Flux RSS

Grèce : pourquoi la capitulation ? Une autre voie est possible. . .par Eric Toussaint

Publié le mercredi, 9 septembre 2015 dans Notre Economie et la leur

Éric Toussaint analyse de manière critique l’attitude de Syriza en ce qui concerne la dette depuis 2010, pour expliquer comment le gouvernement grec en est venu à signer l’accord funeste du 13 juillet 2015. Une des explications fondamentales est la non prise en compte de l’audit de la dette qui aurait pourtant permis, en suspendant son paiement, de ne pas se soumettre aux diktats des créanciers. Éric Toussaint présente un plan B portant sur la dette, les banques, l’austérité, la monnaie et la fiscalité.
Drapeau grecLa question de la dette grecque est absolument centrale. A partir de mai 2010 et du premier mémorandum et du moment où se constitue la Troïka entre le Fonds monétaire international, la Banque centrale européenne et l’Union européenne, cette question reste absolument centrale au cours des années à venir.

La Commission d’audit citoyen de 2011

En décembre 2010, la députée Sofia Sakorafa intervient au Parlement en disant qu’il faudrait créer une Commission d’audit de la dette grecque s’inspirant de l’Equateur qui en avait constitué une en 2007-08. Cette députée fait référence à ma participation à cette expérience et dit qu’on pourrait faire appel à mon aide. Il était clair que ce Parlement qui était dominé par le PASOK et Nouvelle Démocratie n’avait aucun intérêt à faire la clarté sur la dette et cette proposition a donc été rejetée. Avec toute une série de mouvements sociaux et cette députée Sofia Sakorafa on a décidé de créer une initiative d’audit citoyen de la dette. Ça a pris quelques mois pour être lancé.

On a mis au point un dispositif de lancement par exemple en s’appuyant sur la réalisation d’un documentaire « Debtocracy » par le cinéaste Aris Chatzistefanou qui allait jouer un rôle très important dans la diffusion de cette proposition. Le documentaire a été téléchargé par plus de 1,5 million de personnes en 6 semaines sur une population de 10 millions, c’est donc un écho extrêmement important. Evidemment il n’est pas passé sur les chaînes de TV privées ou publiques mais il a eu une résonnance extraordinaire. La population qui avait participé à un grand nombre de grèves s’est lancée dans la foulée du mouvement des indignés espagnols dans l’occupation des places publiques d’une multitude de villes à commencer par Athènes et Thessalonique mais ça a touché des villes moyennes pendant les mois de juin et juillet 2011. Les membres du Comité d’audit citoyen ont trouvé un écho extraordinaire à une proposition présentant les résultats préliminaires de la remise en cause des dettes réclamées à la Grèce et l’explication de comment la Grèce avait accumulé une telle dette qu’on pouvait considérer comme illégitime.

La position de la direction de Syriza vis-à-vis du Comité d’audit citoyen de 2011

Du côté des forces politiques constituées à la gauche, il y avait très peu d’enthousiasme pour soutenir cette initiative. Du côté de Syriza, des personnes comme Lafazanis qui est par la suite devenu ministre du gouvernement Tsipras à partir de janvier 2015 ou une autre ministre du gouvernement Tsipras, Nadia Valavani, sont des personnes qui, dès le début, c’est à dire depuis 2011 se sont engagées dans le soutien à cette Commission, mais du côté de la majorité de Syriza il n’y avait pas véritablement d’enthousiasme. Par exemple le ministre des Finances du gouvernement Tsipras, Yanis Varoufakis, a déclaré quand nous l’avons contacté en 2011 qu’il ne pouvait pas soutenir cette initiative d’audit citoyen car si il s’agissait de proposer à la suite de l’audit une suspension de paiement cela ramènerait la Grèce à l’âge de la pierre disait-il dans une lettre publique. Ce qui permet de comprendre des choses qui se sont passées en 2015 et le type de positionnement de quelqu’un comme Varoufakis.

