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Retraites : l’alternative cachée

 

A quelques jours du 10 septembre,première date de mobilisation interprofessionnelle retenue par l’intersyndicale CGT, FO, FSU et Solidaires pour s’opposer au projet de loi Ayrault sur les retraites, nous reproduisons ci-dessous le texte du collectif national de défense des retraites (initié par ATTAC et la Fondation Copernic et auquel participent les Alternatifs)

Les mesures annoncées par le gouvernement vont essentiellement peser sur les salariés et les retraités. Alors que la loi Fillon de 2003 prévoyait que l’allongement de la durée de cotisation s’arrêterait en 2020, le gouvernement veut le poursuivre jusqu’en 2035. La durée de cotisation pour avoir une retraite à taux plein passerait ainsi de 41,75 ans en 2020 à 43 ans en 2035.

Cet allongement se traduira soit par le fait de travailler plus longtemps, et donc de reporter l’âge effectif de départ à la retraite, soit par une baisse du niveau des pensions. Le pouvoir d’achat des retraités va être touché par l’entourloupe qui consiste à reporter de six mois l’indexation des pensions ainsi que par la fiscalisation de la majoration de 10 % des pensions des parents de trois enfants. 

Ces deux mesures feront perdre 2,7 milliards d’euros aux retraités. Le pouvoir d’achat des salariés, qui a baissé en 2012, sera aussi touché par l’augmentation des cotisations salariales de 0,15 point en 2014, puis de 0,05 point en 2015, 2016 et 2017, soit une augmentation totale de 0,3 point. Ces mesures s’inscrivent dans une politique d’austérité absurde puisqu’elle n’aura pour seule conséquence que de ralentir l’activité économique, d’augmenter le chômage et donc, in fine, de diminuer le volume des cotisations versées. 

Si une hausse des cotisations patronales est prévue, le gouvernement a d’ores et déjà annoncé qu’elle s’accompagnerait d’une baisse significative des cotisations patronales finançant les allocations familiales afin de faire baisser le coût du travail. Le manque à gagner sera payé pour l’essentiel par les salariés avec une augmentation de la TVA ou de la CSG. Il s’agit là d’une revendication majeure du patronat que le gouvernement vient de satisfaire. 

Si l’ouverture d’un compte pénibilité pour les salariés peut sembler positive, la concrétisation de cette annonce dépendra largement des conditions de sa mise en œuvre. Les mesures concernant les femmes, comme par exemple l’amélioration de la prise en compte du temps partiel, restent largement insuffisantes au vu de l’ampleur des inégalités de pensions entre les femmes et les hommes. 

Au total, la logique globale du projet du gouvernement prolonge les « réformes » antérieures des gouvernements de droite qui consiste, d’une façon ou d’une autre, à faire payer aux sala – riés et aux retraités l’ajustement des régimes de retraite et à refuser de poser la question du partage de la richesse produite.

  Une réforme injuste et dangereuse.

Pourquoi le déficit des régimes de retraites s’est-il aggravé depuis 2010 ?

  Les déficits annuels annoncés des caisses de retraite (14 milliards en 2012, autour de 20 en 2020) n’ont rien à voir avec la démographie, dont les projections n’ont pas changé depuis 2010. Ils sont dus à la crise et aux politiques d’austérité qui s’en sont suivies et qui bloquent l’activité, l’emploi et les cotisations sociales. Dans son rapport de décembre 2012, le Conseil d’orientation des retraites expliwque ainsi « la dégradation beaucoup plus rapide que prévu des comptes des régimes de retraite du fait de la chute des recettes liée à la crise ». Pourtant, ce qui nous est pro – posé aujourd’hui est d’aggraver encore ces politiques. C’est justement ce que veut faire le gouvernement avec la réforme envisagée qui aboutira, d’une façon ou d’une autre, à baisser le montant des pensions. En finir avec l’austérité, relancer l’emploi par une réduction du temps de travail et une politique audacieuse d’investissement en matière sociale et écologique permettraient déjà de résoudre une bonne partie du problème. 

L’espérance de vie augmente, est-ce normal de travailler plus longtemps ?

L’espérance de vie augmente de manière quasi continue depuis 250 ans, ce qui n’a pas empêché que le temps passé au travail dans une vie baisse continuellement en parallèle. De plus, l’espérance de vie « en bonne santé », c’est-à-dire sans incapacité, est beaucoup plus faible. Pire même, elle a baissé ces dernières années . Tout recul du départ en retraite obère de façon non négligeable le temps dont les salarié-es disposent pour jouir réellement de leur retraite. Enfin, les jeunes entrent de plus en plus tard dans la vie active et de nombreux salariés, dont une majorité de femmes, ont des carrières courtes et discontinues et n’arrivent déjà pas à réunir le nombre d’annuités demandé, alors même que les entreprises se débarrassent des salariés âgés. Plus de la moitié des personnes se trouvent ainsi hors emploi au moment où elles liquident leur retraite. L’augmentation de la durée de cotisation ou le report de l’âge légal de départ à la retraite se traduisent en pratique par une pension réduite pour le plus grand nombre. 

