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vendredi, 10 mai 2013 dans
A Gauche. . . toute !, Gauche de combat
Hommage à Denis Berger, un camarade au parcours militant et à la réflexion riches
Denis Berger est mort dans la journée de lundi à la suite d’une longue maladie. Celles et ceux qui l’ont connu savent son parcours et son apport infatigable à la pensée et l’action révolutionnaires. Pour lui, le militantisme se devait de produire sa propre culture politique. Le courage était sa marque de fabrique. Il fit partie de ceux que l’on appelait des « porteurs de valise » pendant la guerre d’Algérie. Il fut plus souvent oppositionnel que « dans la ligne », au PCF comme à la LCR. Il fréquenta bien des milieux, se rapprocha et s’éloigna de bien des esprits forts, travailla avec Félix Guattari au sein de la Voie Communiste dans les années 60 ou avec Jean-Marie Vincent, collabora aux Cahiers de Mai, à Futur Antérieur, dirigea Variations. Chercheur passionné, enseignant passionnant, il ne cessa de bouger, d’évoluer tout en essayant de défendre ses valeurs. Ceux celles qui le rencontraient savaient sa souffrance, son corps en témoignait, et appréciaient toujours son envie de débattre.
Les Alternatifs
Un héros de notre histoire
Denis Berger nous a quittés. Marxiste hétérodoxe, communiste dissident, universitaire non académique, il avait appartenu a la petite poignée de militants anticolonialistes qui, pendant la guerre d’Algérie, ont sauvé l’honneur internationaliste de la gauche française en soutenant activement le combat du peuple algérien.
Denis Berger est le premier ami que j’ai eu en France. J’ai fait sa connaissance en 1963, quand il animait, avec Felix Guattari, La voie communiste. Il était chaleureux, doté d’un humour ravageur, allergique à tout dogmatisme. Pendant ces cinquante années, et au delà des accords ou désaccords que nous avons eus à tel ou tel moment, nous avons gardé ce don précieux et fragile : l’amitié. Lors de notre dernière rencontre, il y a quelques mois, j’étais à nouveau frappé par sa formidable lucidité politique et la fidélité obstinée à l’idée communiste de Marx.
Denis Berger va nous manquer…
Je me permets de reproduire ici, telle quelle, la notice sur lui que j’avais rédigée pour le Dictionnaire du Mouvement Ouvrier Français (le « Maitron ») il y quelques années.
Michael Löwy
Denis Berger 1932 – 2013
Denis BERGER, Paris (7ème arrondissement), 11 juin 1932. Dirigeant communiste oppositionnel, fondateur du journal La voie communiste, actif dans les réseau de soutien au FLN pendant la guerre d’Algérie. Enseignant au département de sciences politiques de l’Université de Paris 8 à partir de 1982. Denis Berger a exercé une influence souterraine importante sur l’extrême-gauche française des années 50 et 60, en particulier à travers le journal La voie communiste, dont il fut le principal animateur.
Malgré la grande diversité de ses engagements politiques et organisationnels successifs et souvent éphémères, l’adhésion à un communisme de gauche, antistalinien, anticolonialiste et anti-impérialiste, donne le fil rouge de sa vie militante.
Son activité militante commence en mars 1950, quant il adhère à la cellule étudiante du Parti Communiste Internationaliste (PCI), Section Française de la Quatrième Internationale. Sa première action importante sera la participation à la brigade de travail « 14 Juillet » -organisée par le PCI en solidarité avec la Yougoslavie – qui va contribuer à construire une Cité Universitaire à Zagreb (été 1950). De retour à la cellule étudiante du PCI, il participe aux ventes du journal trotskyste « La Vérité » aux portes de la Sorbonne, et se trouve dans l’obligation de se défendre contre des attaques musclées de militants du PCF. Lors d’un meeting le 9 février 1953, il va se confronter personnellement, à coups de gourdins, avec Le Pen et ses hommes, qui interviennent aux cris de « Vive la réaction ! ».