Le programme de Syriza aux élections législatives de mai-juin 2012

Cette initiative d’audit citoyen a trouvé finalement un écho dans Syriza malgré les difficultés de départ et Syriza a repris la proposition dans son programme en cinq points pour les élections de mai puis de juin 2012 pour lesquels les cinq points étaient :
1. L’abrogation des mesures d’austérité ;
2. La suspension de paiement de la dette jusqu’au retour de la croissance – ce qui impliquait évidemment une toute autre politique – et lier la suspension de paiement à la réalisation d’un audit ;

3. La socialisation des banques ;
4. La levée de l’immunité parlementaire des responsables ;
5. Des mesures fiscales importantes pour faire payer ceux qui avaient profité de la crise et qui étaient à l’abri de la fiscalité ;
Avec un tel programme radical Syriza a accompli une percée électorale très importante puisqu’elle est passée de 4% en 2009 à 27% en 2012 devenant ainsi le second parti après Nouvelle Démocratie avec une différence de seulement 2 points. A partir de ce moment-là, Syriza est apparu comme une force capable d’accéder au gouvernement dans les mois qui suivaient ou quelques années plus tard.

Fin 2012 : La direction de Syriza modère ses propositions

Ce qui est vraiment interpellant c’est qu’alors que Syriza démontre par son résultat que sa radicalité trouve un écho dans la population grecque notamment avec la proposition de suspension du paiement de la dette, la position de la majorité de Syriza et d’Alexis Tsipras est de modérer ces propositions avec l’idée qui d’après moi est fausse que si Syriza accédait au gouvernement il lui serait très difficile de les appliquer en pratique alors que ces cinq points étaient des éléments absolument clés dans la solution à apporter à la crise. On ne peut pas imaginer d’abandonner les politiques d’austérité si on ne résout pas d’une manière radicale la question de la dette. Il est impossible de revenir sur une série de mesures si on ne réduit pas radicalement la dette. C’est ainsi qu’il fallait combiner l’abrogation d’une série de mesures dictées par la Troïka à la mise en place d’une suspension de paiement et à la réduction radicale d’une partie de la dette et il fallait également trouver une réponse du côté des banques et de la fiscalité. Or, en octobre 2012, alors que je suis invité à donner une conférence au 1er festival de la jeunesse de Syriza, je me retrouve dans une discussion en tête à tête avec Alexis Tsipras et en fait je me rends compte qu’il est en train de revenir sur la proposition de suspension de paiement et d’audit de la dette et il s’oriente plutôt vers une négociation pour obtenir une réduction de la dette de la part des créanciers sans recourir à la suspension de paiement et je lui fais part de mon étonnement.

Si il répond que le programme en cinq points est maintenu, je me rends compte que ce n’est pas la perspective pratique de Tsipras.

Octobre 2013 : Alexis Tsipras souhaite une conférence européenne sur la dette publique

Un an plus tard, Tsipras m’invite à nouveau et me demande de collaborer à la mise en place d’une grande conférence européenne sur la dette pour réduire la dette de la Grèce à l’image de ce qui s’était passé avec la conférence de Londres de 1953 lorsque les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale ont concédé une réduction de dette très importante à l’Allemagne de l’Ouest. Nous avons eu alors une discussion où je lui ai dit que ça me paraissait parfaitement légitime qu’il interpelle les opinions publiques européennes et les institutions européennes pour leur dire qu’il faudrait une conférence européenne sur la dette mais que cela n’avait aucune chance d’aboutir. Il faut absolument combiner cette idée avec celle d’un audit avec une suspension de paiement. La discussion se termine sur la proposition que je participe à un noyau de préparation d’une conférence européenne sur la dette qui devait se tenir en mars 2014 mais entre temps cette proposition n’avait pas été soutenue sous cette forme là par le parti de la gauche européenne qui finit par convoquer une conférence à Bruxelles au printemps 2014. Lors de cette conférence à laquelle j’ai été invité avec Alexis Tsipras et d’autres dirigeants de la gauche européenne j’ai redis clairement qu’il fallait un plan B car la première proposition de conférence européenne n’est pas suffisante. Je me retrouve dans un panel qui discute de cela avec Euclide Tsakalotos qui est aujourd’hui ministre des Finances en remplacement de Varoufakis et je me rends compte dès ce moment qu’il n’est absolument pas favorable à mettre au point un plan B portant sur la dette, les banques, la fiscalité et que le plan est de négocier à tout prix avec les institutions européennes pour obtenir une réduction de l’effort d’austérité.

Syriza devient le premier parti de Grèce aux élections européennes de mai 2014

Syriza obtient une victoire électorale et devient le premier parti grec. Pour ceux qui luttaient sur la question de la dette c’était une double victoire car sur les six députés élus au Parlement européen, cinq étaient favorables à une politique forte en matière de dette et à l’audit. C’était ainsi le cas de Manolis Glezos, de Georges Katrougalos qui est devenu plus tard ministre, de Sofia Sakorafa qui était une des initiatrices avec moi de l’audit citoyen en 2011, mais aussi de Kouvenas et d’un député provenant du PASOK. On a eu à plusieurs reprises des réunions au Parlement européen avec également des députés de Podemos et d’Izquierda Unida pour avancer l’idée de l’action unilatérale et de la suspension de paiement, mais en même temps je me suis rendu compte que la ligne officielle de Tsipras soutenu par des personnes comme Katrougalos étaient d’aller vers la négociation. Ce qui est fondamental pour eux, c’est la conférence européenne pour la restructuration de la dette sur le modèle allemand.

