Publié le
vendredi, 15 janvier 2016 dans
Agriculture
Repris du blog « Pour l’Alternative et l’Autogestion 44 »:
http://www.alternatifs44.com/
Ce matin, l’ambiance n’est pas celle du 10 décembre. Une foule imposante est là, et nous rentrons au tribunal sous une haie d’honneur. Aucun contrôle par les gendarmes, aucun frein, bien au contraire pour rentrer. Dans notre tête aussi c’est diffèrent, nous nous sentons portés par la mobilisation depuis samedi. Nous représentons tous ces milliers de personnes qui se battent pour notre cause commune. Nous pensons aussi aux copains qui ont fait de la garde à vue et qui ont des tracteurs ou des voitures retenues. Chacun prend des coups dans ce chemin vers la victoire.
Pas de contrôle tatillon cette fois à l’intérieur du tribunal. Nous nous installons. M le Juge nous explique le déroulement de cette audience.
Sa décision sera donnée le 25 janvier pour faire vite mais bien, cela se fera par mise à disposition du délibéré et non par audience. Le 25, il répondra à la QPC (Question Prioritaire de Constitutionalité) qui va être posée et s’il l’écarte, il ordonnera l’expulsion immédiate ou bien accordera des délais. L’affaire va donc être jugée dans son intégralité aujourd’hui et cela va prendre du temps.
Mr Lemoigne commence la plaidoirie pour la QPC. Il a invité Victor Hugo : « ceux qui vivent sont ceux qui luttent ». Il nous parle d’humanisme juridique…. D’épuisement des ressources naturelles et de prendre soin de la maison commune, et enfin d’avoir une vision holistique (globale).
Ensuite, il attaque le dur en citant l’article L131-1 du code de l’expropriation qui ne donne pas de marge de manœuvre au juge (expulsion sous 1 mois) et est donc une atteinte au droit au logement et au droit au travail. Les paysans s’ils sont expulsés seront privés de leur droit au travail. Le principe d’égalité entre citoyen ne peut pas permettre de traiter un occupant illégal selon qu’il est exproprié ou non. Enfin, le pouvoir de l’expropriant est exorbitant car lui seul décide des dates et des astreintes.
Mr Bascoulergue poursuit la démarche. Le droit de l’expropriation est un droit exorbitant par rapport au droit commun, or ce sont des êtres humains pour lesquels on juge. L’expropriant n’a pas proposé d’offre de relogement et il n’y a pas d’urgence.
L’avocat de Vinci plaide à son tour. La jurisprudence du conseil constitutionnel sur dix jugements affirme qu’une dépossession est en règle s’il y a eu une procédure contradictoire et si les indemnités ont été versées. On n’est pas dans un rapport entre privés car AGO agit pour le compte de l’État. Il faut voir le projet dans son ensemble. Les expropriés ont eu le temps de contester le projet et le caractère d’utilité publique. Le juge administratif a confirmé l’intérêt du projet.
Des sommes importantes ont été jugées ici même ; par exemple M Fresneau…par exemple Mme Thebault….. Par exemple M Bizeul….
Pour préserver l’outil de travail, les agriculteurs ont reçu 3 marges brutes en indemnité et 3 marges brutes pour rechercher une exploitation. Les recours du 17 juillet ont validé la loi sur l’eau. L’appel n’est pas suspensif et depuis cette date, les travaux peuvent commencer.
Le juge informe que la cour de cassation traitera du caractère sérieux de la QPC, mais que lui doit juger si la QPC est dépourvue de sérieux ou non pour la transmettre.
Nous traitons ensuite du fonds du dossier.
Mr Ramdenie, avocat de Vinci, donne des arguments pour contrer la demande d’annulation de la procédure pour irrégularité de paiement. Selon lui pour la cour européenne, un délai de paiement de 3 ans après le transfert est acceptable.
L’expropriation est juste et raisonnable car :
– les locataires ont reçu des compensations
– M Fresneau a été indemnisé sans appliquer de vétusté à son bâtiment
– les exploitants ont été indemnisés 2 fois
– on a acheté les terrains trop cher.
Il y a urgence :
– les travaux peuvent démarrer depuis le 17 juillet 2015
– les arrêtés lois sur l’eau donnent des dates d’intervention très strictes: par exemple, abattage des arbres interdits de mars à juillet, intervention sur les ruisseaux interdite de aout à octobre.
On ne peut demander aucune autorisation. Tout retard entraine une année de retard pour les travaux. Les ordonnances d’expropriation datent de janvier 2012. Les travaux doivent être faits dans un délai de 5 ans. Au-delà de janvier 2017, l’ordonnance ne serait plus valide et il faudrait faire une rétrocession des terrains et habitats aux actuels occupants.
L’astreinte nous permet d’éviter d’utiliser les forces de l’ordre pour faire libérer les lieux.
Pour plaider contre les locataires, il explique qu’il y a eu des propositions de relogement, mais sans suite car « ce sont des opposants ». Il explique à nouveau la date limite de 2017 : « M le juge, vous ne pouvez pas retarder le projet ! »
En défense, après avoir fait appel à Nietzsche, les avocats expliquent que Vinci n’a pas payé l’intégralité de la somme car il manque les frais d’avocat. Ils interrogent aussi le juge sur son rôle : est-il un simple exécutant ou bien un arbitre, un homme qui juge au service d’autres hommes ? Le droit de l’expropriation doit s’incliner devant d’autres juridictions comme le droit au logement et la charte sociale européenne.
Il n’y a pas d’urgence constituée, Vinci ne prouve pas que telle ou telle exploitation gêne pour des travaux en 2016.
L’État a entretenu l’incertitude et veut le faire payer aux familles.
Il est demandé 24 mois de délai pour respecter les cycles de vie dans les exploitations et 0 euros d’astreinte car on est sans certitude sur l’état d’avancement du projet.
Pour les locataires, il est demandé de faire une conciliation et de revoir l’astreinte qui est une sanction.
Après un échange plus chaleureux sur la situation familiale de chacun pour éventuellement tenir compte des droits de l’enfant, le juge laisse la parole à Dominique Fresneau. Dominique explique très brillamment que chez les paysans la parole compte et que celle de F Hollande a permis un moratoire pendant trois ans et qu’elle court toujours : « vous avez le pouvoir, M le juge d’éviter un drame humain comme à Sivens et d’éviter un drame contre la nature. »
A la sortie de cette longue séance, nous nous disons que nous ne pouvons rien deviner de la décision à venir.
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