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Aéroport, un plan béton

Publié le lundi, 4 juillet 2011 dans Ecologie

Aéroport, un plan béton

Benoit BORRITS, que nous connaissons bien à CASTRES,  depuis qu’il est venu y animer une soirée sur le thème de l’Autogestion, nous autorise aimablement à publier sur notre blog l’article qu’il a réalisé pour le mensuel REGARDS .

http://www.regards.fr/

 

Les personnes qui suivent de près le dossier du projet autoroutier Castres-Toulouse (LACT)), ou celui de la ligne LGV Bordeaux-Toulouse, reconnaitront –encore une fois ! – les similitudes (PPP, , , mais aussi la curieuse tendance à vouloir donner à ces projets destructeurs un caractère « écologique ». . . ), pourront repérer les points sur lesquels une Convergence de luttes est possible et nécessaire .

 

Reportage, par Benoît Borrits| 4 juillet 2011

 

Le reportage que j’ai réalisé pour Regards m’a permis de constater que cet aéroport à l’avenir improbable est financé à hauteur de 47% par l’Etat et les collectivités locales, que le plan d’affaires (de 3 à 9 millions de passagers en 2045 !) permettant à Vinci un rendement de 12% sur ses fonds propres est garanti par l’Etat.

Au cas où celui-ci n’est pas tenu, l’Etat devra alors rembourser le reste (53%) à Vinci.

Sympa comme deal, non ?

 

Benoît Borrits

Le futur aéroport de Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes, porté par les pouvoirs publics et Vinci, fait polémique. Ses opposants dénoncent un projet inutile, coûteux et qui détruira des terres cultivables.

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Sur un fond musical couvrant le bruit des réacteurs, un avion atterrit au milieu du bocage nantais. La nouvelle piste apparaît et se déroule sous nos yeux. Une fois visualisé l’aérogare, une liaison tram-train serpente à travers la campagne. Un parking planté d’arbres, un hall lumineux avec des guichets verts, la salle d’embarquement, un avion à quai… Sortie du hall en mode passe-muraille, puis vue panoramique sur le bâtiment et son toit vert (végétalisé ou photovoltaïque ?). Nouvelle vue aérienne sur la campagne et soudain une liaison TGV apparaît comme une promesse pour 2025 et enfin une vision de ce que sera l’aéroport en 2065. Voilà le film de promotion du projet Notre-Dame-des-Landes réalisé par Vinci et placé en première page du site web du Syndicat mixte d’études de l’aéroport du Grand Ouest.

Rien n’est laissé au hasard. Le cahier des charges de Vinci prévoit un « observatoire agricole » qui aura pour mission l’élaboration « d’un document témoin sur l’histoire du site ». Les voyageurs auront droit à une « ferme de démonstration en face des parkings » et à un « parcours pédagogique imaginé par le concessionnaire ».Les agriculteurs locaux pourront écouler leur production dans la mesure où « le concessionnaire souhaite encourager l’agriculture durable en initiant la vente de paniers bio aux salariés de la plate-forme ». Le bâtiment sera à basse consommation et à énergie positive : bienvenue dans le monde du développement durable.

De nouveaux clivages

Cela faisait longtemps qu’un grand aéroport n’avait pas été construit en France. Financé en grande partie par l’Etat et les collectivités territoriales concernées, la construction et l’exploitation sont confiées à Vinci pour une période de cinquante-cinq ans. Ce projet provoque de nombreuses levées de boucliers et bouleverse la vie politique locale tant la ligne de partage entre partisans et opposants ne correspond pas au clivage traditionnel gauche-droite. Côté partisans : le PS et l’UMP. De l’autre, les Verts, le Parti de gauche, le NPA, les Alternatifs, le Modem et Debout la République. Et si la fédération 44 du PCF soutient le projet, de nombreux élus et adhérents s’y opposent. Bien plus qu’une querelle locale, ce projet questionne le contenu même de notre modernité.

Cet aéroport va supprimer près de 2 000 hectares de terres agricoles à Notre-Dame-des-Landes, Vigneux-de-Bretagne et dans les villages avoisinants. Sylvain Fresneau, agriculteur exploitant une centaine d’hectares menacé d’expropriation, nous reçoit au lieu-dit La Vache rit, point de rencontre des opposants : « C’est un projet du passé. Il remonte à 1974 : l’objectif était alors d’y faire atterrir le Concorde. » A cet effet, une Zone d’aménagement différé a été créée sur une surface de 1 225 hectares et le Conseil général a déjà acquis les trois quarts de celle-ci. Paradoxalement, cette décision a permis à cette zone de conserver son aspect de bocage traditionnel. « Chez nous, le remembrement a été auto-organisé, une Coopérative d’utilisation de matériels agricoles (Cuma) a été créée il y a trente ans, la solidarité entre tous est une règle de vie. » Il faut dire que l’oncle de Sylvain Fresneau, Alphonse, était un des animateurs du mouvement des Paysans-travailleurs, ancêtre de la Confédération paysanne, si présent dans le département.

