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Espaces pastoraux: les éleveurs de montagne menacés par la réforme de la PAC. JL HERVE pour Confluences 81 n° 118

Publié le jeudi, 28 janvier 2016 dans Agriculture

ob_71ab24_raisonnementMise en application -laborieuse- en 2015, la réforme de la Politique Agricole Commune (PAC) était attendue avec espoir par les éleveurs de montagne. Elle devait amener un rééquilibrage des aides entre céréaliers et éleveurs, un soutien accru aux zones difficiles, et un encouragement des pratiques agro-écologiques. Hélas, les textes de mise en application sont source d’inquiétude. Et notamment pour la prise en compte des espaces pastoraux.

Landes et parcours, qu’es aco?

Dans notre montagne tarnaise, comme dans tous les massifs894 français, les éleveurs utilisent des « landes et parcours »: des espaces souvent pentus où cohabitent herbe, buissons, arbres. Bref, autre chose que des prés, avec uniquement de l’herbe. Ce sont des surfaces fourragères précieuses pour l’élevage de montagne.

Des espaces autrefois très utilisés :

Ces parcelles ont été intensivement pâturées, notamment au XIX ème siècle, où la population rurale était à son maximum. Le pastoralisme a ainsi façonné nos paysages, créant des milieux ouverts, avec une biodiversité remarquable. Les troupeaux étaient alors gardés, grâce à une main d’œuvre familiale nombreuse sur les fermes. Cette utilisation a continué jusque dans les années 1970.

Après des décennies de déprise…

La modernisation de l’agriculture et les changements de la structure familiale sur les fermes ont bouleversé les modes de travail dans les dernières décennies. Les terres mécanisables ont été sur exploitées, entrainant pollution des eaux, fatigue des sols, disparition de la biodiversité. Dans le même temps, les espaces pastoraux ont été abandonnés, faute de main d’œuvre pour garder les bêtes. Ces espaces autrefois ouverts se sont embroussaillés, devenant inaccessibles aux randonneurs, chasseurs et cueilleurs de champignons. La riche biodiversité liée au pastoralisme disparait également avec la fermeture du paysage.

… des évolutions positives depuis 10 ans…

C’est la menace sur cette biodiversité protégée qui a déclenché, sur certaines de ces zones, la mise en place de mesures Natura 2000, accompagnées d’incitations financières pour les éleveurs, et de subventions pour permettre l’installation de clôtures, l’aménagement de points d’eau… Ces mesures ont été accompagnées depuis quelques années de droits à primes sur ces surfaces, l’administration considérant avec raison que toutes les surfaces exploitées doivent bénéficier d’aides. Et c’est une véritable dynamique qui s’est lentement mise en place ces dernières années. Des éleveurs ont remis des troupeaux sur ces parcelles, ré ouvrant des milieux embroussaillés, permettant aux autres usagers de les utiliser pour la chasse, la promenade… et favorisant le maintien d’une biodiversité rare et menacée. Alors qu’il est très difficile pour un jeune de trouver des terres, ces espaces ont permis à certains éleveurs de s’installer, ou d’agrandir des fermes trop petites, de sécuriser leurs ressources fourragères, et de conforter, par les droits à prime, la viabilité économique de leur ferme.

… remise en cause par la réforme de la PAC!u

200px-Logo_confédération_paysanneTrop beau pour durer? L’Europe est en contentieux avec le France pour l’attribution de droits à prime sur ces surfaces, qualifiées de « peu productives ». Elles ont bien failli passer à la trappe de la réforme, perdant leurs droits à prime. C’est finalement un système de prorata qui a été mis en place pour leur admissibilité, en fonction de l’accessibilité par les animaux, et de la ressource fourragère. Pas simple à évaluer, malgré le référentiel photographique fourni par l’administration: l’éleveur est invité à comparer la situation sur le terrain avec les photos, et à choisir le prorata qui correspond.. Une certitude: des parcelles qui avaient des droits à prime ne les auront plus qu’en partie, en fonction du pro rata évalué.

La triple peine pour les éleveurs de montagne

Alors que les primes sont proportionnelles à la surface, l’application du prorata entrainera une baisse de la surface primable, et donc une baisse des droits à prime. Une baisse qui risque d’effacer les revalorisations annoncées pour la réforme, l’Etat reprenant d’une main ce qu’il donne de l’autre. Une situation insupportable pour ceux qui exploitent des zones difficiles, qui sont frappés par la crise de l’élevage, et qui souffraient déjà des inégalités dans la répartition des aides PAC.

Oui aux visites rapides,

Comme si cela ne suffisait pas, l’Europe impose à l’Etat français de contrôler toutes les parcelles « proratisées » dont le taux diffère de l’interprétation de la photo aérienne. Le ministère annonce que ces visites seront faites pour sécuriser la situation des éleveurs… mais elles entraineront des pénalités en cas d’écart. Des pénalités sévères puisque un écart de deux hectares entrainera la perte de prime sur… six hectares, un écart de 20% entrainant la suppression de toutes les primes de l’année… et la mise à mort économique de la ferme. Et ce, alors que le ministre lui même avait annoncé au printemps que les déclarations pourraient être revues à l’automne sans pénalités après les propositions de l’administration.

Non aux pénalités!

De nombreux éleveurs ne sont pas conscients de la menace! Pour sa part, la Confédération Paysanne du Tarn est fortement mobilisée sur la question depuis des mois: lettre ouverte au ministre en mai, interpellations multiples de la DDT depuis août, occupation de la DRAAF Midi-Pyrénées le 15 octobre et rencontre avec Pascal Augier, interpellation des députés et sénateurs, lancement d’une cyber pétition qui a reçu plus de 2000 signatures dans la seule journée du 2 novembre. Les autres régions et le national sont aussi mobilisés: occupation de la DRAAF de Montpellier, action au sommet de l’élevage à Cournon, manifestation le 20 octobre devant le ministère, rencontre avec le ministre le 29. Le ministre a aussi été interpellé lors de sa venue au colloque montagne de la Conf’ le 6 novembre dans l’Ariège. Une action est prévue auprès de la préfecture le 1er décembre. Un seul objectif: les » visites rapides » doivent garder leur caractère pédagogique, l’éleveur doit pouvoir modifier sa déclaration à l’issue de la visite sans pénalités!

Les petites fermes menacées

Les impacts de ces mesures vont varier en fonction de la taille des exploitations. Celles qui utilisent de grandes surfaces devraient être bénéficiaires de la réforme, voire même en tirer de véritables rentes de situation. A l’opposé, ce sont les petites fermes d’élevage de montagne qui vont trinquer! Déjà pénalisées par leur petite taille, elles risquent de voir leur primes baisser à la suite de la réforme, et de voir leur survie remise en question. Un comble! A l’opposé des objectifs de la réforme de la PAC!

Jean-Luc HERVE,
pour la Confédération Paysanne du Tarn

http://confluences81.fr/

 

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