Détenus handicapés
Paru dans le numéro 84 de Confluences.
Quelles conditions de détention pour les personnes handicapé-e-s en prison ?
L’accueil des détenu-e-s handicapé-e-s dans « nos » prisons laisse apparaître une situation totalement archaïque. Sur les 63 000 prisonnier-e-s détenu-e-s dans les prisons française, 5000 sont considéré-e-s comme porteurs de handicaps dont entre 200 et 300 avec mobilité réduite (fauteuil roulant, cannes, béquilles…). Seulement 140 places sont aménagées pour les détenu-e-s handicapé-e-s dans les 194 prisons que compte notre pays.
Même constat pour les lieux de « justice » comme les tribunaux qui sont souvent situés dans de vieux bâtiments et ne sont pas aux normes.
La situation semble accablante. Pourquoi s’est-elle détériorée à ce point ? Le système de comparution immédiate y a contribué, notamment lorsqu’il est question de handicap mental. Beaucoup d’interpellé-e-s présentent des troubles psychiatriques. Mais comment un avocat commis d’office, 30 minutes avant le procès, peut-il en juger ? Auparavant, ils/elles auraient été placé-e-s en hôpital psychiatrique, mais aujourd’hui, on voit de plus en plus de « malades mentaux » en prison. Le nombre de personnes déclarées irresponsables a été divisé par 10 en 20 ans.
Y a-t-il des projets pour améliorer l’accueil des détenu-e-s handicapé-e-s en particulier « handicapé-e-s moteur » ? Le gouvernement a annoncé que les prisons seraient aux normes en 2015. C’est totalement illusoire !
Toutes les nouvelles prisons disposent de quelques cellules adaptées, avec la possibilité d’accéder à une bonne partie des locaux. C’est inscrit dans les cahiers des charges. Actuellement, ce n’est effectif que dans les maisons d’arrêt et ne concerne donc pas les détenu-e-s condamné-e-s à de longues peines.
Dans les centrales et les CRA, il n’y a aucune cellule aux normes à part « du bricolage maison ». Ces détenu-e-s sont de toutes façons privé-e-s de toute vie sociale puisque le plus souvent, ils/elles ne peuvent accéder aux espaces communs tels la bibliothèque ou le parloir. Alors comment font-ils/elles pour se déplacer ou pour leur toilette, leurs soins ? Le système de l’aidant, des bénévoles envoyés par des associations n’est pas appliqué dans les prisons. Les MDPH (Maison Départementale des Prisons pour Handicapé-e-s) ont été interrogées à ce sujet, mais pas de réponse pour l’instant. Le plus souvent, il faut compter sur la bonne volonté des co-détenu-e-s qui sont, dans le meilleur des cas, rémunérés une misère par l’administration pénitentiaire.
Sinon il faut faire appel au bénévolat. Un bénévolat pas toujours clair, car en prison tout se monnaye !
Les gardiens ont-ils une responsabilité dans ce domaine ? Non ce n’est pas dans leurs attributions, mais il arrive que certains acceptent de donner un petit coup de main. La toilette est parfois faite pas les infirmières du service médical mais elles sont souvent débordées.
Nous avons le cas d’un détenu paraplégique qui n’a pas pris de douche depuis… 3 ans !
Les détenu-e-s handicapé-e-s ont-ils/elles le droit à une aide financière ?
Ceux qui avaient ce statut avant leur incarcération touchent 30% de leur allocation Adulte handicapé. Les autres ont la possibilité de monter un dossier auprès de la MDPH mais les délais de traitement sont extrêmement longs.
Ont-ils/elles accès au travail proposé dans les ateliers des centres de détentions ?
Même si les tâches proposées sont assez simples, très proches de celles traitées par les CAT, la prison est une entreprise qui vise la productivité et on ne s’y embarrasse pas de travailleurs inaptes ou qui ne tiennent pas la cadence.
En décembre (2009) on y apprend qu’un détenu de 77 ans est mort en prison sans avoir pu bénéficier à temps, au titre de la « loi Kouchner », d’une remise en liberté. Que dit cette loi ? Qu’on peut suspendre la peine lorsque le pronostic vital est engagé ou quand l’état de santé est incompatible avec l’incarcération.
Aujourd’hui, aucun centre de détention n’est aux normes. Alors si on applique la loi stricto sensu, il n’y aurait presque plus de détenu-e-s handicapé-e-s derrière les barreaux.
Certaines associations, comme l’APF (Association des Paralysé-e-s de France) sont intervenues auprès du Garde des Sceaux pour proposer un projet de loi pénitentiaire qui rende les conditions de détention des détenu-e-s handicapé-e-s enfin dignes et humaines.
Cela peut choquer de parler de dignité lorsqu’on a affaire à des criminels ! La punition, c’est la privation de liberté. Pourquoi devraient-ils/elles endurer des peines supplémentaires ? Et puis est-ce que ça a du sens de maintenir en détention une personne tétraplégique qui ne constitue plus un danger pour la société ? La France a d’ailleurs été condamnée en 2007 par la Cour Européenne des droits de l’Homme pour « traitement inhumain » à l’encontre d’un détenu tétraplégique.
Même si la majorité des incapacités sont antérieures à la condamnation, l’incarcération a aussi pour effet de renforcer le handicap. La privation de liberté altère les perceptions sensorielles. Le toucher se limite à des contacts humains souvent brusques et dénués de tendresse, au contact avec des matériaux bruts et froids ; la vue n’a plus d’horizon et ne perçoit que murs et barreaux, avec des éclairages souvent déficients (un cas d’un médecin qui a même prescrit des ampoules de 100 w sur une ordonnance !) ; l’odorat est mis à mal par les mauvaises conditions d’hygiène et se protège en devenant hermétique. Le seul sens qui se développe c’est l’ouïe. Pour pouvoir entendre les surveillants arriver dans une perpétuelle cacophonie.
Le vieillissement de la population carcérale multiplie les situations de handicap.
Hubert Gourg & Patrice Kappel.
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