La victoire de janvier 2015

Des élections anticipées sont convoquées pour le 25 janvier. Le 2 janvier, je suis contacté par un envoyé de Tsipras qui me demande si je pourrais conseiller le gouvernement en matière de dette. J’accepte immédiatement et je fais une série de propositions dans la lignée de ce qui avait été mis en avant depuis 2011. Mais quelques jours avant les élections alors que j’avais fait ces propositions, le contact se perd. Suite à l’élection, je me rends à Athènes et une des personnes que je rencontre c’est Georges Katrougalos devenu ministre de la réforme administrative qui avait soutenu à fond l’audit et qui lorsqu’il était député européen soutenait d’une certaine manière les propositions que je faisais et il me met en contact avec la nouvelle présidente du Parlement, Zoe Konstantopoulou, avec qui le contact est passé directement. A l’issue d’une discussion d’une heure elle a rendu publique les résultats de cette discussion en disant qu’elle faisait appel à mon concours pour lancer une commission d’audit de la dette grecque.

L’accord funeste du 20 Février avec les créanciers institutionnels

Suite à trois semaines de négociations, un premier préaccord intervient le 20 février entre les créanciers, la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le gouvernement grec, qui marque d’après moi une étape déjà très préoccupante. Il s’agit d’un accord par lequel le gouvernement grec s’engage à respecter le calendrier des paiements et les sommes à rembourser à chaque créancier. Il déclare aussi que le gouvernement grec fera une série de propositions à l’Eurogroupe, qui remplaçait la Troïka, en matière de réformes. Évidemment pour l’Eurogroupe, il s’agissait de réformes qui poursuivaient le programme en cours, tout en reportant à la fin juin 2015 les mesures d’austérité négociées avec les créanciers.

Une autre politique était souhaitable et possible

Pour ma part, je pense que le gouvernement grec aurait dû adopter une autre politique. Il était démontré dès début février que les créanciers n’étaient pas prêts à permettre à Syriza de réaliser son programme (à savoir : revenir sur l’austérité et obtenir une réduction de la dette). Alors, comme moyen de pression sur les créanciers, Tsipras aurait dû dire : « J’applique le règlement européen adopté le 21 Mai 2013 qui prévoit la réalisation d’un audit, pour voir dans quelles conditions on a accumulé une dette qui devient insoutenable, et pour déceler d’éventuelles irrégularités ». C’est le texte exact du règlement européen. « En tant que gouvernement, je l’applique, et je suspends le paiement de la dette pendant la réalisation de l’audit ».

Si vous suspendez le paiement de la dette, vous changez le rapport de force avec les créanciers. Face à un refus de paiement, ce sont eux qui vont devenir demandeurs de la négociation. Tandis que jusque-là, c’était le gouvernement qui était à la recherche de la négociation face à des créanciers qui ne voulaient pas vraiment négocier, ou alors à condition de poursuivre les mesures d’austérité qui avaient été rejetées par la population grecque. Donc il aurait bien fallu suspendre le paiement, réaliser l’audit, prendre des mesures fortes sur les banques. Il faut savoir qu’on a injecté de manière permanente des dizaines de milliards dans les banques grecques en augmentant ainsi la dette publique grecque, sans tout autant résoudre le problème des banques. Il aurait fallu aussi prendre des mesures fortes en matière de fiscalité pour augmenter les recettes fiscales et pouvoir mener cette politique anti-austéritaire. Je pense que si le gouvernement grec le 20 février n’avait pas signé cet accord néfaste, il aurait pu réellement s’engager dans un processus intéressant pour la Grèce.

Ce qui est aussi intéressant, c’est que la présidente du Parlement grec a dit à Alexis Tsipras, avec d’autres ministres, comme Lafasanis qui est un des ministres les plus importants « Pas question de soumettre l’accord du 20 février pour approbation au Parlement grec. Une série des parlementaires grecs ne pourront pas approuver cet accord qui est contraire au mandat que Syriza est allé chercher le 25 janvier. » En effet, cet accord du 20 février est resté un accord signé par le gouvernement, mais sans l’accord du Parlement, et c’est un point très important.
Lancement de la Commission pour la vérité sur la dette grecque par la présidente du Parlement Hellénique.

