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lundi, 15 février 2016 dans
Construire des alternatives
La campagne de Bernie Sanders percute comme un météore le champ politique. Après qu’il ait fait jeu égal avec Hilary Clinton dans l’Iowa et sa victoire écrasante dans le New Hampshire, son défi à l’establishment n’est plus considéré comme une amusante figuration dans le monde dit de la « politique réel ». C’est un tournant majeur dans cette année électorale qui se déroule au milieu d’une profonde crise sociale.
Le bloc dominant qui contrôle les partis démocrate et républicain pour le compte de la classe dominante capitaliste a perdu le contrôle de la situation – du moins temporairement. Les commentateurs aiment décrire Bernie Sanders et Donald Trump comme des « outsiders populistes » symétriques qui répondent à la colère et la frustration de la classe des travailleurs.
Mais alors que Sanders en appelle aux traditions de solidarité sociale et à la responsabilité partagée pour la résolution des désastres qu’affronte notre société, Trump exploite les pires instincts en cherchant les boucs émissaires chez les « autres », les musulmans, les immigrés et toute autre cible facile. Il n’est donc pas surprenant que les suprématismes blancs et les « nationalistes » considèrent la campagne de Trump comme une ouverture pour leur politique raciste et haineuse.
À l’inverse, la force de la jeunesse et des travailleurs qui irrigue la campagne de Sanders montre la profonde attraction qu’exerce son programme pour l’assurance santé, la sécurité sociale élargie, la gratuité de l’université, le salaire minimum à 15 dollars et la « révolution politique » contre Wall Street et les banques « trop puissantes pour exister ».
Tout cela montre que l’Amérique n’est pas au beau milieu d’un tournant populaire de masse vers là droite. La participation des jeunes primo-votants dans l’Iowa a stupéfait les analystes. Dans le camp démocrate, on estime que 80 % d’entre eux se sont tournés vers Bernie. (Il est à noter que des jeunes ont été également présents, à une échelle plus réduite mais néanmoins significative, notamment dans les universités, dans les caucus républicains, sans doute pour les mêmes raisons : un avenir bloqué dans le bourbier de l’insécurité sociale et des dettes écrasantes.)
Le soir de la primaire du New Hampshire, chacun avait compris que les jeunes allaient massivement voter pour Sanders – y compris les jeunes femmes qui restaient sourdes aux appels de Gloria Steinem et Madeline Albright1 à faire leur « devoir » en soutenant Hillary Clinton.
Au sein de la classe travailleuse et du mouvement ouvrier, le soutien à Bernie est de plus en plus fort. Alors que de nombreux syndicats ont apporté très tôt leur soutien à Clinton, sans prendre ni le temps ni le risque de prendre en compte l’opinion de leurs adhérents, l’AFL-CIO n’a pas encore pris position, certainement en raison de la force du sentiment pro-Sanders dans des secteurs significatifs du salariat. L’United Auto Workers a déclaré qu’elle allait consulter ses membres que son président, Dennis Williams, dit « partagés ». La réunion nationale « Les travailleurs pour Bernie » qui se tiendra à l’ouverture de la conférence de Labor Notes2 à Chicago le 1er avril promet d’être un événement formidable !
Passé l’enthousiasme du premier moment, l’establishment du Parti démocrate est néanmoins convaincu à 99 % que le socialiste déclaré n’est pas éligible – tandis que 1 % est totalement effrayé qu’il puisse l’être, considérant ce qui peut émerger de la meute républicaine.
Dans les primaires à venir dans le Sud et les grands États, nous pensons que Sanders obtiendra de meilleurs résultats que ceux que les pronostics conventionnels lui donnent, y compris parmi les électeurs afro-américains et latinos.
Dans les mois qui viennent, nous pourrons apprécier jusqu’où ira la direction démocrate pour éliminer Sanders. Sa candidature présente pourtant un atout pour le parti en lui apportant tous ces jeunes et tous ces travailleurs qui sont de notoriété publique plutôt réservés sur la candidature d’Hillary Clinton – ce qui est assez compréhensible !
La recherche de l’« unité » peut être mise à mal si la direction du parti multiplie les mauvais coups pour mettre sur la touche Sanders, par exemple, en attisant la question raciale ou la haine du rouge ou encore en s’appuyant des super-délégués non élus pour imposer la nomination de Clinton. Il ne fait aucun doute que ces moyens seront certainement utilisés s’ils se révélaient nécessaires. Et la dernière ligne de défense sera le chantage à l’alarmisme absolu – le mensonge pseudo-concret @selon lequel « la nomination de Bernie ouvrirait la Maison Blanche à l’extrême droite républicaine ».
Mais quelle que soit l’issue de la primaire, la révolution politique contre la « classe de milliardaires », ce que le mouvement Occupy appelait le « 1% », la classe dirigeante capitaliste– ne pourra pas se développer dans l’espace d’un parti qui en dernière analyse appartient et est contrôlé par cette classe.
Quel que soient le bruit et la fureur que produira le processus de désignation, l’Amérique des firmes, les banques, Wall Street et les « hedge funds » peuvent être assurés que le Parti démocrate restera entre de bonnes mains. Ils ont prospéré sous Bill Clinton et Barack Obama, tout comme sous George W. Bush, et la rhétorique passionnée d’une campagne politique ne changera pas cette réalité que Bernie Sanders a parfaitement résumé : « C’est Wall Street qui contrôle le Congrès ».
C’est aussi cette réalité qui contrôle également le Parti démocrate et c’est la raison pour laquelle Bernie Sanders lui-même s’est toujours, depuis des décennies, présenté en tant que candidat indépendant.
