Publié le
mardi, 7 mars 2017 dans
Point de vue
Fondateurs d’Indigène éditions et éditeurs d’Indignez-vous !, le manifeste au succès planétaire de Stéphane Hessel, Jean-Pierre Barou et Sylvie Crossman expriment ici leur colère contre « cette campagne présidentielle qui pue la haine ».
« Ne pas haïr si l’on peut. » Dernière phrase écrite de sa main par Camus avant de décéder dans un accident de voiture, le 4 janvier 1960. La première à nous venir à l’esprit dans cette campagne présidentielle qui pue la haine. Elle s’annonce (mais qui s’en souvient ?) le 11 janvier 2011 quand François Fillon, alors Premier Ministre, dans ses vœux à la presse et seul de toute la classe politique, livre bataille à ce libelle le plus lu des Français, Indignez-vous !
Le visage modelé dans une glaise dont on fait les saints, il lance : « J’ai vu qu’un débat s’était noué autour de l’indignation. Mais l’indignation pour l’indignation n’est pas un mode de pensée. » Ce croisé installé dans la Sarthe ajoute – lisez en pensant à aujourd’hui ! : « La complexité du monde actuel réclame d’abord de la lucidité, de l’exigence intellectuelle, parce que tout ne s’écrit pas noir sur blanc, mais elle réclame aussi et surtout des actes. Est-ce qu’on peut souhaiter le sens de la nuance au détriment de la violence ? »
Luc Ferry, son ministre de la Culture, s’ajoute dans Le Figaro avec un irrespect auquel on ose à peine croire : « Cher Stéphane Hessel, êtes-vous bien certain de ne pas vous tromper d’adresse ? L’indignation est une facilité, pas une vertu. En encourageant ce que le monde aujourd’hui compte de plus irresponsable et de moins intelligent, vous n’allez pas dans le sens de la Résistance, mais, je le crains, dans le sens du vent et de la plus grande pente. »
L’appel de Stéphane Hessel est paru en 2010
Pour mémoire : Stéphane Hessel, alors âgé de 93 ans, a été arrêté en 1944
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par les nazis, torturé et condamné à mort, et s’il échappa à la pendaison, ce fut bien par miracle. Mais cette droite n’aime pas les saints laïques ; comme Franco avec l’Hispanidad, elle veut refonder les programmes scolaires au bénéfice d’une mémoire historique réajustée à son idéologie, effacer par exemple la culture arabo-andalouse si chère au poète Garcia Lorca : « Il faut en finir, déclare Fillon, avec les complexes et les théories fumeuses qui ont déconstruit, chez tant de jeunes, le goût d’être français. » Ne souhaite-t-il pas « demander à trois académiciens de renom de s’entourer des meilleurs avis afin de réécrire [les programmes]» ?
« Monsieur » Mélenchon (comme il a voulu que Cohn-Bendit l’appelle à la télé) comble-t-il ce déficit d’intégrité morale ? Ecoutons cet autre candidat à la Présidentielle, lors d’un meeting à Bordeaux, décréter en parlant de Fillon : « S’il débat avec moi, vous verrez bien si j’arrive à lui faire peur ! », comme l’a rapporté un journaliste lui-même… apeuré. Ce genre de propos, faisant d’un adversaire un ennemi qu’on traque, est tout le contraire de l’esprit des Indignés, lesquels, en Espagne, affirment que le dialogue avec les adversaires est précisément ce qui permet « d’étendre le domaine de la démocratie ».
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L’Espagne, qui traduisit non pas seulement en castillan mais en catalan, basque, galicien, valencien le manifeste de Stéphane Hessel, reconnut d’emblée dans ce texte l’expression des revendications de la conscience laissées en jachère dans les profondeurs de la Guerre d’Espagne. Les Indignés de la Puerta del Sol, à Madrid, s’en souvinrent, repoussant la haine, les fractures idéologiques. Usurpation, « Monsieur » Mélenchon, quand vous vous proclamez le fils, le père ou même le Saint-Esprit de Podemos ! Vous ne faites en vérité qu’exalter votre ego.
