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Après les attentats. . . tenter l’analyse ?

Publié le mardi, 26 juillet 2016 dans Libertés, No Pasaran !

Nous avons regroupé ici une dizaine d’articles parus dans divers médias (Politis, Médiapart, Arrêt sur info, . . .) depuis l’attentat de Nice, ceci afin d’affiner la compréhension et d’aider à l’analyse

Après Saint-Etienne-du Rouvray : vivre en sécurité ?, par l’UJFP

Ujfp-union-juive_pour-la-paix-logoHier, 26 juillet, le prêtre de l’église de Saint-Etienne-du Rouvray a été assassiné pendant la messe du matin. Un des paroissiens de l’église, gravement blessé. L’Union juive Française pour La Paix (UJFP) tient à rendre hommage aux victimes de cet attentat et assure leurs proches et tous les habitants de Saint-Etienne-du-Rouvray de toute sa solidarité. 

Le groupe Daesh a déclaré la guerre au monde entier : aux musulmans, aux juifs, aux chrétiens, aux occidentaux, aux kurdes, aux yézidis… L’horreur qu’inspire ce type de mise à mort étudié, dans un lieu de culte devant des fidèles , si elle nous conforte dans la nécessité de combattre activement toutes les formes de haine ne doit pas nous empêcher de réfléchir aux moyens d’endiguer cette violence. 

Il est quelques éléments que nous ne pouvons occulter de ce terrible tableau. La réaction de l’État français à cette situation est trop souvent immorale et improductive. 

À l’extérieur de la France, les guerres menées par l’armée française ou d’autres armées occidentales se multiplient. Les invasions de divers pays comme l’Afghanistan, la Libye ou l’Irak ont généralisé le chaos et ont fait le lit du terrorisme. 

Au lendemain de l’attentat contre Charlie-Hebdo revendiqué par Al Qaïda au Yémen, la France a vendu des armes sophistiquées à l’Arabie Saoudite qui a financé le terrorisme et combat au côté d’Al Qaïda au Yémen. Où est la logique ? Où est la morale ? Où est l’efficacité ? Qui peut croire que la solution à la menace terroriste passe par de nouvelles invasions ? Au Proche-Orient, il se dit souvent que Daesh comme l’Arabie Saoudite sont des créations de l’Occident. 

À l’intérieur, le racisme et les discriminations se développent. Loin de combattre ce racisme, les discours et les actes des dirigeants politiques et des représentants de l’État l’installent et le diffusent dans la société. Les appels à une généralisation du « sécuritaire », des camps, des emprisonnements sans jugement, de la stigmatisation, de la chasse à « l’autre » se multiplient. Pourtant tout le monde a dû reconnaître que « l’expérience » de Guantanamo a été une catastrophe pour les droits humains et n’a strictement rien apporté en termes de sécurité. 

Le « choc des civilisations » impulsé par Bush et les principaux dirigeants occidentaux, en préconisant une guerre de religions, a servi de terreau à Daesh. Il faut aussi dire que dans le capitalisme ultralibéral mondialisé, l’exacerbation délibérée des concurrences entre les dominés et l’explosion des inégalités est le carburant des ressentiments individuels et collectifs. Daesh se nourrit de tout cela. 

Chaque nouvelle sortie de l’état de droit est une victoire de ce groupe en lutte précisément contre l’état de droit et dont l’aspiration est celle d’une guerre civile généralisée. 

La seule réponse utile de l’État serait au contraire la décision de préserver les libertés publiques, et de faire le choix catégorique d’en finir avec les discriminations, avec les stigmatisations, avec le racisme, avec les guerres qui font le terreau de Daesh. 

La réponse de la société civile doit, elle aussi, être plus que jamais la lutte commune pour l’égalité, condition sine qua non d’une société pacifiée et solidaire, d’une véritable coexistence. 

Le Bureau national de l’UJFP, le 27 juillet 2016

« Daesh nous empêche de voir que la question majeure est politique ». Roland GORI Interview POLITIS

DSCN1931-8-Small-1-300x292Pour le psychanalyste Roland Gori, les auteurs des récents attentas sont les monstres du néolibéralisme. Daesh, estime-t-il, est l’arbre qui cache une crise politique profonde et sans issue immédiate, et qu’il devra pourtant falloir régler pour éradiquer ce terrorisme.

Politis : Comment analysez-vous ce qu’il s’est passé à Nice la semaine dernière ?