Lors de la scission du PCI, il se solidarise avec le courant de Pablo et Frank, et accepte de mettre en pratique l’orientation « entriste » adoptée par la majorité du Secrétariat International de la Q.I. (mais seulement la minorité du PCI). Il adhère donc en 1953 au PCF, où il devient membre – et bientôt secrétaire – de la cellule « Saint Just », composée d’étudiants d’histoire, où il côtoyé Alain Besançon, Claude Mazauric et Paul Boccara. Il reconnaît, devant ses camarades du PCF, avoir été un « trotsko-titiste », et se trouve, pour cette raison, écarté du comité de section. Parallèlement, il devient un des responsables du « travail entriste » du PCI, et bientôt membre de son Comité Central et de son Bureau Politique (1955).
Devenu instituteur à Saint Ouen en 1954, D.Berger passe à militer dans des cellules de banlieue du PCF. En 1956, suite au XXème congrès du PCUS et aux « événements » d’Hongrie, des courants dissidents apparaissent au sein du PCF. Felix Guattari, psychiatre ex-trotskyste, propose à des étudiants de la cellule de philo du Parti avec lesquels il est en contact -Lucien Sebag, Anne Giannini, et d’autres – la fondation d’un bulletin d’opposition interne : « Tribune de Discussion ». D.Berger rejoint ce groupe, qui va bientôt adhérer au PCI, et publier des prises de position radicales contre l’invasion soviétique en Hongrie.
La « Tribune » entre peu après en contact avec un autre groupe de militants oppositionnels du PCF – Victor Leduc, Jean Pierre Vernant, Yves Cachin, Gerard Spitzer – qui a des opinions plus ambivalentes sur les événements hongrois, et qui avait crée son propre bulletin : « l’Etincelle ». Certains intellectuels oppositionnels – comme Henri Lefebvre et François Châtelet – collaborent aux deux bulletins, qui finiront après quelques discussions, par fusionner au printemps 1957, en produisant une publication conjointe sous le titre « Etincelle -Tribune de Discussion ».
La dénonciation de Denis Berger et de ses amis comme trotskystes par l’ex-militante du PCI (devenue pro-soviétique) Michelle Mestre provoque le départ de Victor Leduc et de ses amis de « l’Etincelle » à la fin 1957.
Quelques mois plus tard Gerard Spitzer, qui avait rejoint le bulletin « La Tribune de Discussion », convainc le groupe à s’engager à fond dans la combat contre la guerre coloniale en Algérie. C’est à ce moment, début 1958, que Denis Berger décide, avec ses camarades, de lancer un journal, La Voie Communiste, qui se présente toujours comme une opposition interne du PCF, mais s’adresse en fait à un public plus large. Soutenu financièrement pendant une (très) courte période par J.P.Sartre, la publication aura comme principale ressource la clinique de Laborde, à Cour-Cheverny, où exerce Felix Guattari.
Pendant ce temps, un débat s’ouvre au sein du PCI : tandis que D.Berger propose que le parti rejoigne un regroupement large avec des oppositionnels du PCF, limitant l’activité trotskyste à une revue théorique, Pierre Frank et la majorité – soutenus par les dirigeants internationaux, Michel Pablo et Ernest Mandel – insistent sur la construction du PCI comme noyau du parti révolutionnaire. La confrontation aboutit à la rupture et au départ fin 1958 de D.Berger et ses camarades – Lucien Sebag, Anne Giannini, Gabriel Cohen-Bendit, Felix Guattari.
La Voie Communiste, qui s’est renforcé avec l’adhésion de Simon Blumenthal, Roger Rey et d’autres, décide de soutenir le FLN, et prend contact avec la Fédération de France du mouvement indépendantiste algérien. Arrêté le 5 décembre 1958 avec un groupe de militants français et algériens – dont Moussa Khebaïli, chef de la willaya Paris-périphérie – D.Berger passe dix jours dans les caves de la DST, mais – contrairement aux militants maghrébins – n’est pas torturé, et finit par être libéré par absence de preuves.
