SIVENS ET LE « SYNDROME AZF » (Le projet de démolition de la Métairie Neuve à Sivens). Publié le 27 avril 2015, par Bernard VIGUIE sur Mediapart (blog)
Publié le dimanche, 3 mai 2015 dans Libertés, Point de vue
« La tour d’AZF, mémoire douloureuse, permanente et pathétique du drame est en cours de démolition » : Voici une phrase exceptionnelle et historique de… Philippe Douste-Blazy.
Exceptionnelle, quand vous saurez que le maire de Toulouse devait la prononcer dans un discours… qu’il n’a pas pu faire le 21 septembre 2003, lors de la commémoration du deuxième anniversaire de la catastrophe AZF à Toulouse. En effet, le préfet de la Haute-Garonne avait jugé utile de dépêcher ce jour là sur les lieux une compagnie de CRS, ce qui n’avait pas plu à certaines victimes de l’explosion, d’où un accueil très mitigé fait au maire qui déposa une gerbe de fleurs en deux minutes et partit sans demander son reste, sous les huées, la phrase introductive rejoignant le lot des nombreuses phrases historiques qui n’ont jamais été prononcées (ce qui n’est pas le cas pour la phrase célèbre de Thierry Carcenac commentant la mort de Rémi Fraisse que je ne rappelle pas ici, non par courtoisie pour le président du Conseil départemental du Tarn, mais parce qu’elle nous est restée en travers).
Le maire de Toulouse dira ensuite qu’il n’était pour rien dans le déploiement des CRS, et le préfet dira ensuite pour se justifier… qu’il n’y avait en fait qu’une demi-compagnie. Mais ce qui compte, c’est l’esprit : il y avait moins de CRS quand la FNSEA a répandu des tonnes de fumier et de lisier à Toulouse le 5 novembre 2014, mais ça s’est fait aussi dans l’esprit… de la « république Vallso-Hollandaise » cette fois.
Tout ceci pour vous présenter … le syndrome AZF :
A la terrible explosion du 21 septembre 2001, la « Tour AZF » avait survécu ! Nul ne saura jamais comment et pourquoi elle était restée, blanche et rouge, avec ses plus de cent mètres de haut, intacte au milieu d’un champ de ruines digne du bombardement de Dresde.
Vous pouvez la voir, fringante, bien avant l’explosion, là :
http://www.pss-archi.eu/immeubles/FR-31555-7834.html
Toujours est-il qu’après l’explosion la municipalité de Toulouse eut rapidement l’idée « lumineuse » de la démolir. Pensez donc : elle représentait la « mémoire douloureuse, permanente et pathétique du drame ».
Ne représentait-elle pas plutôt, survivante miraculeuse visible à des kilomètres à la ronde, les errements de la société industrialo-urbaine du XX° siècle, les carences dans l’urbanisation de Toulouse pour laquelle les décideurs avaient fait passer le profit et les intérêts à court terme avant l’intelligence et la réflexion sur l’avenir ? Toutes choses qu’il était préférable d’oublier pour tous les maires qui s’étaient succédés depuis la Libération ?
Dans un monde où l’obscurantisme tient le haut du pavé, il faut savoir effacer les traces de certaines réalités.
Démolir, pour un décideur politique, c’est souvent agir à bon compte : au moins les électeurs et les quidams peuvent voir les résultats concrets de telles actions. Ce qui n’est pas souvent le cas pour les lois inutiles et compliquées, les investissements foireux, les actions du capitalisme international… et les lois visant à surveiller tout le monde en catimini au motif qu’il y aurait trois terroristes sous le tapis.
Les municipalités qui démolissent en grande pompe des barres d’immeubles insalubres l’ont bien compris, comme les combattants de l’Etat islamique ou d’autres, à Tombouctou ou à Bâmiyân … car force est de constater qu’il y a deux types de démolitions : celles qui sont justifiées par des contingences techniques et celles qui sont justifiées par des contingences politiques ou idéologiques.
Avec la « Tour AZF » et le projet de démolition de la Métairie Neuve à Sivens, on est bien dans ce second cas de figure.
Rien en effet, ne peut justifier techniquement la démolition de la Métairie Neuve de Sivens, si ce n’est qu’elle a symbolisé le début de l’occupation de la zone par des zadistes impénitents.
Voyons les faits.
L’exploitation de la Métairie Neuve ayant été arrêtée et la propriété ayant été mise en vente en 2001, le département du Tarn l’a achetée en 2002 après une préemption de la SAFER. Soit dit en passant, on a là un exemple parmi tant d’autres de l’action des SAFER qui ont pour but officiel de « dynamiser l’agriculture et les espaces forestiers, favoriser l’installation des jeunes » et qui font souvent les petites affaires des politiciens locaux. En 2014, le Conseil général envisageait de vendre le bien à un pro-barrage et la CACG envisageait d’y rétablir un compteur et l’électricité…
Certes le bâtiment a été dégradé impunément par un commando de pro-barrage en janvier 2014, commando qui a ainsi montré son profond attachement au patrimoine local et à ses huisseries… (voir « Sivens, le barrage de trop » de Grégoire Souchay et Marc Laimé, page 19, Grégoire Souchay s’étant rendu plusieurs fois sur les lieux).
Mais dès le début de l’occupation en novembre 2013, les zadistes, eux, avaient remis en état l’immeuble qui était inoccupé depuis plus de 10 ans, et notamment remanié le toit ancien en tuiles canal pour que cette construction ancienne, essentiellement en terre, soit hors d’eau (ce qui est fondamental quand on connaît ce type de construction).
