Flux RSS

MONDIALISATION CAPITALISTE ET MONDE FINI

Publié le samedi, 25 juin 2011 dans Rouge et Vert

MONDIALISATION CAPITALISTE ET MONDE FINI

Nous publions ici une interview de Geneviève AZAM*, membre du Conseil scientifique d’Attac, interview réalisée par deux  camarades des Alternatifs des Alpes Maritimes et publiée dans Rouge et Vert .

* Ouvrage le plus récent : « Le temps du monde fini » (2010, Editions Les Liens qui Libèrent)

QUESTION 1 : QUEL LIEN ETABLIS-TU ENTRE LA MONDIALISATION CAPITALISTE ET CE QUE TU APPELLES « LE MONDE FINI » ?

 

La mondialisation des échanges n’est pas un phénomène nouveau, des formes d’échange lointain existaient dans les sociétés antérieures au capitalisme. Mais dans le capitalisme, elle a pris une forme nouvelle : elle accompagne l’expansion du capital en assurant l’approvisionnement et le contrôle des matières premières ainsi que les débouchés pour la production. Ce mouvement d’expansion a été initié par la conquête du «Nouveau Monde» dès le XVIème siècle, il s’est accéléré au XIXème siècle avec l’impérialisme, et s’est poursuivi par la croyance en la possibilité d’une croissance infinie, d’une accumulation infinie, dans le cadre du marché global. On peut lire toutefois dans les analyses de Rosa Luxemburg, qui avait compris que l’impérialisme n’était pas une simple dégénérescence du capitalisme ou son stade suprême mais la forme prise par ce système, les limites de cette expansion.

Le temps du monde fini est une expression empruntée à Paul Valéry, qui écrivait en 1931 : «le temps du monde fini commence». Il signifiait que la Terre était entièrement connue et conquise, qu’il n’y avait pas de «nouveau monde» et qu’il était temps d’abandonner les rêves de conquête pour donner leur place à la justice et à la solidarité. Sa voix a été recouverte par les promesses de progrès, de développement et de croissance après 1945. Dans ce contexte, parler de limites à la croissance ou à l’expansion des forces productives était quasiment blasphématoire.

La crise actuelle débute dans les années 1970 : à la crise d’accumulation s’ajoute celle de l’essoufflement d’un processus de production-consommation caractéristique du capitalisme d’après-guerre. Des voix se sont élevées alors pour exprimer le refus du productivisme et l’épuisement des ressources non renouvelables. Mais le consensus productiviste les a étouffées. L’arrivée au pouvoir de coalitions néolibérales a accéléré le processus de la globalisation. Pour retrouver la croissance perdue (et les profits), le libre-échange et la concurrence généralisée ont été décrétés impératifs universels et les États sont devenus des auxiliaires du marché global. L’extension du capitalisme à l’échelle de la planète a accéléré considérablement l’extraction des ressources naturelles et les déséquilibres écologiques majeurs (climat, eau et biodiversité). Mais dans cette phase du capitalisme global, c’est l’ensemble des activités humaines, du monde des humains et de la vie, qui devient le support de la valorisation du capital. et de l’industrie financière À la fragilité et aux limites de la Terre s’ajoute la fragilité des sociétés, sapées dans leur fondement par la destruction des institutions qui leur donnaient corps.

QUESTION 2 : LA CATASTROPHE DE FUKUSHIMA N’EST-ELLE PAS A LA FOIS UN REVELATEUR ET UN ACCELERATEUR DE LA CRISE ECOLOGIQUE ?

La catastrophe de Fukushima est le révélateur de la croyance en la maîtrise rationnelle du monde propre à la culture occidentale. Croyance fanatique qui a pu aller jusqu’à construire des centrales nucléaires sur des failles sismiques connues, dans un pays qui avait vécu l’expérience de la bombe atomique. Croyance en la toute puissance de la technique et oubli qu’avec l’énergie nucléaire, où que soient situées les centrales, nous enclenchons des processus que nous ne maîtrisons pas. Nous n’oublierons pas l’image des liquidateurs japonais chaussés de bottes en plastique et luttant contre le feu atomique avec des pelles et des seaux ! C’est un triste rappel à la mesure. Cette catastrophe est un accélérateur de la crise écologique car il n’y aura pas de retour à la «normale» dans une zone dont nous ne connaissons pas encore le périmètre. Elle sera aussi, espérons le, un accélérateur de l’impasse énergétique et du modèle économique et social sous-jacent.

QUESTION 3 : EN QUOI LA GRAVITE DE LA CRISE ECOLOGIQUE ET LE TEMPS DU MONDE FINI NOUS INVITENT-ILS A REVENIR A LA QUESTION DE LA NATURE ET A LA REPENSER PAR RAPPORT A LA TRADITION MARXISTE D’UNE NATURE SOUVENT SEPAREE DE LA SOCIETE ?

