Le travail, quelles valeurs ?
Notre camarade Alain VERONESE nous présente ici cet ouvrage de réflexions et de propositions du mouvement UTOPIA sur le TRAVAIL. Marie Christine GAMBERINI y afoute quelques précisions et réflexions personnelles :
Le travail, quelles valeurs ?
Editions Utopia, 2012.
Recension précédée d’une digression comme essai de mise en appétence pour le sujet.
Cela fait bien longtemps que les valeurs travail sont menacées et, parfois par les travailleurs mêmes. Durant les années 70, une importante, influente minorité culturelle théorisait « L’allergie au travail », Lafargue en main, déclamait « Gilda je t’aime ! A bas le travail ! »,
Le collectif Adret, pour ne pas perdre sa vie à la gagner consentait à transpirer 2 h par jour au maximum. Les plus intellos des paresseux s’égaraient joyeusement du côté des « situs », G. Debord, excessif un peu, écrivait sur les murs : « Ne travaillez jamais ! », R.Vaneighem diagnostiquait : « Le travail, la meilleure des choses pour ne rien faire de sa vie. »
Les récalcitrants, refusant l’usinage du temps, trouvaient des alliés chez les Nobel : B. Russel, son « Eloge de l’oisiveté » était leur livre de chevet. Jeunes lecteurs de « L’ile au trésor », adultes, demeurés curieux, chez L. Stevenson reconnaissaient un complice, « L’apologie des oisifs» apportait de l’eau à leur indolent moulin.
Même les Ritals s’adonnaient (en sus du western) à la contestation spaghetti, « Ouvriers contre le travail » a trouvé plusieurs milliers de lecteurs en Italie avant sa traduction française.
J’en passe, (des H. Marcuse et autres américains tel M. Bookchin) mais qu’on se le (re)dise : les improductifs d’antan (mais il n’y a pas si longtemps) cogitaient énormément. Logique : ils prenaient le temps.
Monsieur le ministre, vous avez sifflé la fin de la récréation !
Il fallait contrecarrer ce glissement progressif vers la société du loisir (fort actif, bien que contestataire), d’autant qu’une escouade de marxistes hétérodoxes, de libertaires adeptes de la vie (et de la critique) artiste, de leurs séditieux propos séduisaient une jeunesse plus tentée par la fornication de la révolution sexuelle que par la transpiration dans la production… Le droit à la caresse était également à l’ordre du jour. Quelle époque !
Ainsi (réactif), M. Seillière par ailleurs, à l’époque président du Médef, recevant au congrès (2003), Monsieur Raffarin ministre de son état, déclarait : « La priorité des priorités : réhabiliter la valeur travail ! Vous avez, Monsieur le ministre, sifflé la fin de la récréation ! Mais vous n’avez pas encore convaincu la France de se mettre au travail».
Depuis lors, plus question de trainasser dans les coursives de l’Etat Providence, le redressement productif va bon train, le taux de profit se porte mieux, le taux d’exploitation, le subséquent retour des « cadences infernales » provoque quelques suicides. Dégâts collatéraux,… la productivité ce n’est pas pensée pour les mauviettes et autres bras cassés ! Il y a 7 à 8 millions de chômeurs (aux comptabilisés il faut ajouter les invisibles encore – trop – silencieux), bon nombre pour inciter à travailler plus pour gagner de plus en plus juste. C’est étudié pour : le chômage est la solution… profitable.
A contrario, du président du Médef, nombre d’économistes sérieux, d’incontestables renommées méritées, radicalement, questionnaient le travail en ses valeurs et, depuis un certain temps.
Allez ! Je vous en sers deux, mais deux grands, d’univers différents : Keynes et Marx. Convergents sur un point au moins : la nécessaire et forcément féroce réduction du temps de travail. Sur le reste, les divergences notables, emplissent les rayons de bibliothèques, et d’internet, les écrans.
Dans « Essais de persuasion. Lettre à mes petits enfants » J.M.Keynes préconisait 15 h de travail par semaine. En 1930 ! C’est dire si nous avons du retard à l’allumage !
