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Analyse du dernier projet de LOI TRAVAIL soumis au Parlement : aucun « rééquilibrage », c’est pire que les moutures précédentes. Richard ABAUZIT

Publié le mercredi, 4 mai 2016 dans TRAVAIL

Texte/analyse de Richard Abauzit, ancien inspecteur du travail, ancien instit, retraité actif comme conseiller des salariés (Solidaires) auteur de ce livre:
http://www.editionsleventseleve.com/produit/comment-resister-aux-lois-macron-et-cie-richard-abauzit-et-gerard-filoche/

 

CODE du TRAVAILRééquilibrage ?  Face aux professionnels du mensonge d’Etat, il faut toujours vérifier :

1/ « Les principes essentiels du droit du travail, dégagés par le comité présidé par Robert Badinter, serviront de base à une réécriture du code ».  Cette phrase de l’avant-dernier projet de loi, essentielle, a disparu du texte soumis au Parlement, mais ce n’est qu’une ruse car la réécriture du code (partie législative) prévue sur deux ans se fera bien sur cette base comme en atteste la partie réécrite par le projet où l’ordre public est de plus en plus souvent vide, les dispositions concrètes étant déterminées par accord d’entreprise ou, à défaut, par accord de branche. La phrase du projet censée assurer qu’il n’y aurait pas inversion de la hiérarchie des normes (« Les dispositions supplétives en l’absence d’accord collectif doivent correspondre à des règles légales en vigueur à la date de promulgation de la présente loi ») dit exactement l’inverse : un accord collectif pourra donc bien être plus défavorable que la loi. En outre, l’analyse attentive du projet de loi montre que cette « assurance » temporaire en l’absence d’accord n’est elle-même pas avérée dans le projet de loi !

L’essentiel, ainsi que s’en réjouit le chef du Medef en interne, estarton23-a11d5 donc sauvé pour le patronat : l’inversion de la hiérarchie des normes et la réécriture de tout le code sur la base de cette inversion.

Point fondamental jamais évoqué : une fois que les dispositions concrètes dépendront des entreprises et non plus de la loi, qui en assurera le contrôle ? Personne, les inspecteurs du travail n’étant pas habilités à contrôler le respect des accords collectifs.

2/ Légalisation d’UBER et de toutes les formes d’exploitation des travailleurs par plateformes numériques : Retour à la première version El Khomri qui le prévoyait explicitement en écrivant que les travailleurs d’UBER (et autres fournisseurs de plateforme) n’étaient pas salariés. Là, à l’article 27 bis, c’est un peu plus subtil mais limpide. Les travailleurs d’UBER sont nommés  » travailleurs utilisant une plateforme de mise en relation par voie électronique » dans la septième partie du Code du travail (celle avec les VRP, gérants…) et il est expliqué que l’article L.7411-1 du code du travail ne leur est pas applicable (c’est l’article qui dit que le code du travail est applicable). Il est expliqué que UBER a une « responsabilité sociale« , et qu’en conséquence si le travailleur cotise de lui-même pour les accidents du travail, UBER doit prendre en charge la cotisation; ils peuvent se syndiquer et la grève ne doit pas être un motif de rupture, voilà pour l’habillage. Le projet de loi écrit donc clairement que les travailleurs d’UBER et autres ne sont pas salariés !, ils pourront donc continuer à travailler 80 à 100h par semaine, sans revenu garanti, sans congés payés, sans repos hebdomadaire et sans autre couverture sociale que celle qu’ils se paieront.

3/ Tout en mettant en avant un pas en arrière dans un renoncement, pour l’instant, à imposer le forfait-jours par décision unilatérale de l’employeur dans les entreprises de moins de 50 salariés, mais en le permettant aisément par le biais d’un accord avec un salarié mandaté par une organisation syndicale amie, voilà que dans la plus grande discrétion, cette nouvelle arme pour les employeurs est étendue à tout le champ des relations de travail ! (Article 8 du projet de loi : «  Les accords négociés et conclus par un ou plusieurs salariés mandatés mentionnés à l’article L. 2232-24 peuvent porter sur toutes les mesures qui peuvent être négociées par accord d’entreprise ou d’établissement sur le fondement du présent code »).

