout : « Du maraîchage pour l’autonomie, des vergers, du bio, de la traction attelée, des expérimentations et même des projets sans agriculture. Pas question d’écarter des gens qui se sont battus avec nous », souligne Marcel Thébault, producteur laitier « historique », prêt à une conversion au bio en cas de victoire contre Vinci et l’État.
La volonté de « faire du commun »
Et parmi les zadistes qui cultivent des potagers, certains, comme Jean-Jo, voient déjà « le retour des communaux revendiqués par la paysannerie brûlant les titres de propriété en 1788, la vraie base de la Révolution. Je ne suis pas d’accord avec l’idée « La terre aux paysans d’abord« , la logique de performance et la propriété privée : on est pour la terre à tout le monde avec une propriété d’usage. Je ne veux pas que quelqu’un me nourrisse. Je veux m’en occuper. Je milite pour une société où il n’y a pas de métier ni d’assignation sociale par le boulot. Même s’il peut y avoir du savoir faire : mon voisin fait son jardin depuis cinquante ans; il arrose ses tomates deux fois moins que moi parce qu’il connaît bien sa terre ».
Appelant à une « communisation des terres et des pratiques », le mouvement « Sème ta Zad » affirme sa filiation avec des mouvements paysans locaux, dans un département où les paysans-travailleurs et l’influence de Bernard Lambert ont marqué les luttes, fortement liées aux comités de grève en Mai 68, lançant des actions directes contre l’industrie agro-alimentaire, occupant des terres et des fermes contre les « cumulards »…
Cette communisation des champs et des pratiques relèverait d’un dépassement de la propriété foncière, pour privilégier les usages collectifs, partagés, de ces terrains souvent en friche depuis des décades. Histoire aussi d’expérimenter autour de la question alimentaire : sur « des productions autonomes en rupture avec les logiques agro-industrielles, sur les liens possibles avec Nantes et ses habitant.es ». En somme vivre sans attendre « la capacité de relier la question agricole à des formes de vie, d’habitat et à des luttes sociales » tout en empoignant une vieille notion de « contradiction ville-campagne ».
Droit, culture, agriculture, clowns
Chaque lieu de vie a aussi ses assemblées et ses commissions gérant auto-construction, maraîchage, cuisine… Tout comme les collectifs féministes, ou l’équipe de soutien juridique, legal team désormais élargie à en un Carila, Comité antirépression issu de la lutte anti-aéroport. Un groupe d’écoute reçoit celles ou ceux qui veulent un soutien vis à vis d’une souffrance psychologique, y compris vis à vis des drogues.
La ferme de Bellevue a été occupée par le collectif de paysans Copain qui y a installé vaches, cochons, moutons et du matériel agricole, assurant la traite des vaches, le fonctionnement de la fromagerie, la coupe du bois de chauffage, la réparation des outils et tant qu’on y est, des vélos utilisés collectivement de lieu et lieux sur la Zad.
Radio Klaxon diffuse ses émissions pirates que l’on peut capter aux abords de la Zad, sur la fréquence squattée à Vinci autoroute. Des ateliers ont initié à la production d’émission de radio. La grille de programme zappe des luttes sur place et ailleurs aux émissions sur les prisons, sur la poésie, le genre, alternant des lectures en direct et des débats. Même fonctionnement d’auto média pour la site d’informations Zad nadir, qui relaie les agenda militants, les chantiers en cours sur place, les textes et articles de presse commentés… Une équipe de facteurs diffuse une fois par semaine le journal Zad news dans une soixantaine de lieux différents, et relaie les demandes de matériel, bocaux à soupe, palettes de récup, et de savoir-faire, agricoles, construction, ou autres.
Le collectif Les Scotcheuses projette des films de luttes en super 8 dans les divers hameaux granges et écarts de la Zad , en plein air l’été, et envisage de tourner un western dans ce bocage en lutte. Des clowns activistes y viennent pour des stages, des ateliers s’y tiennent autour de la non violence, l’antispécisme.
Espace d’expérimentation foisonnante
Une chambre d’hôtes, la « Black plouc kitchen », a ouvert dans une roulotte proposant une table d’hôtes vegan. Tous les vendredis de 17 à 19h au carrefour du moulin de Rohanne, le « non-marché » est un lieu de rencontres, d’information et d’échanges, gratuits ou à prix libre, des productions de la Zad. Question ressources financières, les occupant.es bricolent avec le RSA, quelques jobs à côté, des travaux agricoles de temps à autre.
