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TRIBUNE LIBRE : au sommet social, le Medef exige de pouvoir licencier sans motif. Il veut des « salariés kleenex » par Gérard Filoche

Publié le mercredi, 9 janvier 2013 dans Social, TRAVAIL

Quel est le fond de l’offensive du Medef pour la dernière réunion du sommet social des 10 et 11 janvier ? Imposer les pactes de compétitivité de Sarkozy (appliquer l’article 40 de la loi Warsmann du 22 mars 2012) et pouvoir licencier sans motif.

Retour du CNE, du CPE étendu et généralisé : C’est le but du Medef depuis une décennie maintenant : il avait poussé au « CNE » « contrat nouvelle embauche » dans l’été 2005. Puis Villepin avait cru lui plaire avec le « contrat premier embauche » en 2006. Le but de ces deux tentatives, qui avaient alors échoué, était le même : ouvrir la brèche au licenciement sans motif. Le CNE voulait créer une prétendue période d’essai de DEUX ANS où l’employeur pouvait interrompre à tout moment le contrat sans avoir à se justifier. La fonction du CPE était la même, il devait être appliqué aux jeunes pendant DEUX ANS. Cela va contre les conventions de l’OIT qui exige que les périodes dites d’essai ne dépassent pas SIX MOIS.

Quand cela avait été contesté puis rejeté sous la double pression des luttes sociales et de la justice, le Medef avait, avec Xavier Bertrand et la direction de la CFDT réussi à faire passer la prétendue « rupture conventionnelle » dont la caractéristique principale est de n’avoir pas besoin de MOTIF.


La « rupture conventionnelle » : viré sans motif avec votre consentement formel

Depuis l’accord de janvier 2008, et cette loi d’aout 2008 rentrée en application le 1er octobre 2008, il y a eu UN MILLION de « ruptures conventionnelles »  c’est devenu la plus importante façon de supprimer les contrats et d’alimenter les inscriptions à Pôle Emploi. Les patrons se sont rués dessus : c’est le plus grand plan « pas social « , 250 000 par an.

La preuve que quand la rupture du contrat est facilitée ça ne facilite pas l’embauche mais la débauche ! Or c’est l’argument n°1 que le patronat développe depuis 1986 quand il avait exigé de Chirac et Séguin que le contrôle administratif sur les licenciements soit supprimé. A l’époque, le leader du CNPF, Yvon Gattaz avait assuré que « si on facilitait les licenciements, il y aurait un pic d’embauche de 400 000 emplois ». En fait comme pour les « ruptures conventionnelles »  d’aujourd’hui, il y avait eu un « pic » de 400 000 licenciements en 1986.

Dimanche 6 janvier, 20 h 20, sur le journal télévisé de France 2, l’ultra libéral François Lenglet, commentant le « sommet social » du 10 janvier, a repris sans précaution cette incroyable inversion patronale : « Pour pouvoir mieux embaucher, il faut pouvoir mieux licencier ». La preuve pratique du contraire a été faite depuis 20 ans ! Mais ça ne fait rien, Laurence Parisot avance aux forceps : elle a inventé l’idée qu’il faut remplacer « licenciement »  par « séparabilité »  « le licenciement c’est comme un divorce » . Et elle croit qu’elle peut échanger cette concession fondamentale contre quelques petits compromis sur des points secondaires espérant que la direction de la CFDT signe.

Rupture de gré à gré, au détriment du droit démocratique Il s’agit de remplacer le droit encadré du licenciement par un droit de gré à gré, comme au XIXe siècle. En revenir aux loueurs de bras. Parisot réclame aussi, au passage, subsidiairement, des « contrats de mission » : pour un travail donné, des contrats de « chantiers »  dans toutes les branches. C’est à l’employeur d’apprécier quand la mission est finie, le salarié n’a plus de droit humain à faire valoir, sa « mission »  l’emporte sur sa vie…

Si le licenciement est « comme un divorce », alors comme dans les vieilles traditions du divorce, c’est toujours le même qui garde les meubles ! C’est toujours le patron même en difficulté qui garde les locaux, les machines, ce qu’il a gagné dans les années antérieures, ce qui reste de capitaux, le salarié, lui n’a rien, que son mouchoir pour pleurer face aux tracasseries du Pôle Emploi.

Car le grand paradoxe c’est que le patronat veut pouvoir rompre le contrat sans motif, mais qu’il exige du salarié qu’il ne puisse refuser des emplois (moins payés, moins qualifiés) du Pôle Emploi… sans motif ! Un patron qui « vire » sans motif voit ses affaires facilitées mais un salarié qui, sans motif, refuse un emploi est radié.

