Polémique(s) : Urgence de l’antifascisme. . Edito de Yannis YOULOUNTAS (Le Monde Libertaire 12 au 18 juin)
Publié le dimanche, 16 juin 2013 dans Gauche de combat, No Pasaran !, POLEMIQUE-s
Depuis une dizaine d’années, la vigilance a baissé d’intensité contre le fascisme. On nous répète souvent que ce dernier n’existe plus et que seul subsiste un épouvantail au service d’abusives chasses aux sorcières. L’appellation fasciste non contrôlée ne serait finalement qu’une étiquette calomnieuse apposée injustement sur le front d’honorables « résistants de la Nation en danger » que de puissants complices défendent, requalifient et invitent ici ou là
Ah bon ? Plus de fascisme depuis Mussolini et Hitler ? Juste quelques reliquats en Espagne et en Grèce jusqu’au milieu des années 70 ? Pourtant, à bien y regarder, le fascisme est plus vivace que jamais : retour en grande pompe du nazisme en Grèce (15% de l’opinion et 50% dans la police et l’armée), ascension vertigineuse de la fille Le Pen qui se rapproche du rêve inaccessible de son Père, et surtout, légèreté incroyable voire trahisons en série dans les rangs de ceux qui auraient pu endiguer ce renouveau fasciste.
Trahisons parce que la grande force du fascisme réside aujourd’hui tout autant dans la diffusion massive de ses idées que dans la mollesse manipulée de ses adversaires, dans les rangs desquels des intrus passent leur temps à faire baisser la garde, appeler au dialogue pacifié et à l’isegoria (droit de parole pour tous, quelle que soit l’opinion) tout en semant la confusion sur les marqueurs politiques et les enjeux de la résistance. Pour ceux-là, l’unique ennemi affiché est le système totalitaire marchand actuellement au pouvoir et pas du tout sa doublure disponible en cas de besoin, si le cirque médiatique ne parvenait plus à contenir la révolte. Pourtant, l’histoire l’a prouvé : le fascisme n’est que le chien d’attaque du capitalisme, que ce dernier lâche sur la foule en dernier recours.
« la grande force du fascisme réside aujourd’hui tout autant dans la diffusion massive de ses idées que dans la mollesse manipulée de ses adversaires »
Ces intrus bonimenteurs et dangereux prolifèrent comme des virus à gauche, notamment au sein de jeunes organisations para-politiques. Certains oublient naïvement que c’est dans les rangs de la gauche qu’on a vu les collaborateurs les plus serviles de l’occupation nazie. Doriot a d’abord été un membre influent du PCF, député-maire de Saint-Denis, avant de basculer de l’autre côté en appelant à la réconciliation nationale (ce qui rappelle la trajectoire actuelle d’un Soral du PCF au FN jusqu’à fonder une organisation passerelle reliant socialisme et nationalisme). Déat, quant à lui, a d’abord été un socialiste bon teint, plein d’avenir aux dires de la presse (un peu comme Valls aujourd’hui) avant de devenir le chantre de la révolution nationale. Bien sûr, beaucoup de militants de gauche sont des antifascistes convaincus. C’est justement pourquoi, ils devraient s’aviser de faire le ménage chez eux plutôt que d’avoir les yeux uniquement fixés de l’autre côté. Sans quoi, le réveil pourrait s’avérer douloureux et les dégâts irréversibles.
Yannis Youlountas
Nous rajoutons ce complément de l’auteur
Réponses à 4 types de questions/réactions suite à mon édito du Monde Libertaire Urgence de l’antifascisme :
ALARMISME ?
