Le suicide à la mode de chez nous…
Paru dans le numéro 81 de Confluences.
Dans l’antiquité gréco-romaine les stoïciens et les cyniques conseillaient le suicide lorsque la situation devenait désespérée ; en 2009, et peut-être même depuis les années 1990, il n’est plus besoin de se rattacher à un courant philosophique pour désirer mettre fin à ses jours : il suffit de bosser dans une boite horrible dont le PDG n’envisage que la productivité à courte vue en considérant ses employés comme des pions que l’on peut déplacer sur un jeu d’échec en vue d’un rendement immédiat !
En ce moment, à France-Télécom, on impose une politique sociale qui incite les salariés à pratiquer un stoïcisme involontaire : on les met dans une situation de stress telle que certains se suppriment pour échapper au déplacement forcé ou au reclassement. Leur PDG a même osé parler d’une mode du suicide, avant de se rétracter ! Mais les excuses, malgré leur évidente sincérité sont-elles recevables dans de telles circonstances ? Le fait même d’user du mot « mode » pour caractériser un acte aussi grave et définitif dénote pour le moins un certain mépris ; eût-il usé du même vocable pour parler de banquiers ou de traders qui, pris de remords, auraient eu recours à un geste définitif ? Il y a là, quelque part, une forme de paternalisme insupportable : « allons les petits, il va falloir devenir sérieux et cesser d’attenter à votre vie ; le pays a besoin de vous ; et mon entreprise encore plus, pourvu que vous lui coûtiez le moins possible » !
On eût pu attendre une réaction de l’église ; malgré son esprit réactionnaire dans ses hautes sphères, elle ne manque pas chez les prêtres de campagne ou de quartiers difficiles d’ouverture aux questions sociales ; mais le suicide ne passe pas ! Attenter à une vie qui ne vous appartient pas, quel crime abominable ! Les seuls païens antiques pouvaient l’envisager sans frémir.
J-Pierre SHIEP
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