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Préface (par EDWY PLENEL) au « Manifeste pour une France de la diversité » de Jean-Michel Le Boulanger

Vice-président de la région Bretagne chargé de la culture, l’universitaire Jean-Michel Le Boulanger publie ces jours-ci, aux éditions Dialogues, un Manifeste pour une France de la diversité. C’est peu dire que cet essai revigorant, venu de Bretagne et habité par le monde, tombe au bon moment, face aux tentations du repli et de la division. Sollicité par son auteur, j’ai accepté avec enthousiasme de le préfacer. Dans la misère ordinaire des discours politiques, voici enfin une parole qui nous élève et nous relève.

88530760_p   De Bretagne et du monde, le Manifeste pour une France de la diversité de Jean-Michel Le Boulanger sera en librairie le 15 septembre. Mais vous pouvez d’ores et déjà le commander sur le site de son éditeur brestois, les éditions Dialogues (c’est ici). Géographe à l’Université de Bretagne Sud, président des Fêtes maritimes de Douarnenez de 2000 à 2010, auteur de nombreux ouvrages, dont un remarqué être breton ? (Editions Palantines, 2014), Jean-Michel Le Boulanger est depuis 2010 vice-président de la région Bretagne, chargé de la culture et de la communication (plus d’informations ici, là et encore là).

Nous avons fait connaissance fin 2014, lors d’un débat organisé par la librairie La Droguerie de Marine de Saint-Malo autour du thème : Identités méprisées, revendiquées, assumées. Ironiquement, l’invitation à cette rencontre était illustrée par un dessin qui associait deux vieux symboles de ces mépris, la Bretonne Bécassine (baptisée Labornez…) et l’Africain Banania (celui du Y’a bon…). Passionnant, cet échange a mis en évidence nos profondes convergences et nos communes références sur cette question essentielle de l’imaginaire mobilisateur capable de faire reculer les haines et les peurs qui, aujourd’hui, minent la France (lire ici sur le blog de Jean-Michel Le Boulanger).
Mais ce Manifeste d’aujourd’hui va bien au-delà. Au seuil de l’année électorale, celle de la présidentielle et des législatives, Jean-Michel Le Boulanger propose un texte que peuvent s’approprier toutes celles et tous ceux qui entendent faire levier de cette question du divers et du pluriel pour refonder une République réellement démocratique et authentiquement sociale. C’est cet enthousiasme pour un essai inspiré de hauteur et habité de littérature que j’ai essayé de faire partager dans la préface. Je la republie sur Mediapart pour vous inviter à lire ce Manifeste, à le partager largement et à le discuter infiniment.

De l’air, enfin ! Si longtemps que nous attendions ce Manifeste. accueillons-les-refugies Nous ? Toutes celles et tous ceux qui n’en peuvent plus de cette guerre que, d’en haut, l’on invite la France à se faire à elle-même, à son peuple qui est foncièrement pluriel, à son histoire qui est tissée du monde.

A l’orée de temps électoraux qui risquent de donner la part trop belle aux semeurs de peurs et aux prêcheurs de haine, Jean-Michel Le Boulanger fait souffler sur notre politique un vent de Bretagne salvateur. Depuis l’expérience bretonne, il pose la question française.

Car la cause bretonne elle-même, telle que l’actuel vice-président de région la défend et la promeut, porte l’imaginaire dont notre pays a urgemment besoin pour sortir du marasme, du repli et du doute. Surtout, pour éviter la catastrophe où nous conduisent des politiques converties aux identités de clôture et de rejet, de hiérarchie des cultures et de guerre des civilisations, cette haine du divers et du différent qui n’est autre que la haine de sa propre condition humaine.

