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Le report meurtrier de la restructuration de la dette grecque. Yanis Varoufakis

Publié le samedi, 1 août 2015 dans Notre Economie et la leur

grece_0La raison d’une restructuration de la dette est de réduire le volume des nouveaux emprunts nécessaires au sauvetage de l’entité insolvable. Les créanciers proposent une restructuration afin de récupérer une partie de leurs engagements et d’accorder le moins possible de nouveaux prêts à l’entité insolvable.
Contre toute attente, les créanciers de la Grèce semblent dans l’incapacité d’apprécier à sa juste valeur ce principe raisonnable de la finance. Lorsque c’est de la dette grecque qu’il s’agit, un schéma très clair est apparu au cours des 5 dernières années. Et ce schéma reste inamovible à ce jour.
En 2010, l’Europe et le Fond Monétaire International ont consenti de nouveaux prêts équivalents à 44% du PIB à une Grèce déjà insolvable. A l’époque, la simple évocation d’une restructuration de la dette était inadmissible et une raison suffisante pour ridiculiser ceux d’entre nous qui suggéraient qu’elle serait inévitable in fine.
En 2012, alors que le ratio dette/PIB atteignait des sommets, les créanciers privés ont subi une décote significative de 34%. Dans le même temps cependant, de nouveaux prêts pour un montant équivalent à 63% du PIB s’ajoutaient à la dette nationale grecque.

Quelques mois plus tard, en Novembre, l’Eurogroupe (incluant les ministres des Finances des membres de l’Eurozone) indiquait qu’un allègement de la dette serait finalisé d’ici Décembre 2014, une fois que le programme lancé en 2012 aurait été achevé avec succès et que le budget du gouvernement grec aurait atteint un excédent primaire (c’est-à-dire hors paiement des intérêts de la dette).
En 2015 cependant, alors que l’excédent primaire avait été atteint, les créanciers de la Grèce ont refusé toute idée de discussion d’un allègement de la dette. Pendant 5 mois, les négociations sont restées dans une impasse, avec comme point d’orgue le référendum du 5 juillet au cours duquel les électeurs rejetèrent massivement toute intensification des politiques d’austérité puis avec la rédition du gouvernement grec, matérialisée par l’accord du Sommet de l’Euro du 12 Juillet.
En effet, le cadencement du plan de sauvetage prévu dans l’accord du 12 Juillet commence par l’adoption – avant la fin du mois – de sévères mesures sur la taxation puis à moyen terme de mesures fiscales s’apparentant à une austérité rigoureuse. Ensuite doivent avoir lieu des négociations durant l’été conduisant à l’obtention d’un nouveau prêt équivalent à 48% du PIB (sachant que le ratio Dette/PIB dépasse déjà les 180% !). Et pour finir, en Novembre, au plus tôt, et après qu’une évaluation du nouveau programme ait été menée à bien, « l’Eurogroupe se tient prêt à envisager, si nécessaire, d’éventuelles mesures complémentaires…destinées à s’assurer que les lourds efforts financiers exigés restent à un niveau soutenable. »
Durant les négociations auxquelles j’ai participé entre le 25 janvier et le 5 juillet, j’ai suggéré à de nombreuses reprises à nos créanciers une série d’échanges de dette judicieux. Le but était de minimiser le montant de nouveaux financements auprès du Mécanisme Européen de Stabilité et du FMI pour refinancer la dette grecque, et d’assurer que la Grèce devienne éligible au programme d’achat d’actifs de la banque centrale européenne (l’assouplissement quantitatif) avant la fin de l’année, restaurant ainsi la capacité d’emprunt de la Grèce auprès des marchés. Nous estimions qu’au maximum, 30 milliards d’Euro (33 milliards de Dollars, soit 17% du PIB) de nouveaux prêts consentis par le Mécanisme Européen de Stabilité seraient nécessaires, et qu’aucun de ceux-ci ne seraient utilisés pour équilibrer le budget primaire de la Grèce.
Nos propositions n’ont pas été rejetées. Bien que nous ayons eu la confirmation de sources sures qu’elles étaient rigoureuses d’un point de vue technique, et appropriées d’un point de vue légal, elles n’ont tout simplement jamais été discutées. La volonté politique de l’Eurogroupe était d’ignorer purement et simplement nos propositions, de laisser les négociations aboutir à un échec, d’imposer une fermeture illimitée des banques et de forcer le gouvernement grec à consentir à toutes les demandes – y compris un nouvel emprunt massif représentant quasiment le triple du montant que nous avions proposé. Une fois de plus, les créanciers de la Grèce ont mis la charrue avant les bœufs en insistant sur le fait qu’un nouveau prêt soit négocié avant toute discussion portant sur l’allègement de la dette. Le résultat, c’est que ce nouveau prêt, considéré comme indispensable, augmente inexorablement le fardeau de la dette, comme ce fut le cas en 2010 et 2012.
Tôt ou tard, les dettes non soutenables sont effacées. Mais le timing précis et la nature de ce qui sera effacé constituent une différence énorme pour les perspectives économiques du pays concerné. Et la Grèce est en proie à une crise humanitaire parce que la restructuration inévitable de sa dette a été utilisée comme excuse afin repousser indéfiniment la restructuration elle-même. Comme un membre haut placé de la Commission Européenne me l’a demandé un jour : ‘ votre dette sera réduite quoi qu’il advienne, aussi, pourquoi dilapider votre précieux capital politique en insistant pour que nous restructurions maintenant ? »
La réponse aurait du être évidente. Une restructuration ex ante, qui réduit la volumétrie de n’importe quel nouveau prêt et transforme la dette en une dette soutenable avant que des réformes soient conduites implique une forte probabilité du retour des investissements, de la stabilisation des revenus et plante le décor d’une reprise économique. A contrario, une réduction de la dette à l’instar de celle qui a été menée en Grèce en 2012, et qui a conduit le programme à l’échec, contribue uniquement à une poursuite de la descente aux enfers.
Pourquoi les créanciers de la Grèce refusent-ils de discuter de la restructuration de la dette avant que de nouveaux prêts soient négociés ? Et pourquoi favorisent-ils un nouveau paquet de dettes nettement plus conséquent que nécessaire ?
Les réponses à ces questions ne seront pas trouvées en discutant de la viabilité des finances, qu’elles soient privées ou publiques, car leur essence prend racine dans les pouvoirs politiques. La dette est le pouvoir du créancier. Et, comme la Grèce l’a appris à ses dépens, la dette insoutenable transforme le créancier en Léviathan. Sous sa coupe, la vie devient violente, brutale, et, pour beaucoup de mes compatriotes, beaucoup plus courte.

Traduction d’un article de Yanis Varoufakis publié sur Project Syndicate le 28 Juillet
http://www.project-syndicate.org/commentary/greece-debt-restructuring-by-yanis-varoufakis-2015-07

 

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