Le 4 avril 2015 commence effectivement les travaux de cette Commission pour la vérité sur la dette grecque, instituée par la présidente du Parlement grec, et dont la coordination des travaux m’incombe. Les travaux sont lancés par une séance publique qui dure toute une journée à laquelle participent le premier ministre Alexis Tsipras, le président de la République, la majorité des ministres, une série de parlementaires et une participation citoyenne très importante : des mouvements sociaux grecs sont présents. Cet audit est conçu comme un audit à participation citoyenne. Nous nous lançons dans des travaux qui nous ont demandé énormément de travail. Pendant deux mois et demi, nous avons recouru à des auditions, nous avons fait venir un négociateur grec au FMI pour la période 2010-2011, nous avons fait venir un ancien conseiller de Barroso, le président de la Commission européenne, pour la période 2010-2011-2012, nous avons étudié toutes les dettes telles qu’elles sont réclamées par les créanciers actuels de la Grèce, dans quelles conditions elles ont été contractées etc., et nous avons défini les critères que nous allions utiliser pour identifier les dettes illégitimes, illégales, insoutenables ou odieuses. Sur la base de ces critères et de l’analyse rigoureuse des dettes réclamées, nous avons produit un rapport préliminaire que nous avons présenté les 17 et 18 juin. Il conclut que les dettes réclamées par les créanciers publics : la Troïka, sont à nos yeux des dettes illégitimes, illégales, insoutenables ou odieuses. Quand je dis « à nos yeux », c’est bien entendu d’après des critères scientifiques et d’après des critères du droit international et du droit interne.

Le gouvernement Grec ne s’appuie pas sur l’audit.

Alors qu’Alexis Tsipras avait apporté son soutien aux travaux de la Commission, en réalité, au cours de la négociation avec les créanciers, il ne s’est pas appuyé dessus de manière explicite. Alexis Tsipras et Yannis Varoufakis ont poursuivi leur plan qui était d’obtenir la conclusion du programme d’austérité pour la fin du mois de juin, en renouvelant un nouveau programme avec ces créanciers, mais dans des conditions largement déterminées par eux-mêmes. Sans mettre la pression sur eux, en renonçant donc à la suspension de paiement. Cela a mené à l’impasse que l’on connait. Les créanciers ne faisaient aucune concession au gouvernement grec, et ils présentaient même à l’opinion publique international le gouvernement grec comme incapable de présenter des propositions sérieuses. Cela a révélé un hiatus profond entre cette initiative de l’audit et une situation dans laquelle, poursuivant la négociation, le gouvernement grec utilisait tous les fonds disponibles pour payer les créanciers. Sept milliards ont été utilisés pour rembourser le FMI, la BCE, les créanciers privés. Alors que les dépenses pour résoudre les problèmes de la crise humanitaire (les problèmes de santé, les problèmes posés aux retraités, les 300 000 familles qui n’avaient plus de raccordement électrique) se sont élevées à 200 millions d’euros. 200 millions d’euros face à 7 milliards utilisés pour rembourser les créanciers ! On mesure bien l’importance du fossé. En tant que coordinateur de la Commission, et avec tous ses membres, nous sommes plongés dans une profonde frustration, une profonde inquiétude. Nous nous demandions comment il était possible que l’on continue à rembourser cette dette, alors que nous étions en train de prouver qu’elle est illégitime. Nous commençons maintenant à le dire publiquement : il y a un problème ! Je suis allé rencontrer Dimitris Statioulis, le ministre en charge des retraites, alors qu’il annonçait qu’il refusait de nouvelles mesures de réduction des retraites, pour lui apporter publiquement mon soutien. Oui il faut résister aux exigences des créanciers. Pour nous, il est fondamental de montrer qu’il existe un lien entre nos travaux et les préoccupations de la population grecque. J’ai pu mesurer que nous rencontrions un écho extraordinaire dans la population grecque. Personnellement comme coordinateur de la Commission, ma photo et mes déclarations apparaissaient dans les médias, et lorsque je me déplaçais dans les rues à Athènes, ou lorsque je prenais le métro, j’étais très régulièrement arrêté par des citoyens grecs me remerciant pour les travaux que je réalisais et pour l’aide que j’apportais au pays. Alors que les médias dominants qui représentent 80% de l’audimat dénigraient les travaux de la Commission, la population grecque décodait la politique de discrédit qui était lancée par les médias, et nous appuyait. Elle montrait une attente très importante à l’égard de nos travaux.