Les jeunes seront-ils victimes des mesures envisagées ? 

La solidarité intergénérationnelle a deux aspects. D’une part, les actifs financent le système de retraite et, d’autre part, les salariés âgés laissent leur place dans l’emploi aux nouvelles générations. Ce dernier aspect est particulièrement important en période de stagnation économique. Décaler l’âge de départ à la retraite revient à préférer entretenir le chômage des jeunes plutôt que de payer des retraites. La retraite par répartition repose sur un double contrat implicite. Le travail fourni par la génération qui part à la retraite bénéficie à la génération suivante et cette dernière prend en charge les retraités. Ainsi chaque génération monte sur les épaules de la précédente et la création de richesse est partagée entre actifs et retraités. C’est ce contrat intergénérationnel que le gouvernement et le patronat tentent de détruire puisque les personnes âgées seront maintenues de force en activité (en emploi mais très souvent au chômage), bloquant ainsi l’entrée des plus jeunes, tout en les empêchant d’assurer leur rôle vis-à-vis de leurs ainés. 

Les fonctionnaires sont-ils des privilégiés ? 

Le taux de remplacement (le rapport entre la retraite et le salaire) est similaire entre privé et public. Le COR indique ainsi : « Les taux de remplacement nets sont, en première analyse, du même ordre de grandeur pour les anciens salariés du secteur public et pour les anciens salariés du secteur privé nés en 1942, de l’ordre de 74-75 % pour la médiane » (fiches pour le débat, COR, 2013). Le mode de calcul de la retraite est différent dans le privé et dans le public, mais cela aboutit à un résultat similaire. Dans le secteur privé, la pension de base (à laquelle se rajoute une retraite complémentaire) est calculée sur les 25 meilleures années et les primes sont prises en compte. Dans le public, c’est le salaire des 6 derniers mois, mais les primes ne sont pas prises en compte. Le gouvernement actuel, comme les précédents, laisse entendre que les fonctionnaires sont « privilégiés » parce qu’on calcule leur pension sur leur rémunération de fin de carrière, l’idée sous-jacente étant de légitimer une possible modification du calcul (le rapport Moreau évoque un passage aux 10 dernières années). Une telle mesure entraînerait une baisse immédiate de la pension des fonctionnaires. À l’inverse, appliquer un calcul sur les 6 derniers mois aux salariés du privé aurait un effet désastreux sur leurs pensions ! D’une part, les carrières du privé ne sont pas ascendantes comme celles des fonctionnaires : ce sont souvent des carrières en « cloche » notamment pour les moins qualifiés, ce qui veut dire qu’ils ne perçoivent pas leurs meilleurs salaires en fin de carrière. D’autre part, plus de la moitié des salariés du régime général, qui à 50 ans étaient en emploi, n’y sont plus à l’âge légal de départ en retraite (62 ans). Ils sont au chômage, en préretraite ou sont redevenus inactifs (en particulier les femmes). Calculer leur pension sur leur revenu de fin de carrière serait une catastrophe pour eux et pour elles. C’est d’ailleurs pour cela que dans le régime général on calcule la pension sur les « meilleures années ». 

Pour améliorer les pensions du privé, il faut les calculer non plus sur les vingt-cinq meilleures années comme actuellement, mais revenir aux dix meilleures comme avant la contre-réforme Balladur de 1993. Cette mesure est, de plus, indispensable pour limiter la pénalisation des carrières courtes. 


Les retraités sont-ils si riches ? 

Les retraités sont eux aussi présentés comme des privilégiés par rapport aux actifs. Or, leur niveau de vie moyen est inférieur à celui des actifs, ou seulement équivalent lorsque sont intégrés les loyers imputés et les patrimoines. Cela n’est d’ailleurs qu’une moyenne, qui ne rend pas compte du fait que ce sont les tranches de revenus les plus élevés qui concentrent les revenus du patrimoine. Si le taux de pauvreté est aujourd’hui le même pour les actifs et les retraités (10,2 % en 2010), celui des retraités est en augmentation, passé de 8,5 % en 2004 à 10,2 % en 2010 avec, comme le remarque le rapport Moreau, une hausse encore plus forte pour les plus de 75 ans, et « au sein de cette population les femmes isolées (notamment les veuves) sont surreprésentées ». Les retraités ont été touchés par les effets cumulés des contre-réformes passées, et cela va continuer dans l’avenir. Le COR prévoit qu’à l’horizon 2060 le niveau relatif des pensions par rapport à celui des actifs va encore diminuer de 15 à 25 % selon les scénarios économiques. L’argument qui consiste à faire payer les retraités au prétexte qu’ils seraient plus riches que les actifs n’est donc pas fondé. Mais, au-delà, la question fondamentale est de savoir si les salariés doivent voir leur niveau de vie baisser au moment où ils partent en retraite. De fait, les discours patronaux et gouvernementaux considèrent que cela doit être le cas. Au contraire nous considérons que la pension doit être la continuation du salaire, ce que le régime général de la Sécurité sociale admet en calculant le montant de la retraite sur les meilleures années de salaire, même si le nombre de ces années a fortement augmenté depuis 1993. 