Dans le texte cela se déguste comme suit : « [compte tenu des progrès rapide de la productivité], il nous faudra partager le peu de travail qu’il restera à faire, entre autant de personnes que possible. Trois heures par jour, et une semaine de 15 h. (nous soulignons) constitueront une transition utile pour commencer. Car 3 h .de travail par jour suffiront amplement à satisfaire en nous le vieil Adam. » […]. « Le chômage technologique causé par la découverte de procédés nouveaux qui économisent de la main d’œuvre, alors que les débouchés pour celle-ci sont un peu plus lents. »[…]. Il n’y a pas de pays et pas de peuple à mon avis, qui puisse envisager un âge de loisirs et d’abondance sans appréhension. »
Réputé plus vindicatif, que le grand bourgeois mondain, K. Marx, dans son célébrissime « Fragment sur les machines » des « Grundisses », diagnostiquait l’irrésistible dépérissement de la valeur mesurée par le temps de travail incorporé : « Dès que le travail sous sa forme directe [le travail vivant] a cessé d’être la source principale de la richesse, le temps de travail doit cesser d’être la mesure de la valeur. »
Dans le Capital, une remise en cause de la valeur travail. Deux fois : comme mesure de la valeur, et comme impératif moral (biblique). « A la vérité, la liberté comme seulement à partir du moment où cesse le travail dicté par la nécessité. […]. La réduction de la journée de travail est la condition fondamentale de cette liberté. »
Une étonnante convergence du marxisme et du keynésianisme… Mouais… En rupture, avec la tendance désespérément actuelle où « l’augmentation du volume (nous soulignons) de travail et la création d’emplois deviennent l’alpha et l’oméga de tous les programmes politiques ».Comme l’écrit (p.19) Dominique Méda, dans l’ouvrage collectif ci- dessous rapidement présenté.
Se libérer du travail ? Où libérer le travail ?
Aujourd’hui, novembre 2012, Utopia, reprend le flambeau, attise de nouveau la flamme des amoureux du « droit à la pleine vie ». Dans une intéressante, bien que courte préface de Dominique Méda s’indigne contre « Ce lien de subordination, cet apprentissage de l’obéissance en entreprise, ces peurs et ses contraintes ne facilitent pas pour les individus l’exercice de la démocratie dans le domaine public ». (p.26). Bigre ! Une énarque contre la discipline ? Et, plus grave, la question qui fâche énormément : « Se libérer du travail ? Ou libérer le travail ? » Les deux, ose-t-elle ! (p.20, 22)
Il est vrai qu’avec 15 h. par semaine, que resterait-il des valeurs travail, tant sur le plan de la morale (celle du vieil Adam revisitée par Keynes), que de la valeur d’échange de la force de travail (Marx) dans une société ou le temps (de travail) devient quantité négligeable de la valeur. Paradoxe (logique) noté par Dominique Méda : « l’obsession de la rentabilité et de la productivité détruisent le sens que les individus attendent du travail » (p.14).
La réinvention du travail (fort réduit), un cheminement décisif vers l’abolition du salariat n’est pas dans l’orientation politique explicite de Dominique Méda. Nonobstant, sur la critique du travail elle est récidiviste, il faut le dire, pour la bonne cause, et inciter à lire du même auteur : « Le travail une valeur en voie de disparition et « Qu’est ce que la richesse ? ».
Deux parties pour la suite de l’ouvrage.
La première s’en prend aux idées reçues sur le travail. L’énumération en compte 15.
Parce que trop rapide ( ?), l’argumentation n’est pas toujours absolument convaincante.
Par exemple, l’idée reçue n° 7, critique de la critique de « l’assistance » (Rsa, allocations diverses « trop généreuses », air connu…), ne tient compte du fait et du vécu des « surnuméraires » dont certains devenus réalistes par expériences (douloureuses), ne cherchent plus d’inexistants emplois, mais organisent leur « exode » (André Gorz), hors la société du travail-emploi (id.). Les gisements d’inventivité sont ignorés. Dommage. La n°8, aborde le sujet sensible de l’immigration : « Les étrangers prennent le travail des français ».
Certains travaux, pénibles, mal payés, socialement peu gratifiants sont, semblent-ils, aux immigrés « réservés ». Ce n’est plus entièrement vrai, nécessité fait loi, en changeant un peu les conditions (salaire, pénibilité amoindrie,…), les autochtones hexagonaux s’en contenteraient faute de mieux. En toutes hypothèses l’élargissement de « l’armée industrielle de réserve » fait l’affaire du patronat… L’examen critique des idées reçues 1O, 12 et 13 participent utilement d’une critique culturelle, idéologique de la valeur travail : le travail le lien social sans lequel ce serait le chaos ? Utopia s’inscrit en faux contre ce crédo.