Du référendum du 5 Juillet à l’accord du 13 Juillet 2015

Quelques jours après la présentation publique de nos travaux, la Grèce était en état de suspension de fait à l’égard du FMI (même si ce n’était pas encore une suspension officielle, elle était bien en retard de paiement). L’échéance de paiement était un moment critique. Ainsi les créanciers ont décidé d’augmenter leurs exigences à l’égard d’Alexis Tsipras. Il a donc été amené à convoquer un référendum le 5 juillet 2015. Alors qu’il y avait une pression maximale des créanciers, à l’instar de l’intervention de Junker disant au peuple grec qu’il fallait voter pour les propositions qu’ils avançaient eux-mêmes, (et donc pour le OUI au référendum), 62% de la population grecque a dit NON aux propositions des créanciers. Cela ouvrait à nouveau une situation par laquelle le gouvernement de Tsipras aurait pu, sur la base de son mandat du 25 janvier, et sur la base de son nouveau mandat renforcé : 62% de NON aux exigences des créanciers, ouvrir une nouvelle orientation. Celle consistant à dire : « nous avons fait toutes les concessions possibles et imaginables, nous avons remboursé 7 milliards, et vous, vous créanciers, vous ne faites aucune concession. Nous sommes amenés à prendre des mesures d’auto-défense. Nous suspendons le paiement de la dette, nous résolvons le problème des banques en les mettant en faillite mais tout en protégeant les dépôts des déposants, nous prenons des mesures fiscales très fortes pour faire payer les riches, et surtout ceux qui sont responsables de la crise. Et nous nous engageons dans un plan B parce que le plan A n’a pas fonctionné. »

Au lieu de faire cela, le gouvernement de Tsipras qui avait pourtant un mandat très clair le 25 juillet, est allé rencontrer les dirigeants des trois partis qui avaient appelé au OUI et qui avaient subi une défaite terrible : le parti POTAMI, le parti PASOK et le parti Nouvelle Démocratie. Il leur propose un accord. Cet accord, très néfaste, est soumis au parlement le 13 juillet. Une proposition émane d’une sorte d’union sacrée entre Tsipras et la droite (défaite lors du référendum) et Tsipras se rend à Bruxelles le 12 juillet avec cette proposition. Les créanciers, qui veulent obtenir la capitulation définitive de Tsipras, disent : « ce que vous nous proposez n’est pas suffisant, nous durcissons nos positions. » Et après 17 heures de négociations, le 13 juillet, Tsipras signe un accord absolument funeste. Non seulement, de nouvelles mesures vont affecter les retraités (une fois de plus), mais elles vont aussi affecter toutes la population avec l’augmentation du taux de TVA sur une série de produits de consommation courante, et il y a en plus ce fameux fonds de privatisation qui va s’accélérer et aboutir à 50 milliards d’euros. Il s’agit ni plus ni moins d’une vente aux enchères de tout ce qui n’avait pas encore été privatisé. Cet accord est funeste, signé par Tsipras le 13 juillet et soumis au parlement grec le 15 juillet. Pour moi, c’est la capitulation.

Les leçons de la capitulation du 13 Juillet 2015

Il faut tirer les leçons de la capitulation de 13 juillet 2015. Si l’on ne recourt pas à des mesures unilatérales d’auto-défense face aux créanciers, notamment la suspension de la dette, il est impossible d’obtenir des concessions fortes de la part des créanciers. Il faut que les forces politiques et sociales européennes comprennent qu’une négociation dans le cadre européen actuel respectant les règles dictées par la Commission européenne, la BCE, ou le FMI ne peut pas marcher. Il faut désobéir aux créanciers. Ce n’est qu’en désobéissant aux créanciers qu’on peut leur imposer de faire des concessions. Bien sûr il n’y a pas que la question de la dette. Il faut répéter qu’aujourd’hui, il existe des mesures clés d’alternatives : à côté de la suspension de la dette, il faut l’abandon des mesures d’austérité et l’adoption de lois protégeant les personnes qui ont été affectées par ces politiques d’austérité. Il faut aussi une solution du côté des banques. Il faut une socialisation du secteur bancaire. Il faut que ces banques privées passent dans le secteur public et répondent à des critères de service public pour servir les intérêts de la population. Il faut une toute autre politique fiscale. Il faut que le pourcent le plus riche, les grandes entreprises, paient réellement des impôts, et que l’on baisse les impôts sur la charge de la majorité de la population : il faut baisser les taux de TVA, il faut que l’on exonère de certains impôts ceux d’en bas en fixant un seuil de revenu. C’est donc la combinaison d’une politique qui porte sur la dette, sur les banques, sur la fiscalité, mettant fin à l’austérité et créant des emplois qui permet de mettre en place une alternative. Cette alternative est tout à fait possible. La population est prête. Elle soutient. Sinon, on ne comprendrait pas pourquoi 62% des grecs, alors qu’ils étaient menacés du chaos s’ils votaient NON, pourquoi, malgré ce matraquage, ce chantage, la fermeture des banques grecques, pourquoi ils ont voté contre la proposition des créanciers.

