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Nous nourrissons le monde

Publié le dimanche, 1 juillet 2007 dans Articles, Confluences 81

Paru dans le numéro 67 de Confluences.

Je suis allé voir « We feed the world » (Nous nourrissons le Monde) le film d’ Erwin Wagenhofer.

Le réalisateur Autrichien pose quelques questions dérangeantes. De l’élevage de poulets, où l’on amène ces 4000 poussins à peine éclos et déjà stressés par les chaînes de transport, il nous conduit naturellement à cet abattoir industriel, 8 semaines après. Là des ouvriers déshumanisés, les accrochent par les pattes au carrousel de la chaîne, et leurs têtes vont plonger un peu plus loin dans le bac d’eau sous tension électrique. Assommés sans coup férir. Le couteau rotatif peut alors faire son office et un opérateur est là, dérisoire, avec son couteau pointu, au cas où quelques lambeaux de chair, retiendraient encore la tête de l’animal. Un ruisseau de sang s’écoule de manière continue. Wagenhofer s’interdit toute émotion: sa caméra est froide, analytique.

Puis un intertitre insolite: « Comment les poules d’Autriche dévorent la forêt amazonienne! »

La caméra est dans un avion qui survole des milliers d’hectares de soja transgénique: le pilote raconte qu’il y a trois ans, s’élevait encore là, une forêt primaire. Au bout de 5 ou 6 ans les sols seront épuisés. Le soja est transporté par bateau puis par route en Europe, donc aussi en Autriche et sert à faire des aliments pour les poulets. Implacable!

Pourquoi les tomates font 3000 kilomètres à travers l’Europe? Les serres d’Almeria en Andalousie. 25 000 hectares qui se voient depuis la lune dit on. C’est accablant! Des tomates cultivées hors sol sur de la laine de roche, alimentées au goutte à goutte avec un substrat préparé en cuves de 5000 litres et contenant toutes sortes de pesticides, d’anti fongiques et autres douceurs! Comme ouvriers, des Marocains et des Africains arrivés probablement sur les embarcations de fortune qui traversent le détroit de Gibraltar. Surexploités et vivant sur place dans des conditions précaires, ils se chauffent avec des emballages et des caisses en plastique brûlées sans précaution…. La fumée noire que montre la caméra de Wagenhofer en dit long sur l’état de leurs poumons. Ensuite la ronde des camions qui traversent toute l’Espagne et la France et le reste de l’Europe…….. Gazole brûlé et gaz à effet de serre…………3000 km pour livrer des tomates calibrées et sans goût. A consommer toute l’année….. La belle affaire! On mesure la puissance financière des groupes industriels comme Pionner dont la devise sert de titre au film, qui ont bâti leur fortune sur l’obligation qu’a l’être humain de se nourrir plusieurs fois par jour.

Dans les années soixante déjà, au Japon, des mamans qui s’inquiétaient des conséquences de cette agriculture productiviste et craignaient d’empoisonner leurs enfants en les nourrissant, se regroupèrent pour passer un contrat avec un agriculteur : en échange de la garantie d’achat de toute sa production à l’avance, l’agriculteur s’engageait à cultiver sans produits chimiques. C’étaient les premiers « Teikei ». Cela veut à peu près dire: « mettre le visage du paysan sur les aliments». La même démarche eut lieu quelques temps après chez nos voisins Allemands et Suisses, bien plus sensibles et depuis plus longtemps que nous à l’écologie.

En 1985, c’est le tour des Etats Unis et du Canada de développer les « Community Supported Agriculture ». Et c’est en 2001, suite à un voyage aux Etats-Unis, où ils avaient découvert ces CSA, que des maraîchers de Provence, Denise et Daniel Vuillon, en parlèrent pour la première fois en France au cours d’un café-éco organisé par Attac Pays d’Aubagne.

La première AMAP (Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne) allait naître. Il y en a plus de 500 aujourd’hui en France.

Quelque 80 Amap fonctionnent actuellement en Ile-de-France qui a vu disparaître la quasi totalité de ses agriculteurs. Aujourd’hui, ce sont des familles qui installent les agriculteurs! Comme Lionel Furic à Verrières le Buisson. Cet ancien militant d’Attac Tarn, installé pendant un temps à Gaillac, a fait l’objet récemment d’un article de Politis (Hors Série N°45 d’Avril 2007). Ce sont des Amapiens franciliens qui l’ont installé sur des terres que leur association vient d’acquérir!

Dans le Tarn, plus modestement, 10 Amap fonctionnent, et 3 sont en cours de création.

Manger des légumes de saison, cultivés proprement (la plupart des fournisseurs des Amap sont bio) mais aussi rapprocher les citadins de la nature, sensibiliser et former les enfants et les adultes par des discussions amicales avec l’agriculteur, faire du moment de la distribution chez l’un ou l’autre des Amapiens, un moment convivial, on est bien loin d’Alméria!

Consommer autrement? Alors qu’attend-on pour rejoindre une AMAP proche http://amap.segala.fr/wordpress/?p=68 ou pour en créer une?

Didier LOUFRANI

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