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Conférence sociale : la mascarade, par Patrick Le Moal – Fondation Copernic.

Publié le lundi, 19 octobre 2015 dans Social

La mascarade, au sens propre réunion de gens masqués et déguisés, est au sens figuré une action hypocrite relevant d’une mise en scène trompeuse, fallacieuse. Ce qui se prépare autour de la Conférence sociale pour l’emploi du 19 octobre et des semaines qui vont suivre est bien de cet ordre. 

Alors que la question principale des mois à venir est le projet du gouvernement d’engager, à partir des propositions du rapport Combrexelle, une vaste réforme pour changer la nature du code du travail et transformer la fonction de la négociation collective, cette question n’est pas à l’ordre du jour de la conférence sociale du 19 Octobre !

Il prévoit des tables rondes sur la création du compte personnel d’activité, sur les enjeux pour l’emploi et la formation de la transition énergétique,et sur la Nouvelle France Industrielle / la transformation numérique. 

Comme si un projet de loi sur le sujet, dans la foulée de la remise du rapport Combrexelle début septembre, n’était pas attendu avant Noël. Cela devient une habitude, comme le texte en préparation pour la COP 21 qui ne mentionne même pas … les énergies fossiles ! 

Pourtant les questions en jeu autour du droit du travail et de la négociation sont très importantes, car le Gouvernement et le Medef entendent franchir un seuil qualitatif dans la dérèglementation. Là encore il faut faire tomber les masques, débusquer les manipulations de l’opinion qui cherchent à « construire le consentement ». Pour étouffer le débat politique, la controverse sociale, les affrontements de classes sociales antagoniques, les pouvoirs en place saturent le débat sur le droit du travail de constats alarmistes. Le Code du travail avec ses 3000 pages serait devenu trop complexe, obscur et inquiétant. Il faudrait donc valoriser la négociation collective comme un levier efficace de progrès et d’innovation. 

Le mot « simplification » dissimule …. la dérèglementation. Le droit du travail n’a jamais été aussi complexe que depuis que se sont multipliées les possibilités de dérogations à la loi en faveur du patronat. 

L’offensive de dérèglementation a contourné les principes sans oser s’y attaquer frontalement, mais en les vidant progressivement de sens. Ainsi le principe de faveur, qui prévoit que les accords d’entreprise ne peuvent être que plus favorables aux accords de branche, eux-mêmes plus favorables à la loi, est conscienseusement détricoté depuis 1982. La minuscule brèche ouverte est devenue au fil des lois un gouffre béant, notamment à partir des lois Aubry de 1998 et 2000, puis surtout de la loi Fillon de mai 2004 à partir de laquelle ce n’est plus la dérogation qui est exceptionnelle, et enfin par la loi de 2008. S’accumulent les exceptions, les cas particuliers, les possibilités de dérogations à différents niveaux. 

Le rapport propose d’amplifier encore la place de la négociation, alors que c’est elle qui complexifie le droit applicable. Le but n’est donc pas de simplifier le droit du travail. Il est de mettre en cause la légitimité de la loi, de liquider définitivement le principe de faveur. Le mot « démocratie sociale » masque le pouvoir patronal sur l’élaboration des textes applicables. Car il faut dissimuler les responsables des reculs sociaux imposés à celles et ceux qui travaillent. 

La « baisse compétitivité des entreprises » est convoquée pour imposer des objectifs de rendements toujours plus inaccessibles, des « efforts » sur les salaires, la durée du travail. Cela dans un pays où la part des revenus détenus par les 1% les plus riches est passée de 7 à12% entre 1980 et 2010. 

Mais qui va prendre les mesures ? C’est là qu’entre en jeu la fameuse « démocratie sociale« . Ce n’est pas la loi, ce n’est pas l’Etat, ce ne sont pas les patrons : ce sont les « partenaires sociaux » qui vont décider « démocratiquement » de faire travailler plus pour le même salaire, de flexibiliser le travail, et d’engager toutes les régressions sociales. 

Or l’entreprise n’est pas un lieu de démocratie et de liberté, les syndicalistes réprimé-e-s, les salarié-e-s poussé-e-s à bout par les pratiques managériales le savent bien. 

Les derniers exemples de cette « démocratie sociale » à l’oeuvre montrent sa logique. Dans la fonction publique où le gouvernement applique sa réforme malgré le fait qu’elle n’ait pas été approuvée par les syndicats représentant la majorité des personnels, à Air France où la négociation vise non pas à répartir les profits de cette compagnie, mais à imposer aux pilotes de travailler plus pour le même salaire ! 

C’est élégamment exprimé dans le Rapport Combrexelle : « La question de fond est posée aux organisations syndicales : considèrent-elles que, par nature, la négociation collective est un instrument distributif d’augmentation des salaires, de réduction du temps de travail, d’amélioration des conditions de travail? Ou admettent-elles qu’elle peut être aussi un instrument adapté dans un contexte de crise économique et sociale ? »

Négociation : de quoi parle t’on ? Le rapport de force obtenu par la lutte sociale permet d’imposer des avancées sociales dans la négociation. Mais la négociation à froid, sans rapport de force, donne aux employeurs non seulement le pouvoir de blocage sur toute avancée sociale, mais les moyens d’imposer des reculs sociaux en amenant les syndicats à négocier le pistolet du licenciement sur la tempe, violence silencieuse insupportable. 

Le but du Gouvernement est d’imposer une modification fondamentale de la place de la négociation collective en faveur du patronat. Le rapport Combrexelle va même jusqu’à prévoir qu’un accord collectif puisse primer sur « l’intérêt individuel » du salarié concrétisé par son contrat de travail. 

Sont donc remis en cause par ces propositions, que nous dénonçons dans un ouvrage collectif « le Code du travail en sursis ? » à paraitre fin octobre aux éditions Syllepse, tant les acquis collectifs des salariés que les avantages individuels des contrats de travail . 

 Il faut défendre contre ces projets mortifères l’existence de protections légales qui permettent de protéger d’une concurrence outrancière et assurent un minimum d’égalité entre toutes et tous. Ces protections sont des choix politiques qui concernent toute la société, la convention collective ayant une légitimité complémentaire, un droit des salarié-e-s pour la défense de leurs intérêts, et non une machine au service des employeurs. 

Patrick LE MOAL

 

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