Oui, je pense sincèrement et sérieusement que nous sommes tout prêt de la catastrophe, et ce, parce que la pénétration de certaines idées fascistes et antihumanistes se manifestent tout autant dans les sphères du pouvoir actuellement de « centre-gauche » (directives de Valls à l’égard des Roms qui contribuent à sa grande popularité, etc.), que dans beaucoup de réseaux associatifs censés être de gauche (qui invitent des idéologues nauséabonds ou ouvertement « philofascistes », comme Etienne Chouard, sans que personne ou presque ne réagisse). Ces paramètres me semble plus significatifs et inquiétants que l’irresistible ascension de Marine Le Pen dans l’opinion publique, car le moment venu, c’est tout ce qui précède qui pourrait la porter au pouvoir, à la surprise des neutres, des spectateurs et des mous actuels (sans quoi, elle n’aurait aucune chance, c’est donc une grande faute politique et nous avons très peu de temps pour la réparer, notamment en prenant position de façon beaucoup plus ferme sur toutes ces questions et en diffusant nos prises de positions autour de nous) ;
GAUCHE ET COLLABORATION ?
Je n’ai pas dit que la gauche avait collaboré plus que la droite, mais que c’est malheureusement parmi certaines « figures » de la gauche (le frustré Doriot, l’opportuniste Déat, pour n’en citer que deux, mais la liste est dramatiquement longue) que la collaboration a (aisément) trouvé les appuis indispensables qui lui manquait pour asseoir sa légitimité et parler de « grand rassemblement » et de « réconciliation nationale » ;
SIMILITUDES AVEC 1931-1933 EN ALLEMAGNE OU 1937-1940 EN FRANCE ?
Parmi beaucoup d’autres similitudes (mon papier ne pouvait excéder 2500 signes), cette période crépusculaire de la République de Weimar s’est accompagnée de nombreuses revendications cléricales (qui font étrangement penser au « printemps » dit français ou de droite) résumées dans le désir (surtout manifestée en Bavière) de voir l’Allemagne signer un concordat avec le Vatican. C’est même précisément cette promesse qui va permettre à Hitler d’obtenir à la surprise générale les pleins pouvoirs le 23 mars 1933, alors qu’il n’a que la moitié des voix nécessaires à cela (un tiers alors qu’il faut les deux tiers). Et qui va lui donner la différence ? Le zentrum, c’est-à-dire le centre, essentiellement composé de chrétiens et de « belles personnes » bien mises qui craignent un soulèvement populaire, notamment communiste, face aux difficultés croissantes de l’Allemagne à rembourser la dette et à la multiplication des manifestations.
N’oublions jamais qu’en Allemagne, c’est le centre qui a trahi (une fois de plus) et livré les pleins pouvoirs à Hitler. De même qu’en France, la collaboration ne se serait pas si bien portée si le ver n’avait déjà été dans le fruit de la gauche bien avant Vichy, Montoire et le Vél’ d’hiv.
Crise plurielle, baisse de vigilance, confusion des marqueurs politiques, pénétrations d’idées fascistes et antihumanistes au sein du pouvoir, entrisme de philofascistes dans les associations de recherche d’alternatives, contagions des délires complotistes et conspirationnistes, trahisons bien réelles actuelles et futures : nous y sommes à nouveau, en l’espace de huit décennies (trois générations seulement !), et ne manque plus maintenant que le dernier acte.
RÉVERSIBILITÉ ?
Nous aurions pu endiguer ou stopper à plusieurs reprises la marche des idées et des personnes fascistes et de leurs complices, mais nous ne l’avons pas fait ou trop peu, et surtout, de moins en moins ces dernières années. Comme l’expose clairement Brecht dans sa pièce La résistible ascension d’Arturo Ui, l’arrivée au pouvoir d’Hitler aurait aisément pu être évitée, d’une part sans l’aide intéressée de certaines personnes et d’autre part sans l’aveuglement et/ou l’isolement des humanistes/antifascistes.
Ce que résume magnifiquement Brecht dans son célèbre épilogue :
« Vous, apprenez à voir, plutôt que de rester les yeux ronds… Le ventre est encore fécond, d’où a surgi la bête immonde ».
Fraternellement,
Yannis
(édito Monde Libertaire gratuit du 12 au 18 juin 2013)
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