Roland Gori : La prudence serait de dire qu’on ne sait pas. Que l’on a besoin de temps pour préciser les données à recueillir par des enquêtes, et de temps pour une analyse multidimensionnelle mobilisant la pensée. Nous avons besoin de temps pour penser ce qui nous arrive, et comment nous en sommes arrivés là. Nous avons besoin de comprendre ce qui rapproche chacun de ces meurtres de masse et ce qui les différencie les uns des autres.

Globalement, nous réagissons trop vite.

Ce qui peut être justifié, en matière de protection, de sécurité ou d’assistance, ne l’est plus en termes d’information ou d’analyse. Or, les dispositifs d’information et d’analyse sont eux-mêmes atteints, corrompus par les dérives de la « société du spectacle », du « fait divers » qui permet la marchandisation des émotions et des concepts. Cela n’est pas acceptable moralement et politiquement car cela détruit aujourd’hui les bases sur lesquelles se fondent nos sociétés et participe à fabriquer les tragédies que nous traversons. C’est le fonds de commerce de nos ennemis et de leurs alliés objectifs, et de leurs comparses involontaires.

Quelle est la responsabilité des médias ?

Les médias ont une grande responsabilité dans cette affaire : ils participent à la « star académisation » de passages à l’acte criminel, pour certains immotivés – au sens quasi-psychiatrique du terme – réalisés par des personnalités plus ou moins pathologiques n’ayant aucun rapport personnel avec leurs victimes. Ce qui ne veut pas dire que tous ces meurtres relèvent de la même économie, que tous sont commis par des psychopathes ou des psychotiques. Certains sont authentiquement politiques, d’autres appartiennent au fanatisme « religieux », d’autres encore aux réseaux « mafieux » qui a fait du terrorisme l’occasion de nouvelles affaires rentables.

L’habillage idéologique ou religieux est plus ou moins décisif, déterminant selon les cas : entre les massacres de Charlie, ceux de l’hypercasher, ceux du Bataclan, de Nice ou l’agression des passagers d’un train en Bavière, les motivations ne sont pas les mêmes. Daesh « ramasse » tout, cela sert son entreprise de déstabilisation de l’Occident en frappant le « ventre mou » de l’Europe, en espérant ainsi favoriser les tensions intercommunautaires. C’est l’appel à la guerre civile lancé par Abu Musad Al Suri en 2005 : appel à la résistance islamiste mondiale mobilisant toutes les populations musulmanes afin de frapper les juifs, les occidentaux, les apostats, là où ils se trouvent.

À partir de ce moment-là, tout crime, tout meurtre qui pourrait être « marqué » par un signe d’appartenance communautaire, se voit recyclé comme « combustible » made in Daesh. Cela fait partie de la stratégie de ce groupe et de sa propagande. Nous risquons de valider leur campagne de terreur en donnant une unité et une consistance à des myriades d’actions plus ou moins inspirées par le terrorisme djihadiste.

En déclarant d’emblée que le tueur de Nice était relié à Daesh, François Hollande a donc commis une erreur ?

Les déclarations de François Hollande (et de sa suite), au moment de l’horreur niçoise, me sont apparues prématurées et dangereuses. Hollande pourrait tomber à pieds joints dans le piège tendu par Daesh : d’abord en relayant et en validant une propagande qui veut que tout meurtre de masse soit le fruit de l’embrigadement de l’organisation terroriste. La radicalisation d’une personnalité apparemment aussi trouble que celle du tueur de Nice, ses addictions et ses violences, sa bisexualité et son alcoolisme solubles en peu de temps dans le « radicalisme religieux » au service d’un « terrorisme de proximité », me laissent perplexe.

Ensuite, en annonçant que les frappes sur le terrain extérieur allaient redoubler, Hollande donne du grain à moudre à tous ceux qui veulent se venger de l’arrogance occidentale, des pratiques de maintien de l’ordre des anciens colonisateurs. Il valide le discours de propagande des salafistes qui ont suivi la voie du djihad. Qu’un président soit, en son âme et conscience politiques, appelé à ordonner des opérations militaires, pourquoi pas… Il devra rendre des comptes de sa décision au parlement et au peuple. Mais, qu’il l’annonce comme cela, dans un effet d’annonce en réaction aux crimes de masse, ça ne me semble ni politique, ni productif.

Qu’avez-vous pensé de la réaction des (autres) politiques ?

Il est normal qu’en tant que victime, parent de victime, vox populi, nous soyons submergés par la haine, le désir de vengeance, la douleur et la violence d’une tristesse infinie qui nous donne des envies de meurtres et de vengeances. C’est autre chose que les politiques aillent dans ce sens de l’émotion immédiate.

