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samedi, 12 mars 2016 dans
TRAVAIL
Temps de travail et salaire paraissent intimement liés… il n’en est pourtant rien et l’exacerbation actuelle de la crise entre employeurs et salariés nous fait redécouvrir une réalité qui, au fil des décennies, avait été masquée par les conquêtes sociales. Le mythe du lien entre temps de travail et rémunération du salarié est en train de voler en éclat.
La mondialisation du capital et la dynamique de libéralisation qui en découle, c’est-à-dire une déréglementation de tous les marchés et en particulier celui de la force de travail, amènent les employeurs à revenir aux principes du système capitaliste.
Quand, au 19e siècle, l’employeur paie le salarié, ce n’est pas le travail effectué qu’il lui achète, mais il lui donne, en échange de son activité, l’équivalent monétaire de ce dont il a besoin pour vivre, autrement dit la valeur de sa force de travail. Ceci explique l’extrême misère de la classe ouvrière qui ne reçoit que le minimum pour vivre et travailler.
Les luttes des salariés vont dès lors, constamment revendiquer, pour mieux vivre, une augmentation du salaire et une réduction de la durée du travail. Quand l’employeur veut que le salarié travaille plus, il le motive en le payant mieux. De même, le salarié qui veut, améliorer son salaire accepte de travailler plus. Ainsi, au fil de cette pratique, de cet accord implicite entre les deux parties, temps de travail et rémunération vont être liés. Ce consensus, souvent renégocié au travers de multiples accords a duré des décennies et a même été codifié. Il garantissait la stabilité du lien social salarial et finalement la paix sociale.
Cette relation entre temps de travail et salaire apparaissait comme quelque chose de logique, naturel, équitable,…d’une certaine manière ça fonctionnait bien. L’Etat se portait le garant d’un système qui assurait une relative stabilité et paix sociale.
La mondialisation du capital a radicalement changé la portée de ce type de relation :
– le rapport de force, en faveur des salariés, qui garantissait la stabilité de cette relation a, sinon disparu, du moins largement été réduit.
– les exigences en matière de production (coût, flexibilité de la main d’œuvre, rentabilité accrue du capital,…) se sont accrues pour les employeurs.
C’est donc, tout à fait logiquement que le patronat, le MEDEF en France, peut impunément détacher le temps de travail du salaire et exiger par exemple, sous menace de liquidation de l’entreprise, une augmentation du temps de travail sans augmentation du salaire. Le chantage marche car le rapport de force est désormais inversé.
On retrouve donc ainsi le principe originel du capitalisme d’antan qui faisait du salaire la rémunération correspondant à la valeur de la force de travail, autrement dit le revenu de subsistance, complètement détaché de la valeur produite par le travail. Ceux que certains appellent improprement la « fin du salariat » est au contraire la redécouverte de ce qu’il est en réalité.
La force de travail, dans le capitalisme a toujours été, et est toujours, une marchandise qui se négocie sur le « marché de la force de travail » et non du travail. Le développement récent du fonctionnement du Capital nous le rappelle. Il n’y a donc pas « fin du salariat », mais au contraire réaffirmation de son principe.
12 mars 2016-03-09 Patrick MIGNARD
LE TRAVAIL EN QUESTION (3)
Le salaire rémunère-t-il le travail ?
C’est une question théorique qui a pas mal préoccupé économistes et philosophes et, comme toujours en cette matière, les avis sont partagés. La question n’est pourtant pas seulement théorique, en effet elle permettrait de savoir dans le cas d’une baisse ou d’une augmentation du temps de travail si l’on doit, s’il est légitime, s’il est logique, s’il est juste, s’il est acceptable… de baisser ou d’augmenter le salaire.
La question est implicitement posée lorsque l’on allonge la durée de travail sans augmentation de salaire – voir l’article « LE TRAVAIL EN QUESTION (2).
Le premier réflexe du salarié, dans cette situation, est de vouloir « gagner plus » puisqu’il « travaille plus »… Il fait donc un lien direct entre salaire et quantité de travail fourni… D’ailleurs la pratique courante dans l’entreprise est de payer plus si l’on travaille plus, comme dans le cas des heures supplémentaires par exemple. Le réflexe correspond bien à une pratique sociale couramment admise. Pourtant à y regarder de plus près la chose est moins évidente qu’il n’y paraît.
COMMENT SE FIXE LE SALAIRE ?
Question : Est ce le travail effectué qui est payé par le salaire ?
Imaginons que ce soit le cas. Toute la valeur produite est distribuée sous la forme de salaires. Dans ce cas, l’employeur ne gagne rien par la vente de sa production. Il n’y a pas de profit, à moins que le profit ne soit que spéculatif c’est-à-dire obtenu en vendant systématiquement le produit au dessus de sa valeur. Cette hypothèse, même si elle peut s’envisager conjoncturellement, ne peut pas expliquer l’accumulation réelle de richesses dans la société. Il faut donc que toute la valeur créée dans l’acte de production ne soit pas intégralement distribuée aux salariés. Les salariés ne reçoivent donc qu’une partie de la valeur qu’ils ont créé par leur travail.
Mais alors, s’il en est ainsi, le salaire ne peut pas être la rémunération du travail, il ne correspond qu’à une partie de la valeur créée… mais à quoi correspond cette partie ?