Parmi les derniers chantiers ouverts, la rénovation d’une grange à la Wardine pour établir un espace enfants et une cuisine pour accueillir des familles qui souhaitent passer sur la Zad avec des enfants en bas âge, une salle multi-activités danse, acrobatie, arts martiaux, yoga, cinéma…, la réfection de la salle de bain collective de la Zad, la mise en place d’une phyto-épuration pour le lieu-dit de San-Antonio.
La ZAD développe sa capacité à tenir un espace de résistance au capitalisme, avec une empreinte géographique minimaliste et un sens forcené de la sobriété énergétique, tout en mettant en œuvre une expérience mouvante de l’ idée du commun, dans le cadre d’une lutte collective hétérogène.
L’occupation des terres et leurs usages ouvrent des chantiers et des débats enracinés dans du réel. Un élevage de moutons, de race Lande de Bretagne, en voie de disparition, a débuté. Un verger a été planté, des patates, des zones de maraîchage. Deux fermes, aux lieux-dits Bellevue et Saint Jean-du-Tertre, ont été réoccupées dès le départ de leurs occupants en titre, et des cultures y sont entreprises. Au lieu-dit Les Fosses Noires, une boulangerie fournit le pain aux zadistes. La conquête du pain, à l’œuvre, en quelque sorte.
Nicolas de La Casinière
Les composantes de la lutte
Paysans, riverains, associations environnementalistes, syndicats, politiques, squatters zadistes, mais aussi naturalistes, juristes, ils et elles sont anticapitalistes, anti spécistes, citoyennistes, libertaires, décroissants, etc.
Le fond politique de ce terroir de bocage, c’est la Loire-Atlantique des années 1970 où les luttes paysannes prennent un caractère d’action directe, inspirée , imprégnée par la pensée et le personnalité de Bernard Lambert, auteur de « Les paysans dans la luttes de classes », grande figure des luttes paysannes des années 1970 et député, en rupture avec un catholicisme social alors très prégnant dans l’Ouest. Fermement opposés au corporatisme et même à la propriété privée, considérant que la terre est nourricière, qu’elle a une valeur d’usage, pas monétaire, les Paysans travailleurs s’inscrivent dans la lutte de classes. Les militants du mouvement mènent des luttes contre les accapareurs et les expropriations, mais aussi contre le productivisme, les banques, la main mise des firmes agro alimentaires.
Née en 1987, la Confédération paysanne est l’héritière de ce mouvement qui a connu en Loire-Atlantique un terreau fertile, actif, puissant, engagé au Larzac, puis contre les deux projets de centrales nucléaires du Pellerin et du Carnet, ou celui de Plogoff – et tous ces projets ont finalement été abandonnés. De 2001 à 2007, le département sera le seul en France à élire une majorité d’élus de la Conf’ à la tête de la chambre d’agriculture. Les liens avec la lutte du Larzac datent de cette époque. Quand José Bové viendra apporter son soutien, c’est au nom de cette historique convergence des luttes et d’amitiés tenaces qu’il sera là.
– Les paysans historiques.
L’Adeca, « Association de Défense des Exploitants Concernés par l’Aéroport », est créée en 1973 mènent des actions et rassemblements, puis est mise en sommeil après l’abandon apparent du projet d’aéroport jusqu’en 2000. L’Adeca est alors réactivée face à le reprise du projets, et une autre structure est créée :
– L’association de citoyens.
L’Acipa, « Association Citoyenne Intercommunale des Populations concernées par le projet d’Aéroport », est créé en 200, avec un nom pas très combattif, pour drainer large. Son objet majeur est l’information des populations. En 2015, l’Acipa compte plus de 3 500 adhérents. Elle a lancé une pétition qui a recueilli plus de 50 000 signatures ; une pétition photo qui a réalisé plus de 11 000 portraits et la lettre d’information hebdomadaire est envoyée à plus de 4500 personnes. Chaque année, depuis l’année 2001, des rassemblements d’opposants ont été organisés ; ces dernières années, plusieurs dizaines de milliers de personnes y étaient présentes.
