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Sivens : Le Fantôme de la Métairie Neuve

Publié le lundi, 10 août 2015 dans Libertés, No Pasaran !

ob_97a085_fantomeDans l’affaire de la destruction illégale de la Métairie Neuve de Sivens, une nouvelle plainte vient d’être déposée contre Thierry Carcenac, pris en sa qualité de président du Conseil départemental (pas de sénateur).

Cette plainte relève du délit que le code pénal appelle « l’abus d’autorité contre l’administration » (ne pas confondre avec le délit d’abus d’autorité contre les particuliers qui vise notamment des atteintes à la liberté individuelle ou des discriminations).

Ce délit figure dans le Titre III du code pénal « Des atteintes à l’autorité de l’Etat »,

Chapitre 2 : « Des atteintes à l’administration publique commises par des personnes exerçant une fonction publique ».

LE DÉLIT :

Aux termes du code pénal, ce délit concerne « Le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique [ici le président du Conseil départemental], agissant dans l’exercice de ses fonctions, de prendre des mesures destinées à faire échec à l’exécution de la loi [ici, plusieurs lois, dont la loi de décentralisation qui sera principalement traitée par ce billet]»

L’infraction « est punie de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende si elle a été suivie d’effet » (articles 432-1 et 432-2 du code pénal) ce qui a été le cas à Sivens comme on va le voir plus loin.

Si l’on prend en compte les peines complémentaires d’interdiction des droits civils et d’interdiction d’exercer une fonction publique (prévues par l’article 432-17 du code pénal pour ce délit d’abus d’autorité contre l’administration), on comprend la gravité de ce que je reproche aujourd’hui publiquement à Thierry Carcenac.

 

UN CAS D’ÉCOLE

Ce qui s’est passé à Sivens entre le 28 mai et le 2 juin 2015 est déjà un cas d’école en matière de destruction de biens en réunion, du fait que les bâtiments détruits étaient légalement protégés par le PLU de Lisle-sur-Tarn et du fait que les plus hautes autorités tarnaises ont participé aux infractions juste après un incendie criminel. C’est du jamais vu en France, même en Corse

C’est aussi un cas d’école exceptionnel en ce qui concerne le délit d’abus d’autorité contre l’administration.

En décidant de raser les bâtiments de la Métairie Neuve avant même que l’arrêté de péril de sa comparse maire de Lisle sur Tarn ne soit exécutoire, on va voir que Thierry Carcenac a pris une « mesure destinée à faire échec à l’exécution » de la grande loi de décentralisation du 2 mars 1982.

Ce cas d’école est trois fois exceptionnel :

–          Exceptionnel du fait du comportement particulièrement irresponsable de Thierry Carcenac, président du Conseil départemental, qui a décidé, en outrepassant ses pouvoirs, de faire raser la Métairie Neuve dès le lendemain d’un incendie criminel et peut être même… le jour même, malgré le régime de protection de la Métairie.

–          Exceptionnel car il ne s’est jamais produit un cas semblable à ce jour

–          Exceptionnel par le fait que le Conseil constitutionnel avait envisagé un tel cas de figure dans ses discussions sur la fameuse loi de décentralisation…

Mais trêve de suspens, voici l’explication du délit en deux temps, des origines… à nos jours.

 

LA LOI DE DÉCENTRALISATION ET LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL

La loi du 2 mars 1982 (loi Deferre) est une des grandes lois de la 5° République. Malgré les dérapages inévitables, elle a modifié considérablement le fonctionnement des institutions en donnant beaucoup de pouvoir aux collectivités territoriales.

Une des questions clefs dans sa discussion était de savoir jusqu’où allait ce pouvoir une fois déterminé le « domaine » des anciennes prérogatives de l’Etat transférées aux collectivités. L’État aurait-il un pouvoir effectif de contrôle sur les actes des collectivités territoriales dès lors que ces actes seraient illégaux ?

Le projet de loi Deferre initial était plutôt radical dans le transfert des compétences : il prévoyait non seulement que les actes pris par les autorités locales étaient « exécutoires  de plein droit » sans même avoir été transmis au préfet ! mais que le préfet ne pouvait pas saisir le tribunal administratif avant expiration d’un préavis de 20 jours !

Ce texte était une révolution à lui tout seul : la porte ouverte d’un côté à la plus belle des démocraties locales et de l’autre… aux pires dérapages et aux résurgences des féodalités !