Le licenciement SANS MOTIF est la pire atteinte à la dignité humaine : c’est le droit pour le patron de dire « dehors » sans avoir à s’expliquer ! Sans avoir à dire pourquoi ! Vous perdez votre boulot comme c’est déjà le cas aujourd’hui, mais sans recours ! Dehors sans vous dire pourquoi. Dehors, vous n’êtes qu’un kleenex. Dehors, au seul bon plaisir de l’employeur. Dehors de droit divin. Dehors a tout moment ! Dehors, vous êtes jetable de façon arbitraire. Nul patron ne doit vous donner ses raisons : et si vous n’avez plus de MOTIF vous n’avez plus de recours ! Vous ne pouvez plus attaquer le licenciement comme étant « sans cause réelle et sérieuse«  » ou comme étant « abusif ». C’est le « modèle » américain : en dix minutes vous prenez vos affaires et vous quittez la boite, pas besoin de vous en dire plus. Même si vous êtes là depuis 5 ans, 10 ans, 20 ans.

Dans le cas de la « rupture conventionnelle » il y faut, il est vrai, la signature c’est à dire en principe l’accord du salarié : mais le salarié est « subordonné »  il n’est pas à égalité dans la relation avec l’employeur. Ce qui caractérise un contrat de travail c’est un « lien de subordination juridique permanent ». Il n’ y a pas d’égalité dans la relation de travail employeur-employé. Il n’y a pas de démocratie ni de citoyenneté dans l’entreprise, c’est l’employeur qui décide de la naissance du contrat, de la gestion du contrat, de la rupture du contrat.

S’il existe un « code du travail » et un « droit du licenciement » , c’est en contrepartie de cette subordination incarnée dans le contrat ! Laurence Parisot organise d’ailleurs régulièrement des colloques pour tenter de remplacer la  « subordination juridique » par la « SLC » : « soumission librement consentie »  dans le but de supprimer le droit car selon elle « « la liberté de penser s’arrête là où commence le code du travail ».

Sur un million de salariés ayant « accepté » de signer une « rupture conventionnelle »,  plus des 2/3 n’avaient pas le « choix ». Elle leur a été imposée de facto. Ils ont gardé le minima, des indemnités et un préavis, la possibilité d’être inscrits au Pôle Emploi, et de toucher leur assurance chômage, mais ils y ont perdu leur emploi… et restent sur le pavé (sans formation, sans reclassement, sans compensation réelle). Des employeurs se servent même de la rupture conventionnelle, désormais, comme moyen préféré de régulation de leurs effectifs : on est loin de la « gestion prévisionnelle des emplois et qualifications » rêvée tout debout par les partisans de la « sécurisation des parcours professionnels ».

Le CDI est déjà trop facile à rompre Abolir le droit du licenciement, c’est abolir les autres droits du travail du même coup : car si vous êtes licenciable à tout moment sans motif, n’essayez pas de réclamer le respect des autres droits, cela suffira pour que l’employeur vous vire, et sans crainte.

Les faux arguments du Medef abondent : ce serait « parce que le CDI serait « trop »» difficile à rompre ». Ce qui est totalement faux ! Il est facile, très facile, trop facile, s’il y a un MOTIF de rompre un CDI à tout moment : il suffit qu’il y ait une vraie difficulté économique et l’employeur peut licencier immédiatement un salarié à peu de frais avec peu de procédure (un entretien préalable). Les patrons abusent déjà de cette facilité ! Il n’y a pas assez de contrôle du motif. Il n’y a pas assez de sanction quand le motif n’est pas fondé, quand il est abusif, boursier, frauduleux. C’est la faute aux patrons s’il y a 5 millions de chômeurs !

Quand il y a 5 millions de chômeurs, l’heure n’est pas à faciliter les licenciements mais à les rendre plus contrôlés, plus difficiles ! Il suffit qu’il y ait une faute et la  « cause réelle et sérieuse » est établie. Il suffit qu’il y ait une faute « grave » et le salarié perd ses éventuelles indemnités, son préavis. Cela ne coûte quasi rien à l’employeur surtout dans les deux premières années : le code du travail ne prévoit aucune indemnité légale avant deux ans et le préavis n’est que d’un mois. Il n’est de deux mois qu’après deux ans d’ancienneté. Certes le salarié peut aller aux prud’hommes mais si l’employeur a un MOTIF le salarié perdra. Et même s’il se révèle que l’employeur n’a pas de vrai motif, le salarié obtiendra des (modestes) indemnités, mais il ne sera pas réintégré.