Exclu du PCI fin 1958 et du PCF en 1960 – il avait en fait cessé de militer dans ce parti – D.Berger connaît aussi des difficultés internes dans La Voie Communiste, où il se trouve, pendant quelques temps, marginalisé. Il se consacre essentiellement, avec certains amis de la V.C. comme Roger Rey, à l’aide au FLN, en se spécialisant dans l’évasion de militants anticolonialistes. Ainsi, le 7 janvier 1961, ils préparent, avec l’aide de Gerard Spitzer, lui aussi emprisonné à Fresnes, la fuite de Mohamed Boudiaf et deux de ses compagnons – Doum et Bensalem – mais seulement ce dernier réussira à partir. L’opération la plus réussie a été l’évasion de six femmes du réseau Jeanson – deux algériennes et quatre françaises (dont Micheline Pouteau et Hélène Cuénat) – de la prison de la Roquette en février 1961, et leur sortie clandestine de la France (vers la Belgique).
En mai 1962, pendant les négociations d’Evian, les algériens demandent à Denis Berger et Roger Rey d’aider à l’évasion de leurs principaux dirigeants, Ben Bella, Ait Ahmed et Mohamed Khidder, enfermés au château de Turquant près de Saumur. D.Berger et ses amis trouvent une galerie souterraine qui mène aux caves du château, mais un coup de téléphone malencontreux de Ben Bella à Rabah Bitat (emprisonné à Fresnes) met la police aux aguets et fait avorter la tentative.
Au moment de l’Independance de l’Algérie D.Berger et ses amis de La Voie Communistedécident de soutenir Mohamed Boudiaf et son Parti de la Révolution Socialiste, plutôt que Ben Bella. Le groupe suit de près les événements en Algérie indépendante, mais s’intéresse aussi aux critiques chinoises à la politique soviétique, qui commencent à s’exprimer à cette époque. Cette question provoque des tensions internes, et en 1965 le groupe éclate, avec le départ de Felix Guattari et plusieurs autres.
D.Berger – avec quelques proches – continue à publier un bulletin, bien plus modeste, intitulé « La Voie ». Pendant les années qui suivent, il s’investit surtout dans le Comité Vietnam National et dans le Tribunal Russel contre les crimes de guerre au Vietnam, deux organisations où il exerce des fonctions de secrétaire. Il participe aux séances du Tribunal Russel à Stockholm et Copenhagen, ainsi qu’à une mission d’enquête – composée entre autres par le dirigeant noir américain Stokely Carmichael et Mehmet Ali Aybar du Parti Ouvrier Turc – envoyée par celui-ci au Vietnam en été 1967. En mai 1968 il prend part aux événements sans jouer un rôle particulier.
Après l’éphémère tentative de publier la revue Front (avec le soutien du FLN algérien) en 1969-70, D.Berger et ses amis de « La Voie » – dont sa compagne, Michelle Riot-Sarcey – décident, en 1971, d’adhérer au Parti Socialiste Unifié, où ils s’intègrent dans le courant marxiste-révolutionnaire animé par Jean-Marie Vincent et Jacques Kergoat. Lorsque en 1972 la plupart des militants de cette tendance décident d’adhérer à la Ligue Communiste Révolutionnaire, Denis Berger quitte lui-aussi le PSU, mais n’adhère à l’organisation trotskyste que trois ans plus tard (1975).
Devenu chargé de cours à temps plein au département d’Economie Politique de l’Université de Paris 8 (Vincennes) en 1972, il milite à la cellule de la LCR dans cette université, en compagnie de Jean-Marie Vincent et d’Henri Weber. Il participe au comité de rédaction de la revue de la Ligue,Critique Communiste et contribue à la formation – avec Michel Lequenne – en 1977, d’un courant oppositionnel dans la LCR, la T-3 (Tendance Trois). Ses principaux désaccords avec la ligne de l’organisation concernent la stratégie de construction du parti, et la conception trotskyste classique sur la nature de l’URSS. Lorsque D.Berger, Michel Lequenne, J.M.Vincent et d’autres rédacteurs de Critique Communiste condamnent l’invasion soviétique en Afghanistan, ils se verront infliger un « blâme » par la direction de la Ligue.
Lors du départ de plusieurs militants de la T-3 en 1985, il quitte de façon discrète la LCR, mais contrairement à la plupart de ces camarades, ne rejoint pas le parti Vert. A partir de cette date, D.Berger n’appartient plus à aucun organisation politique, mais continue à avoir des activités politiques et syndicales (il est militant du SGEN depuis 1972).
