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Depuis le 11 septembre, la guerre contre le terrorisme. . . Philippe ZARIFIAN (22 mai 2002)

Publié le lundi, 8 août 2016 dans Libertés, No Pasaran !

Un texte écrit en 2002, que Philippe ZARIFIAN nous propose de relire, en regard aux évènements actuels. . .

Le terrorisme global et le régime de guerre.

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Peinture de KALIE

Formellement, nous sommes entrés dans un régime de guerre. Une nouvelle guerre, de facture inédite (à moins de remonter aux temps des croisades et de l’inquisition qui sont probablement les références les plus pertinentes pour penser la période actuelle), est ouverte de manière on ne peut plus officielle. Elle a été énoncée comme telle par Bush.Lorsque le Président Bush a déclaré, au lendemain du 11 septembre 2001, la guerre au terrorisme, guerre qui serait menée jusqu’au bout, qui prendrait de nombreuses années, il fallait prendre son expression tout à fait au sérieux. Nous commençons d’ailleurs à le mesurer : augmentation du budget militaire américain, forte pression sur les Etats européens pour qu’ils en fassent de même et se placent au sein du dispositif militaire américain, réorganisation de lOTAN.

Il n’existe pas nécessairement de lien factuel entre le front externe, mondial, et le front interne. Ce dernier ne se limite pas à la chasse aux membres des réseaux terroristes de type Al-Qaïda. C’est plutôt la mise en avant d’une atmosphère globale d’insécurité, saisie, non dans ses causes, mais dans ses effets, qui autorise tout à la fois de composer une idéologie sécuritaire et de mettre en place un dispositif technique répressif qui pratique l’amalgame, du jeune des banlieues, jusqu’aux terroristes « politiques » mondialement organisés, en passant par les attaques armées de bijouteries. La multiplicité des fronts possibles fait partie du paysage, en étant fictivement regroupés en une guerre globale. Dans ce nouveau régime de guerre, l’idéologie joue manifestement un rôle structurant. De même que jouent les passerelles entre les moyens policiers, les moyens de renseignements et les moyens militaires, ainsi que l’usage intense des médias, entre les fronts internes et les fronts externes.

La porosité de ces passerelles va, probablement, marquer l’avenir.Cette guerre se mène en même temps sur tous les fronts : DSCN1931-8-Small-1-300x292non seulement le front militaire, mais celui des services de renseignements et celui de la sécurité intérieure (car le terrorisme est potentiellement partout). Il est bien probable que ce qui est en train de se mettre en place en France, pour lutter contre l’insécurité, démanteler des petits réseaux de drogue ou de vols, réprimer les bandes de jeunes, et donc engendrer, nécessairement, des réactions de violence de plus en plus dures, voire de plus en plus armées, ne soit que le prémisse du ralliement à cette vaste lutte contre le terrorisme. Il y aura sans doute moins de petits délits, mais une violence beaucoup plus intense et armée, de part et d’autre. Le montant des dépenses, pour le budget des armées et celui de la sécurité intérieure, sera un signe tangible de l’évolution du gouvernement français. 

L’entrée dans un régime de guerre mondialisée n’est pas anodine : cela impacte tous les registres de la vie économique, sociale et idéologique. Il est déjà patent que l’opinion publique américaine, tenue en inquiétude et en haleine par de vastes mises en scène et d’incessantes déclarations des dirigeants, se vit comme faisant front derrière le  » commandant en chef  » qu’était le Président Bush.

Il en est ainsi en toute situation de guerre : il se produit de profonds bouleversements dans le comportement de l’opinion publique. Les effets de blocs deviennent plus massifs, les institutions démocratiques sont largement mises en veilleuse, l’opposition politique se trouve prise en porte à faux, sauf à faire de la surenchère.

Mais si nous faisons l’hypothèse que le chef de l’Etat français et DSCN1903-Small--300x297son gouvernement décident d’entrer dans un tel régime, avec toutes ses dimensions concrètes et idéologiques, nous pouvons établir une facile prévision politique : la gauche française va s’effondrer. Et elle le fera, parce qu’elle n’est en aucune manière préparée à prendre des positions claires, aussi bien sur le front de la situation mondiale, que sur celui de la sécurité intérieure. Ne pouvant pas être pour l’alignement sur le front prôné par Bush, sans, pour l’instant, affirmer sa prise de conscience et son opposition à l’entrée dans ce régime de guerre, sa position  » intermédiaire  » craquera. Ce n’est pas certain, mais c’est probable.

