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mardi, 28 juillet 2015 dans
Point de vue
Les Romains disaient « La roche tarpéienne est près du Capitole ». Et Tsipras l’expérimente d’une belle manière, lui qui le dimanche était le héros de tous les Grecs est devenu le lundi un traître indéfendable. C’est quoi au juste ce bazar.
On va commencer par un rappel : le fonctionnement de l’État c’est de mettre de l’argent dans la boucle de l’économie qui, via le travail, les revenus, la consommation et le patrimoine de la population revient dans ses caisses. Quand il en revient davantage, l’État injecte plus d’argent dans la boucle, quand il en revient moins, l’État s’endette et réinjecte moins dans la boucle. Le volume de la boucle s’appelle le PIB, ce que l’Etat rentre et sort s’appelle le Budget. Quand l’État n’est plus en mesure de rembourser ses dettes, il est en faillite et alors interviennent les instances internationales pour « aider » cet État.
Revenons à Tsipras : ça ne fait que 6 mois qu’il est là, mais on a l’impression qu’il s’est passé quelque chose chaque jour. D’ailleurs c’est vrai et on va refaire le film. Mais d’abord les bonnes questions. Tsipras est-il un héros ou un traître? Eh bien c’est plutôt un héros. Les nouveaux accords sont-ils une honte ou une chance? Eh bien c’est plutôt une chance. L’Europe a-t-elle fait capituler la Grèce ou la Grèce a-t-elle fait céder l’Europe. Eh bien c’est plutôt la Grèce qui a fait céder l’Europe. Le problème c’est que ce que je dis est exactement le contraire de ce qu’on entend et lit partout. C’est d’ailleurs pour ça que je fais ces textes. Reprenons nos esprits et expliquons. Ce genre d’explication je l’appelle « leçon de choses » parce que c’est une observation et une analyse de la réalité, comme dans les anciennes sciences naturelles.
Pour comprendre ce qui s’est passé, il faut partir de l’observation que, depuis l’arrivée de Syriza au pouvoir, les institutions financières n’ont eu qu’un seul objectif : obliger la Grèce à sortir de l’Union monétaire, c’est à dire de l’euro. Et pour ça elles ont tout essayé, diminution des disponibilités de la BCE, décrédibilisation de toutes les initiatives du gouvernement grec, essai d’envoi de conseillers dans tous les ministères, déclarations sur l’insoutenabilité de la dette, multiplication des réunions stériles, tir à boulets rouges sur le patrimoine de l’Eglise, les pavillons de complaisance des armateurs et l’incurie grecque etc. etc. En voyant ça et surtout en le comprenant petit à petit, Tsipras n’avait que deux possibilités : accepter de sortir de l’union monétaire et se retrouver avec une monnaie sans la moindre valeur conduisant le pays à être vendu par tranches à ceux-là même qui l’auraient poussé dehors, ou obliger l’Europe à le garder dans l’union monétaire. C’est ce choix-là qu’il a fait. Seulement il fallait une méthode. Il a donc procédé en trois temps : premier temps, faire des propositions mais sans se victimiser de façon à garder l’estime de la population et ça été fait par lui et Varoufakis ; deuxième temps, se rendre incontournable politiquement pour les institutions européens et ça a’ été le référendum ; troisième temps, accepter toutes les demandes des institutions et obtenir un accord. On en est là et ça a marché. Et même à mon avis mieux que prévu, parce que la Grèce est toujours dans l’Union monétaire et l’Europe a signé un accord soi-disant draconien, mais qui surtout la rend responsable de la situation en Grèce.