– La Coordination des opposants, dite « coord », est née en 2004 autour de l’Acipa pour élargir et fédérer les associations, mouvements politiques, syndicats et collectifs, soit plus de 50 groupes en 2014. On y trouve notamment Solidaires, le NPA, Attac, EELV, Ensemble, les Objecteurs de Croissance, le Modem… La coordination se réunit tous les mois et organise collectivement les divers rassemblements, manifestations ou réunions d’informations.
– Le collectif des élu.es.
Créé en 2009, le CéDpa, Collectif d’élu.es doutant de la pertinence du projet d’aéroport à Notre Dame des Landes, regroupe un millier d’élus locaux, régionaux. Le collectif a notamment engagé des experts indépendants pour réaliser des études et contre expertises sur les coûts/bénéfices du projet d’aéroport comparé au maintien et à l’optimisation de l’aéroport existant, mais aussi pour étudier de près le permis de construire déposé par Vinci. Ces élu.es ont aussi joué le jeux des consultations en préfecture de la Commission du dialogue mise en place par le gouvernement Ayrault pour tenter d’apaiser les tensions après l’opération César menée sur le terrain en octobre 2012.
– L’Inter-comités.
Depuis l’opération César qui a en octobre et novembre 2012 tenté, sans succès d’évacuer manu militari la zone, ce collectif des comités anti-aéroport créés dans 75 départements dans toute la France est une autre force de mobilisation et de réflexion, moins active quand aucune menace tangible d’expulsion ne se fait sentir mais prête à se réactiver à la moindre alerte.
– Les collectifs Copain.
Créé en 2011, le collectif Copain 44, « Collectif des Organisations Professionnelles Agricoles INdignées par le projet d’aéroport », est formé de producteurs bio du Groupement de l’agriculture biologique, de l’aile gauche de la Confédération paysanne et d’autres structures (Civam44, Terroir 44, Accueil Paysan, Manger Bio 44). Son rôle de rapprochement entre les zadistes et les paysans historiques et l’Acipa est remarquable. D’autres collectifs Copain sont nés depuis dans des départements proches. Ces collectifs ont montré leur engagement en encerclant avec 45 tracteurs le lieu reconstruit de La Châtaigneraie, puis la ferme de Bellevue, menacée de destruction, afin de s’opposer physiquement aux expulsions. Copain a été impliqué dans la remise en production ce de cette ferme de Bellevue puis de celle de Saint-Jean-du-Tertre. C’est aussi une des instances actives du débat sur le devenir agricole de la Zad en cas d’éventuelle victoire de la lutte et d’abandon du projet d’aéroport. On y discute des usages et des pratiques de culture, dans une possibilité de dépassement de la propriété foncière classique.
Le Copain est intervenu dans le processus de redistribution temporaire de terres, arbitrairement orchestré par le concessionnaire du projet, AGO Vinci. Avec les paysans de l’Adeca, le Copain a prôné une gestion collective, œuvrant au quotidien pour démêler des conflits, faciliter l’accès des agriculteurs à leurs parcelles, améliorer la compréhension respective des pratiques des uns et des autres.
-Les zadistes.
Après le Camp climat de 2009, et son appel à occuper la zone, les premiers squatters précaires ont débarqué pour s’installer le terrain de la Zad, dans des maisons encore intactes, des cabanes, des habitats précaires souvent autoconstruits. C’est un ensemble multiple, qui ne se revendique pas toujours comme une entité homogène mais comme une somme d’individualités. On distingue parfois les zadistes historiques, présentes depuis cette «époque, et les autres implantés plus récemment. Un texte de juillet 2013 « A propos du mépris de classe sur la zad » établit que l’origine sociale et l’histoire récente de ces zadistes compose deux catégories. Des déclassés de la petite bourgeoise intellectuellenavec plusieurs années à l’université et une pratique des lutes, et des gens venus de la rue, moins rompu à l’évidence de l’assemblée générale, plus rugueux, avec des bagages culturels très différents voire conflictuels.
