Lola Sanchez était en France pour y parler du Traité transatlantique et de la place des femmes en politique. À trente-sept ans, elle a fait de sa place dans l’hémicycle européen l’endroit idéal pour lutter – lutter avant tout pour le peuple, pour la justice et l’égalité des droits. Nous l’avons rencontrée afin de discuter des gauches européennes, malmenées par la Troïka, mais aussi de Podemos.
Regards. Dans El Pais, Jean-Claude Juncker a affirmé que les propositions de Podemos sont « incompatibles avec les règles européennes ». Après la Grèce de Syriza, la Commission européenne attaque de front l’Espagne de Podemos. Que répondez-vous à cela ?
Lola Sanchez. La Commission européenne se rend compte que quelque chose bouge dans les sociétés européennes, quelque chose qui va à l’encontre des politiques d’austérité. Ce qui s’est passé en Grèce est un exemple, car les institutions sont en capacité de menacer et d’attaquer la Grèce plus qu’elles ne pourront le faire avec un futur gouvernement de Podemos en Espagne. L’Espagne est en effet la quatrième économie de l’Union européenne et personne ne pourra nous menacer de la sorte. Nous nous ferons plus fermes et nous viendrons au secours des Grecs. Ce que Juncker démontre, c’est que, bien évidemment, le projet politique de Podemos n’est pas compatible avec les règles actuelles de l’UE. Nous ne sommes pas antieuropéistes, ni contre la monnaie unique. Nous sommes contre ce modèle d’Europe, un modèle fait pour les grands pouvoirs économiques, pour les banques. Ce n’est pas pour ça qu’est née l’Europe, en théorie, elle est faite pour autre chose, pour le peuple.
« La gauche a toujours endossé le rôle de perdant, mais si l’on veut participer à la politique, il faut le faire avec l’idée de la victoire »
Qu’est-ce qui fait que la gauche (PSOE et Izquierda unida) n’a pas su convaincre les Espagnols avant Podemos ?
La gauche espagnole était très repliée sur elle-même, elle n’était pas tournée vers les gens et surtout, d’après moi, le problème était celui du langage. Par exemple, moi qui suis de gauche, je ne me suis jamais sentie identifiée avec le langage d’Izquierda unida. Si vous me parlez de « prolétariat », je ne me sens pas concernée alors que je le suis probablement, mais pour moi, cela résonne comme quelque chose de bien trop vieux. Parlez-moi de « peuple », de « personne normale ». Je me considère comme une personne normale, pas comme une prolétaire, car je ne suis pas à l’usine en train de serrer des écrous. Je pense que l’erreur de la gauche traditionnelle est là : parler de « lutte des classes », ça n’a plus de sens parce que les gens ne savent pas à quelle classe ils appartiennent, tout ceci est trop diffus aujourd’hui. De plus, la gauche a toujours endossé le rôle du perdant, de la minorité. Si l’on veut participer à la politique, il faut le faire avec la victoire en tête, avec l’idée que l’on peut faire quelque chose – sinon il vaut mieux rester chez soi. Si je n’étais pas convaincue que Podemos va gagner les élections, je ne serais pas là.
Selon vous, que manque-t-il en France pour qu’un tel changement advienne ?
(Elle soupire) La situation en France est très complexe. Il serait bien qu’apparaisse un mouvement comme Podemos, ou comme Syriza – c’est-à-dire une coalition de partis, à défaut d’une plate-forme citoyenne. Le discours du Front national est très dangereux, car il met le grappin sur le peuple, sur les problèmes des gens. Et les solutions qu’ils proposent sont terribles, en totale divergence avec celles de Podemos. En Espagne, nous avons la « chance » que l’extrême droite soit comprise dans le Partido popular (PP), car ainsi elle est contrôlée. Je pense que la solution pour la France, c’est qu’un parti parle aux gens de leurs vrais problèmes, comme le FN, de ce qui va vraiment mal plutôt que de parler de l’euro, par exemple. Les solutions apportées ensuite doivent venir de la gauche, afin que ces solutions soient celles du bon sens, celles qui ont trait aux droits humains.
« Pour que l’horizontalité soit effective, il ne suffit pas de la décréter »
Finalement, l’horizontalisme n’est-il pas en train de devenir un « idéalisme inutile », pour citer Pablo Echenique ? Êtes-vous aussi critique quant à cette idéologie, pourtant fondamentale dans Podemos ?
Pour être horizontal, il faut d’abord créer des espaces de participation, et leur donner des bases solides. À Podemos, ce sont les cercles. Nous avons remarqué, alors que beaucoup de monde se rendait à nos cercles au départ, que des personnes ont progressivement arrêté de venir, principalement des femmes : elles n’avaient pas le temps, notamment parce qu’elles occupent des emplois d’aide à la personne ou parce qu’elles ont des enfants et une maison à tenir. Alors, dans de nombreux cercles, il y a des gens qui gardent les enfants afin qu’elles puissent assister aux assemblées. C’est avec ce genre de dispositif que l’horizontalité est effective : il ne suffit pas de la décréter, de seulement inviter les gens, il faut leur donner la possibilité de pouvoir réellement venir et de prendre la parole.