Tous les politiques, et les déclarations de l’opposition, à quelques exceptions près, ne se sont pas davantage montrés à la hauteur. Les morts, les victimes et leurs familles, méritaient mieux. C’est encore auprès du peuple, de ceux qui ont été là, anonymes, discrets, humains, qu’ils ont trouvé le langage, la présence, l’amour dont ils avaient besoin. La star académisation des criminels (je suis d’accord avec la proposition de mon collègue et ami, Fethi Benslama, dans Le Monde, d’« anonymiser » davantage les auteurs des meurtres de masse, ou du moins d’éviter de les rendre « célèbres ») et toutes les manifestations spectaculaires sont déplacées. Elles vont dans le sens de l’ennemi, si ennemi il y a derrière chacun de ses meurtres.

Alors, soyons prudent : Daesh essaiera de récupérer tout meurtre qui participerait, à plus ou moins grande distance, à son projet et nourrit sa propagande, ceux qu’il a organisés, ceux qu’il a inspirés… et les autres. Ne lui servons pas la soupe. `

Il me vient aussi une analogie que je vous livre : au cours de la schizophrénie, il y a l’apparition, parfois, d’un délire, celui de la « machine à influencer ». C’est-à-dire la conviction délirante chez le patient que ce qui se passe dans son corps (sensations, éruptions, douleurs, érections…) est « fabriqué » par une machine que manipulent des persécuteurs pour le faire souffrir. L’émergence de ce type de délire s’est souvent enrichi des découvertes technologiques, et leur sont parfois contemporaines. Dans ce cas-là, va-t-on accuser la machine ou la maladie mentale ?

L’idéologie est bien souvent une « machinerie » qui permet à beaucoup de monde de « fonctionner », et de combler le vide de l’existence. Il ne suffit pas de supprimer les « machines » pour faire disparaître l’usage que nous en faisons. Mais il y a des machines plus dangereuses que d’autres, c’est celles dont nous devons nous préoccuper en priorité pour savoir quels besoins les ont fait naître, et pourquoi c’est aujourd’hui qu’elles trouvent un « personnel » pour les faire tourner.

Alors que faire ?

Traiter politiquement le problème, et pas en réagissant immédiatement à l’émotion. En allant dans la direction de l’émotion, de la vox populi, Hollande signe la démission du politique, et ça, c’est très grave. La politique, ce n’est pas suivre les vagues de l’opinion publique terrorisée, mais les éclairer, les aider à penser ces tragédies.

Pour cela, il faut laisser le temps de l’enquête et essayer de comprendre ce qui nous arrive. Même si Daesh revendique les attentats – à Nice ou encore en Bavière, avec ce garçon de 17 ans qui a agressé des gens dans un train avec une hache –, rien n’exclut que cela ne soit pas une revendication opportuniste. Daesh a tout intérêt à « ramasser » tous les crimes où peuvent exister, même a minima, des tensions intercommunautaires puisque cette lutte djihadiste d’un genre nouveau fait l’éloge d’une espèce de guerre civile à l’intérieur de l’Occident, et en particulier en Europe. C’est son fonds de commerce.

Daesh utilise les armes de l’adversaire : les médias, les vidéos, les sites des jeunes… C’est sa force, mais aussi sa faiblesse, puisque cela va conduire les terroristes à revendiquer des actes venant de personnalités peu « orthodoxes » et qui vont donc agir en contradiction avec les valeurs portées.

L’archipel « terroriste » tire sa force de son éparpillement, de sa mobilité, de son caractère protéiforme et opportuniste, mais dans le temps cela peut devenir sa faiblesse_. Comme tout archipel, il risque la dispersion, la fragmentation, l’érosion. Allez expliquer aux populations martyrisées par Daesh – et parfois administrées avec rigueur et habileté, toujours avec opportunisme affairiste et cruauté extrême – qu’à Mossoul on passe les homosexuels par les balcons, et qu’à Nice on les transforme en « _soldat » du « califat » ! Qu’écouter de la musique, c’est sacrilège à Raqqa et nécessaire aux « soldats » pour préparer la propagande d’embrigadement des jeunes !

Toutes les idéologies finissent par se discréditer du fait que leurs plus chauds responsables n’agissent pas comme ils disent, et ne disent pas comme ils agissent. Inutile d’en appeler à la raison pour « dé-radicaliser » (j’ai horreur de ce mot, faux-ami s’il en est !) … Il faut montrer, et montrer encore les contradictions. Et ne pas oublier, comme disait Marx, qu’« être radical c’est prendre les choses à la racine ». Alors, soyons radicaux !!