Y aura-t-il trop de retraités et pas assez d’actifs ? 

Les projections démographiques ne sont pas des vérités scientifiques et sont basées sur des hypothèses concernant plusieurs paramètres (fécondité, chômage, taux d’activité des hommes et des femmes, etc.). Déjà, depuis les années 1990, les projections ont beaucoup varié. Ainsi, tous les rapports officiels prévoyaient un effondrement de la natalité. Il n’en a rien été. Jusqu’à récemment, les mêmes rapports prévoyaient un effondrement de la population active dans le futur. Les dernières prévisions de l’Insee font maintenant apparaître une augmentation de la population active jusqu’en 2015 puis une stabilisation par la suite. En outre, certaines hypothèses retenues pour l’évolution de la population active sont régressives : rien ne justifie en effet de projeter, dans la tranche de 25 à 49 ans, un taux d’emploi des femmes inférieur de plus de 10 points à celui des hommes si ce n’est renoncer à toute politique visant l’égalité entre les femmes et les hommes. De marges de manœuvre existent pourtant dans ce domaine, et un niveau d’emploi égal entre les femmes et les hommes signifierait un nombre d’actifs supérieur de 5 % a minima. De plus, le ratio qui rend compte de la « charge » globale qui pèse sur les actifs occupés, celui des personnes hors emploi rapporté aux personnes en emploi, ne connaît aucune dégradation notable par rapport aux décennies passées. 

Pourra-t-on financer les retraites ? 

Les difficultés de l’économie française ne sont pas dues au coût du travail mais au coût exorbitant que fait subir le capital à la société. En trente ans de néolibéralisme, la part dévolue aux dividendes a augmenté de 5 points de pourcentage de la valeur ajoutée des entreprises, aux dépens des salaires et de la protection sociale. Et malgré la crise, les dividendes continuent d’augmenter. En 2012, les entreprises ont distribué 230 milliards de profits, ce qui représente un « surcoût » du capital de 100 milliards par rapport aux « normes » des années 1970-1980. Or le COR indique qu’il faudrait un point de PIB supplémentaire par an à l’échéance 2020 pour équilibrer le système de retraite, ce qui correspond à 2 points de prélèvement supplémentaire sur les revenus d’activité. Il est donc possible de relever progressivement les cotisations patronales en baissant en parallèle les dividendes versés aux actionnaires. De plus, il serait aussi possible de soumettre à cotisation les dividendes distribués. L’investissement productif ne serait ainsi pas touché et cette mesure n’aurait pas d’impact sur les prix. La sacro-sainte compétitivité des entreprises serait donc épargnée. Mais il est vrai, et c’est là que le bât blesse, cela suppose un « choc de répartition » et non un choc de compétitivité. Bref, des solutions existent à condition de rompre avec les politiques actuelles et la logique d’un capitalisme financier prédateur. 

 Quel modèle de société se profile derrière les retraites ? 

Le débat politique et citoyen sur les retraites doit montrer que l’enjeu est un véritable choix de société, et cela sur plusieurs plans. Il y a d’abord une dimension de répartition juste de la richesse produite, entre groupes sociaux d’une même génération et entre les générations. Mais, au-delà de la question du financement, un système de retraites indique dans quel sens veut s’orienter la société : maintenir les uns au travail et les autres au chômage ou bien permettre à tous de dégager du temps pour soi, pour créer de la sociabilité, pour participer à la vie de la cité sous tous ses aspects, dans et hors de l’acte productif ? L’enjeu de l’émancipation se joue aussi dans le travail lui-même, et elle doit être pensée simultanément dans toutes les sphères de l’existence, en liaison avec la transformation des finalités et de la structure de la production. Le travail, durant toute la vie dite active et dans tous les secteurs, doit donc être transformé, afin de le soustraire à la logique de la rentabilité, à l’impératif de compétitivité – sous-entendu d’intensification –, au stress et aux conditions dégradantes. Mais, en parallèle, la pénibilité actuelle de nombreux métiers doit être reconnue – en veillant à ne pas oublier celle qui caractérise les métiers féminins – et prise en compte dans les conditions d’accès à la retraite, notamment par des bonifications automatiques sous forme de trimestres gagnés, pour compenser en urgence les inégalités d’accès en retraite en bonne santé. Faire reculer l’aspect de marchandise du travail est devenu un enjeu vital, qui n’est pas sans rapport avec la définition d’autres finalités pour la production de biens et services. Enfin, la crise écologique nous conduit à moins fonder le financement des retraites et de la protection sociale dans son ensemble sur l’augmentation de la production future que sur la qualité de celle-ci, dont un critère essentiel est l’utilité sociale, et sur son partage, afin de bâtir un modèle de développement vraiment soutenable.

Fonder un système de retraites solidaire renvoie donc à la place du travail dans la société et dans la vie de chaque individu.

La retraite ne doit pas être la compensation d’un travail aliénant pendant toute une vie.

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