La conclusion est qu’un mouvement qui veut assumer des responsabilités gouvernementales doit être à la hauteur du soutien populaire. Il doit être prêt. Si l’on propose à la population de rejeter les propositions des créanciers, si l’on propose de réaliser un autre programme, il faut être prêt à prendre les mesures qui permettent de réaliser ce programme. Nous avons besoin des forces sociales et politiques qui sont concrètement prêtes à affronter les créanciers. Et à désobéir aux créanciers.
La leçon fondamentale à tirer est que la modération ne permet pas de trouver une solution. Il faut s’appuyer sur la population et prendre des mesures très fortes.

Une monnaie complémentaire dans le cadre d’un plan B.

A côté des mesures fortes comme la suspension unilatérale de la dette et la socialisation des banques, il existe des mesures très concrètes comme la création d’une monnaie complémentaire qui peut avoir des effets extrêmement intéressants. Pour un pays qui se retrouve en manque d’euros comme la Grèce, parce qu’elle est asphyxiée par la BCE, il est parfaitement possible de créer une monnaie complémentaire par la voie électroniq

ue. C’est par exemple ce qu’a fait l’Équateur depuis deux ans. En tant que banque centrale du pays, il s’agit d’ouvrir un crédit via le téléphone portable, par exemple de 100 euros, permettant aux personnes qui reçoivent ce crédit (comme les retraités qui recevraient une partie de leur retraite, les salariés de la fonction publique, les personnes qui reçoivent une aide publique) de payer par exemple la facture d’électricité, la facture d’eau, les transports publics… Ils pourraient aussi utiliser ce crédit pour faire des achats dans des supermarchés, puisqu’il faut comprendre que même si les supermarchés privés ne seraient pas enthousiastes à la création d’une monnaie complémentaire, ils finiront bien par l’accepter pour ne pas perdre les clients qui partiront acheter chez les commerces qui l’accepteront ! Les autorités du pays seront alors en capacité d’octroyer des augmentations de salaires, des augmentations de retraites, sans dépendre directement de la monnaie officielle.

La perspective d’une sortie de la zone euro.

Pour des pays comme la Grèce, ou le Portugal, la sortie de la zone euro devient une perspective tout à fait justifiée. Pour reprendre la maitrise de l’économie et appliquer des politiques qui répondent aux intérêts du pays, il faut être prêt à revenir à une monnaie nationale. Mais d’après moi, ce n’est valable que si cela va de pair avec la socialisation des banques, avec une réforme fiscale favorable à ceux d’en bas, avec une solution radicale à la dette. Sinon on aura une sortie de droite à la zone euro. C’est bien pourquoi une partie de l’extrême droite soutient de façon souverainiste cette sortie. Il faut l’éviter. Il faut une sortie progressiste, favorable au peuple. Pour retrouver le contrôle de sa propre monnaie, pour mener une politique monétaire favorable au marché local, notamment aux producteurs locaux, il ne faut pas avoir comme objectif de vendre à l’extérieur, mais bien de se baser sur les forces productives du pays pour répondre aux besoins de la population et ainsi diminuer les importations et donc les besoins en devises fortes.

Retranscription effectuée par Charlotte Géhin et Virginie de Romanet
27 août

Auteur

Eric Toussaint est maître de conférence à l’université de Liège, est le porte-parole du CADTM International et est membre du Conseil scientifique d’ATTAC France. Il est auteur des livres Procès d’un homme exemplaire, Editions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet du livre AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège Dernier livre : Bancocratie ADEN, Brussels, 2014. Il est coordonnateur de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015.

Soyez le premier à poster un commentaire.

Laisser un commentaire

Vous devez être connecté pour écrire un commentaire.