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3 questions à Rémy Cazals

Publié le dimanche, 1 mars 2009 dans Articles, Confluences 81

Paru dans le numéro 77 de Confluences.

1. Pourquoi cette grève chez les ouvriers mazamétains en 1909 ?

R. La revendication principale des ouvriers délaineurs du bassin de Mazamet en 1909 était une augmentation de salaire pour les peleurs et les marragos. Le refus patronal provoqua la grève.

2. Durée, évolution, issue ?

R. La grève dura quatre mois, du 10 janvier au 7 mai. Pendant les premières semaines, régna le plus grand calme, tandis que les commissions patronale et ouvrière avaient commencé à discuter. La première manifestation dans la rue n’eut lieu que le 19 février, provoquée par l’intransigeance patronale. Manquant de ressources pour tenir, les grévistes organisèrent les « soupes communistes » le 21 février et « l’exode des enfants » le 13 mars. Par « soupes communistes », il faut entendre « repas pris en commun par les grévistes à la Bourse du Travail ». Une cuisine collective permettait de faire des économies et cela contribuait aussi à renforcer la solidarité. L’envoi des enfants de grévistes dans des villes voisines où ils étaient pris en charge par des familles sympathisantes avait les mêmes objectifs. La solidarité, dans ce cas, était régionale.

Les patrons réclamèrent l’envoi de gendarmes et de soldats pour faire respecter la liberté de travail. Il y avait ainsi des postes militaires dans toutes les usines, et des patrouilles en ville. Par provocation, des patrons envoyaient vers la gare quelques charrettes de laine, escortées par les cavaliers, notamment les dragons. Il arrivait cependant que les grévistes réussissaient à éventrer les balles et à répandre la laine dans la rue. Des femmes se couchaient devant les chevaux pour les empêcher d’avancer. Plus le temps passait sans solution, plus les incidents devenaient nombreux, bagarres, arrestations. Un rocher fut déséquilibré avec des leviers et il tomba sur un bâtiment annexe d’une usine dans la gorge de l’Arnette.

Mais, pendant ce temps, les cours de la laine montaient. Les patrons délaineurs avaient un grand intérêt à reprendre la production. Des hommes plus âgés et plus sages remplacèrent les jeunes patrons intransigeants à la tête de la commission. Et l’accord intervint, donnant presque entièrement satisfaction aux revendications ouvrières. Cette augmentation de salaire était tellement évidente que, l’année suivante, les syndicats ouvriers en obtinrent une nouvelle sans cessation du travail.

3. Spécificité du mouvement ouvrier à Mazamet ?

R. Pour des raisons qu’il serait trop long d’expliquer ici, la majorité des ouvriers du bassin de Mazamet étaient très traditionalistes et politiquement conservateurs. Catholiques, bien encadrés par le clergé, ils votaient pour le baron Reille et pour la droite cléricale. Mais ils rencontraient les problèmes de la classe ouvrière et ils formèrent un syndicat indépendant, tandis que la minorité de gauche formait un autre syndicat, « rouge », adhérent à la CGT. En 1909, les deux syndicats se rejoignirent dans les revendications et marchèrent ensemble dans la grève (voir les deux drapeaux en tête des manifestations). La CGT eut l’habileté de soutenir la grève de toutes les façons (envoi de subsides, présence de militants de premier plan comme Victor Griffuelhes). Le résultat fut la réunification syndicale dans la CGT, et la fidélité à la CGT de ces ouvriers en majorité catholiques pratiquants et électeurs de la droite, ceci même lorsque se créèrent des syndicats chrétiens après la Première Guerre mondiale.

Pour en savoir plus sur le syndicalisme à Mazamet, la grève de 1909, les comportements politiques et leur explication, avec transcription d’entretiens avec témoins et acteurs enregistrés dans les années 1970, avec photos des épisodes de la grève et des drapeaux syndicaux, etc., voir Rémy Cazals, Avec les ouvriers de Mazamet (dans la grève et l’action quotidienne, 1900-1914), Carcassonne, CLEF 89, 1995, deuxième édition revue et augmentée d’un ouvrage publié pour la première fois par les éditions Maspero en 1978. On le trouve en librairie ou sur commande à Association « Les Audois », BP 24, 11020, Carcassonne Cedex.

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