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Devoir de vacances n°18 Fascisme d’hier et d’aujourd’hui, par Claude Bourdet (1987)

Publié le mardi, 15 octobre 2013 dans Anti Racismes, No Pasaran !, Point de vue

Retrouvé par Jean Paul DAMAGGIO et publié sur son site http://la-brochure.over-blog.com/, ce texte de Claude BOURDET, datant de 1987 mérite d’être (re)lu et travaillé. . .

Beaucoup de gens s’étonnent de la résurgence d’une extrême droite raciste, agressive et relativement puissante, caractérisée le plus nettement aujourd’hui par le phénomène « Front national ». C’est comme s’il s’agissait d’un événement bizarre apparaissant pour la première fois dans l’histoire française ! On oublie trop facilement, tout d’abord, ce qui s’est passé entre 1940 et 1944 ; le développement, facilité sans doute par la présence nazie et la volonté de Vichy, d’un grand nombre d’organismes fascisants ou fascistes, Légion, SOL et Milice en zone sud, PPF, Francistes, parti national-collectiviste de Clémenti et bien d’autres en zone nord. Vichy et les nazis n’expliquent pas tout. Il y avait évidemment un substratum fourni par les Ligues d’avant guerre, Action Française, Jeunesses Patriotes, PPF de Doriot, Croix de Feu et PSF de La Roque, d’autres encore. 

Conséquence du chômage 

Plus généralement encore, le fascisme, avec son caractère populaire, qui le distingue de la droite classique, a régulièrement tendance à apparaître dans tous les pays quand une fraction inculte et relativement primitive du prolétariat (ou des classes moyennes prolétarisées) a le sentiment que la gauche, que les forces démocratiques, ne s’occupent que peu ou mal de ses besoins. C’est le moment que choisissent les manipulateurs de droite pour proposer au peuple des pseudo-solutions et concentrer ses revendications et ses haines non plus contre la classe dirigeante et ses procédés d’exploitation, mais contre un « ennemi » bientôt chargé de toutes les fautes, juifs, francs-maçons, communistes et socialistes hier, immigrés et communistes aujourd’hui. 


Entre les deux guerres, les causes et les conséquences mal comprises et mal assumées de la première guerre mondiale, puis la crise des années trente, causée par les erreurs du capitalisme mondial, mais auxquelles la gauche du « Cartel » puis du Front populaire n’ont pas su répondre, ont créé les conditions du développement de cette extrême droite. 


Aujourd’hui le changement de structure du capitalisme et un développement du chômage bien plus rapide et vaste qu’avant guerre, développement coïncidant avec une prospérité accrue, un enrichissement considérable de larges couches de la population et l’échec relatif, dans ce domaine, du pouvoir de gauche de 1981 à 1986 ont créé les conditions optima pour une nouvelle résurgence fasciste. 


Mais il y a lieu de se demander aussi si la disparition de l’extrême droite en 1944-45 n’était pas en partie une apparence. Dans l’ensemble, la Résistance avait été populaire et de gauche l’extrême droite, à quelques exceptions près, s’était fourvoyée dans Vichy et la collaboration. Il y a eu à la Libération un véritable escamotage : certains droitiers se sont sans doute sincèrement convertis aux idées démocratiques, mais la majorité des familles et des tempéraments de droite et d’extrême droite ont simplement disparu de la surface sans pourtant abandonner leur idéologie et leur être profond. 


Puis un certain nombre de phénomènes sont intervenus : 

 – La légitimation d’une certaine droite modérée par le MRP, servant de réceptacle démocratique à tous ceux qu’effrayaient communisme et socialisme. 

 – Une réhabilitation encore plus complète avec le gaullisme de 1946-47 et l’apparition du RPF. 

 – La montée du militarisme et du chauvinisme sous la forme du colonialisme, et les diverses aventures coloniales avec en conclusion la guerre d’Algérie, disqualifiant la gauche qui avait laissé se développer ces guerres et qui y avait perdu ses traditions et sa raison d’être. 

 – La claire mise en lumière du stalinisme, provoquant la mise au ghetto du parti communiste français et le développement généralisé de l’anticommunisme dans tout le reste de la population. 

