La Zad de Notre-Dame-des-Landes, grenier de la révolte, reportage d’Allens et Lucile Leclair (Reporterre)
Dans les bocages humides de Notre-Dame-des-Landes, la lutte conte la construction de l’aéroport s’est subtilement enracinée. Les militants ont braqué le droit d’usage des terres. Cultiver pour mieux résister, cultiver pour se réapproprier les lieux. Aux 100 Noms, on s’adonne à la permaculture. A Saint-Jean-du-Tertre, le moulin tourne et les ruches bourdonnent dans l’illégalité. Aux Fosses noires, les oignons clandestins ont germé et les tomates grimpent sans permis. Quant à la ferme de Bellevue, le Collectif des trayeur/euse-s y tire le lait et fabrique le fromage.
Partout on tâtonne, on apprend à petits pas, avec l’appui des paysans historiques, ceux qui habitaient la ZAD avant la ZAD : « Au début, on se regardait en chiens de faïence mais progressivement, la confiance s’est glissée entre eux et nous. Ils nous ont même offert cinq vaches ! » témoigne un éleveur improvisé, au look encore citadin.
L’agriculture, passerelle fertile entre néo et paysans du cru
Cette alliance, elle s’est imposée au fil d’événements devenus emblématiques. Le 7 mai 2011, un millier de manifestants bêchent joyeusement un hectare et demi de ronces, sous le slogan « Aérocrate, bouffe ta cravate ! ». Un groupe de maraîchers s’installe alors sur cette parcelle, baptisée « le Sabot ». Ils ne sont pas issus du milieu agricole, mais vont s’emparer des codes de ce monde par passion. Entre eux, les militants sortis des villes, et les paysans, se joue à présent un langage commun, et pas un simple partage de l’espace.
La violence des opérations policières en novembre 2012, va également souder les opposants. C’est ensemble qu’ils vont défendre la ferme des Rosiers avant sa démolition. C’est pour protéger les squatteurs que les agriculteurs vont encercler avec leurs tracteurs le lieu-dit de la Châtaigne. Une solidarité se crée, une complicité se noue en réaction à la présence des forces de l’ordre. « C’était des moments intenses », relate un habitant de la ZAD, « on a appris à se côtoyer aussi bien autour d’un repas que derrière une barricade. »
Pour inscrire la lutte dans la durée, des assemblées paysannes s’organisent. « On voulait montrer à l’Etat que malgré les expulsions, nous étions toujours là », continue le militant, l’agriculture est le meilleur moyen pour penser le long-terme, c’est une arme de guerre pour arracher ce bocage aux décideurs et à leurs projets d’aménagement », conclut-il bien déterminé.
En janvier 2013, la ferme de Bellevue, en voie de destruction, est occupée par des zadistes et le collectif des Copain 44 (Rassemblement des Organisations Professionnelles Agricoles Indignées par le Projet d’Aéroport en Loire-Altantique) qui la transforment en une « plateforme de rencontre autour des questions agricoles. » Mais cette ferme n’est pas isolée, l’occupation de centaines d’hectares est à poursuivre : jardins vivriers et petits élevages se dessinent à l’horizon… De ce foisonnement naîtra le mouvement « Sème ta ZAD » impulsant une reprise des terres facilitée par la force des échanges.
« Je ne suis pas paysan, je suis paysan de la ZAD »
Mais si le geste agricole permet d’unir les uns aux autres, « Sème ta ZAD » n’en demeure pas moins révolutionnaire. Plus subversive qu’une simple réclamation des terres, la résistance s’empare d’une large volonté d’autonomie, où l’agriculture se fait offensive. Elle se positionne non plus comme une fin en soi, mais comme un outil. Un outil pour expérimenter tous azimuts : entre la culture de céréales sur butte, la traction animale et la responsabilité partagée d’une ferme, hors du cadre de l’installation professionnelle affranchie des normes légales, les limites ne sont que celles que l’on se fixe ensemble. Un outil pour distribuer autrement, à prix libre chaque vendredi au « non marché » les produits récoltés à la ZAD, avec une caisse de soutien aux Fosses noires les jours de dépôt de pain. On approvisionne gratuitement les luttes connexes, parmi les quinze tonnes de pommes de terre récoltées, un tiers est envoyé aux migrants de Calais. Quant aux oignons, ils sont amenés au Testet.
La ZAD de Notre-Dame-des-Landes se mue en grenier de la révolte : « On n’est pas là pour vendre mais pour contribuer à nourrir les résistances multiples », lit-on sur un tract écrit par le collectif des trayeureuses. Derrière les fourches et binettes en main, une simplicité d’apparence trompeuse, c’est un projet politique qui se joue, lorsqu’« on ne travaille pas mais qu’on fabrique nos vies », puisqu’on n’est « pas paysan tout court mais paysan de la ZAD » comme le dit un jeune homme en bordure de champ.