En quoi de tels comportements s’apparentent-ils à cette politique « non-violente, féministe féminine » que pratique Manuela Carmena, élue maire de Madrid à 71 ans à partir d’une plate-forme vraiment citoyenne, et qui accueille évidemment les hommes nouveaux capables de reconnaître les vertus issues de l’expérience historique des femmes – tout le contraire d’un essentialisme : « N’est-il pas temps, écrit Manuela, de remplacer toutes ces valeurs d’autorité, de force et de fermeté, par celles, nettement plus horizontales et souples, de persuasion, de conviction et d’habileté dans la résolution des conflits ? »
Mais voilà le chevalier Bayrou et son pacte anti-corruption concocté avec Emmanuel Macron. Iront-ils jusqu’à élaborer un pacte anti-néolibéral, ce système où s’enracine la corruption même ?
Comme on est loin, très loin, du sens profond d’Indignez-vous ! où les
Français se sont reconnus à travers deux millions et demi d’exemplaires
vendus, soit un potentiel de près de dix millions de lecteurs – donc « é-lecteurs » ? Loin du philosophe grec Aristote qui dans sa Rhétorique opposait l’indignation à la colère ; celle-ci relevant à ses yeux d’un conflit personnel, d’un besoin de « vengeance », tandis que l’indignation suppose « l’absence de tout intérêt personnel et la seule considération de son prochain. »
Mais qu’a représenté ce libelle ? La réponse, vous l’avez, oui, d’abord, dans le mouvement du 15 M, à Madrid, ce 15 mai 2011, quand, Puerta del Sol, un peuple se rassembla pour inventer un nouvel espace de pensée, comme le rappelle Carolina Bescansa, co-fondatrice du parti-mouvement Podemos : « Podemos n’aurait pas existé s’il n’y avait pas eu le 15-M. » C’est beau de se dire que cet Appel (mettons-y une majuscule) de notre vieux résistant, impulsé par les Indignés d’Espagne, ricocha à New York avec Occupy Wall Street (contre la tyrannie de la finance) ; comme le mouvement des Tentes à Tel Aviv (contre les dépenses militaires) ; le mouvement des Parapluies à Hong Kong (contre la dictature du parti communiste chinois) et, cette auréole de lumière, à Santiago du Chili, portée par une jeunesse « qui n’a plus peur » (en faveur d’un droit à l’éducation gratuite). Suivez sur la planète ces vagues qui se succèdent de ville en ville et vous avez l’émergence de cette « unité des consciences » dont parle précisément Sartre, philosophe perdu, oublié, auquel Stéphane Hessel écrivit sa dette dans Indignez-vous !.
Clore avec Sartre après avoir ouvert par Camus ? Stéphane et les Indignés nous y invitent. Oui ! Il s’agit de favoriser une éthique de l’action et pas un humanisme aimable ou gueulard ; on fait avec tout ce qui libère, espère et ça se passe dans la rue, sur les places ; nombre de villes d’Espagne l’ont concrétisé. Parfois d’une façon poignante comme ce conseil municipal de Saint-Jacques-de-Compostelle qui marque une minute de silence « chaque fois qu’une femme succombe sous les coups d’un homme ». On y trouve l’éthique de demain. Ce n’est pas une opportunité.
La fin ? Quelle fin ? Nous sommes au commencement…
P.S. Outre Indignez-vous !, Indigène a publié récemment Podemos, Sûr que nous pouvons ! par Carolina Bescansa, Inigo Errejon, Pablo Iglesias et Juan Carlos Monedero ; ainsi que Parce que les choses peuvent être différentes… par Manuela Carmena, préface de Michelle Perrot. Jean-Pierre Barou est par ailleurs l’auteur de La Guerre d’Espagne ne fait que commencer (Seuil) dont un lecteur sur le blog de Mediapart a écrit : « Ce texte opère une véritable révolution copernicienne. »
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