Les promoteurs du projet clament que les agriculteurs seront dédommagés, se verront proposer de nouvelles terres. « Soyons sérieux, il n’y a que 110 hectares actuellement disponibles en Loire-Atlantique. Cela fait maintenant dix ans que ce projet est relancé et nous pourrit la vie : j’ai la cinquantaine, que vais-je devenir ? » Parce que l’enjeu est de conserver des terres agricoles, de nombreuses personnes extérieures aux zones concernées se sont associées à ce combat, certaines allant jusqu’à occuper des terres en friche. Samedi 7 mai, 500 personnes ont soutenu l’installation de cinq paysans à l’initiative de Reclaim The Fields, réseau européen de jeunes désirant retourner à la terre et regagner le contrôle de la production alimentaire. Sylvain était présent avec son tracteur pour retourner la terre.

Hausse du trafic aérien

A Nantes, nous rencontrons Patrick Mareschal, ancien président du Conseil général, ardent promoteur de ce projet, et proche de Jean-Marc Ayrault, député-maire socialiste de Nantes et président du groupe à l’Assemblée nationale.« Ce projet d’aéroport répond à la forte augmentation du trafic aérien depuis 1990, à la volonté des entreprises et des collectivités locales que l’Etat reprenne ce projet. Les capacités de l’aéroport actuel ne dépassent pas quatre millions de passagers par an. Or, nous venons de passer le cap des trois millions. » Interrogé sur l’avenir du développement aérien compte tenu de la rareté des ressources pétrolières et de l’évolution prévisible des prix du carburant, Patrick Mareschal se veut confiant : « Les avions feront comme les voitures, ils trouveront des solutions. Un avion moyen consomme 4,5 litres de carburant pour 100 km par passager, un A 380 n’en consomme plus que 2. »

Thierry Masson, salarié d’Air France et initiateur d’un collectif de pilotes doutant de la pertinence de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, nous indique que ces nouvelles pistes seront de la même taille que celles de l’aéroport actuel de Nantes Atlantique, à savoir 2 900 mètres de longueur pour une largeur de 45 mètres : elles ne permettront pas la venue de l’A 380.

« On nous parle de problème de sécurité : il faut savoir que l’aéroport existant est en catégorie A, celle qui ne pose aucun problème particulier au décollage comme à l’atterrissage. » Il s’interroge sur la progression du trafic aérien dans les années à venir : « Les prix des carburants explosent. L’Organisation de l’aviation civile internationale prévoyait une hausse annuelle du trafic aérien entre 1,8 % et 3,2 % pour un baril de pétrole inférieur à 90 dollars. Quid avec un baril à 150 dollars ? Il y a quinze ans, les carburants représentaient 10 % des coûts des compagnies aériennes. Nous sommes aujourd’hui à plus de 30 % alors même que les compagnies achètent du carburant sur contrat à terme pour cinq ans au prix de 87 dollars le baril. »

Espace disponible à Nantes

Surchargé l’actuel aéroport de Nantes Atlantique ? Il est 17 h 30 un jour de semaine. Un petit coucou atterrit sur le tarmac, suivi quelques minutes plus tard d’un avion de ligne. Après cela, un autre avion quatre places décolle. Comment un aéroport surchargé peut-il laisser de la place pour des vols privés ? Nous sommes en fin de journée, aucune file d’attente aux guichets et aux portiques de sécurité, les couloirs sont loin d’être encombrés. « Vous auriez dû venir dimanche soir », objecte Jacques Gillaizeau, vice-président de Nantes Métropole chargé des aéroports et du transport aérien. En effet, partisans et opposants s’accordent à dire que le trafic qui augmente le plus est celui des vols charter pour les voyages d’agrément.

« On est en saturation des installations terrestres, pas du trafic », précise-t-il. Il est vrai que le parking est quasiment plein, mais qu’est-ce qui interdit d’en construire un en étage ? Rien n’empêche d’agrandir l’aérogare, l’espace étant largement disponible. « A trois millions de passagers, il y aura des niveaux d’investissement très élevés, estime Jacques Gillaizeau, et tout indique que le transport aérien va se développer pour les vingt-cinq prochaines années. »

Sur la question de savoir si la construction du nouvel aéroport ne va pas à contre-courant du Grenelle de l’environnement qui veut sauvegarder les terres agricoles et geler les projets de construction d’autoroutes et d’aéroports, Jacques Gillaizeau précise « ce n’est pas une construction mais un transfert d’aéroport ». L’aéroport Nantes Atlantique va donc fermer ? Pas exactement puisque Airbus va continuer d’utiliser la piste. Il y aura 2 000 hectares agricoles perdus mais la surface gagnée à Nantes Atlantique ne sera pas pour autant récupérée pour y construire des habitations.