Douloureusement, combattant les préjugés et surmontant les humiliations, la Bretagne a su conquérir non seulement sa place mais sa reconnaissance française. Repoussant l’injonction étatique à l’effacement d’elle-même, de sa culture, de sa langue, de sa musique, de ses héritages comme de ses rêves, sa bienheureuse affirmation, aussi bien politique qu’économique, culturelle qu’institutionnelle, est un démenti cinglant jeté à la face des assimilationnistes.

croix_cadree_centre_mini Discours de la domination, l’assimilation est un appel à la disparition de tout ce qui contrarie ou contredit la norme majoritaire imposée par la puissance du moment, celle qui revendique à son seul bénéfice l’uniformité et l’unicité. Or ce que la Bretagne affirme aujourd’hui, c’est la force et la vitalité du trait d’union : être Français et Breton, pas l’un sans l’autre, pas l’un malgré l’autre, pas l’un au-dessus de l’autre, pas l’un contre l’autre. Ce trait d’union que, hélas, le discours politique et médiatique dominant refuse encore à nombre des habitants de notre pays, issus d’autres cultures, venus d’autres continents, adeptes d’autres religions.

L’origine ne protégeant de rien, et certainement pas de la bêtise ou de la panique, il en est qui sont tentés de transformer cette conquête bretonne en défaite française, sombrant dans un nationalisme de parvenus, d’exclusion et d’exclusive, au point de fermer la porte aux parias d’aujourd’hui. Oubliant, du coup, leur propre histoire, infidèles à leurs ancêtres qui le furent aussi, migrants et misérables, réfugiés en quête de dignité et d’espoir, paysans pauvres et exilés, fuyant la disette, errants à la ville, obligés de « baragouiner » – de bara et de gwin, pain et vin en breton – pour trouver un travail, un refuge, un gîte, une vie en somme.

Jean-Michel Le Boulanger n’est pas de ce nationalisme là. Cet « être breton » qu’il a conquis (et qu’il discutait à l’interrogatif en 2014 dans son remarquable être breton ?) est un être au monde et aux autres. « Je change, échangeant avec l’autre, sans me perdre ni me dénaturer pour autant » : la maxime de vie du poète Edouard Glissant, notre maître en divers, est, pour lui, une leçon en politique.

Notre République, hélas centralisée, verticale et uniformisatrice, n’en est pas moins fondée sur une promesse d’égalité, sans distinction de naissance, de fortune ou d’éducation, d’origine, de croyance ou de sexe, que des républicains conservateurs n’ont cessé de contredire. Jean-Michel Le Boulanger est du camp de leurs adversaires, les républicains progressistes, ouverts au mouvement du monde et au déplacement des peuples, qui font du principe d’égalité le levier d’une conquête sans cesse inachevée et renouvelée de droits nouveaux.

De ce droit non seulement d’avoir des droits mais d’en inventer et  egalite-1d’en conquérir. Et c’est ainsi que, n’oubliant pas combien la Bretagne fut longtemps reléguée et minorée comme une terre amère, d’immobilisme conservateur et d’obscurantisme religieux, par des responsables politiques qui, à l’inverse, se supposaient tellement éclairés qu’ils en étaient aveugles aux oppressions sociales et culturelles que recouvraient leurs préjugés, il fait heureusement lumière de cette mémoire pour éclairer notre présent.

Ce qu’il propose ici n’est rien moins que le réenchantement de l’espérance républicaine, d’une République française devenue profondément démocratique et réellement sociale. Son Manifeste dessine cet horizon de hauteur sur le chemin duquel nous pourrons, tous ensemble, sans rien oublier de nous mêmes, dans la diversité de nos appartenances et de nos apparences, nous élever et nous relever. Le nœud qu’il invite à dénouer est en effet au ressort des impuissances politiques, qu’elles soient de droite ou de gauche, du peu d’enthousiasme qu’elles suscitent, du manque de confiance qu’elles diffusent.

C’est ce fait que notre République, telle qu’elle s’énonce dans les élections, se pratique dans les administrations, se transmet dans les éducations, ne nous reconnaît pas encore tels que nous sommes, nous, le peuple de France, divers et pluriel. En un mot, multiculturel. Ce qui veut dire, aussi, interculturel, c’est-à-dire produisant à l’infini une interdépendance des apports qui l’ont façonné, dans le quotidien du vivre ensemble comme dans l’exception de la création intellectuelle.