L’affrontement Chirac / Le Pen pourra alors, toujours dans la même hypothèse, prendre une signification durable. Le Pen n’est pas un fasciste au sens rigoureux du terme. La situation n’a rien à voir avec celle de l’entre-deux guerres. Le Pen est un réactionnaire, au sens le plus pur du terme : il pratique un racisme défensif (et non expansif) et prône le retour en arrière pur et simple. En ce sens, il refusera complètement de se laisser entraîner dans le sillage américain, préférant transformer la France en blockaus. Il jouera la guerre civile interne, l’isolement du pays et l’unité nationale contre un régime de guerre mondialisé. Et il pourrait trouver écho au sein de la population française de ce point de vue. Ce serait logique.

Dans l’hypothèse inverse, les relations entre les Etats-Unis et la France vont se tendre. Le gouvernement français, qui qu’il soit, peut décider de résister à l’entraînement dans cette logique de guerre, de refuser de s’y engager. Mais il devra lors s’appuyer sur l’appui du peuple français et soutenir de solides et fermes initiatives européennes. On ne peut pas dire que cela soit actuellement le cas. L’Europe est divisée et absente.

Mais une guerre contre le terrorisme international, devenu depuis

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Peinture KALIE

peu : terrorisme global (qu’on qualifiera peut être un jour de cosmopolite et d’apatride), est une guerre d’un type très particulier, très différent des guerres traditionnelles entre Etats. Elle est très lourde de racisme, comme on le constate déjà sur le sol des Etats-Unis. Car, pour l’instant, l’identification est claire : terroristes = arabes. Et pour le gens vraiment ignorants (ceux qui ignorent que les iraniens ne sont pas arabes, pas davantage, bien sûr, que les Coréens du Nord), on peut encore simplifier et élargir l’équation : terroristes = islamistes = arabes = orientaux.

Lorsque l’on commence à tomber bas, il n’existe pas de plancher.

C’est, formellement, une guerre contre le terrorisme, mais c’est aussi, prise à l’échelle mondiale, une guerre contre l’Orient (plus exactement contre le croisement entre Sud et Orient menée par le croisement entre Nord et Occident). C’est une guerre contre la barbarie du Sud, condensée dans les barbares à visage oriental. L’axe stratégique qui est sous-jacent à cette guerre, entamée sous le leadership des Etats-Unis, est clairement : Occident / Nord contre Orient / Sud, avec, non seulement une pénétration, chaque fois plus profonde, de l’Occident / Nord dans la zone de l’Orient / Sud, mais aussi un encerclement des civilisations et des puissances « étrangères » et rebelles : la Chine d’un côté, tout ce qui reste du vaste creuset des grandes civilisations de l’Orient moyen et proche, dont l’Iran et l’Irak sont les symboles. La Chine n’est pas prise directement dans cette guerre, personne ne peut l’accuser de soutenir ou de pratiquer le terrorisme (sinon sur son propre territoire). Elle applique une fantastique stratégie de l’édredon, avançant, à sa manière, pas à pas, assimilant de l’Occident ce qu’il y a à assimiler, s’imposant peu à peu sur la scène internationale. Elle fait comme elle a toujours fait : aucune puissance occidentale n’a jamais réussi à l’asservir. Mais elle est bel et bien située au bout de l’axe : Occident / Nord contre Orient / Sud, derrière le front ouvert dans la zone intermédiaire. Elle attend et agit en s’infiltrant. Sa zone d’influence ne cesse de s’accroître et ses réseaux économiques et culturelles de s’étendre, sa ou ses mafias de se renforcer. Les stratéges américains intelligents (il doit bien y en avoir) ne peuvent pas l’ignorer. Il n’y a pas, et il n’y aura pas, à l’horizon prévisible, de guerre contre ou face à la Chine. Tout s’est concentré dans la zone intermédiaire et contre les « orientaux » qui résistent à l’influence du Nord / Occident, mais la Chine réside dans le fond du tableau : elle est à la fois pays du Sud, de l’Orient, et, à sa manière, pays ayant déjà un pied dans le Nord. Mais elle n’est plus réellement un pays de l’Est. Au bout du Sud / Orient, un jour, on trouvera la Chine.

Parce que cette guerre a déjà pris, explicitement, la figure d’un affrontement entre civilisations, ou plus exactement l’affrontement de « la » civilisation contre les peuplades non-civilisées – l’insistance permanente de Bush et les membres de son gouvernement à parler de « l’Occident civilisé » en témoigne -, elle a pris aussi une tournure raciste d’ une immense portée potentielle. La manière dont circule sans cesse la photo de Ben Laden en est un symbole : son visage, son type racial, sa manière de s’habiller, marquent les esprits. Et Ben Laden raisonne de même en sens inverse. Les discours de Bush et de Ben Laden sont complètement symétriques, seule changeant la religion de référence et la caractérisation du camp du Mal. On ressort le référent des croisades.

