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vendredi, 27 novembre 2015 dans
No Pasaran !
Mardi 24 novembre s’ouvrira le procès en appel d’Alexandr Koltchenko et Oleg Sentsov à Rostov-sur-le-Don (Russie). Ce sont deux citoyens ukrainiens qui se sont mobilisés contre l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 et l’ont payé de leur liberté. A l’issue du procès en première instance en août dernier, Sentsov a écopé d’une peine de 20 ans de détention en colonie pénitentiaire et Koltchenko s’est vu infliger 10 ans de prison sous le même régime.
Le pouvoir russe qui tient la justice de ce pays en laisse leur reproche d’avoir commis des attentats contre les locaux d’officines favorables au régime de Poutine comme Russie unie, d’avoir fait sauter des monuments comme la statue de Lénine à Simféropol (Crimée) ou encore d’être impliqués dans la préparation d’attentats contre des infrastructures économiques… pour le compte de l’organisation d’extrême droite ukrainienne Pravy Sektor (Secteur droit).
Non seulement Koltchenko et Sentsov nient en bloc ces accusations mensongères, mais elles sont d’autant plus grotesques que Koltchenko, syndicaliste étudiant, militant anarchiste et écologiste est connu pour son engagement antifasciste et pour avoir été déjà agressé lui-même par des nervis d’extrême droite précisément pour cette raison.
Quant à Oleg Sentsov, c’est un cinéaste progressiste dont les valeurs et les engagements sont aux antipodes des idées défendues par les ultranationalistes ukrainiens.
Enfin Guenadi Afanassiev, avocat ukrainien, a été condamné à 7 ans de colonie pénitentiaire au printemps dernier à Moscou dans la même affaire après avoir « choisi » de collaborer avec la justice russe. Lors du procès de Koltchenko et Sentsov, il a déclaré avoir faussement accusé ces deux derniers après avoir été torturé. Ce procès qui se voulait exemplaire pour le régime russe a révélé une parodie de justice.
En effet, les avocats de la défense n’ont pu faire citer à la barre certains de leurs témoins. De plus l’accusation aux ordres du pouvoir exécutif n’a pas été en mesure d’apporter les preuves matérielles des accusations dont elle a chargé les deux accusés.
A aucun moment de ce procès qui a duré un mois Koltchenko et Sentsov n’ont reconnu les faits qui leur sont imputés. Les seules armes qu’ils ont utilisées pour se défendre sont leurs mots et le sourire qu’ils ont souvent arboré durant les audiences afin d’opposer cette liberté de pensée que le pouvoir russe veut étouffer. Enfin Sentsov, Koltchenko et Afanassiev ne cessent de rappeler qu’ils sont des citoyens ukrainiens alors que les autorités russes les considèrent comme russes.
A l’instar d’Amnesty international, de la Fédération internationale des droits de l’homme, de nombreuses autres organisations dans le monde, de cinéastes, artistes, chercheurs ou travailleurs-ses tout simplement, mais aussi de parlementaires européen-ne-s, nous exigeons que Koltchenko, Sentsov et Afanassiev soient libérés immédiatement et que les poursuites dont ils font l’objet soient définitivement abandonnées.
A l’occasion de ce nouveau procès nous tenons à attirer également l’attention sur le sort des prisonnier-e-s politiques ukrainien-ne-s et russes en Russie. Ils et elles témoignent de la nature autoritaire de ce régime qui musèle les médias d’opposition, bafoue la liberté d’expression et l’exercice des droits démocratiques.
Depuis le début de sa guerre en Ukraine, la Russie a durci la répression contre ses opposant-e-s. Elle a décidé ces derniers mois d’aggraver les conditions de détention des prisonnier-e-s. Le régime de colonie pénitentiaire est du reste la norme pour tou-te-s les détenu-e-s, c’est un statut, incluant la relégation loin de leur ville d’origine et les travaux forcés, qui se rapproche de plus en plus du goulag.
Enfin les autorités russes traitent désormais les ONG russes comme ennemis de l’état. En effet, en vertu d’une loi de 2012 relative aux « agents de l’étranger », les ONG recevant des aides financières provenant de l’étranger doivent imprimer la mention « agent de l’étranger » sur toutes leurs publications sous peine de lourdes amendes et de poursuites pénales allant jusqu’à deux ans d’emprisonnement. La plupart des ONG russes ont refusé de s’y soumettre. Et comme cette loi visant à discriminer et discréditer les ONG russes ne suffit pas les autorités russes ont fait adopter en mai 2015 une loi sur les « organisations indésirables » pour leur couper les vivres.
Ainsi l’association Mémorial qui regroupait et défendait des dissidents sous l’URSS, dénonce les violations passées et présentes des droits humains en Russie, critique l’implication militaire de la Russie en Ukraine comme les poursuites contre les opposant-e-s russes est menacée d’interdiction. Elle vient de recevoir le soutien du secrétaire général du Conseil de l’Europe. Alors que Koltchenko et Sentsov s’apprêtent à être jugés en appel de façon tout aussi arbitraire qu’en première instance, nous nous inquiétons de la volonté de réorientation de la politique diplomatique des autorités françaises vis-à-vis de la Russie au nom de la lutte contre Daech.
Et nous sommes impatient-e-s de savoir si ce rapprochement se fera ou non au prix d’un silence sur les cas de Koltchenko, Sentsov et Afanassiev. L’attitude du Conseil de l’Europe et du Parlement européen montre qu’il est possible et souhaitable de s’exprimer en faveur des droits humains en Russie, les autorités françaises seraient bien inspirées de les imiter.
Alors qu’en France, une chape de plomb pèse sur la question des libertés démocratiques en Russie et dans les territoires militairement occupés, il y a tout à craindre que le silence du gouvernement français soit désormais encore plus pesant. Et c’est ce silence que nous entendons briser.
Stefan Bekier (Ensemble, membre du Front de gauche)
Krystyna Biletska (Ukraine action)
Christian Mahieux (Union syndicale Solidaires)
Vincent Présumey (FSU 03)
Edith Soboul (Alternative libertaire) Association Russie-Libertés
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