4/ La durée maximale de 12h par jour n’est plus garantie par l’ordre public. En effet, alors que la rédaction de l’avant-dernier projet prévoyait que la dérogation que l’administration pouvait accorder à la limite journalière de 10h l’était dans la limite de 12h, le projet soumis au Parlement stipule seulement que cette limite de 10h pourra être dépassée par « dérogation accordée par l’autorité administrative dans des conditions déterminées par décret » ;

5/ Les durées maximales pour le personnel navigant sur les bateaux exploités en relève sont aggravées : 14h par jour et 84h/semaine (et 72h sur 16 semaines) possibles par accord de branche.

6/ La possibilité de fractionner le repos quotidien (11h continu)  ou hebdomadaire, qui avait été annoncé comme abandonnée, ne l’est pas :

Pour les périodes d’astreinte en effet, avec le maintien, contre les directives européennes, de l’assimilation des astreintes à du temps de repos, conjugué à la formulation floue du texte (« Exception faite de la durée d’intervention, la période d’astreinte est prise en compte pour le calcul de la durée minimale de repos quotidien prévue à l’article L. 3131-1 et des durées de repos hebdomadaire prévues aux articles L. 3132-2 et L. 3164-2), on ne peut assurer que le fractionnement en question ne sera pas permis.

D’une façon plus générale, le projet de loi prévoit que, désormais, un accord d’entreprise primera sur un accord de branche pour déroger au repos quotidien de 10h (dans des conditions qui seront définies par décret).

Enfin, une négociation est annoncée (article 26 du projet de loi) pour pouvoir fractionner ces repos dans le cadre du forfait-jours : « Une concertation sur le développement du télétravail et du travail à distance est engagée, avant le 1er octobre 2016, avec les organisations professionnelles d’employeurs et les organisations syndicales de salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel, qui, si elles le souhaitent, ouvrent une négociation à ce sujet. Cette concertation porte également sur l’évaluation de la charge de travail des salariés en forfait en jours, sur la prise en compte des pratiques liées aux outils numériques permettant de mieux articuler la vie personnelle et la vie professionnelle, ainsi que sur l’opportunité et, le cas échéant, les modalités du fractionnement du repos quotidien ou hebdomadaire de ces salariés ».

7/ Pour tous les congés autres que les congés payés, la possibilité de faire par accord moins que la loi actuelle est maintenue sauf, en raison de la forte colère suscitée par la possibilité de les diminuer par accord d’entreprise, les congés pour évènements familiaux (« une convention ou un accord collectif d’entreprise ou, à défaut, un accord de branche détermine la durée de chacun des congés mentionnés au même article qui ne peut être inférieure à… » et suit le nombre de jours de la loi actuelle avec même un petit plus).

Une leçon de choses qui peut permettre de comprendre parfaitement ce que signifie l’inversion de la hiérarchie des normes et également la parfaite connaissance que les rédacteurs du texte initial avait de leur mensonge quand ils assuraient que tout cela avait été fait à « droit constant ».

8/ Suppression des dispositions sur le congé de formation économique, sociale et syndicale. Elles seront reprises lors de la réécriture du code du travail dans une autre partie du code.

9/ Grossesse et interdiction de licencier, une rédaction ambigüe : comment comprendre le changement du texte ?

Le texte actuel – L.1225-4 du code du travail – dit : « Aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d’une salariée lorsqu’elle est en état de grossesse médicalement constaté et pendant l’intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité, qu’elle use ou non de ce droit, ainsi que pendant les quatre semaines suivant l’expiration de ces périodes ». Dans cette rédaction, l’interdiction de licencier porte clairement sur l’ensemble de la grossesse.

Le texte du projet de loi dit : « Aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d’une salariée lorsqu’elle est en état de grossesse médicalement constaté, pendant l’intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité, qu’elle use ou non de ce droit, et au titre des congés payés pris immédiatement après le congé de maternité ainsi que pendant les dix semaines suivant l’expiration de ces périodes ». Dans cette rédaction, l’interdiction de licencier peut être limitée à la période du congé maternité.