Aux élections municipales, Podemos ne présente pas officiellement de listes. Pourquoi cette stratégie de précaution alors que vous prétendez lutter pour un pouvoir qui vient d’en bas ?
Nous participons aux municipales ! Mais nous n’y allons pas tous seuls. Comme la municipalité est l’espace le plus proche du citoyen, il faut qu’elle soit un espace de participation collective et Podemos, au travers de ses membres locaux, participe à des candidatures d’union populaire, dans lesquelles s’investissent des acteurs sociaux, des associations et des personnes ayant consacré leur vie à la défense d’un collectif. Podemos participe, et apporte aussi sa structure et les capacités d’organisation de ses membres, ainsi que ses moyens économiques. Simplement, nous ne voulons pas nous approprier ces élections. Une mairie ne peut pas appartenir à un seul collectif, elle doit être occupée par le peuple.
« Si tu ne fais pas de politique, d’autres en feront à ta place et ne parleront pas en ton nom »
Lors de la constitution de Podemos, vous défendiez aux côtés de Pablo Echenique et Teresa Rodriguez les propositions de Sumando podemos, contre Pablo Iglesias. Dans vos propositions, il était question de tirage au sort des représentants. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
J’ai soutenu les propositions de Sumando podemos car il me semblait qu’elles reflétaient le mieux l’esprit du 15-M, avec lequel est né Podemos. Plus horizontal dans la participation, dans le débordement social. Car il faut que les choses débordent pour qu’il y ait plus de partage politique. À propos du tirage au sort, c’est une idée qui me plait beaucoup, que j’ai étudiée et qu’il faut être très courageux pour la proposer et pour la mener à bien. Comme on dit, si tu ne fais pas de politique, d’autres en feront à ta place et ne parleront pas en ton nom. Je pense donc que la meilleure manière de pousser les gens à faire de la politique, à devenir un citoyen actif, c’est le tirage au sort. Il permettrait une véritable représentation de la société dans les institutions, par exemple qu’une femme au foyer, sans diplôme, entre dans un parlement. On ne peut pas attendre que quelqu’un se présente de lui-même et devienne un porte-parole pour ces femmes. Pas besoin d’avoir un discours politique rodé pour faire de la politique, il n’y a qu’à savoir d’où tu viens, quels sont les problèmes de ta réalité sociale et quelles sont les solutions que le collectif peut y apporter.
Pourtant, pour Pablo Iglesias, un tirage au sort est inenvisageable. Vous comprenez sa position ?
Il dit que cela comporte un risque et que le concept peut se dénaturer. Mais je pense au contraire que dénaturer l’élection des représentants est exactement ce qu’il faut faire, afin que les politiciens cessent de n’être que des politiciens, et que les citoyens le deviennent à leur place. En fait, le citoyen et le politicien doivent ne faire qu’un.
« Le changement est déjà en marche dans la société espagnole et pour beaucoup, une marche arrière n’est plus possible »
La stratégie du clan d’Iglesias, un pouvoir vertical et centralisé, est-elle la meilleure pour gagner les élections générales ? Et que se passera-t-il après ?
Le leadership de Pablo Iglesias n’a jamais été discuté. Sans lui et son courage, Podemos n’existerait pas. C’est lui le fer de lance de Podemos, c’est lui qui va au front et qui parle en notre nom à tous. Et c’est pour cela qu’il est indiscutable et indiscuté. Les fondateurs du parti ont décidé qu’il fallait une organisation un peu plus verticale que celle que je défendais, avec des idées très claires pour pouvoir se confronter aux menaces, aux pouvoirs qui nous attaquent en Espagne et dans l’UE, et cela porte ses fruits. Même si je pense que, de toute façon, nous aurions eu de bons résultats. Je comprends qu’il faut être fort et que cela passe par une conversion de Podemos en machine électorale. Ce qui va se passer après, c’est une autre histoire : celle qu’il faut raconter aux gens. Les mesures que souhaite prendre un gouvernement de Podemos pourront être difficiles, complexes à expliquer, et pour cela nous avons besoin que les gens soient convaincus que cela se fait pour le bien de tous. Sinon, ils nous tourneront le dos. Mais je suis sûre que cela se passera bien. Le soutien populaire est chaque jour plus grand car les Espagnols se rendent compte que nous ne sommes pas des fous, ni des bolivariens ou des révolutionnaires, mais que nous proposons des choses sensées et économiquement viables.
Et si Podemos perd les élections, que se passera-t-il ?
Je doute que Podemos perde. Mais si cela devait arriver, je ne crois pas pour autant que cela serait une défaite. Le changement est déjà en marche dans la société espagnole et, pour beaucoup, une marche arrière n’est plus possible. On ne va plus nous convaincre que privatiser les services publics est une bonne chose pour tous, qu’il faut sauver les banques afin de ne pas tous sombrer avec. Les mentalités ont changé. Ce n’est plus qu’une question de temps et si Podemos ne gagne pas cette année, nous gagnerons dans quatre ans.
propos recueillis et publiés dans Regards
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