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Syriza, une aubaine pour l’Europe ?, par Thomas COUTROT (économiste, porte-parole d’ATTAC) et Pierre KHALFA (économiste, coprésident de la Fondation Copernic)

Publié le mardi, 27 janvier 2015 dans Notre Economie et la leur
La victoire de Syriza aux élections législatives en Grèce suscite déjà deux types de réactions chez les tenants des politiques d’austérité en Europe. La première, utilisée avant l’élection pour intimider les électeurs grecs, est d’annoncer le chaos. Elle a échoué mais on s’emploie désormais à organiser ce scénario.

La méfiance des propriétaires de capitaux va propulser à nouveau vers le haut les taux d’intérêt sur les emprunts grecs, et le FMI a décidé avant même la victoire de Syriza de suspendre son aide financière à la Grèce. Une aide qui, rappelons-le, s’adresse moins au peuple grec qu’aux créanciers du pays, puisque cet argent sert à payer les intérêts d’une dette largement illégitime, provoquée par des années de fraude fiscale des plus riches et de dépenses publiques somptuaires et inutiles. 

On pourrait d’ailleurs rétorquer qu’en matière de chaos, les Grecs ne risquent plus grand-chose. Après cinq années d’une purge sociale d’une violence inouïe, le PIB de la Grèce a reculé de 25 %, le chômage et la pauvreté ont explosé, la classe politique traditionnelle est plus corrompue que jamais et le pays subit une profonde crise humanitaire. Au lieu de faire baisser la dette publique, les politiques d’austérité l’ont fait passer de 120 % du PIB en 2010 à 174 % en 2014, et ce malgré une trop timide restructuration en mars 2012. 

LES DIKTATS DE LA TROÏKA 

La seconde réaction se veut plus subtile. On nous explique que Syriza ne pourra pas appliquer son programme. Certes, Alexis Tsipras essayera de négocier une restructuration de la dette, que refusent aujourd’hui les institutions européennes. Mais coincé par les traités européens qui imposent un équilibre budgétaire, ainsi que par la nécessité de préserver le financement du pays et donc de complaire aux marchés financiers, le nouveau gouvernement grec devra continuer à subir les diktats de la Troïka et abandonner son projet de relance économique et de transformation du pays.
Cette analyse s’appuie sur une réalité incontestable. Il n’y a pas d’avenir pour la Grèce avec les modalités actuelles de fonctionnement de l’Union européenne. Les traités et les directives qui en sont issues ont constitutionnalisé les politiques d’austérité afin de museler la souveraineté populaire, d’empêcher tout débat démocratique réel et d’exclure tout pas de côté par rapport aux exigences – elles-mêmes absurdes et contradictoires – des marchés financiers. Les politiques économiques se réduisent à appliquer une série de normes, impératifs catégoriques sur lesquels les peuples n’ont rien à dire.
Cependant, l’échec de cette logique stupide est tel que la Banque centrale européenne a été contrainte par les faits de s’en affranchir en partie, depuis 2012, en rachetant massivement sur le marché secondaire les titres des pays en difficulté (suscitant ainsi la fureur de la Bundesbank, gardienne de l’esprit des traités). Nouveau pas en avant, Mario Draghi vient d’annoncer, à la grande joie des marchés financiers, que face à la menace déflationniste, la BCE va inonder les banques de liquidités en leur rachetant des obligations de tous les États de la zone euro pour un montant de 60 milliards d’euros par mois. Mais si l’étau des politiques d’austérité n’est pas desserré, ces liquidités ne feront rien pour l’économie réelle et tout pour gonfler encore la bulle financière.

DÉSOBÉIR AUX RÈGLES EUROPÉENNES 

Tout gouvernement voulant rompre avec les politiques d’austérité, comme Syriza l’a promis, devra engager un bras de fer avec les institutions européennes et assumer un rapport de force au sein de l’Union. Il s’agit d’obtenir à court terme un allégement substantiel de la dette publique et un ballon d’oxygène monétaire pour la Grèce.
Si les négociations déclenchées par Syriza ne débouchent pas, ce qui est fort probable dans un premier temps, la Grèce devra se donner les moyens de désobéir aux règles européennes afin de prendre les mesures unilatérales nécessaires pour améliorer rapidement la vie de sa population.
La politique monétaire, qui jouera un rôle décisif, est un bon exemple pour illustrer cette approche. Syriza refuse à juste titre une sortie de l’euro, qui aggraverait la guerre économique en Europe. Mais cela ne signifie pas qu’il faille accepter de rester pieds et poings liés par les règles et pratiques actuelles de la zone euro, calibrées pour garantir l’emprise des marchés financiers.
Un établissement financier public, créé ou pas à cet effet, pourrait demander tout à fait légalement (article 123-2 du Traité de Lisbonne) un prêt auprès de la Banque centrale européenne afin de financer les investissements publics nécessaires pour remettre le pays en état de marche sans passer par les banques privées.
Quant aux liquidités fournies aux banques par le nouveau plan Draghi – plus d’un milliard d’euros par mois pour la Grèce – les Banques centrales nationales, comme l’a voulu Angela Merkel, seront responsables financièrement de leur éventuel mauvais usage : la Banque de Grèce pourrait s’assurer de leur utilité en les « fléchant » vers des projets d’investissements pour l’emploi et la transition écologique. La BCE aurait du mal à protester, alors même qu’elle a arrosé de liquidités sans aucunes retenue ni conditions les banques européennes depuis trois ans.
Si la BCE refusait ces mesures, au mépris des traités européens, alors la Banque centrale grecque aurait toute légitimité pour invoquer un cas de force majeure et désobéir elle aussi aux traités, en prêtant elle-même directement à l’établissement public et en imposant un contrôle aux banques privées sur l’utilisation des fonds du plan Draghi. 

NOTRE SORT SE JOUE AUSSI EN GRÈCE 

La victoire de Syriza pourrait donc accélérer fortement la remise en cause des règles obsolètes et insoutenables de la zone euro. Celle-ci ne survivra que si l’euro est mis au service du développement de l’emploi et de la transition écologique européenne.
Les changements nécessaires – idéologiques et institutionnels – sont si profonds qu’ils ne pourront se produire qu’au prix d’une crise politique majeure de l’Union. Le changement politique en Grèce peut déclencher cette crise salutaire. Mais tout dépendra de la capacité des citoyen(ne)s de l’Union européenne à se mobiliser pour empêcher que la Grèce soit étouffée.
Il ne s’agit pas simplement de solidarité avec le peuple grec, mais du fait que notre sort se joue aussi en Grèce. La montée de l’extrême droite en Europe se nourrit de la guerre sociale menée pour appliquer les politiques néolibérales.
Le choix n’est pas entre les politiques actuelles ou le repli nationaliste et xénophobe : pour sauver l’Europe il faut ouvrir d’autres voies. Il est de notre responsabilité de citoyens européens de les défricher avec nos amis grecs.

publié sur Le Monde.fr

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