La dynamique « Bern » et la force qu’il a capturée va très probablement se disperser dans la désillusion et la frustration, comme ce fut le cas tragiquement avec la Rainbow Coalition de Jesse Jackson3 en 1988… sauf si le mouvement trouve les moyens de se maintenir et de s’exprimer indépendamment du Parti démocrate. La forme que cela prendra n’est pas prévisible et ne peut surgir que de la base militante.
Cette énergie peut-elle s’orienter vers une politique indépendante comme la campagne de Jill Stein4 ou même vers un nouveau parti ? Les milliers de supporters de Sanders concluront-ils que, comme Bernie, ils sont réellement socialistes et commencent à en tirer les conclusions appropriées ? Pourront-ils être une des composantes de ce que Solidarity appelle la possible « prochaine gauche » ?
Ce sont là des questions ouvertes à la discussion pour des centaines de milliers de personnes qui se sentent « Bern ». Comme d’autres au sein de la gauche socialiste, Solidarity entend prendre sa part de cette recherche.
Le bureau de Solidarity 11 février 2016
traduit par Patrick Le Tréhondat et Patrick Silberstein, Ensemble!
Bernie Sanders, candidat à la primaire américaine bouscule l’establishment démocrate et sa représentante Hillary Clinton. Au-delà de ces turbulences, c’est surtout un candidat vraiment à gauche qui se proclame socialiste et se présente sur un programme radical. Il fait jeu égal avec l’autre candidate démocrate.
Un évènement aux Etats-Unis, habitués à une bienheureuse alternance. Mais Bernie Sanders, c’est aussi le candidat des coopératives.
En décembre 2014, bien avant d’annoncer sa candidature, Bernie Sanders avait proposé un programme An Economic Agenda for America: 12 Steps Forward où, en bonne place, en troisième point, on trouvait la proposition de « Créer des coopératives de travailleurs » : « Nous devons développer un nouveau modèle économique pour stimuler la création d’emploi et la productivité. Au lieu d’accorder des exemptions fiscales aux sociétés qui déplacent nos emplois en Chine et dans les pays à bas salaires, nous devons aider les travailleurs qui veulent acquérir leurs propres entreprises en fondant des coopératives détenues par eux. Etudes après étude, il est prouvé que lorsque les travailleurs sont investis dans leurs entreprises, ils travaillent pour elles, la productivité augmente, l’absentéisme diminue et les employés sont plus heureux dans leur travail. »
Sénateur de l’Etat du Vermont, après avoir été maire de la ville Burlington, Sanders, (il n’a adhéré au parti démocrate qu’en 2015…), Sanders accorde, depuis plusieurs années, une attention soutenue à la question des coopératives.
En 2009 (avec cinq autres sénateurs) puis en 2012, il fait des propositions de lois en leur faveur qui bien entendu sont rejetées par les majorités démocrate-républicaine. Sanders et ses collègues proposent alors un plan détaillé pour une action fédérale forte en faveur des coopératives et la création d’une banque publique pour les soutenir et favoriser leur financement.
Sanders ajoute que le ministère du travail devait créer des centres publics de soutien pour apporter formation et toute aide technique aux reprises d’entreprises par leurs salariés. Cette proposition s’appuie sur l’expérience positive dans son propre Etat du Vermont Employee Ownership Center (le Centre du Vermont pour la propriété des salariés, VEOC). Ce centre « à but non lucratif » assure depuis 2001, financements et formations aux « salariés qui souhaitent racheter leurs entreprises ».
Conor Lynch, qui a suit attentivement Bernie Sanders, remarque dans “The radical Bernie Sanders idea that could reclaim America for the 99 percent,” « C’est là que les coopératives de salariés, qui peuvent être un élément majeur et décisif de l’avenir du mouvement ouvrier, arrivent…. Les coopératives de travailleurs peuvent proposer une nouvelle base aux mouvements des travailleurs de demain. »
Sur le site At AlterNet, Zaid Jilani revient également sur les propositions de Sanders dans son article “Bernie Sanders’ Campaign Issues Truly Extraordinary Campaign Plank”: « Aujourd’hui il y a 11 000 coopératives détenues par leurs salaries et près de 120 millions d’Américains qui, d’une façon ou d’une autre, sont engagés dans le mouvement américain, si on prend en compte les coopératives de crédit. En soutenant leur extension, Sanders fait la différence avec ses opposants qui sont uniquement dans le style et non dans le fonds – apporter une alternative aux entreprises qui dominent et dirigent notre économie. »
Patrick Le Tréhondat. Publié sur le site de l’Association Autogestion.
PS : Le 17 décembre dernier, le syndicat CWA (Communications Workers of America, 700 000 membres), le plus important syndicat dans les télécommunications, a apporté son soutien à Bernie Sanders, à la suite de l’American Postal Workers et du principal syndicat d’infirmières. Reste qu’Hillary Clinton gagnait au même moment le soutien de 18 autres syndicats tout aussi importants dont les principaux syndicats de l’enseignement.
Cependant le tournant du CWA vers Bernie Sanders est significatif des changements en cours dans le mouvement syndical américain, même si cela ne va pas sans friction. En effet, le CWA est habitué à faire de larges dons financiers au candidat, le plus souvent démocrate, que le syndicat soutient. Mais Bernie Sanders, en raison de ses principes financiers de campagne, garants de son indépendance, a refusé cette aide financière. L’AFL-CIO, quant à elle hésite, à prendre parti pour l’un ou l’autre des candidats.
On notera que le syndicat des métallurgistes USW va lui aussi, probablement, s’abstenir d’exprimer une préférence alors qu’il est le promoteur d’un nouveau modèle original, la « coopérative syndiquée », sur lequel nous aurons l’occasion de revenir dans ces colonnes.
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