Supposons qu’il n’y ai pas de salaire minimum, de conventions collectives, bref qu’il y ai un « marché du travail » non réglementé…Lorsqu’un demandeur d’emploi sollicite une embauche, ce qui l’anime au premier abord c’est de gagner une somme d’argent lui permettant de vivre dans des conditions socialement acceptables. Ce qui intéresse l’employeur c’est d’avoir un salarié, possesseur d’un « savoir faire », et qui puisse vivre pour pouvoir travailler…. Cela est vrai indépendamment de la durée du travail qui n’intervient que dans un second temps.
Ainsi, ce qu’achète l’employeur c’est la capacité de travail du salarié, directement liée à sa capacité à se procurer une partie des richesses produites… c’est le salaire qui y pourvoi. Réciproquement ce que vend le salarié c’est sa capacité de travail qu’il ne peut assurer que s’il a les moyens de vivre. Autrement dit, ce qui se vend et s’achète sur le « marché du travail », ce n’est pas du travail, mais de la capacité de travail pour l’employeur et une capacité de vie sociale pour le salarié. C’est à celle là que correspond le salaire.
L’apparence de rémunération du travail par le salaire n’est qu’illusoire. Ce n’est donc pas ce qu’il produit qui lui est payé au salarié mais la valeur de sa capacité de travail… ce qui est complètement différent.
LE STATUT « MARCHANDISE » DE LA CAPACITÉ DE TRAVAIL
Cette capacité de travail que vend le salarié sur le « marché du travail » et qu’achète l’employeur moyennant salaire fait l’objet d’une transaction. L’employeur n’achète que s’il en a besoin et ce besoin est déterminé par le calcul économique (c’est rentable ou pas ? telle est la question déterminante ). C’est ce qui explique qu’une capacité de travail ne trouve pas forcément un emploi ; encore faut-il que l’employeur en ai besoin. S’il n’en a pas besoin, il ne l’achète pas… c’est le chômage. S’il trouve mieux ailleurs et moins cher il ira ailleurs… comme dans le cas des délocalisations.
Ainsi la capacité de travail acquière un statut de marchandise, elle se négocie sur un marché comme tout autre marchandise. Son prix, le salaire est fixé par « ce qu’a besoin l’individu pour vivre socialement » et fluctue en fonction de l’offre et de la demande. Elle peut–être achetée, comme délaissée, par l’employeur, en cas de sur abondance. C’est à ces fluctuations qu’est soumis le salarié. L’employeur est libre d’acheter ou pas comme tout intervenant sur un marché. On notera que c’est la capacité de travail de l’individu qui est marchandise et pas lui-même en tant qu’individu. (voir à ce propos l’article « MARCHANDISE CONTRE CITOYENNETE »)
Les salariés ont évidemment, par la lutte, depuis le 19e siècle, imposé des garanties de stabilité et de progression de leurs salaires (salaire minimum, primes, conventions collectives, grilles de salaires en fonction de la formation, de la compétence, surévaluation de la rémunération de certaines heures de travail,…). Certaines de ces mesures ont même été imposées par l’employeur pour diviser les salariés et les affaiblir dans leurs revendications (hiérarchie des salaires, primes). Tout cela a fait perdre peu à peu, dans la conscience collective, ce qu’était véritablement le rapport salarial et l’origine du salaire. Or, ces acquis sont entrain de tomber les uns après les autres et la véritable nature du système marchand réapparaît au grand jour.
LE « RETOUR AUX SOURCES »
On reconnaîtra, en effet, dans ce qui est entrain de se passer – voir l’article « LE TRAVAIL EN QUESTION (2) » concernant l’allongement de la durée du travail sans augmentation de salaire un véritable retour aux « fondamentaux » de la marchandise. C’est « tout naturellement » que le patronat propose un allongement de la durée du travail sans toucher au salaire avec l’air de dire aux salariés : « Vous avez de quoi vivre, votre salaire, et c’est l’essentiel, si vous voulez le conserver il faut travailler plus ». Autrement dit « Je vous paye à votre valeur, j’ai le droit d’utiliser la marchandise achetée(votre force de travail), comme bon me semble ». Démarche purement marchande et qui correspond bien à ce qu’est le rapport salarial : un rapport marchand.
Devant l’alternative qui lui est imposée, travailler plus ou être licencié, le salarié tient symétriquement, le même raisonnement : « L’essentiel pour moi c’est le salaire, j’accepte que le patron m’utilise comme bon lui semble ». Il vit cette situation comme une régression, mais il sauve l’essentiel, son salaire.
Le tour est joué et est imparable.
On comprendra que cette situation est une extraordinaire victoire pour l’employeur qui trouve ainsi le moyen d’éradiquer peu à peu deux siècles de conquêtes sociales ; et cette éradication se fait avec l’ « accord » des salariés qui n’ont pas le choix et en faisant un extraordinaire « pied de nez » aux syndicats qui se voient ainsi « mis sur la touche » et désavoués si ils insistent.
C’est un véritable « coup d’état social » qui est entrain de s’effectuer sous nos yeux et dans une indifférence à peu prés générale. Deux siècles de conquêtes ouvrières sont entrain de « passer à la trappe ». Les stratégies traditionnelles de luttes syndicales sont aujourd’hui totalement obsolètes et impuissantes à enrayer cette nouvelle offensive anti sociale. C’est tout le système marchand, avec sa puissance d’organisation qui passe à l’offensive pour faire sauter les « entraves » que des décennies de luttes ont mis sur sa route (service public, protection sociale, législation du travail,…) – voir l’article « NÉGOCIER ? MAIS NÉGOCIER QUOI ? ».
Septembre 2004 Patrick MIGNARD
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