 

10/ Indemnités prud’homales : L’article a été retiré. Sauf surprise au Parlement, la régression se ferait par décret d’ici quelques semaines.

code_travail1Quoiqu’il en soit, le changement (qui logiquement aurait une nouvelle fois été imposé par le Conseil d’Etat) du plafond en barème indicatif (avec maintien de la suppression du plancher) n’atténuerait en pratique que très peu l’immense recul que constitue cette disposition.

11/ Le recul annoncé sur la définition du motif économique n’a pas eu lieu : maintien de critères prétendument objectifs ; maintien de critères sans aucun lien avec des difficultés économiques (« réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ») ; maintien de l’interdiction de recherche du motif au niveau des groupes, l’ajout d’une limitation sans portée pratique (« Ne peuvent constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement pour motif économique les difficultés économiques créées artificiellement pour procéder à des suppressions d’emplois ») : les licenciements auront eu lieu et, sans même évoquer leur volonté, quels seront les moyens des juges pour aller, longtemps après, traquer les « artifices » dont les groupes usent en permanence dans la plus grande impunité.

12/ Les salariés qui refuseront un accord collectif, pour développer l’emploi ! – leur imposant diminution de salaire et augmentation du temps de travail seront toujours licenciés et pour faute ! (« cause réelle et sérieuse »). Qui plus est, le projet de loi ose inscrire dans la loi que l’accord collectif rétrograde signé dos au mur serait consécutif à l’ « établissement d’un diagnostic partagé entre l’employeur et les organisations syndicales de salariés » (article 11 du projet de loi).

13/ Les contrats de travail en cours pourront être rompus et non plus transférés quand une entreprise de plus de 1000 salariés transfère une ou plusieurs entités économiques dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi.

14/ Après avoir, dans le deuxième projet El Khomri, corseter les négociations d’accords collectifs en renvoyant les « informations partagées » à la « base de données » issue de l’A.N.I scélérat du 11 janvier 2013, voilà que sont verrouillées les possibilités de contester les futurs accords d’entreprise rétrogrades : la méthode de négociation pourra éventuellement être fixée par un accord de branche s’il n’en existe pas au niveau de l’entreprise, mais si la méthode n’est pas respectée, l’accord issu de la négociation biaisée sera tout de même valable si l’employeur a été « loyal » (« Sauf si l’accord en stipule autrement, la méconnaissance de ses stipulations n’est pas de nature à entraîner la nullité des accords conclus dans l’entreprise, dès lors qu’est respecté le principe de loyauté entre les parties »). Comme disait César dans la trilogie de Marcel Pagnol, si on ne peut pas tricher entre amis…

15/ Augmentation du pouvoir des grands entreprises : aux accords de groupe qui peuvent se substituer aux accords des entreprises du groupe, aux accords d’entreprise qui peuvent se substituer aux accords des établissements de l’entreprise, le projet de loi rajoute de nouveaux accords, des « accords interentreprises » qui vont pouvoir se substituer aux accords des entreprises (article 12 du projet de loi).

16/ Suppression de la possibilité de contester une décision de l’inspection du travail par recours administratif (gracieux ou hiérarchique) pour les élections professionnelles et la reconnaissance d’un établissement distinct (Article 9 du projet de loi). Il ne reste que le recours au « juge judiciaire ».

17/ Des cadeaux sociaux et fiscaux supplémentaires pour les entreprises : exonération de cotisations sociales pour les « avantages et cadeaux accordés aux salariés par l’employeur » (article 28 bis du projet de loi) et réduction d’impôt pour les entreprises de moins de 50 salariés qui provisionnent « pour faire face à d’éventuelles indemnités » en cas de licenciement abusif ! (article 29 bis du projet de loi). Réduction d’impôt pour les délinquants !

