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jeudi, 24 novembre 2016 dans
Nucléaire
Lorsque des problèmes de conformité de la cuve de l’EPR de Flamanville ont été reconnus par Areva en avril 2015, il s’agissait presque d’une information anodine tant le chantier de ce réacteur a connu – et connait encore – de retards, malfaçons et surcoûts.
Mais, peu à peu, au fil des semaines et des révélations, cette affaire a dévoilé ce qui est incontestablement un des pires scandales industriels de tous les temps, tous pays confondus.
Ainsi l’industrie nucléaire française, présentée continuellement comme « triomphante », « exemplaire », « enviée dans le monde entier », est en réalité un repaire d’escrocs qui, depuis des décennies, bâclent la fabrication de milliers de pièces, les couvrent par des certificats de sûreté falsifiés, et les utilisent sans se rendre compte ou sans se préoccuper de leurs déficiences !
Et que dire l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), « la plus compétente et la plus intransigeante du monde » ? Soit elle est totalement déficiente au point de n’avoir jamais rien vu de ce trafic, soit elle en est tout simplement complice.
Nul ne peut prédire quelles seront les nouvelles révélations de la semaine à venir, toujours plus incroyables que les précédentes au fur et à mesure qu’est déroulé le fil d’une improbable pelote. Mais, d’ores et déjà, la situation est inextricable.
D’abord, la cuve de l’EPR de Flamanville, déjà installée dans le réacteur en construction, a été mal usinée et présente des faiblesses qui, si les règles normales de sûreté sont appliquées (ce qui serait la moindre des choses !), devrait aboutir à l’interdiction de son utilisation. Rappelons que les règles de sûreté prévoient « l’exclusion de la rupture de la cuve ». Cela signifie que cette rupture ne peut, ne doit pas survenir, car alors RIEN n’est prévu et c’est un scénario similaire à Fukushima, voire bien pire encore.
Si l’Autorité de sûreté fait normalement son travail, EDF sera alors obligée de détruire une partie du réacteur (construit avec tant de mal !) pour en extraire cette cuve et la remplacer par une autre… qu’il faudra toutefois encore fabriquer et, si possible, de façon correcte ! Ces opérations prendraient au bas mot 3 à 4 ans, sachant que l’EPR a déjà accumulé des retards insensés : débuté en 2007, le chantier devait être achevé en 2012. Le bout du calvaire est annoncé par EDF pour 2018, mais on peut raisonnablement en douter.
Et si la cuve est recalée, ce serait pour 2020, 2022, 2025… ou jamais ! Pendant ce temps, EDF perd des milliards, nos milliards ! Annoncé au départ à 2,8 milliards, le coût de l’EPR est désormais estimé au triple, 8,5 milliards, en attendant la facture finale qui sera assurément bien au-delà des 10 milliards, sans compter l’affaire de la cuve.
Mais il y a encore pire : entre temps, Areva a livré aux Chinois deux cuves pour les EPR en chantier à Taïshan, et elles aussi présentent des faiblesses probablement rédhibitoires. Les Chinois attendent le verdict technique pour envoyer à la France la facture incommensurable de deux réacteurs arrêtés pendant des années, détruits en partie pour en extraire des cuves défaillantes en attendant d’éventuelles cuves de rechange…
L’Autorité de sûreté nucléaire, confrontée à cette situation sidérante, et épiée par les observateurs du monde entier, n’a eu d’autre alternative que de demander EDF de lancer des vérifications dans ses réacteurs et à Areva de reprendre les dossiers des pièces usinées dans les forges du Creusot et autres usines, pour voir si des fautes industrielles n’avaient pas été commises sur d’autres pièces que les cuves. Ces vérifications n’en sont encore qu’au début mais l’on sait déjà que ce sont en réalité des milliers de pièces nucléaires qui ont été bâclées et ce depuis… 1965. Nous voilà réduits à attendre que les coupables eux-mêmes veuillent bien faire toute la lumière. Qui peut encore leur faire confiance ?
A l’approche de l’hiver 2016, ce sont néanmoins sept réacteurs dotés de générateurs de vapeur suspects qui sont arrêtés, et cinq autres qui doivent l’être selon un calendrier qu’EDF impose à la prétendue « Autorité » de sûreté, alors que celle-ci devrait faire stopper immédiatement tous les réacteurs concernés.
