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CAPRICIEUSE, ANTIGONE ?

Publié le samedi, 7 octobre 2017 dans Point de vue

Tremblement de terre à Thèbes ! Antigone a désobéi. Faisant fi des vœux de Créon, auteur et protecteur des lois de la cité, Antigone a rendu – tâché de rendre, pauvre Antigone – à la dépouille de son frère Polynice le triste hommage que l’on doit aux défunts. Il ne fallait pas. La loi l’avait interdit. Et voici Antigone traduite devant Créon. Créon tempête. Antigone résiste.

Capricieuse, Antigone ? L’inverse de cela… Obéissante. Très obéissante Antigone. Mais à des principes supérieurs. Antigone sait, sent, qu’au-delà des lois de circonstances, des promulgations rageuses, des jupitériennes fulminations, qui dureront ce qu’elles dureront, changeantes, contingentes, dérisoires, auxquelles obéir serait faire de soi un être changeant, contingent, dérisoire, il existe un ordre du monde auquel nul ne peut déroger. On doit rendre aux défunts, quels qu’ils soient, et quelles que soient leurs fautes (Polynice a fauté), l’hommage que la nature impose. La nature qui n’est pas un législateur comme les autres, mais un législateur dont le Code de référence n’est rien d’autre qu’un code de conduite. Ni Dalloz, ni Litec, ni Journal Officiel, ses prescriptions s’inscrivent au plus profond de ceux qui les respectent simplement parce qu’ils les respectent. Parfois sans même savoir pourquoi. Parce qu’il y a des principes qui vont de soi, qui vont d’eux-mêmes. Et qu’il faut, parce qu’on ne peut pas faire autrement, devant ceux-ci, qu’aucune plume n’a  jamais tracés, et la vigueur de leur évidence, baisser la tête en toute humilité (s’humilier n’est pas infamant) et dire, pour se grandir soi-même : « oui ».

Au nombre de ceux-ci, il y a la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes. Principe valide en 1830, lorsque les Grecs s’émancipent… et à quel prix. Valide en 1848, lorsque les Hongrois s’en emparent (et tant d’autres peuples en Europe), qui aboutira au Compromis de 1867. Valide, sous la plume de Wilson, à la Conférence de Versailles. Qui donnera lieu à tant d’indépendances. Valide tant de fois, parce que valide toujours… Mais pas le 1er octobre 2017, en Catalogne, où sous les caméras du monde entier une police rageuse bastonne, dans les rues, dans les couloirs des bureaux de vote, et dans le silence complice des chancelleries, celles et ceux dont l’offense à l’ordre établi consiste simplement – simplement – à oser vouloir déposer un bulletin dans une urne.

Antigone respecte un ordre établi par la nature des choses. Elle n’a pas besoin d’une loi, d’un édit, d’un décret. Elle obéit… Mais au-delà d’un texte au paraphe suspect, à la signature hasardeuse. Comme serait (et, il le faut le craindre, à l’heure où les dirigeants catalans semblent reculer devant l’Histoire, comme sera…) l’atteinte au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, sous la forme policée d’un arrêt de cour constitutionnelle ou, plus piteusement encore, d’une volée de coups de bidules.

    Si les dirigeants catalans reculent, le vote et les bastonnades du 1er octobre n’auront eu aucun sens. La Generalitat leur en donnera un : « Faites-nous peur, et au-delà de la résistance des gens, des coups donnés, des souffrances endurées, nous accepterons l’inacceptable. Nous, les politiques, qui avions en charge la volonté du peuple, effrayé par celle-ci, nous feindrons d’y accéder, avant de tourner casaque et de rentrer dans le rang. Nous vous avons conduits à l’expression. Nous vous avons bercés d’espoir. Mais votre cri nous a fait peur. Et les gros yeux des  milieux d’affaires… Aussi faisons-nous le choix de vous trahir. Mais il est vrai que vous êtes habitués. Ne vous inquiétez pas : nous garderons le déshonneur pour nous ».

Antigone, dans son caveau, se pendra une fois de plus. Elle qui, par amour pour son frère, nous indiquait la marche à suivre.

Mais c’est nous qui aurons tressé la corde…

Jérôme VIALARET

7 octobre 2017

 

Illustrations : Peintures et dessin de KALIE

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