Vous avez parlé de « théofascisme » pour désigner Daesh, que voulez-vous dire par là ?

C’est la thèse que je défends avec force : je crois que les théofascismes sont les monstres que nous avons fabriqués. Notre modèle de civilisation est aujourd’hui en panne. La bonne nouvelle, c’est que la vision néolibérale de l’humain est agonisante, moralement ruinée, qu’elle n’est plus crédible. La mauvaise nouvelle, c’est que son agonie dure. C’est la définition que Gramsci donnait de la « crise » : « c’est quand le vieux monde est en train de mourir, et que le nouveau monde tarde à naitre. Dans ce clair-obscur, naissent les monstres ». Nous y sommes.

L’idéologie néolibérale d’un homme « entrepreneurial » universel, guidé par sa raison technique et son intérêt économique, régulé par le marché et le droit occidental mondialisé, ne fait plus recette auprès des masses. Ce vieux monde les a appauvries et les fait souffrir tous les jours davantage. Ce néolibéralisme ne se maintient que par les structures institutionnelles de pouvoir, que par les affaires interconnectées de manière systémique, par les politiques des gouvernements acquis à cette cause. Mais les peuples n’en veulent plus.

Comme à la fin du XIXe siècle, comme dans l’entre-deux-guerres, aujourd’hui renaissent des « mouvements » de masse, nationalistes, populistes, racistes… qui cherchent désespérément une alternative au monde « libéral-universel des droits de l’homme-du progrès-de la raison » de cette « religion du marché » aux rites de laquelle on soumet les citoyens et les peuples. Mais ils n’en veulent plus.

Nous sommes gouvernés aujourd’hui, comme le disait Camus, par des machines et des fantômes. Dans ce clair-obscur, surgissent toutes les angoisses. Angoisses du chaos, de l’anéantissement réciproque, des incendies universels. Surgissent toutes les misères aussi, économiques, symboliques, du déclassement, de l’invisibilité. Enfin, toutes les passions enfantées par la haine et la peur. Là où Hollande a raison, c’est qu’il y a un risque de dislocation. Pas seulement de la société française, mais de plusieurs régions du monde, et en particulier de l’Europe. C’est de ces failles, sismiques, qu’émergent Daesh, les populismes, les racismes, le FN et consorts…

Vous les mettez tous sur le même plan ?

On voit émerger des mouvements violents, habillés de religion ou de marqueurs communautaires ou ethniques, qui captent la colère et le désespoir des masses face à cette crise de gestion néolibérale du monde. C’est, à la fois, une crise des pratiques néolibérales qui vivent sur une économie subprime, et des valeurs désormais en chute libre d’un capitalisme heureux. Les gens ne sont plus « croyants » de cette « religion de marché », et on leur demande de demeurer « pratiquants », et d’accepter de souffrir l’austérité pour mériter le paradis promis par la technocratie. Résultat : vous avez le Brexit, dont ceux-là mêmes qui l’ont promu, ne savent plus quoi faire !

J’ai souvent dit que cette émergence des théofascismes pouvait ressembler à ce qui avait pu se passer à la fin du XIXe siècle et au milieu des années 1920-1930, avec l’émergence des fascismes, du nazisme, des totalitarismes, lorsque, face à la crise des valeurs et des pratiques libérales, les masses se sont trouvées confrontées à une situation politique sans solution politique possible.

À ce moment-là aussi, face aux masses désœuvrées et esseulées, des mouvements de masse ont émergé, portés par des minorités audacieuses, violentes, organisées, capables, au nom du nationalisme, du racisme, des valeurs populistes les plus débridées, de contrôler et d’encadrer des individus déboussolés, des individus de masse. Dans ce qu’Hannah Arendt nomme le « désert », tout ce qui pouvait relier les humains entre eux – la religion, la politique, la culture, l’amitié -, se voyait menacé par les crises, économiques et symboliques.

Dans ce vide, différent et relatif selon les époques, bien sûr, l’angoisse de l’avenir et du devenir conduisait à chercher des repères et des identifications fusionnelles aux camarades des partis que les appareils organisaient de manière habile et drastique. Ces révolutions conservatrices sont nées des contradictions entre les belles idées libérales issues des Lumières (croyance dans la raison critique et le progrès, émancipation par le commerce, réduction de la misère par la technique et l’industrie…) et les pratiques des gouvernements « libéraux » bourgeois (les inégalités sociales, l’inféodation au commerce, le chômage de masse, la désaffiliation des individus de leurs liens familiaux…).