De toute façon, Laurence Parisot ne veut plus des prud’hommes : « les prud’hommes cela insécurise les employeurs » dit-elle. Traduction : la justice inquiète les patrons. Les patrons veulent être hors la loi. Ils ne veulent plus d’Etat de droit dans les entreprises. D’où la campagne du Medef pour la suppression du MOTIF du licenciement !

Renforcer le contrôle a priori du motif, pas le supprimer !

On parle de concertation, de négociation. Alors il faut entendre le syndicat majoritaire de ce pays, la CGT (32 % des voix contre 19 % a la CFDT), qui réclame au contraire qu’il y ait davantage de protection contre les licenciements « sans cause réelle ou sérieuse »  ou/et « abusifs ». Il faut en fait, obtenir que les salariés ne soient pas virés d’une entreprise sans qu’on ait vérifié le motif auparavant. C’est le contrôle a priori par l’inspection du travail et non plus le contrôle a posteriori par le juge prud’homal. Là, ce serait une meilleure garantie pour les salariés, alors qu’aujourd’hui elle n’existe guère puisque trop tardive et jamais réparée.

Le Medef explique qu’il y a tellement besoin de flexibilité, que le CDI n’est plus fondé. Faux encore évidemment : la flexibilité, c’est-à-dire la précarité, c’est 15 % des contrats ! Il y a 85 % des contrats en CDI ! Et pour ceux qui ont entre 29 ans et 54 ans, il y a 97 % de CDI ! Les CDI se sont même allongés de 20 % dans les 20 dernières années.

Les besoins d’une économie « normale » ce sont des CDI pas des kleenex ! Mais le Medef ne veut pas une économie  « normale » il veut une exploitation des salariés sans riposte, sans capacité de défense de la part de ceux ci.

Précarité artificielle pour des raisons politiques, pas économiques : La précarité est artificiellement introduite par le patronat, parmi les jeunes et les seniors, pas pour des raisons économiques, il n’y en aucune, mais pour des raisons politiques !

La précarité n’aide pas à la compétitivité, elle lui nuit. Les flexibles précarisés produisent moins et moins bien que les salariés bien formés, bien traites, bien payés ! Mais les flexibles ne peuvent pas défendre leurs salaires, ne peuvent pas se syndiquer ni facilement menacer de faire grève, c‘est uniquement ça qui motive le patronat pour multiplier les CDD, les intérims, les saisonniers, les contrats atypiques de toutes sortes.

Le maintien massif des jeunes dans des petits boulots de 18 à 29 ans n’est exigé par aucune forme d’organisation de l’économie, de la production, c’est même antiéconomique, anti-compétitif, mais ça forme les jeunes très tôt à courber l’échine. Il ne faut pas faciliter ce mauvais traitement infligé aux jeunes, au contraire il faut les protéger, interdire les faux « stages », les faux CDD, etc. Les CDD doivent être motivés : « remplacement de salariés absents » ou « surcroît exceptionnel  » de travail. Le patronat prend des CDD sans motif, parfois des CDD a répétition pendant des années…

La direction de la CFDT finit par dire « on n’y peut rien » . Erreur grave : il ne faut pas baisser les bras devant ces délits patronaux, mais contrôler davantage et sanctionner davantage, doubler les trop faibles effectifs de l’inspection du travail et le suivi judicaire de ses procès verbaux ! De même les employeurs pourraient conserver les « seniors » de plus de 55 ans au travail, mais à leurs yeux, ils coûtent plus cher, sont jugés moins rentables et moins malléables, donc ils les virent systématiquement. C’est politique pas « économique » .

Plus de 2 « seniors » sur 3 sont au chômage, malades, inaptes, à partir de 55 ans… alors que l’âge de la retraite a été reporté et que le nombre d’annuités exigé pour avoir une retraite décente a été augmenté (au delà de la décence, puisqu’il ne peut plus être atteint dans les faits).

Le Medef veut des « ruptures conventionnelles » collectives : Le Medef propose d’élargir les ruptures conventionnelles individuelles à des ruptures collectives, elles-aussi de gré à gré, hors droit. C’est-à-dire qu’il n’y aurait plus de règles au niveau des branches ni au niveau de la loi, nationalement : les employeurs et les actionnaires pourraient passer des accords dérogatoires négociés au cas par cas, entreprise par entreprise en cas de difficultés. Il n’y aurait plus d’ordre public social, mais un ordre privé au niveau de l’entreprise : le patron pourvu qu’il arrache l’accord de ses salariés subordonnés (en faisant chantage à leur emploi) pourrait moduler la durée du travail, baisser les salaires, adapter les conventions collectives, déroger au code du travail. Ce serait le « droit »… à ne plus avoir de droits. Une possibilité « d’opt out  » généralisé à la française.