Le mouvement, en conclusion et deuxième partie, propose six principales mesures ou orientations.
La réduction du temps de travail à 32 h hebdomadaires, comme première étape. L’amélioration des conditions de travail, la reconversion écologique et sociale (avec relocalisations), l’appropriation démocratique de l’outil de production (ça ressemble à l’autogestion), développer la sphère autonomes et les autres temps de vie, et au final, la mise en place d’un revenu universel (déconnecté de l’employabilité) : « … le revenu universel représente une piste pour libérer le travail et se libérer du travail. Sous différents noms ce revenu (de base, garanti, de citoyenneté…) fait débat (3). Tant mieux, prenons le temps d’en discuter. Petit livre (format) et grandes questions, à 4 euros, c’est un investissement rentable.
Décembre 2012.
Alain Véronèse.
***
Notes.
1-Pour les références précises de livres suggérés (auteurs, éditeurs etc.,) les lecteurs aguichés consulteront le fascinant foutoir internet. Je ne vais pas faire tout le boulot !
2 – A noter sur vos agendas, une présentation théâtralisée de « l’Apologie de l’oisiveté », (B. Russel) bientôt au Kremlin-Bicêtre. Espace culturel André Malraux. A ne pas manquer.
3 – Pour Michel Husson, comme pour Jean-Marie Harribey, ce n’est pas immédiatement évident. Consulter leurs sites respectifs.
Augmenter le volume de travail cit D. méda …. Milliards d’h. En plus ou en moins valeur d’usage durables.
Message de MC GAMBERINI :
Bonjour,
Serait-il possible de rajouter quelque part dans cette recension ou en note une mention à la réactualisation du travail d’Adret faite par Bizi! en 2010 ?
http://www.bizimugi.eu/travailler-une-heure-par-jouroren-bat-egunean-lan-egin/
NB :
a) ce document est une modélisation à visée pédagogique reprenant les bases exactes du boulot économique d’Adret (qui passe donc de 2 h par jour en moyenne de « travail socialement contraint » dans les années 70 à 1 h maintenant) ;
b) selon Txetx, de Bizi!, qui a travaillé dessus (et aussi selon moi), dans la pratique, il faudrait dans la réalité rajouter le temps de travail, pas forcément désagréable ni aliéné, mais nécessaire pour se nourrir dans le cadre d’une agriculture pas trop pourrave et relocalisée ;
c) selon moi, il faut aussi ajouter du temps pour tout ce qui relève de la gestion des « déchets » – notamment radioactifs et toxiques, outre que des banales poubelles urbaines et rurales :
– dans les années 70, il était à mon sens déjà inadmissible que, dans des projets de société prétendument égalitaires, certains restent spécialisés dans ce genre de sales boulots tandis que d’autres, éventuellement mieux payés, n’y touchaient jamais (le partage des tâches en collectivité, c’était aussi celui de la corvée de chiottes…)
– or, par rapport aux années 70, le nombre (en quantité et en diversité) de déchets extrêmement toxiques et souvent pérennes (outre que de déchets tout court) s’est accru dans des proportions si colossales qu’on ne peut plus raisonner simplement en termes de production/consommation, mais que, dans la vraie vie, il faut aussi prendre en compte les résidus, y compris historiques, de ces deux types d’opérations, pour l’heure en partie masqués (et délégués à de nouvelles catégories d’intouchables), en partie délocalisés.
Le point c) — déchets mortifères quotidiennement produits, mais aussi définitivement hérités en masse — est donc la raison majeure pour laquelle je reste plutôt opposée à toute forme de revenu inconditionnel (indépendamment de la question de son assiette : ou bien tout le monde y a droit, et c’est un revenu de citoyenneté, ou bien seuls ceux qui sont relégués aux marges y ont droit, et c’est un revenu de paix sociale et d’assistanat destiné à permettre au système économique dominant de continuer à fonctionner)
Dans une perspective systémique et égalitairement écologiste, le problème n’est plus de raser les pauvres gratis, mais bien de veiller à ce que tout le monde sans exception ni dispense, riches et très riches compris*, commence à donner physiquement de sa personne pour prendre une part active au point c).
Seul espoir, d’ailleurs, de voir la quantité de saloperies produites éventuellement décliner.
* Ce qui n’empêche pas d’affirmer que des écarts de salaires de 1 à 4 (éventail proposé par le candidat à la présidentielle Dumont, je crois) devraient être posés comme le maximum tolérable à court terme
@+
mc
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