En effet Tsipras va essayer d’appliquer tous les termes de l’accord, ce qui va encore plus endetter le pays sans pour autant faire redémarrer l’économie, mais c’est le docteur Europe qui va être obligé de continuer à soigner le malade. Attention, supprimer seulement la dette grecque ne changera rien à sa situation économique et d’ailleurs il est vraiment paradoxal d’envisager de prêter 80 milliards à quelqu’un qui en doit 300 qu’il n’arrive pas à rembourser. Non il faut et il faudra bien d’autres actions. Evidemment tout n’est pas rose pour autant car d’une part l’Europe peut faire un coup d’éclat en sortant la Grèce de l’Union monétaire et peut-être de l’Union économique mais il y aurait beaucoup de dégâts politiques. D’autre part, l’opinion grecque peut aussi se retourner et vouloir quitter l’Europe ce qui serait un échec pour tout le monde avec des conséquences sur l’avenir de l’Europe. Et aussi le gouvernement grec peut faire des erreurs dans lesquelles s’engouffreraient les institutions. Enfin je peux me tromper car tout ceci n’est qu’une affaire de gros mensonges.
Donc Tsipras est plutôt un héros, il a plutôt fait céder l’Europe et il a un début d’accord. Mais après ? On peut essayer de voir ce qui pourrait sortir la Grèce de la récession dans laquelle elle est, car ce n’est pas contre l’austérité que se bat Tsipras, mais contre la récession. Et là il n’y a pas trente- six solutions, c’est soit un redémarrage genre plan Marshall dans lequel l’Europe injecterait, sans passer par les banques, encore des euros pour que l’Etat grec lance des grands projets, des grands travaux et de la modernisation. Pour moi, l’ordre de grandeur est de 500 à 1 000 milliards supplémentaires. Soit c’est la nationalisation de toute l’économie du pays, en gros sur le modèle chinois, mais c’est impossible politiquement. Soit c’est le sabordage de l’Etat grec avec ses conséquences sociales et sécuritaires habituelles, locales mais contagieuses.
Alors, à mon avis, l’Europe n’a guère que le choix de la première solution, qui en plus pourrait déclencher une baisse durable de l’euro, ce qui serait bon pour nous. Les seuls perdants seraient alors les rentiers européens dont la richesse diminuerait un peu. On va pas les plaindre.
En post-scriptum, l’observation de la situation réelle de la Grèce qui a servi à mon analyse.
Michel COSTADAU
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Post-scriptum
Est-ce que l’Etat grec est lourdement endetté ? Réponse oui.
Est-ce que l’Etat grec arrive à rembourser ses emprunts ? Réponse non.
Est-ce qu’on peut dire que l’économie grecque est arrêtée ? Réponse non, mais la boucle tourne très lentement.
Est-ce que le chiffre d’affaire de la Grèce, c’est à dire le PIB, est en augmentation ou en diminution ? Réponse en diminution.
Est ce que le budget de l’Etat Grec est en augmentation ou en diminution ? Réponse en diminution.
Est-ce que la Grèce est en mesure de rembourser, même avec beaucoup de temps, ses emprunts ? Réponse non.
Est ce que l’économie souterraine, c’est-à-dire le travail au noir, les pots-de-vin, les passe- droits et la circulation clandestine de marchandises sont très développés ? Réponse oui.
Est-ce qu’avec l’économie souterraine les Grecs en état de travailler arrivent à survivre ? Réponse oui, quoique difficilement.
Est-ce que ceux qui n’ont que le salaire ou la retraite arrivent à survivre ? Réponse non sauf si possibilité d’accéder à l’économie souterraine.
Est-ce que la monnaie grecque est l’euro ? Réponse oui.
Est-ce que la Grèce peut émettre les euros dont elle a besoin ? Réponse non.
Est ce que les institutions financières internationales ont pour but d’aider les Etats ? Réponse non pas du tout, mais seulement d’aider l’économie.
Est-ce que les institutions européennes ont pour but d’aider les Européens ? Réponse non pas du tout, mais seulement d’aider l’économie.
Est-ce qu’un Etat européen essaye d’aider sa population ? Réponse non pas du tout, mais seulement d’aider l’économie.
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