Une action à l’amplitude ambitieuse
« L’agriculture c’est l’inverse de la lutte de brochure, on agit concrètement », ajoute son ami en hauteur aux manettes d’un tracteur. 800 hectares de champs des possibles Après plusieurs années d’occupation, les habitants de la ZAD osent croire à l’abandon prochain du projet d’aéroport. Mais ils savent que son enterrement définitif ne viendra pas seulement d’en haut et de l’aveu des autorités politiques. Il faut, sur le terrain, proposer un autre avenir pour cette vaste zone de 1 650 hectares. L’objectif ici n’est pas tant l’échec du Grand Projet Inutile que le maintien de zones d’autonomie.
L’exercice d’un art de vivre éloigné des logiques marchandes et des institutions.
Il convient d’abord de protéger les terres des appétits stratégiques qui voient dans la brèche, une opportunité pour agrandir les exploitations agricoles existantes. Un membre des Copain confirme : « On ne laissera pas de gros exploitants arracher les haies, refaire du maïs avec du gros matériel et des pesticides ».
Paradoxalement, le projet d’aéroport a, depuis les années 1960, bloqué le remembrement des parcelles. Leur petite taille – 3 hectares en moyenne au lieu de 10 hectares dans le département – demeure un atout pour l’agriculture paysanne.
L’idée de mettre en commun les terres fait son chemin. Si l’on retire les 400 hectares toujours occupés par les agriculteurs expropriés et les 400 autres boisés, c’est près de 800 hectares dont l’usage reste à définir. Cet espace constitue, aux dires des habitants de la ZAD, une potentielle réserve foncière, une version singulière du champ des possibles.
Justement, en ce mois de novembre, des représentants du Larzac se sont déplacés à Notre-Dame-des-Landes pour témoigner autant de leur soutien que de leur expérience. Lorsque le projet d’extension du camp militaire a finalement été annulé en 1981, les paysans ont obtenu la gestion du foncier public grâce à la signature d’un bail emphytéotique.
L’an dernier, Stéphane Le Foll s’est rendu sur place pour renouveler ce bail, prorogé jusqu’à 2083. L’occasion de lancer des ponts entre la ZAD bretonne et le plateau de l’Aveyron, auxquels le ministre de l’Agriculture a répondu : « Je conçois difficilement que l’on puisse exporter le modèle du Larzac » . « A nous de lui prouver le contraire ! « , clament certains zadistes. Mais si la Société Civile des Terres du Larzac avive les imaginaires, la question de la propriété ne résume pas à elle seule les dynamiques qui crépitent dans les bocages.
La ZAD se rapproche plus de l’histoire de la lutte du Larzac que de sa résolution juridique entamée dès 1981. Claude Marti, chanteur occitan, nous le rappelle, lui qui écrivait en 1973 : « Le Larzac, c’est partout. Le Larzac, c’est chaque fois que dans ce pays un jeune sortant de l’école est obligé de faire 800 km pour trouver du travail, le Larzac c’est chaque fois qu’un pêcheur de la côte méditerranéenne est obligé de céder le pas à un promoteur, le Larzac, c’est chaque fois qu’un volet de ce village d’Oc se ferme. Le Larzac, c’est partout. »
Mouvement transversal, semoir des graines de dissidence, la ZAD vise bien à « contaminer d’autres espaces » et ne compte pas forcément se replier dans un compromis juridique. « Le jour où traire les vaches ne sera plus révolutionnaire, j’arrêterai », poursuit Camille.
Ne point s’accommoder des acquis, s’auto-organiser sur un territoire ingouvernable, telles sont les valeurs de ces résistants qui s’arrogent l’héritage des bêcheux anglais du XVIIe siècle : « En 1649, la première commune de bêcheux, les « diggers », se développa sur la colline de Saint-Georges, à proximité de Londres. Quelques paysans pauvres avaient entrepris de bêcher les friches, et prirent ainsi des terres communales. Mais les propriétaires terriens de la région organisèrent des expéditions punitives, qui aboutirent en 1650 à la dispersion de la commune. Mais déjà le mouvement était lancé et les groupes de bêcheux s’étendirent jusqu’au centre-nord de l’Angleterre. » (Yves Delhoysie et Georges Lapierre, L’incendie millénariste, édité par Os Cangaceiros en 1987).
La ZAD de Notre-Dame-des-Landes, nébuleuse d’alternatives, sera-t-elle dispersée à l’image des bêcheux ? Ou parviendra-t-elle à gagner un espace de vie ? Difficile de parler au nom de ce mouvement diffus, aux incarnations nombreuses et hétéroclites qui refusent en outre toute représentation.
Le tournant est serré : pérenniser la lutte sans perdre en radicalité, emporter le rapport de force vis-à-vis de l’Etat sans brader la richesse des mouvances politiques au pluriel, s’ancrer mais ne pas s’engourdir dans la normalisation. C’est le défi saisi à bras-le-corps par les habitants de la ZAD, qui n’ont pas attendu la fin des recours juridiques pour proclamer la mort de l’aéroport et l’avènement d’un autre monde, chemin faisant…
Source : Reporterre
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