Devenu assistant au département de Sciences Politiques de l’Université de Paris 8 en 1982, il passe son doctorat en 1988 avec une thèse intitulée « Les partis politiques : essai méthodologique. Le cas du PCF », sous la direction de J.M.Vincent et est élu maître de conférences en 1989.
Si dans le passé ses écrits prenaient surtout la forme d’articles de revues et journaux, il publie à partir de cette date deux ouvrages qui auront un certain retentissement dans l’opinion de gauche : Le spectre défait. Le fin du communisme?, (1990) et, avec Henri Maler, Une certaine idée du communisme. Répliques à François Furet(1996). Il participe aussi à plusieurs ouvrages collectifs et est un des fondateurs (1990) de la revue Futur Antérieur .
Récemment, renouant avec son passé de communiste oppositionnel, il participe à la rédaction du journal du courant communiste refondateur du PCF, Futurs.
ŒUVRES : Le spectre défait. Le fin du communisme?, Paris, Editions Bernard Coutaz, 1990; avec Henri Maler, Une certaine idée du communisme. Répliques à François Furet , Paris, Editions du Felin, 1996. Participation aux ouvrages collectifs Permanence de la Révolution (Editions la Brèche, 1989), Femmes, Pouvoirs (Kimé, 1993), Démocratie et Représentation(Kimé, 1995), Marx après le marxisme(L’Harmattan, 1997) et Faire Mouvement(PUF, 1998). SOURCES: Hervé Hamon, Patrick Rotman, Les porteurs de valises. La résistance française à la guerre d’Algérie, Paris, Albin Michel, 1979; Ali Haroun La Septième Willaya, Paris, Seuil, 1986. Entretien avec D.Berger, novembre 1998.
Cet hommage a été publié sur le blog de Michael Löwy sur Médiapart
Mon ami, mon camarade Denis Berger est mort
Par Salhi Chawki
J’ai rencontré Denis Berger à Paris en 1974, il avait, comme Mohamed Harbi, contribué aux conférences publiques de notre syndicat étudiant de l’époque : l’AGEAP (l’association des étudiants algériens de Paris), heureux de rencontrer de jeunes marxistes venus d’une Algérie qui avait été importante dans sa vie, surpris d’apprendre que nous avions construit en Algérie un noyau marxiste révolutionnaire sans aucune filiation avec les combats de sa génération. Il était loin d’être envahissant et encore moins paternaliste.
Militant de la quatrième internationale, il avait participé à l’expérience entriste au sein du PCF et aux solidarités internationales menées par les oppositionnels du parti (yougoslavie, algérie). Mais trés vite il continuait son activité de façon indépendante autour du bulletin voie communiste.
C’était un militant marxiste révolutionnaire à la vie foisonnante. Homme de réflexion, rédacteur de nombreuses analyses, il était aussi un homme d’action. Il avait soutenu la guerre de libération du peuple algérien, et de quelle manière, organisant notamment des évasions de militants et de cadres du FLN. Il m’avait raconté sa déception lorsque par deux fois il a failli faire évader les célèbres emprisonnés et par deux fois, une « imprudence » de Ben Bella avait compromis l’opération.
A l’indépendance, il s’était investi dans l’aide politique au PRS (parti de la révolution socialiste) de Boudiaf et avait notamment contribué aux textes de sa première époque. Lorsqu’en 1975, il retourne à la quatrième internationale et rejoint la LCR, la déclaration de leur groupe est brève mais puissante. De mémoire je dirai que la trame en était…
Nous avons divergé sur l’importance de l’organisation, l’Histoire a tranché : nous sommes quelques uns et la LCR rassemble plusieurs milliers de militants… Tout de suite, il s’investit dans les débats passionnés de l’époque pour mieux comprendre sa société, l’URSS… pour mieux savoir comment agir comment se construire. Il quittera son organisation dix ans plus tard mais restera actif. Mon camarade Michael Loewy disait de lui : « Malgré la grande diversité de ses engagements politiques et organisationnels successifs et souvent éphémères, l’adhésion à un communisme de gauche, antistalinien, anticolonialiste et anti-impérialiste, donne le fil rouge de sa vie militante. » Un héros de notre Histoire est parti, nous ne l’oublierons pas.
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