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mardi, 19 janvier 2016 dans
Social, TRAVAIL
Sur fond d’augmentation du chômage, la condamnation de 9 salariés, dont 5 syndicalistes de la CGT, de l’usine Goodyear à 2 ans de prison dont 9 mois fermes pour séquestration de deux cadres de leur usine afin de défendre leur emploi, fait l’effet d’une véritable déflagration dans le monde syndical et politique. Elle confirme un processus de criminalisation de l’action syndicale, déjà largement dénoncé par l’Observatoire de la répression et de la discrimination syndicale (ODRS) dans son dernier rapport.
Cette criminalisation se fait au nom du « dialogue social » tant vanté par le gouvernement. Ainsi, la ministre du Travail, tout en faisant mine de comprendre « la désespérance des salariés », justifie pleinement la sanction envers les syndicalistes en rappelant que « la séquestration et la violence sont inacceptables », qu’ « elles ne font pas partie des outils du dialogue social ». Or, c’est bien précisément parce que la démocratie en entreprise n’est que pure formalisme que la désespérance des salariés peut emprunter les voies de la séquestration comme arme ultime pour se faire entendre.
Rappelons d’abord que la séquestration de cadres ou de patrons, est extrêmement rare. Elle est utilisée dans moins de 1% des conflits et, contrairement à ce qui est dit dans les médias, ces modes d’actions ne sont pas plus fréquents aujourd’hui qu’il y a 20 ans (DARES, enquête REPONSE). Elle est parfois la seule forme de réponse que les salariés peuvent trouver pour se défendre, sans pour autant porter atteinte à la dignité des personnes.
La colère exprimée par les salariés de Goodyear illustre parfaitement ce cas puisque les cadres retenus pouvaient communiquer, se mouvoir et sortir fumer librement. D’ailleurs, conscients du sens de ce mouvement et de son inscription dans le cadre d’un fait de grève, ces cadres ont retiré leur plainte à la fin du conflit.
L’exemple de Goodyear est dès lors particulièrement illustratif des pratiques patronales actuelles : pendant plus d’un an, la direction de l’entreprise a refusé de négocier ; elle a empêché la reprise du site par d’autres entreprises ou par les salariés.
Le pourrissement de la négociation et le retrait de l’État n’ont donc laissé d’autres choix aux salariés que d’imposer un rapport de force par la grève et la séquestration. Cet acte ne constitue pas une atteinte à la démocratie sociale, elle est le résultat de son inexistence.
La séquestration temporaire de cadres de cette entreprise par des syndicalistes ne peut occulter la violence patronale à laquelle cet action répondait : 1 143 licenciements chez Goodyear avec leur cortège de ruptures familiales et pour plusieurs salariés de suicides. Ce n’est donc pas la violence de ces actes qui expliquerait les sanctions envers les syndicalistes mobilisés. Jusqu’ici ce type d’action était le plus souvent puni par une amende, ou au maximum par des peines de prison avec sursis.
Alors comment expliquer un tel acharnement ?
D’abord, s’il est difficile d’affirmer que le gouvernement ait pu donner des consignes explicites de fermeté au parquet, il est clair qu’il encourage, depuis 2012, ce processus de criminalisation des mouvements sociaux : refus de promulguer la loi d’amnistie sociale, poursuite du fichage ADN des militants syndicaux, et aujourd’hui interdiction des manifestations et assignations à résidence de militants dans le cadre de l’état d’urgence.
De ce point de vue les magistrats les plus sensibles aux discours sécuritaire ambiant se sentent légitimes à sanctionner aussi durement des salariés en colère. Ces même magistrats, plutôt habitués à traiter des faits de délinquance civile, sont largement déconnectés du monde du travail.
Il n’existe en effet plus au sein de l’école nationale de la Magistrature, comme cela était le cas auparavant (et comme le réclame l’ODRS) de formations qui regroupent magistrats, chercheurs et syndicalistes en vue d’analyser ensemble la réalité des relations sociales dans les entreprises.
Cette sanction illustre enfin l’inégalité de traitement réservé au patronat et aux militants syndicaux. L’énormité de cette sanction n’a d’égale que l’impunité d’un patronat qui sanctionne quotidiennement les syndicalistes qui s’opposent à l’arbitraire dont ils sont victimes.
Depuis le début des années 2000, les condamnations pour délit d’entrave à l’action syndicale ont été divisées par plus de trois et ce véritable délit vient d’être en partie dépénalisé par la loi Macron. Alors même que les faits de discrimination et de répression syndicales s’intensifient, le gouvernement se refuse à renforcer la législation pour protéger les syndicalistes et pire, donne de nouvelles garanties d’impunité au patronat.
C’est pourquoi l’ODRS propose une accentuation des sanctions pénales envers les patrons voyous et que la participation à un mouvement social soit considéré comme une circonstance atténuante pour les auteurs d’infraction commises à cette occasion.
Didier GELOT économiste et Étienne PENNISAT sociologue, membres de l’ODRS.
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