Il est difficile de répondre à cette question brièvement. Tout d’abord le problème n’est pas celui de la séparation de la nature et de la société car cette séparation exprime simplement que les lois sociales, les institutions sont le fruit des choix humains, des rapports sociaux et non l’expression de lois naturelles. Mais cette séparation, dans la culture occidentale, est allée de pair avec l’idée que la domination, la maîtrise et la possession de la nature étaient les conditions de l’émancipation humaine et de la civilisation. Selon cette conception utilitariste, machinique et colonialiste, la nature est réduite à un objet passif, une res nullius, un stock de ressources à la disposition des humains. Marx n’a pas ignoré la part naturelle de la condition humaine, notamment quand il parle de la destruction par le capitalisme du travail comme interaction métabolique entre l’homme et la nature. Mais ce que retiendra la tradition marxiste, ce sont les lois scientifiques de l’histoire qui donnent au développement des forces productives un rôle émancipateur. Dans ce contexte, les limites imposées par la nature sont considérées comme des fantasmes réactionnaires ou des obstacles à franchir grâce à la science et la technique. Plus généralement, l’émancipation est comprise comme un arrachement aux conditions naturelles, à la nécessité. Plus largement les forces «progressistes» ont partagé ce déni de la part naturelle de la condition humaine. Ce que nous avons à retrouver c’est le lien fondamental des sociétés et des humains avec les écosystèmes dans lesquels ils vivent.

QUESTION 4 : TU NOUS PROPOSES DE « RETROUVER LE COMMUN ». POUR CELA, QUELLES SONT LES FORMES DE PROPRIETE QUE TU PRECONISES ET QUE PENSES-TU DE LA NOTION D’ALTERDEVELOPPEMENT, EN ALTERNATIVE A LA CROISSANCE CAPITALISTE ?

Le problème n’est pas la «croissance capitaliste», mais la croissance tout court. Cela ne signifie en rien qu’il faut arrêter de produire, cela signifie que les choix de production et de consommation sont des choix de société, des choix démocratiques, qui nécessitent une relocalisation des activités, une coopération entre les sociétés, l’acceptation des limites de la biosphère et de ses rythmes. Cela signifie aussi qu’il y a des modalités et exigences diverses en fonction des sociétés, des inégalités sociales qui ont atteint des sommets jamais égalés, une dette écologique immense accumulée par les pays industriels. L’alterdéveloppement (pour ne pas dire l’altercroissance) n’est-il pas encore un mot à particule comme développement durable, humain, soutenable et le cache-sexe d’un paradigme qui n’en finit pas ? Pourquoi ne pas lâcher prise (le développement est une invention occidentale), admettre l’échec et parler de bien vivre ?

Pour la propriété, qui est une question centrale, quand je parle de biens communs, c’est pour signifier que l’alternative à l’expropriation des biens communs n’est pas seulement la propriété publique-étatique ou la délégation de service public (puisque public et étatique sont généralement confondus même s’ils sont différents). Il existe des formes de propriété communautaire, des communautés d’usagers, qui se réapproprient les biens communs. C’est le cas pour l’eau, pour les semences, pour la terre, pour les forêts, mais aussi pour les biens communs de la connaissance et des biens communs sociaux, captés par les entreprises multinationales ou bradées par les États. Dans ces cas, la propriété ne signifie pas appropriation mais usage, entretien et restitution.

La référence à la communauté qu’induit la notion de communs pose problème, tant la culture occidentale a considéré les communautés comme des obstacles à la «modernisation», à la grande société comme disait Hayek. Les communautés subissent la même opprobre que celle subie par l’agriculture paysanne, par la gestion communale de l’eau par exemple. S’il est vrai que le communautarisme met en avant des communautés fusionnelles, sans conflit, autocentrées, de nouvelles communautés d’usagers existent bien, des communautés ancrées sur un territoire et ouvertes au monde, elles sont des sujets collectifs d’autogouvernement, de démocratie horizontale, qui lancent un défi à la marchandisation en se déclarant les usufruitiers de ressources non aliénables .

QUESTION 5 : EN QUOI LES RESISTANCES ACTUELLES LES PLUS SIGNIFICATIVES DESSINENT-ELLES UN AUTRE AVENIR POUR L’HUMANITE, ET QUE NOUS A DIT LE FSM DE DAKAR A CE SUJET ? LES FORUMS SOCIAUX A L’ECHELLE LOCALE COMME MONDIALE NE SONT-ILS PAS LES LIEUX IDEAUX POUR ECHANGER ET DEBATTRE DES QUESTIONS TRAITEES DANS TON LIVRE ?

Le mouvement altermondialiste est une des réponses à la globalisation du capitalisme et à la globalité de sa crise actuelle. À ce titre le forum de Dakar a marqué une étape car au-delà de la crise du capitalisme, c’est la crise de civilisation occidentale qui a été mise en évidence. Ce forum a rendues visibles les résistances et les expériences, qui partout dans le monde, portent un changement de paradigme. Je pense en particulier aux luttes contre l’extraction des matières premières, contre les grands barrages, contre l’accaparement des terres : il ne s’agit pas dans ces cas seulement de la demande d’une justice redistributive  mais de résistances à l’expansion capitaliste et de mise en œuvre de voies alternatives. Plus généralement, les forums sociaux locaux, articulés avec les forums globaux, montrent qu’il n’y a pas de séparation entre le local et le global, chaque lutte locale, expérience locale, exprime la globalité des questions soulevées et des enjeux.

Quant à mon livre, j’ai tenté en l’écrivant de restituer la force des mouvements et des résistances, souvent sous-estimés, et qui indiquent les voies à emprunter dès aujourd’hui. Les autres mondes que nous voulons ne sont pas des mondes abstraits pour les générations futures, ils sont déjà là et ne demandent qu’à être élargis pour prendre tout leur sens politique. Comme l’écrit Vandana Shiva, nous avons à résister à la monoculture de l’esprit qui, en oubliant la diversité, fait disparaître les alternatives et crée le syndrome du «manque d’alternative».

Soyez le premier à poster un commentaire.

Laisser un commentaire

Vous devez être connecté pour écrire un commentaire.