A cela, et en attendant d’éventuelles autres révélations, il faut ajouter la chute d’un générateur de vapeur de plus de 500 tonnes dans le réacteur n°2 de la centrale de Paluel (Seine-Maritime) le 31 mars 2016. Les vibrations et dégâts occasionnés ont gravement endommagé le réacteur qui est arrêté pour longtemps et peut-être pour toujours. Par ailleurs, le réacteur n°5 de la centrale du Bugey (Ain) subit lui aussi un arrêt de longue durée du fait de l’incapacité d’EDF à remédier à un grave défaut d’étanchéité de l’enceinte de confinement.
En résumé, le parc nucléaire français est en bout de course, délabré et parsemé de pièces déficientes. Dans le même temps, les finances d’EDF sont dans un état si déplorable que l’entreprise pourrait sous peu rejoindre Areva dans la faillite, et est de toute façon dans l’incapacité d’entretenir correctement ses réacteurs.
Les dirigeants politiques et industriels français en sont réduits à guetter les prévisions de la météo en priant que l’hiver soit particulièrement doux. Car, à la moindre vague de froid, il est fort probable que ce sera la pénurie d’électricité. Peut-être la France sera-t-elle sauvée par les pays voisins, à condition qu’ils aient assez d’électricité pour leur propre consommation et pour lui en envoyer : le pays de l’atome est à genoux.
Cette situation insensée illustre le caractère absurde et dérisoire de l’annonce par EDF de la construction de deux EPR en Grande-Bretagne, à grands coups de milliards… qui n’existent pas. Les zélateurs de l’atome et les citoyens trop longtemps abusés sont probablement stupéfaits d’assister à l’effondrement de cette industrie supposée être triomphante. Or, en réalité, cette situation était parfaitement prévisible.
Effectivement, construire un parc nucléaire revient à programmer une situation inextricable pour 30 à 40 ans plus tard. C’est ce qu’à fait la France dans les années 70 avec deux circonstances terriblement aggravantes : la taille surdimensionnée de ce parc, qui démultiplie les problèmes, et la rapidité de construction. Ce dernier point est d’ailleurs crucial.
Pendant des décennies, l’édification en quelques années de 58 réacteurs a été présentée comme un exploit extraordinaire, ce qui n’est d’ailleurs pas faux du simple point de vue industriel. Le problème est que tous ces réacteurs arrivent en fin de vie dans un bel ensemble et non de façon échelonnée. Le piège se referme, d’autant qu’aucune alternative énergétique n’a été engagée.
Les grands parcs nucléaires – principalement ceux des USA, du Japon, de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne et bien sûr de la France – ont été construits et financés pendant les fameuses « 30 glorieuses », quand l’argent coulait à flot. C’est ainsi que des sommes insensées ont été consacrées à l’édification de centaines de réacteurs : 100 aux USA, 58 en France, 54 au Japon, etc.
Cette opération, ou plutôt ce coup de force dans la mesure où les opinions publiques étaient déjà fortement opposées à l’atome, ne peut (heureusement !) être réédité aujourd’hui car les caisses sont vides. L’argent n’est même plus disponible pour rafistoler les vieux réacteurs, sans parler de leur démantèlement, et pour s’occuper des déchets radioactifs : le tout est légué aux générations suivantes qui, pourtant, auront probablement bien d’autres problèmes à affronter.
Il a parfois été dit que l’aventure nucléaire était comme un voyage en avion… sans piste d’atterrissage. Les réservoirs sont vides et la descente a commencé. Au mieux elle se soldera par un désastre industriel et financier, au pire ce dernier sera accompagné d’une ou plusieurs catastrophes nucléaires.
Les atomistes les plus obtus osent encore prétendre que Tchernobyl est « de la faute des Soviétiques » et Fukushima « de la faute du Tsunami ». Ces arguties ne trompent plus personne : le nucléaire s’effondre et entraine la France, « royaume de l’atome », dans une chute irréversible.
Notre maison est irradiée et nous regardons ailleurs…
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