18/ Le « Compte Personnel d’Activité » (CPA), immense traitement automatisé de données personnelles centralisé par la Caisse des dépôts et consignations, se voit adjoindre, en plus du « Compte Personnel de Formation » et du « Compte de prévention de la pénibilité » déjà prévus un « Compte d’engagement citoyen ». Si on analyse ce CPA pour ce qu’il est – un gigantesque fichier, livret ouvrier numérique du XXIème siècle, mise en compétition de tous les actifs, individualisation systématique de tous les droits collectifs, inégalités institutionnalisées, suppression de droits par transferts entre « comptes » et à terme avec l’entrée prévue de tous les comptes de protection sociale, remplacement progressif de la sécurité sociale par l’assurance privée – l’ajout du « Compte d’engagement citoyen » est une aggravation. D’autant que ce « Compte » est destiné à favoriser le travail « bénévole » (« activités bénévoles ou de volontariat ») dans des activités qui devraient faire l’objet de vrais emplois publics (limitativement : « service civique », « réserve militaire », « réserve communale de sécurité civile », « réserve sanitaire », exercice de « fonctions importantes » dans des « activités de bénévolat associatif » dans des associations dont la liste sera fixée par arrêté ministériel) quand elles ne correspondent pas à une obligation de l’employeur en matière de formation (« activités de maître d’apprentissage »). Employeurs qui seront dispensés de toute contribution au financement des heures de formation qui pourront être inscrites sur le « Compte Personnel de Formation » (financement prévu par l’Etat, notamment pour le maître d’apprentissage et les activités associatives…, par la commune et par l’établissement public chargé de la gestion de la réserve sanitaire).

Aggravation par la possibilité pour l’employeur (avec l’ « accord » du salarié) de ne plus délivrer de bulletin de paie, qui serait « dématérialisé » et accessible en ligne sur un des services du CPA (article 24 du projet de loi). Toujours plus de facilité pour le travail au noir.

Aggravation par l’ajout des stagiaires de la formation professionnelle dans les fichiers du CPA (article 36 du projet de loi)

Aggravation enfin que l’ajout aux « actifs » de la catégorie « retraités » (on n’est pas près de diminuer le nombre de chômeurs) : ainsi, le CPA concernera toutes les personnes de plus de 15 ans jusqu’à leur décès (article 21 du projet de loi).

19/ Les autres reculs du projet de loi travail, notamment ceux sur la médecine du travail, sont maintenus.

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Dès lors, et sans présager du sort que le Parlement leur réservera (expériences faites avec les lois Sapin 2013, Macron et Rebsamen 2015, rien n’est garanti jusqu’à la publication de la loi),  que pèsent les « rééquilibrages » qui suivent :

1/ Retour de la consultation des représentants du personnel (qui était devenue « information » dans le deuxième projet de loi) pour les contreparties unilatérales de l’employeur aux temps d’habillage et de déshabillage quand une tenue est nécessaire.

2/ Retour de l’information de l’inspecteur du travail en cas de fixation unilatérale des modalités d’astreinte par l’employeur et en cas de mise en œuvre du temps partiel par l’employeur dans une entreprise sans représentants du personnel

3/ Retour de la consultation des représentants du personnel (qui était devenue « information » dans le deuxième projet de loi) et de la transmission de leur avis à l’inspection du travail pour les demandes de dérogation à l’administration sur les dépassements de la durée maximale hebdomadaire.

4/ Retour à la possibilité, par accord, de faire travailler 46 h sur 12 semaines (au lieu de 16 semaines dans le deuxième projet de loi).

5/ Retour de l’intervention de l’inspecteur du travail pour le passage de 8h à 10h et de 35 à 40h de la durée maximale des apprentis.

6/ Passage de 16 à 9 semaines (au lieu de 4 semaines actuellement) de la période pouvant donner lieu à décision unilatérale de l’employeur pour le décompte des heures supplémentaires.

7/ Nécessité d’un accord de branche pour pouvoir, par accord d’entreprise, faire un décompte des heures supplémentaires sur 3 ans.

8/ Retour de l’avis conforme des représentants du personnel pour la mise en place d’horaires individualisés ; retour de l’autorisation de l’inspecteur du travail pour la mise en place d’horaires individualisés en cas d’absence de représentants du personnel.

9/ Retour à la possibilité légale de faire travailler 40 h sur 12 semaines (au lieu de 16 semaines dans le deuxième projet de loi) les travailleurs de nuit ; retour à la possibilité, par accord, de faire travailler 44 h sur 12 semaines (au lieu de 16 semaines dans le deuxième projet de loi) les travailleurs de nuit.

                                                                                                                               Richard Abauzit

 

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