Publié le
mercredi, 22 avril 2015 dans
International
Pour la première fois, le principal rendez-vous altermondialiste aura lieu, en août 2016, dans le « Nord » géographique. Montréal (Québec) espère accueillir des milliers de participant-e-s, convoquer plus de 5000 organisations et assurer la tenue de 1500 activités. Au-delà de l’aspect quantitatif, sont en jeu d’autres objectifs conceptuels et politiques, explique Carminda Mac Lorin, 32 ans, membre du Collectif FSM 2016 à Montréal. « Il est important de renforcer le rôle joué jusqu’ici par le FSM, en y incorporant la rénovation des pratiques de contestation surgies depuis 2011 », souligne la jeune militante. « Nous avons impérieusement besoin d’espace où puissent dialoguer les diverses cultures politiques ».
Q: Comment avez-vous accueilli la décision prise fin mars par le Conseil international (instance facilitatrice du Forum social mondial), chargeant votre Collectif d’organiser la prochaine session en août 2016 ?
Carminda Mac Lorin (CML) : Avec surprise et joie. Nous constations une certaine indécision de la part du Conseil international. Comme candidats, nous avons déjà engagé, il y a deux ans, un processus très actif et très motivant. Je suis très fière que nous ayons obtenu cette confirmation. Bien qu’ayant reçu un grand appui de nombreuses organisations, nous sommes conscients que l’accès au Canada constitue un problème très sérieux. Mais nous voulons mener cette lutte frontalement et assurer que tous ceux qui voudront participer au prochain FSM puissent le faire…
Le FSM face à un changement de paradigmes
Q: L’organisation du FSM au Nord de la planète, pour la première fois, implique un changement de paradigme dans sa dynamique…
CML : Aujourd’hui, la distinction *Nord-Sud* n’a plus de sens. Il y a des « Nord » au Sud et aussi des « Sud » au Nord. La plus grande fracture n’oppose plus les pays situés au Nord et au Sud de l’équateur. Elle traverse l’ensemble des sociétés, creusant un gouffre entre les élites qui monopolisent la richesse et le pouvoir à l’ensemble des gens qui survivent à peine. La démocratie cède devant une oligarchie mondiale qui impose des règles universelles. Tout cela est devenu beaucoup plus évident à partir de la crise de 2008 et a provoqué une vague de mobilisations qui, depuis 2011, s’étend à tous les coins de la planète : le printemps arabe, les indignés espagnols, les manifestants grecs, le mouvement Occupy à New York, Tel-Aviv, Berlin, Rio, Montréal, Istanbul, Sarajevo… Les peuples se mobilisent, s’indignent et s’insurgent au-dessus et en dessous de l’équateur.
Q : Un élément significatif, c’est la jeunesse de votre collectif, mais avec une solide analyse politique…
CML : Nous sommes tous jeunes. Certains de corps, tous de cœur. Nous avons entre 18 et 65 ans, mais nous nous sentons tous jeunes. Nous avons une énergie fraîche et rénovée. Au Québec, nous avons une histoire récente de lutte. Y compris le mouvement Occupy, dès fin 2011, où beaucoup d’entre nous étions impliqué-e-s, sans pour autant dire que nous sommes propriétaires de cette mobilisation. Nous avons aussi participé au « printemps érable » québécois, qui a suscité toute une réflexion politique fondamentale. Je pense que ces expériences sont bien insérées et inspirées dans la dynamique du FSM et de ses principes, qui nous accompagnent depuis 2001, lors de sa naissance à Porto Allegre.
« Nous intégrons toute l’histoire et les valeurs du FSM »
Q : Comment se manifeste cette proximité entre votre collectif, vos luttes et le processus du FSM ?
CML : Au Québec, particulièrement, et au Canada, plus généralement, il existe une longue histoire de forums sociaux, locaux, régionaux et nationaux. Les plus grands ont eu lieu en 2007 et 2009, au Québec, et en 2014 à Ottawa, avec des milliers de participant-e-s et avec une grande capacité de mobilisation pour les organiser. L’histoire est longue : depuis le début, de nombreux Canadiens ont participé à chaque session du FSM.
Q: Qui sont les membres du Collectif en faveur du FSM 2016 au Québec ?
CML : C’est une dynamique très intéressante. Il nous importe de ne pas perdre de vue la perspective des individus. Nous sommes tous liés à des organisations, mais nous voulons impulser un processus autonome, avec des dynamiques intégrant les citoyen-ne-s impliqué-e-s dans la construction de la société. Le collectif est composé de gens appartenant à des organisations (petites et grandes), par des étudiant-e-s et par des membres des premières nations [ndlr : les populations amérindiennes] du Québec et du Canada. C’est un groupe très pluriel et divers.