La question clef du contrôle de l’Etat a été tranchée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 25 février 1982 :

Pour le préavis de 20 jours, le Conseil constitutionnel  n’a pas accepté « cette impossibilité temporaire d’agir qui, dans les dispositions précitées de la loi, frappe le représentant de l’État, même à l’égard d’un acte manifestement illégal » (sic)

Et il a jugé « qu’en déclarant ces actes exécutoires de plein droit avant même leur transmission au représentant de l’Etat, c’est-à-dire alors qu’il n’en connaît pas la teneur et n’est donc pas en mesure de saisir la juridiction administrative d’un recours assorti d’une demande éventuelle de sursis à exécution, les articles 2 (…), 45 et 69, paragraphe I (…), de la loi privent l’Etat, fût-ce temporairement, du moyen d’exercer les prérogatives qui lui sont réservées par l’article 72 (…) de la Constitution ».

Comprenez bien : l’article 72 donnait (et donne) aux préfets, dans les départements, « la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois« . Mais encore fallait-il pour le Conseil constitutionnel que les préfets puissent exercer pleinement cette charge !

Ainsi est né en 1982, ce que l’on appelle depuis le « contrôle de légalité » des actes des collectivités territoriales tel qu’il a été transposé dans la loi (pour les communes : voir les articles L 2131-1 et 2131-6 CGCT).

Ce contrôle peut être « amiable » ou juridictionnel, le tribunal administratif ayant seul le pouvoir d’annuler les actes illégaux des collectivités, mais surtout, c’est un contrôle a posteriori, c’est à dire que le préfet l’exerce après l’entrée en vigueur des actes : l’acte DOIT être transmis au préfet pour être exécutoire et le préfet peut contester sa légalité après cette transmission, au besoin en demandant la « suspension » de son exécution au tribunal administratif (avant 2001, on parlait de « sursis à exécution« ) soit de sa propre initiative, soit à la demande d’un citoyen.

ET NOUS Y VOILA !

Le préfet a donc la charge du contrôle de la légalité de la plupart des actes des communes mais encore faut-il qu’il puisse exercer pleinement ce contrôle, prévu par la Constitution et par la loi, et qu’aucune autorité publique ne l’empêche de l’exercer… ce qui peut se réaliser de deux façons :

1- Une autorité publique (ici le maire) ne transmet pas au préfet l’acte à contrôler. Dans ce cas, un ministre de l’Intérieur (Mme Alliot-Marie) a indiqué au Parlement qu’il était possible d’appliquer l’article 432-1 du code pénal visant l’abus d’autorité contre l’administration.http://www.senat.fr/questions/base/2007/qSEQ070801315.html

2- Une autorité publique prend une mesure telle que le contrôle de légalité devient impossible dans tous ses effets prévus par la loi.

C’est cette seconde technique, du jamais vu à ce jour ! qui a été employée par le sieur Carcenac, président du Conseil départemental du Tarn !

COMMENT CARCENAC A FAIT SON COUP DE JARNAC !

Le 28 mai 2015, la Métairie Neuve à Sivens a été l’objet d’un incendie criminel.

Le 29 mai, la maire de Lisle-sur Tarn a profité de l’occasion et pris un arrêté délirant visant à démolir les bâtiments, alors qu’ils étaient frappés d’une interdiction de démolir par le Plan Local d’Urbanisme.

Le 1er juin, un lundi, au petit matin, Thierry Carcenac a fait raser tous les bâtiments par une grosse entreprise de travaux publics d’Albi, entreprise liée par le passé au Conseil Général par divers contrats.

Le 2 juin, Jean Claude Egidio s’étant rendu à la mairie de Lisle, RIEN ne nous permettait d’être sûrs que l’arrêté délirant de Maryline Lherm était exécutoire. La mairie de Lisle sur Tarn indiquait simplement que l’arrêté avait été transmis au préfet… le 1er juin… DONC :

CE QUI EST SÛR,

Ce qui est sûr, c’est que Thierry Carcenac a forcément décidé de faire raser les bâtiments AVANT que l’arrêté délirant de Maryline Lherm ne soit exécutoire.

Ce qui est sûr, c’est que le préfet du Tarn n’a disposé d’aucun délai et d’aucun moyen effectif pour faire suspendre par le tribunal administratif l’exécution de l’arrêté grossièrement illégal de Maryline Lherm.

En effet, le 1er juin, jour de la transmission de l’arrêté à la préfecture, TOUT était rasé ! Une procédure de suspension de l’arrêté (pour laquelle la loi donne un mois au tribunal pour statuer !) était donc strictement impossible.

Je parle ici de la possibilité technique donnée au préfet. De la simple application de la loi. Le fait, personnel celui-là, qu’un préfet pourrait ou puisse traiter l’article 72 de la Constitution comme le dernier des paillassons n’entre pas en ligne de compte.

A supposer que le préfet Gentilhomme (ou son délégué) ait souhaité déférer au tribunal administratif l’arrêté grossièrement illégal de Maryline Lherm pour en faire suspendre l’exécution, IL NE POUVAIT PAS matériellement le faire ! Les faits parlent d’eux-mêmes (da mihi factum, dabo tibi jus, disait déjà l’adage du droit romain).