 – La croissance, sur la base de ces erreurs de la gauche, d’une puissante force de droite, le néo-gaullisme, mêlant inextricablement les tendances d’extrême droite à celles d’une droite classique parlementaire et modérée. 

 – La crise de 1968 et tout ce qu’elle a démontré sur l’absence d’ouverture de la société française pour la jeunesse de ce pays. 

– La transformation du capitalisme à partir des années 70, le chômage de structure, l’absence de réponse de la gauche. 


Poujadisme et OAS


On peut penser qu’une partie seulement de ces événements aurait suffi à faire disparaître le reliquat de la situation particulière de 1944-45 et à faire reparaître les forces d’extrême droite momentanément cachées. En fait, elles ont reparu bien plus tôt et sous d’autres formes que le Front national. Ne pensons pas seulement à Poujade. Ce n’est pas par hasard qu’il apparaît une telle similitude entre un dirigeant du SAC comme M. Pasqua et Jean-Marie Le Pen. 


Il y a eu un puissant courant d’extrême droite dans le gaullisme. Il y en a eu un aussi encore plus net, encore plus prêt à adopter les formes du fascisme, dans l’OAS et ses succédanés. 


Mais deux phénomènes ont probablement contribué à retarder l’apparition d’un fascisme véritable : d’une part le fait que de Gaulle, malgré son autoritarisme, n’avait ni le tempérament ni l’idéologie d’un leader fasciste, d’autre part le fait qu’avec la conclusion de la paix en Algérie, approuvée par la grande majorité de la population, le courant politique identifié à l’OAS a perdu sa « base de travail » et s’est trouvé en porte-à-faux et disqualifié, exactement comme les courants fascistes qui avaient joué Vichy et la collaboration. 


Mais il ne suffit pas d’expliquer. Encore qu’il ne soit pas inutile de souligner que le développement de nouvelles formes de fascisme dans notre pays n’était pas inévitable, et que les fautes de la gauche, plusieurs fois au pouvoir depuis 1944, y ont été pour beaucoup, comme elles avaient été pour beaucoup dans la croissance du fascisme en Italie dans les années 20, et en Allemagne dans les années 30. 


Aujourd’hui, il s’agit d’abord de se défendre et le devoir de tous les socialistes, à quelque parti qu’ils appartiennent, comme celui des démocrates dignes de ce nom, est de faire barrage au Front national et aux succédanés qui apparaîtront probablement demain. 


Cependant il faut bien voir que la seule opposition dans les luttes électorales, voire même dans la rue, ne suffit pas. A part toutes les séquelles des erreurs politiques commises depuis la Libération, nous nous trouvons devant un immense scandale que la droite classique fait sans doute actuellement proliférer et fructifier, mais auquel la gauche n’a pas vraiment cherché à porter remède : l’existence de trois millions de chômeurs à une époque où le produit national brut et même le revenu national par tête sont nettement plus élevés qu’ils n’étaient quand il y avait moins d’un million de sans travail, il y a un peu moins de vingt ans. 


Dire qu’on n’y peut rien, que c’est une conséquence des lois économiques (comme si celles-ci ne pouvaient pas être corrigées), aggraver la situation par respect pour « l’Europe », pour le «libre échange», pour la « libre circulation des capitaux », etc., est non seulement économiquement délirant mais politiquement dangereux. 


C’est parce que la gauche allemande n’avait aucune réponse valable à la crise des années 30 qu’Hitler et le nazisme étaient imbattables. Aujourd’hui la droite française a aggravé la situation économique et sociale : cela ne fait que commencer et ce n’est pas étonnant. Mais si la gauche continue à avoir aussi peu d’imagination économique, et à être aussi respectueuse de l’Europe des multinationales et de l’économie mondiale du FMI, il ne faudra pas s’étonner si une fraction encore plus considérable du prolétariat inconscient (mais à qui la faute ?), des classes moyennes appauvries et de la petite paysannerie sacrifiée aux théories échangistes, se jettent dans les bras de n’importe quel sauveur, fut-il aussi dérisoire que Jean-Marie Le Pen.

Claude Bourdet in Autogestion l’Alternative

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