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Sortir de l’euro ? Sortir de l’Europe ? Raoul-Marc JENNAR – Tribune libre

Publié le vendredi, 30 août 2013 dans Gauche de combat, Notre Economie et la leur, Point de vue

rmjennar2-195x300Comme promis à un lecteur de mon blog, je reviens sur le sujet de l’euro. J’ai lu attentivement les arguments des uns et des autres, en particulier ceux de mes amis Frédéric Lordon et Pierre Kalfa, en opposition sur le sujet. J’ai, à Grenoble, lors des ateliers qui lui étaient consacrés par le Parti de Gauche puis par le Front de Gauche, écouté attentivement les échanges à ce propos. Je ne suis pas un économiste et, dans une matière d’une telle complexité où, de surcroît, on a pu observer à de multiples reprises que l’économie est loin d’être une science exacte, mais plutôt une discipline faite de spéculations (sans mauvais jeu de mots), je m’efforce de retenir ce que la raison ne peut contester.

J’observe que le statut (indépendance totale à l’égard des instances issues du suffrage universel) et les missions (lutter contre l’inflation sans se préoccuper du développement économique et de la justice sociale) de la BCE sont insupportables et que le moins qu’on puisse envisager est de les modifier radicalement. J’observe également que le passage à l’euro s’est opéré dans des conditions scandaleuses de laisser faire, laisser aller. Tous les abus ont été autorisés au mépris du coût de la vie des plus faibles. J’observe enfin qu’il y a une dynamique de démantèlement de tous les encadrements de la finance qui furent mis en place après la grande crise des années 30 et à la Libération et qu’on n’a jamais été aussi loin dans la dérégulation des activités financières. Voilà déjà trois pistes sur lesquelles on pourrait avancer pour proposer des alternatives.

Par ailleurs, nul ne peut contester que l’UE telle qu’elle est résulte de la volonté des gouvernements successifs depuis 1957. Si j’excepte la jurisprudence de la Cour de Justice de l’UE qui, à partir d’une interprétation extensive des traités, crée du droit, force m’est d’observer qu’on fait grief à l’UE d’être ce que les Etats (et donc les gouvernements successifs) on voulu qu’elle soit de 1957 à nos jours. Ce n’est pas une institution autonome qui a créé l’euro, ce sont les gouvernements (et donc les Etats) qui ont négocié et signé le traité de Maastricht. Les Etats, dans lesquels certains, avec un enthousiasme que je comprends mal, voient le recours miraculeux, ne sont donc pas, per se, ceux qui peuvent apporter le remède à un mal qu’ils ont eux-mêmes créés. La rupture avec l’Europe telle qu’elle est et l’euro tel qu’il est exige d’abord une rupture avec la France telle qu’elle est dirigée depuis tant d’années.

Enfin, je veux aborder la question de la souveraineté populaire, essentielle, primordiale. L’héritage des Lumières et de 1789. Souveraineté populaire et monnaie (qui en est une des manifestations) vont de pair. Je n’ai pas cessé de dénoncer la construction européenne comme une « soustraction démocratique » (Lordon)  parce que la volonté de légitimer une souveraineté populaire européenne a toujours été absente chez tous les gouvernements incapables d’accepter qu’il n’y a pas concurrence, mais bien complémentarité entre la souveraineté populaire qui s’exprime au niveau de l’Etat et celle qui s’exprimerait au niveau de l’Europe. Nul ne peut nier que la création de l’euro qui aurait été inscrite dans un processus soumettant les choix opérés dans le traité de Maastricht à la sanction populaire dans toute l’Europe des Quinze aurait débouché sur un autre euro géré autrement par une autre BCE.

La question maintenant est de savoir comment se sortir de ce piège infernal : sortir de l’Europe et de l’euro ? C’est mettre fin définitivement à tout espoir d’une union démocratique et sociale des peuples d’Europe. C’est renoncer à l’exigence de solidarité entre les peuples qui doit primer entre Européens pour qu’elle puisse s’exprimer à l’égard des autres peuples du monde. En ces temps de montée en puissance des égoïsmes, des nationalismes et des fascismes, le risque est grand de se retrouver dans une situation analogue à celle des années 20. Je me souviens que lors de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie, sans concertation, tout de suite, retrouvant des affinités d’avant 1914, l’Allemagne a reconnu la Croatie et la France a reconnu la Serbie. Ce qui a pour beaucoup nourrit le conflit en gestation. Nous sommes dans un monde multipolaire avec des firmes transnationales plus fortes que jamais dont les moyens dépassent parfois le PIB d’un pays comme la France. Pour rendre aux peuples d’Europe la souveraineté à laquelle ils ont droit, un effet de taille s’avère indispensable hors duquel, c’est la colonisation assurée par le pouvoir privé.

Il nous faut trouver autre chose pour bloquer le rouleau compresseur néo-libéral. Qu’on se souvienne de 1966 : la France estime alors que ses intérêts agricoles sont gravement lésés. Elle suspend sa participation aux travaux des institutions européennes. Neuf mois plus tard, elle obtient satisfaction. C’est la stratégie que je propose. Ne pas remettre en cause le principe d’une union des peuples d’Europe, mais exiger une renégociation complète des traités pour une refondation démocratique, sociale et écologique de l’UE. Tant qu’on ne l’obtient pas – ce qui ne devrait pas durer, car la France qui demanderait cela serait vite rejointe par plusieurs Etats – on ne discute plus, on ne négocie plus, on ne participe plus aux instances de l’UE. C’est une stratégie de la chaise vide qui ne porte pas en elle le risque d’un retour au paysage européen que l’on a connu dans un passé dominé par les nationalismes. Contrairement à ce que certains pensent, la guerre est une tentation à laquelle certains ne résistent pas. Et je prends comme un bien extrêmement précieux les 68 années de paix dont nous profitons, la plus longue période de paix au regard des 1945 années de guerres successives qui l’ont précédée (pour ne parler que de notre ère). Ceux qui ignorent si souvent l’Histoire et ses leçons feraient bien d’y réfléchir.

Je voudrais terminer en appelant à un débat paisible et serein sur ces questions. La passion que certains mettent de part et d’autre réduit l’espace de la raison pourtant si nécessaire. Point n’est besoin de caricaturer le point de vue de l’autre. La matière est déjà assez complexe et la gauche de transformation sociale et écologique renforcerait sa crédibilité en présentant au peuple un échange d’arguments certes compréhensibles, mais aussi courtois.

rmj  – raoul marc jennar

26.08.2013

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