Q: Estimez-vous que le processus culminant avec le FSM à Montréal vous permettra d’intégrer cette dynamique altermondialiste et les nouveaux groupes et mouvements « Occupy » ?
CML : Totalement. C’est l’un de nos objectifs. Nous pensons qu’il est important de créer des plateformes pour assurer un dialogue actif entre ces « nouveaux mouvements sociaux », comme on les appelle, et la société civile plus institutionnalisée. On a besoin de ces nouvelles plateformes de dialogue et de débat. Un autre défi fondamental, c’est d’unir des cultures politiques utilisant des langages différents.
Q: Pensez-vous intégrer à ce mouvement altermondialiste de nouvelles formes d’expression culturelle ?
CML : L’art est la meilleure métaphore des cultures. Mais les cultures sont plus larges que l’art. Nous avons besoin d’espaces où les nouvelles cultures politiques puissent dialoguer. Bien qu’il existe des différences de langage, nous sommes convaincus que nous luttons tous pour les mêmes objectifs : promouvoir la dignité des gens, réduire les inégalités sociales toujours plus significatives, etc. Nous devons lutter ensemble, intergénération-nellement, interculturellement. Nous pensons que le FSM de Montréal sera une grande occasion de rénover avec originalité ce processus en cours. Nous voulons approfondir les succès du FSM comme amplificateur des luttes et espace de rencontre des mouvements. Mais la prochaine session devra prendre en compte la rénovation des pratiques de contestation surgies depuis 2011.
Les restrictions migratoires : un défi pour les organisateurs.
Q: La politique migratoire restrictive des actuelles autorités canadiennes sera un obstacle à la participation des représentant-e-s latino-américain-e-s, asiatiques ou africain-e-s… Comment résoudre ce problème ?
CML : Nous sommes indignés par les obstacles mis à la libre circulation des populations. Il est absurde que les marchandises circulent sans problèmes, mais pas les gens. Il s’agit d’une politique discriminatoire, à laquelle nous nous opposons. Beaucoup nous disent qu’il sera difficile d’obtenir des visas pour les participants… Nous sommes convaincus que la lutte contre le système global est plus difficile, néanmoins cela ne nous freine ni ne nous démoralise. Au lieu de considérer la question des visas comme un obstacle, nous y voyons une occasion de mettre ce thème en avant. Et nous tentons de nous mobiliser, en appelant la société civile internationale à s’engager aussi autour de ce défi. Nous voulons avancer vers un monde où les frontières ne correspondent pas aux frontières actuelles ! En outre, il est important de clarifier un élément. Dans tous les FSM, 80% des participant-e-s, en moyenne, sont des locaux, 10% proviennent de pays limitrophes (USA en ce qui nous concerne) et, pour le reste, 10% viennent de plus loin (en avion). Donc le problème des visas se poserait uniquement pour 10% des gens, ce qui ne le rend pas moins important pour autant.
Q: Où se tiendra concrètement le FSM 2016 ? Au centre même de Montréal ?
CML : Nous avons avancé dans la réflexion sur ce projet collectif. Nous pensons créer un territoire social mondial, d’un kilomètre et demi, au centre de Montréal, comprenant les trois grandes universités. Nous comptons sur le quartier des spectacles où se tiennent en été les grands festivals, un espace déjà préparé pour socialiser l’art. Nous voulons aussi intégrer un quartier, nommé le Village, avec sa diversité de genre et de sexe. Tout cela existe déjà : c’est Montréal ! L’idée est de nous y mettre. Nous aimerions installer un campement de la jeunesse sur une île proche ou dans un territoire autochtone. Et nous proposons d’élargir le Forum à de nombreux forums locaux et régionaux. Nous imaginons que la marche d’ouverture pourrait se terminer dans un quartier périphérique pour éviter les critiques disant que nous nous mobilisons toujours au centre des villes.
Q: Une réflexion finale…
CML: Je travaille à un doctorat sur la dynamique du FSM et sa relation à ce que l’on appelle les « nouveaux mouvements ». Je suis convaincue que des concepts comme la transversalité, l’horizontalité, le pluralisme sont essentiels dans la critique du système. Il n’est pas toujours facile d’articuler globalement cette critique, parce que le système est très large. Il implique l’écologie, les droits humains, les problèmes de genre. Tant de problématiques immenses ! Mais nous sommes convaincus qu’il est fondamental d’ouvrir des espaces permettant la convergence de toutes ces luttes… C’est l’un des grands défis de ce processus de construction, de préparation et de réalisation du FSM 2016, un projet qui aura pris quatre ans au total. Nous avons commencé à y rêver en mars 2013. Nous sommes déjà à mi-chemin. Il nous en reste autant pour continuer d’avancer…
*Propos recueillis par Sergio Ferrari (de retour de Tunis)
Traduction Hans Peter Renk
Collaboration de presse E-CHANGER/COMUNDO
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