Les paysans et associations de défense « institutionnelles » – comme dit le préfet – les ont regardés avec une certaine méfiance. Réflexe de gens de la terre, habitués à se fier aux actes plus qu’aux discours. Au début, la cohabitation n’a pas toujours été facile. Histoires de chiens se baladaient librement, alors qu’il y a du bétail partout. Besoin, pour les paysans en place, de faire comprendre que des barrières, ça se referme
Depuis, les « nouveaux venus » ont montré leur détermination, capables de passer les hivers dans les froidures de ce bocage très humide, pas manchots pour s’organiser, faire du pain, lancer des cultures vivrières, poireaux, patates, tomates et courges nourrissant pendant deux ans et demi les quelque deux cents Zadistes. Ils et elles l’ont fait. Des militants capables aussi de donner des coups de main à la traite journalière des vaches, quand certains paysans sont absents pour une manif en tracteur à Paris, ou lors de la grève de la faim.
À l’initiative du mouvement Reclaim the fields, une manifestation de débroussaillage a installé, le 7 mai 2011, ce qui sera la ferme potagère du Sabot, détruite par les gendarmes mobiles à l’automne 2012 par l’opération césar. Pour l’occasion, les paysans ont renoué avec les manifs d’installation de jeunes agriculteurs d’il y a quarante ans, prêtant leurs tracteurs, donnant du purin et des conseils pour les cultures. Et quand les expulsions ont commencé, à la mi-novembre 2012, ils ont fourni à manger aux barricades. Certains paysans ont dormi avec les jeunes dans les maisons expulsables, présents tous les jours en première ligne de l’offensive miliaires, pour éviter au moins que la répression ne soit des plus violentes, sans témoins, au coin du bois… Et les paysans savent pertinemment quelle fière chandelle ils doivent aux zadistes, la résistance aux expulsions et le formidable élan de sympathie levé spontanément dans toute la France. Malgré les dissensions tactiques, tous se souviennent de ce qui a scellé leur union.
Sème ta Zad a été le nom d’une journée de plantations et de chantiers collectifs en avril 2013, qui lance une douzaine de projets agricoles sur les terres occupées : maraîchage, céréales, légumineuses, poules, vignes, etc. Sème ta Zad depuis devenu une instance informelle qui réfléchit, avec Copain notamment, aux futurs agricoles et aux scénarios de cultures et de partage des espaces.
D’autres collectifs ont des angles d’analyse et de contributions spécifiques. Quelques trois cent « naturalistes en lutte », universitaires, associatifs, professionnels et amateurs, réalisent un inventaire sans précédent de la faune et la flore, contre expertise citoyenne au rapport du cabinet chargé d’inventorier les espèces protégées. Des juristes étudient toutes les failles, les recours et les stratégies judiciaires, en s’attachant à la Loi sur l’Eau, au déplacement des espèces protégées, aux directives européennes, d’autres sont mobilisés sur le sujet des expropriations ou le volet pénal de la lutte…
Des géographes analysent les spécificités de ce rare paysage de bocage préservé et dénoncent un aménagement du territoire trop centré sur la métropolisation des villes et l’abandon des territoires intérieurs. Des architectes et urbanistes analysent le permis de construire du projet, l’optimisation possible de l’actuel aéroport avec le collectif des pilotes de ligne en activité, liés à des chefs d’entreprises, notamment un ancien directeur d’une compagnie aérienne régionale.
Ce savoir partagé constitue une véritable intelligence collective, comme une université populaire d’experts autodidactes, formés dans le tumulte durable de la lutte.
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Bibliographie
– Les paysans dans la luttes de classes, Bernard Lambert, préface de Michel Rocard, alors au PSU, éditions du Seuil, 1970. Réédition en 2003 aux éditions du Centre d’histoire du travail à Nantes, avec un avant-propos de José Bové.
– Dégage, on aménage, Jean de Legge et Roger Leguen, éditions Le Cercle d’Or, 1976, épuisé. On peut le lire en pdf sur le site de l’Acipa : http://acipa.free.fr/Plus/Divers/Degage/degage.htm
– C’est quoi c’tarmac ?, profits mensonges et résistances, par le collectif Sudav, éditions No Pasaran, 2011.
– ZAD partout, zone à défendre à Notre-Dame des Landes, Textes et images, éditions L’Insomniaque, 2013.
– Les prédateurs du béton, enquête sur la multinationale Vinci. Nicolas de La Casinière, éditions Libertalia, 2013.
– Notre Dame des Landes, Hervé Kempf, éditions du Seuil, 2014.
Ces deux articles des Nicolas de la Casinière sont repris de l’Encyclopédie de l’Autogestion (éditions Syllepse)
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