Aujourd’hui, ce bâtiment ne menace pas ruines. Ce bâtiment est représentatif d’anciennes constructions tarnaises avec un sol d’étage composé de tomettes sur terre, plancher et grosses poutres (sans solives), une charpente ancienne de qualité, des murs en terre à l’ancienne. Il a été envisagé il y a quelques années de le classer au titre du patrimoine rural ancien.
Eh bien, c’est ce bâtiment que Thierry Carcenac et Maryline Lherm envisagent de démolir dans les conditions que je veux dénoncer ici.
Accessoirement, car je crois que le fond du problème de droit que je vais poser ensuite est plus grave, il faut dire un mot du coût des errements du Conseil départemental. Si démolition il y a, cela coûtera de l’argent. Au coût de la démolition et de la remise en état des lieux devront s’ajouter les pertes, notamment le manque à gagner sur l’achat et la revente de ce bien: le Conseil général avait acheté le bien 147.000€ en 2002 et comptait le revendre à moindre prix à un agriculteur pro-barrage en guise de « compensation ». Le Tarn, qui a prévu un barrage de 8,5 millions d’euros sur la zone naturelle de Sivens pour moins de 20 agriculteurs irrigants, dont l’adjointe au maire de Lisle-sur-Tarn, n’est pas à cela près.
En prévoyant de démolir la Métairie Neuve, les Carcenac et consorts sont donc dans le même type de comportement que pour leur barrage (comportement que je me retiens de qualifier de scandaleux) :
Comme pour la zone humide de Sivens, ils veulent détruire un bien qui appartient au patrimoine départemental et cela va coûter de l’argent public ! Tout cela, pour quoi ?
Thierry Carcenac ne pratique pas la politique du beurre et de l’argent du beurre mais celle du trou et du fond du trou. Et voici maintenant comment il pratique cette politique, en droit :
La Métairie Neuve est un ancien bâtiment agricole désaffecté qui appartient au domaine privé du département du Tarn. Il pourrait tout
aussi bien appartenir à « Monsieur Dupon ».
Imagine-t-on Monsieur Dupon, ami ou parent du maire et propriétaire d’une parcelle située en rase campagne, dans une zone classée « Naturelle », demandant au maire de la commune de modifier spécialement pour lui le Plan local d’urbanisme, par exemple de déclasser cette zone (zone N) pour la rendre constructible ou réaliser une opération particulière impossible sans changer le PLU ? C’est pratiquement impensable car le PLU est fait, d’abord, pour défendre et sauvegarder l’intérêt général de la commune et non servir l’intérêt particulier d’un ami du maire.
Eh bien, c’est pourtant ce qui se passe à Lisle-sur-Tarn, où Thierry Carcenac joue ouvertement les Dupon si j’en crois la récente convocation du conseil municipal de Lisle-sur-Tarn que je cite ici pour que ce soit bien clair :
« Par délibération du 14 juin 2012, le conseil municipal approuvait le PLU de la ville de Lisle-sur-Tarn.
« Ce document nécessite à ce jour des modifications afin de permettre:
« La destruction des bâtiments de la Métairie Neuve situés sur la parcelle A 478 et propriété du Conseil général. Il convient à ce titre de préciser que par courrier du 13 mars 2015, Monsieur le Président du Conseil général faisait part, suite à la sollicitation de Monsieur le préfet du Tarn de son souhait de réaliser cette destruction dès que le plan local d’urbanisme de la ville le lui permettrait«
Il ressort de ce document que Maryline Lherm a convoqué le conseil municipal aux fins de modifier le PLU de la commune à la demande expresse de Thierry Carcenac et pour un intérêt privé, fût-il celui du département puisque le bien appartient au domaine privé départemental.
En droit, on appelle cela un détournement de pouvoir. Il est caractérisé en gras dans le texte cité plus haut.
C’est un détournement de pouvoir digne de certains détournements de pouvoir que l’on a pu voir aux débuts des lois de décentralisation de 1982 ! On fait fi de l’intérêt général ! On fait ses affaires entre amis ! Au passage on peut régler ses comptes et donner cours à ses lubies. Un bâtiment, qui présente un intérêt patrimonial, que l’ancien conseil municipal de Lisle avait protégé par le PLU de 2012 se retrouverait « à démolir » et sans intérêt patrimonial trois années plus tard si la procédure Carcenac/Lherm devait aboutir.
Qui peut être dupe ?
Faut-il avoir à ce point conscience d’être au-dessus des lois de la République, faut-il avoir pleinement confiance dans l’incurie de l’opposition légaliste au barrage pour se comporter de la sorte ?
Va-t-on nous ressortir le refrain de la « légitimité » des élus qui prennent ce type de décision ? Tout fraîchement élus qu’ils soient comme Thierry Carcenac et Maryline Lherm * ?
« Plus on est fraîchement élu, plus on peut se croire tout permis » : Est-ce un nouvel adage de la République Vallso-Hollandaise ?
C’est ce que nous allons voir dans les semaines à venir.
* voir sur l’élection récente de Maryline Lherm :
http://blogs.mediapart.fr/blog/bernard-viguie/080415/sivens-comment-les-pro-barrage-ont-gagne-volet-2-ou-maryline-lherm-quand-tous-les-coups-sont-per
avec mes remerciements chaleureux à Patrick Mignard pour son dessin
| Tags: Barrage de SIVENS, Démarche Citoyenne, Luttes
Soyez le premier à poster un commentaire.