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Peinture KALIE

 Je voudrais surtout m’attarder sur le mot  » terrorisme « . En soi, il ne désigne qu’une méthode : développer des actions destinés à semer la terreur. Constatons d’abord le considérable recul de la pensée et de l’intelligence qui consiste à faire du terrorisme l’ennemi dans une guerre : si des attentats terroristes sont menés, c’est bien en vertu d’une cause (ou des nombreuses causes). Il faut donc se demander : pourquoi ces attentats sont-ils menés ? Qu’est-ce qui les provoquent ? Quelle politique et quelle volonté stratégique expriment-ils ?

Mais de toutes ces questions, il n’est aucunement débattu : on se mobilise et on mobilise l’opinion publique sur de simples effets et des sentiments réactionnels : la peur, la vengeance, le ressentiment, la haine, etc.. On retombe, de l’intelligence aux pures passions  » tristes « , ces passions qui détruisent, de l’intérieur, les individus et leur raison. Et on suppose que l’ennemi agit sous le coup de ces mêmes passions. On suppose un monde mené par l’opposition de sentiments réactionnels, qui s’auto-entretiennent. Haine contre haine.

Constatons ensuite qu’il s’agit d’un terme totalement flexible. Autant la guerre déclarée contre un autre Etat a le mérite d’être une guerre claire, délimitée, autant la notion de terrorisme est extensible à volonté. On sait qu’elle englobe des réseaux (dont celui de Ben Laden, dont la puissance est probablement mythifiée et entretenue sur un mode largement symbolique par les Etats Unis), mais elle englobe désormais des Etats entiers (Irak, Iran, Corée du Nord, Somalie, etc..), voire des peuples, ou du moins leurs dirigeants, comme c’est le cas pour le peuple palestinien.

Ce terrorisme englobe aussi virtuellement les ennemis internes. Il 04-02-2011-1-Small--283x300 est là aussi très extensif. Ces ennemis peuvent être, en première ligne, ceux qui sont visés par les sécurités intérieures. Ils peuvent demain englober tous ceux qui contestent ouvertement ce régime de guerre. Ce ne seront pas des traîtres à la Nation. Ce seront des complices, même involontaires, du terrorisme. Le terrorisme peut englober tout à la fois : – ceux qui commettent des attentats terroristes, – tous ceux qui pourraient potentiellement en commettre à large échelle (stratégie du soupçon, dont l’Irak est l’archétype), – tous ceux qui pourraient les aider ou les soutenir, même en paroles ou en pensée.

Le 22 mai 2002

 

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  1. admin dit :

    Quelques réactions reçues sur nos listes internes :

    Et pendant ce temps, annoncé sur toutes les chaînes, KoKoriKo
    « Le Koweït achète 30 hélicoptères français pour un milliard d’euros » !!!!
    et pire encore, nous nous inspirerons de l’exemple israëlien pour la lutte contre le terrorisme !!!
    L’analyse de Philippe est très intéressante… Je pense que l’on descend encore !
    La seule chose que j’ai encore réussi à faire passer est de préparer les gens à des réflexes solidaires aussi bien lors des attentats que des catastrophes, de voir les migrants avec un regard solidaire (« après tout ce sont des gens comme nous »).
    Pour le reste, un embryon d’analyse globale est rejeté « vous êtes au mieux des naïfs, ou des complices »
    Anne Marie
    « Ce terrorisme englobe aussi virtuellement les ennemis internes. Il est là aussi très extensif. Ces ennemis peuvent être, en première ligne, ceux qui sont visés par les sécurités intérieures. »

    Merci à Philippe pour le retour de cette analyse sur la liste.
    J’imagine effectivement que je ne suis pas la seule à faire peur.
    Lors d’une réunion inter municipale pour la gestion d’une zone humide, une des naturalistes présentes a d’emblée déclaré aux « autorités » rassemblées : « rassurez vous, nous ne sommes pas des écologistes ».
    Ce que je suis, études et diplôme des facultés d’Orsay et Jussieu, et j’ai eu du mal à me taire pour ne pas faire capoter la réunion.
    Mais cela part mal, car nous sommes des « terroristes verts » et en « guerre » contre la société.
    Quant à aborder les causes du terrorisme, c’est quasi impensable car on nous répond « haine, fanatisme, folie … »
    Que faire ? Je suis assez désemparée.
    Anne

    Oui, grand merci de ce rappel qui avait fortement inspiré nos débats et notre texte de congrès à Mâcon (je crois
    Jacques
    Merci pour cette analyse qui est toujours d’actualité. Il me semble nécessaire d’en tenir compte pour nos réflexions et activités futures. Roger

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