Une justification essentielle

« La fermeture de Nantes Atlantique permettra de réduire l’exposition au bruit, appuie Jacques Gillaizeau. Actuellement 5 117 personnes sont en zone C alors qu’elles ne seront plus que 142 dans ce cas à Notre-Dame-des-Landes. » Le bruit, un problème ? Très certainement. Jean habite dans les dernières maisons de Nantes avant l’aéroport, à 1,6 kilomètre dans l’alignement de la piste. « Oui, nous entendons passer des avions mais c’est loin d’être incessant et nous sommes en ville : la ville, c’est du bruit permanent, ne serait-ce que le terminal de tramway à côté de mon domicile. » A partir d’une carte de la zone, il nous explique que le survol de la ville pourrait être évité en réorientant la piste de 90 degrés.« Aucune construction n’existe et ces terrains font déjà partie de la zone aéroportuaire. »

Selon lui, aucune association de riverains et de Nantais ne s’est mobilisée en faveur du déménagement de Nantes Atlantique. Le handicap de l’éloignement du futur aéroport ? Peut-être. Contrairement à la vidéo de promotion de Vinci, aucune liaison ferroviaire n’est programmée pour le nouvel aéroport de Notre-Dame-des-Landes : la desserte se fera exclusivement par la route. L’environnement ne peut donc guère être un argument en faveur du projet, d’autant que la construction du nouvel aéroport et les futurs déplacements des usagers et salariés par voie routière augmenteront les émissions de gaz à effet de serre. La vision à long terme du développement du trafic aérien semble donc être la justification essentielle de ce projet.

Toute prévision comportant une part d’incertitude, il est intéressant de voir qui, des acteurs économiques du projet, prend le risque sur lui. L’Etat et les collectivités territoriales apporteront 246 millions d’euros – soit 81 millions d’euros pour la construction de la route de desserte et 165 millions d’euros de subvention accordés à Vinci [1]. De son côté, Vinci apportera 113 millions d’euros de fonds propres et souscrira un prêt bancaire de 213 millions. Le financement se fera donc à hauteur de 53 % par Vinci, les 47 % restant provenant des fonds publics.

Pour Jacques Gillaizeau, « cette concession se fait au risque exclusif du concessionnaire. Le fait que Vinci ait présenté un business plan avec une vision d’évolution de trafic inférieure à nos prévisions est rassurant ». Selon ce plan d’affaires, le cap des 9 millions de passagers serait atteint en 2051. Pourtant, l’article 81 de la convention de concession entre l’Etat et la Société concessionnaire Aéroport du Grand Ouest (filiale de Vinci) prévoit bien une clause de sortie si « le bouleversement de l’équilibre économique de la concession se prolonge ou est de nature à se prolonger nécessairement plus de douze mois ». Dans un tel cas, l’Etat devra rembourser au concessionnaire le montant des fonds apportés par les actionnaires et les prêts bancaires associés, ce qui peut représenter une somme avoisinant les 300 millions d’euros.

Un contrat « bâtard »

Le contrat garantit à Vinci un rendement supérieur à 12 % sur ses investissements. Si les prévisions sont dépassées, une clause de « retour à bonne fortune » oblige Vinci à rembourser les subventions. Si le rendement est inférieur, Vinci peut demander à sortir du contrat sans aucun dommage. Côté pile, Vinci gagne, côté face, Vinci ne perd rien. Comme nous l’indiquait un cadre bien informé de Vinci souhaitant garder l’anonymat, « les contrats de concession de service public datent du XIXe siècle et ont permis de financer des ruptures technologiques telles que le chemin de fer ou les télécommunications. Les risques économiques étaient alors portés par les financeurs privés car ceux-ci étaient convaincus que le public serait au rendez-vous. Dans le cas de Notre-Dame-des-Landes, l’utilité économique et sociale du projet est tellement faible qu’il semble quasi impossible de parvenir à un équilibre économique. C’est la raison pour laquelle nous avons là un contrat bâtard qui se rapproche fortement du partenariat publicprivé (PPP), dans lequel l’entreprise privée a la garantie de toucher des loyers. »

Plutôt que de financer le nouvel aéroport par un emprunt à 4 %, l’Etat préfère un contrat garantissant 12 % à des actionnaires privés : ce contrat a l’intérêt de ne pas creuser le déficit… sauf si le trafic aérien n’augmente pas comme prévu. Comme les banques avec leurs produits dérivés à retardement, l’Etat cultive les délices du hors-bilan. Notre-Dame-des-Landes : 2 000 hectares de terres cultivables perdues à jamais et en plus, il faudrait que les générations à venir payent l’addition.

Notes

[1] 131 millions d’aide à la concession aéroportuaire et 34 millions aux équipements de navigation aérienne. Mais dans sa Lettre de janvier, le Syndicat mixte représentant les collectivités territoriales ne mentionne que les 131 millions.

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