Or, de la monarchie à la république, de l’absolutisme de l’une au bonapartisme de l’autre, nous sommes restés prisonniers d’un Grand Un et d’un Grand Même. A rebours de ce que nous vivons, ressentons et créons, ils ne cessent de nous corseter et de nous paralyser, d’attiser nos blessures et d’exacerber nos divisions, poussant aux concurrences victimaires et aux ressentiments identitaires.

C’est ce carcan que ce Manifeste nous invite à briser, ouvrant la voie des causes communes de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Diversité culturelle et pluralité démocratique marchent ensemble : assumer la première, c’est impulser la seconde. Sous la question de la diversité du peuple, de sa pluralité d’origine, de croyance, d’apparence, gît en effet la question sociale, celle de la participation du « n’importe qui » de la démocratie au banquet de l’émancipation. Les Bretons, qui, naguère, allèrent grossir les bataillons industriels des classes prolétaires de Seine Saint-Denis (et d’ailleurs) savent, d’expérience vécue, combien les migrations sont au cœur du monde ouvrier et de son incessant recommencement.

Libérer les énergies d’un pays, l’inviter à affronter vaillamment les difficultés de nos temps de transition qui sont aussi de renaissance, le mobiliser pour qu’il retrouve assurance et aisance, habileté et sensibilité, envie de lointain et souci du prochain, cela ne se fera pas en lui parlant seulement comptabilité, sécurité, austérité, stabilité, identité, autorité, etc., tout ce langage pauvre où la politique se recroqueville sur l’immédiat gestionnaire, sans vision ni idéal. Où, à force de prendre ses urgences pour l’essentiel, elle en perd l’urgence de l’essentiel. Non, cela se fera en lui parlant avec hauteur et profondeur.

Lisez donc ce Manifeste, offrez le et partagez le, car il porte l’imaginaire qui nous manque. L’horizon d’une politique immensément concrète qu’illumine une poétique intensément vécue. Cet imaginaire, c’est celui de la Relation. « La pensée de la Relation, insistait Edouard Glissant, ne confond pas des identiques, elle distingue des différents, pour mieux les accorder. Les différents font poussière des ostracismes et des racismes et de leurs monogonies. Dans la Relation, ce qui relie est d’abord cette suite des rapports entre les différences, à la rencontre les unes des autres. »

De Bretagne et du monde, Jean-Michel Le Boulanger invite la France à, enfin, emprunter ce chemin. Celui des humanités conscientes de leur lien au Tout-Monde et au Tout-Vivant, à l’Autre et à la Nature. Celui des identités plurielles qui, loin de s’opposer les unes aux autres, se complètent et s’enrichissent, se renforcent et s’entraident. Celui d’une espèce, la nôtre, qui commence tout juste à tirer les leçons de ses aveuglements d’omnipotence, des destructions qu’elles a commises et des violences auxquelles elle a cédé. Au bout de ce chemin, nulle certitude assurée mais la conscience de la fragilité de l’île-monde qui nous abrite dans l’archipel d’une galaxie. Et la conviction que c’est seulement en ayant souci, soin et respect de notre propre pluralité culturelle que nous saurons inventer les précautions qu’appelle, tout simplement, notre survie – sinon, notre salut.

« C’est par la Différence, et dans le Divers, que s’exalte l’existence » : ces mots sont de Victor Segalen. Par son engagement et par sa plume, Jean-Michel Le Boulanger ne se contente pas de les honorer. Sous l’orage qui gronde et face à la nuit qui menace, il nous indique la trace de l’échappée belle et de l’espoir retrouvé.

9 SEPT. 2016 PAR EDWY PLENEL BLOG : LES CARNETS LIBRES D’EDWY PLENEL

 

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