La loi Warsmann ((JORF n°0071 du 23 mars 2012 page 5226 LOI n° 2012-387 du 22 mars 2012 relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives) dictée par Sarkozy le 20 mars 2012 prévoit même qu’en cas de « pacte de compétitivité » signé dans l’entreprise le salarié qui voudrait s’y opposer au nom de son contrat individuel en usage, pourra être licencié à ses torts ! Sous menace de licenciements collectifs qui n’auraient alors plus besoin d’être motivés, les salariés devraient renoncer à leurs droits du travail existants. Et si cela échouait, il y aurait encore la solution de passer un accord global – patrons, salariés – au niveau de l’entreprise pour réduire les effectifs ou la fermer, sans avoir besoin d’informer, consulter, négocier avec les Comités d’entreprise, ou les syndicats, sous contrôle des prud’hommes, comme c’est le cas aujourd’hui.

La direction de la CFDT prête à lâcher la proie pour l’ombre ?

Le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, a estimé le 4 janvier 2013 sur France inter à propos de la négociation sur la sécurisation de l’emploi que la balle était « dans le camp du patronat », ajoutant « Je ne ferai pas de pronostic » sur l’éventualité d’un compromis, « mais si le patronat ne bouge pas, il n’y aura pas d’accord », à l’issue des réunions de 10 et 11 janvier. Il a jugé la situation  « difficile » dans cette « négociation cruciale » . « » »Il faut que le patronat comprenne qu’on ne peut pas ne pas avoir de droits nouveaux pour les salariés » , a-t-il affirmé.

La direction de la CFDT avance quatre droits nouveaux selon elle : la réduction des temps partiels subis, une complémentaire santé pour tous, des droits rechargeables à l’assurance chômage, une taxe pour limiter les contrats courts.

Elle présente ces quatre « droits nouveaux » comme la principale pomme de discorde entre les syndicats (CDFT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC) et le patronat (Medef, CGPME, UPA) sans préciser ce que le patronat exige en face pour les concéder. Le « sommet social » qui court depuis l’été dernier est conduit selon des règles du « secret » sans associer les salariés, sans débat public dans les médias, sans consultations démocratiques. Mais n’importe quel observateur notera que ces quatre « droits nouveaux » sont tous petits et limités, sinon marginaux, en regard de ce que le Medef met dans la balance en face d’eux. Il n’y a rien de « gagnant-gagnant »  (sic) là dedans !

Une taxe pour les contrats courts, qu’est-ce à côté d’un « droit » abusif de licencier sans motif ? Qu’est ce qu’une « complémentaire » santé à charge des salariés, à côté de l’acceptation de pactes de compétitivité baissant les salaires, allongeant les durées du travail et augmentant le nombre de chômeurs ?

Heureusement, il faut en 2013 que les syndicats qui signent un accord représentent plus de 50 % des voix des salariés pour que ledit accord soit valable. Pour qu’un accord soit valable aujourd’hui avec les nouveaux critères de représentativité, il faut l’unité syndicale. Même en entraînant la CFTC, la direction de la CFDT n’atteint pas ce seuil. Et puis dans la CFDT il y a une forte opposition à ce genre de « signatures » depuis mai 2003 ou François Chérèque avait signé, la nuit, dans le bureau de Raffarin, l’accord cassant les retraites, dans le dos du mouvement social, dans le dos des syndicats, dans le dos de ses propres adhérents. La CFDT avait perdu 100 000 adhérents, de 6 à 8 % des voix aux élections professionnelles et aux prud’hommes, ses militants s’en souviennent et ont peur qu’on leur refasse le  « coup de mai 2003″ .

S’il n’y a pas d’accord, dans ces conditions, ce qui est plus que souhaitable, le gouvernement s’est engagé à légiférer : mais cela ne saurait être pour accorder au patronat ce qu’il souhaite, car là, il y aurait plus que rupture avec les « 60 propositions de François Hollande », il y aurait reprise de ce qui avait été engagé sous Sarkozy avec la loi Warsmann : en quelque sorte ce serait ses décrets d’application et cela serait intolérable. Le résultat serait d’ailleurs que pouvant licencier sans motif, sans plans sociaux, le patronat augmenterait le chômage de masse. Ce serait pour Mme Parisot le meilleur moyen de battre le gouvernement de gauche, et de faire revenir les amis de son chéri, celui qui, selon elle, avait fait un  « bon job » , Sarkozy.

Gérard Filoche, membre du BN du PS, le lundi 7 janvier 2013

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