Ainsi, je peux affirmer ici qu’en agissant comme il l’a fait, Thierry Carcenac « a fait échec », au sens de l’article 432-1 du code pénal, à l’exécution de la loi du 2 mars 1982, à l’application effective de l’article 72 de la Constitution et à celles des articles L 2131-6 et L 2131-8 du Code général des collectivités territoriales.

Il a privé tout citoyen Tarnais d’exercer un droit de recours effectif contre l’arrêté de péril délirant et grotesque de Maryline Lherm suite à quoi un bien départemental répertorié au patrimoine de caractère de la commune de Lisle sur Tarn a été rasé.

Il a privé le préfet du Tarn et tout citoyen Tarnais d’user de son droit de faire suspendre par le juge administratif l’exécution d’une décision grossièrement illégale.

Si grossièrement illégale que je défie quiconque de me trouver un arrêté de péril aussi illégal! (j’offre un assortiment des vins de Plageoles au juriste qui trouvera plus fort dans l’illégalité, comprenant un magnum de son mauzac méthode gaillacoise. Que les gens intelligents se le disent! et qu’on se le dise aussi…)

J’accuse donc publiquement Thierry Carcenac du délit d’abus d’autorité contre l’administration tel que prévu par l’article 432-2 du code pénal, cet abus d’autorité ayant été suivi d’un effet irréversible, puisque tous les bâtiments concernés par l’arrêté grossièrement illégal ont été rasés le 1er juin 2015, de sorte qu’une action en suspension de l’arrêté s’est révélée impossible, puisque dès le 1er juin, jour de sa transmission au préfet, l’arrêté était exécuté !

J’attends avec délices la défense de Thierry Carcenac devant le tribunal correctionnel où finira cette affaire. Je l’imagine aisément aujourd’hui … dans le silence ambiant.

 

FACE A PLUSIEURS DÉLITS CARACTÉRISÉS… LE SILENCE !

C’est l’été. Je dénonce depuis deux mois des délits caractérisés des plus hautes autorités tarnaises et je me retrouve… dans « Le Monde du silence »…

C’est « Le Silence de la mer » mais à l’envers. Car les temps changent. En 1941, le silence pouvait être une forme de résistance contre l’agresseur, contre le pouvoir. En 2015, il est l’apanage de ceux qui ont le pouvoir dans le Tarn !

Mon blog devient un Rivage des Syrtes à la Julien Gracq. J’attends. J’attends… j’attends toujours une citation en diffamation. Je ne vois rien venir…

Et je compte. Je compte… je décompte le s complaisances envers certains délinquants. Des délinquants de choix. Les complaisances les plus diverses.

Je note. Je note … Que le premier ministre monte au créneau dès que trois gamins immatures vandalisent quatre tombes… Qu’ici ou là, certains sont poursuivis pour des délits… dont il n’est pas sûr qu’ils sont établis…  Je note que le Conseil d’Etat vient de juger anormal que l’on puisse trouver à Nîmes des cellules dans lesquelles il y a trois détenus dans 9m2 tout compris…

Je constate. Je constate tous les jours qu’à l’heure d’Internet, la rubrique des chiens écrasés est devenue une rubrique planétaire. Que les discours et les comportements qui relèvent de l’obscurantisme tiennent le haut du pavé. Qu’il est plus facile de s’attaquer à des faits divers qu’aux véritables problèmes de société. Qu’il est difficile de parler de justice en dehors du café du commerce.

Quant à moi, j’ai essentiellement ouvert ce blog pour parler de faits précis, aussi précis que possibles, des règles de droit qui leur sont applicables à mon sens et des conséquences qui devraient en être tirées. Pauvre de moi… je ne suis pas dans l’air du temps…

Et pourtant, je persiste… avec mes billets trop techniques et « trop longs », en sortant dans ce billet une affaire comme il n’y en a jamais eu depuis la loi de décentralisation !

Je persiste avec mes convictions :

JE SAIS que pour beaucoup moins que ça, des élus ont été condamnés à une peine d’interdiction d’exercer une fonction publique. Pour beaucoup moins que ça, le préfet Bonnet a été condamné à une peine d’emprisonnement… après grand tapage médiatique.

Je l’ai dit. Je le redis et je prends date : Thierry Carcenac, politicien professionnel depuis longtemps, peut bénéficier depuis le 5 juin de certaines complaisances et de son immunité parlementaire de cumulard : il n’échappera pas au tribunal correctionnel.

C’est l’été. Une ombre le guette. Celle de la Loi. Plusieurs délits lui sont reprochés. Il n’échappera pas à la Justice.

 Bernard VIGUIE  Blog Mediapart

avec mes remerciements à Patrick Mignard pour son dessin

 


 

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