Nous reproduisons ici le texte de la tribune publiée d&ans l’Humanité du lundi 4 mai 2015 signée par Laurence De Cock du collectif Aggiornamento Histoire géographie et Grégory Chambat du collectif Questions de classes(s). http://www.questionsdeclasses.org/
« Civilisation » ou « barbarie », telle est, selon Marianne, l’alternative dans laquelle nous enferme la réforme du collège. Une certaine gauche – ralliée au libéralisme et au tout sécuritaire – en est ainsi réduite à relayer les thèses éducatives les plus conservatrices. Régis Debray et la « pédagogie-Nutella », Bruno-Roger Petit qui en appelle à Voltaire contre Dieudonné, Brighelli éructant contre « les idiots utiles des barbares », la question scolaire est réduite aux ricanements méprisants sur le collège « Jamel Debbouzze »… Au nom d’un catastrophisme dans l’air du temps, on rigole bien dans les rédactions, les studios et sans doute les dîners mondains. Trop drôle ce jargon auquel on ne comprend rien ; trop drôle le naufrage d’une jeune ministre femme et (donc ?) pas à la hauteur ; trop drôles ces « pédago-bisounours » qui veulent tuer les savoirs. Que toutes ces postures sont loin, très loin, de notre quotidien en classe. La réforme mérite d’être débattue, avec rigueur. Oui, l’école française est injuste, inégalitaire, exceptée pour quelques uns, toujours les mêmes. Et ce qu’elle réussit implacablement, sous l’œil vigilant de ses chiens de garde, c’est à se reproduire elle-même pour mieux reproduire la société telle qu’elle est. Ne laissons pas le monopole de la critique scolaire aux seules mains des conservateurs.
Enseignant.e.s, nous savons que la seule « réussite » qui vaille c’est celle de toutes et de tous ; voilà ce qu’ils appellent « égalitarisme ». Partisans de la coopération, nous défendons le collectif contre l’intérêt particulier, le tri social, les classements et la « consommation » du savoir ; voilà ce qu’ils appellent « pédagogisme ». Indifférent.e.s à toute méritocratie, nous pensons que la démocratie d’un système ne se mesure pas au nombre de dominés rejoignant le camp des dominants… voilà ce qu’ils dénoncent au nom de l’élitisme « républicain ».
C’est aussi pour ces raisons que nous ne souhaitons pas de cette réforme en l’état. Derrière les intentions louables – dans lesquelles nous nous reconnaissons parce que nous ne les avons pas attendues pour les promouvoir (interdisciplinarité, apprentissages en cycles, etc.) – se perpétuent des réalités structurelles qui contredisent les discours. On ne développe pas l’autonomie en renforçant les hiérarchies ni le travail en équipe en maintenant les inégalités de statuts, de fonctions. On n’éduque pas à la démocratie en concentrant entre les mains d’un seul le pouvoir de nommer et de « récompenser » qui bon lui semble. Changer cette école, c’est faire enfin de l’égalité (pas celle du hasard des chances) « la » priorité à travers la mixité sociale (carte scolaire redessinée, et transports gratuits) – promesse oubliée. C’est la titularisation des précaires, la transformation des fameuses « indemnités » en temps de concertation, l’élection pour les fonctions spécifiques et la généralisation des établissements expérimentaux plutôt que la promotion individuelle de l’ « enseignant-innovant ». L’autonomie n’est possible qu’à la condition d’une totale horizontalité. Osons le mot, cela s’appelle l’autogestion. Un horizon socialement émancipateur, non pour défendre ou « aménager » le système, mais pour le transformer.
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