Publié le
jeudi, 2 novembre 2017 dans
Libertés
Ce 1er novembre, l’état d’urgence, faux-nez de l’état de siège, instauré après les dramatiques attentats de novembre 2015, ne sera pas reconduit. Bien qu’ayant vocation à s’appliquer pour une période limitée,« en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public », il aura été prolongé six fois par les gouvernements successifs, pour une durée totale inédite de près de vingt-quatre mois. Ce régime d’exception, créé en 1955 pendant la guerre d’Algérie, dénature fondamentalement le fonctionnement de notre démocratie par la confusion des pouvoirs qu’il entraîne. Durant cette période, des pouvoirs exceptionnels sont en effet transférés au ministre de l’Intérieur, aux préfets et à la police, contournant ainsi l’autorité judiciaire, sous prétexte de lutte contre le terrorisme.
La Ligue des droits de l’Homme déplore qu’aucun bilan précis n’en ait été dressé. La fonction d’affichage d’une réaction symbolique des pouvoirs publics face à l’horreur terroriste a donc primé sur les résultats. Des rapports parlementaires d’évaluation partielle, comme ceux d’associations de défense des droits, ont pourtant démontré que son efficacité réelle était très discutable et que des abus et dérives graves d’atteintes aux droits fondamentaux avaient été commis (détournement contre les mouvements sociaux ou écologistes, assignations à résidence et perquisitions abusives…). De plus, les poursuites et les procédures abouties en matière antiterroriste avec des mesures du droit commun montrent que, sans mesures dérogatoires, on peut répondre au terrorisme par un travail efficace entre police, renseignement et justice. La LDH regrette que le gouvernement n’en ait pas été tenu compte pour agir avec courage, réalisme et détermination, dans le cadre de l’Etat de droit.
Cette sortie de l’état d’urgence n’est, en fait, qu’apparente. L’adoption de la loi de sécurité intérieure et de lutte contre le terrorisme en reprend l’esprit malsain et l’essentiel des dispositions dont on a pourtant constaté les dérives, ceci en dépit des nombreuses alertes et des vives critiques d’institutions publiques nationales (Défenseur des droits, Commission nationale consultative des droits de l’Homme) et internationales (Rapporteuse des droits de l’Homme de l’ONU, Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe), de syndicats de juges, d’avocats, d’associations de défense des droits dont la Ligue des droits de l’Homme.
Par ce texte désormais en vigueur, l’Etat de droit est profondément ébranlé. L’exception s’inscrit de manière permanente dans le droit commun, l’institution judiciaire est durablement affaiblie, la présomption de culpabilité devient la règle à l’égard d’une partie de la population qui sera, une fois de plus, stigmatisée. Les droits et libertés seront traités à l’aune des besoins de l’Etat avec l’autorisation de fichages de masse, de surveillances généralisées et de contrôles au faciès, au prétexte de lutter contre le terrorisme.
La LDH est vivement préoccupée de ces évolutions dangereuses qui conduisent à restreindre toujours plus les droits et libertés et qui envisagent non plus des auteurs d’infractions mais des suspects auxquels sont imposées des mesures administratives coercitives privatives ou restrictives de liberté, au motif d’une irresponsable illusion sécuritaire. Elle engagera avec ses partenaires un travail d’observation de la mise en œuvre de cette loi sur tous les territoires. Elle interviendra, par des recours judiciaires le cas échéant, en cas d’arbitraire, d’abus ou de stigmatisation en raison de l’origine ou de la religion. Face à ces lourds enjeux, la LDH appelle à un large débat sur l’équilibre à retrouver entre libertés et sécurité. La citoyenneté reste notre meilleure arme pour l’avenir de la démocratie.
Paris, le 31 octobre 2017
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