On l’a vu de manière éclatante avec l’ère Sarkozy !

La logique sécuritaire néolibérale portée notamment par Nicolas Sarkozy – qui a beau jeu désormais de trouver à redire sur la politique de sécurité actuelle ! – a elle-même cassé les effectifs de sécurité (gendarmerie, armée, police). Voilà des larmes de crocodile de nos conservateurs qui ont exigé la casse des services publics qui assuraient, en réalité, la sécurité autrement que de manière sécuritaire.

En maintenant et en fabriquant le lien social, ce lien qui produit un sentiment de sécurité très important – on voit bien comment en jouant sur les émotions, la peur, on risque de faire basculer la démocratie vers n’importe quel ordre autoritaire et totalitaire – on produit une sécurité réelle. À partir du moment où les gens sont ensemble, sont bien soignés, sont éduqués, sont accueillis, bref où on les aide à vivre ensemble par les services publics, il y a un terreau de la sécurité que le paradigme de la logique d’austérité et du modèle de l’homme économique ont détruit toutes ces dernières années.

Il faudra aussi faire ce bilan, et savoir combien de vies gâchées a pu produire cette austérité dont les Européens ne veulent plus. À s’obstiner dans cette technocratie qui place les citoyens et les peuples sous curatelle technico-financière, les politiques jouent la politique du pire, celle de Daesh, comme celle des extrêmes droites, et finiront par être eux-mêmes emportés par les monstres qu’ils ont créés.

Une piste de résolution serait donc de changer le système économico-politique ?

Oui, sauf qu’il n’y a pas de résolution immédiate. On n’a pas de kit pour changer de civilisation. Là encore, nous cherchons toujours trop vite des solutions face à des problèmes multidimensionnels qui ont une temporalité complexe. Il faut envisager des mesures avec des temporalités différenciées : peut-être que les mesures sécuritaires sont nécessaires, je ne sais pas, je ne prendrai jamais le risque de les dire inutiles simplement par choix idéologique.

La situation est grave, beaucoup plus qu’on ne le dit. Mais je suis sûr d’une chose, c’est que ces mesures de surveillance sont insuffisantes. Cela ne suffira pas, si ces mesures ne sont pas accompagnées d’autre chose, de mesures authentiquement politiques, sociales et culturelles_._ À demeurer au seul niveau de la veille et de la protection sécuritaires, nous finirions par tomber dans le piège de notre ennemi en changeant insidieusement de civilisation et de manières de vivre.

Et puis il ne faut pas que Daesh nous cache les autres périls : la montée du FN, la tentation des extrêmes, le repli frileux sur nous-même. Et que le problème Daesh nous empêche de voir que la question majeure, c’est que nous n’arrivons pas à trouver d’alternative politique qui nous permette de transformer les frustrations et les colères des citoyens en force politique.

La gauche en est-elle aujourd’hui capable ?

Pour l’instant non. Elle n’est pas capable d’offrir un projet politique crédible à des masses en colère et désespérées. A nouveau, nous nous trouvons devant une crise politique que paradoxalement nos institutions et nos politiques se refusent à traiter par des mesures politiques, qu’elles abordent comme des problèmes techniques sans changer de logiciel. Résultat des courses : en empêchant le traitement politique d’une crise politique, on précipite le peuple dans les bras de tous ceux qui ressemblent à du politique parce qu’ils sont anti-système !

Comparaison n’est pas raison, mais cette situation ressemble à s’y méprendre à ce que Simone Weil décrivait de la situation en Allemagne en 1932-33. Les masses vont chercher ailleurs que dans les partis traditionnels des démocraties libérales des points d’appui pour s’extraire de leur désespoir. Que ce soit dans la notion de communauté religieuse ou ethnique ou autre, la renaissance politique de ces notions s’explique par les failles du système qui conduiront, à terme, à sa dislocation.

La question du politique nous revient donc paradoxalement par le religieux…

Oui, alors même qu’à certaines périodes de notre histoire, il en était le repoussoir. C’est sur les ruines des nationalismes du monde arabo-musulman que renaissent les islamismes politiques et terroristes qu’il ne faut surtout pas confondre et amalgamer. Il y a tout un travail généalogique et archéologique à faire de ce côté-là, dont je précise, une fois encore, qu’il ne saurait épuiser les racines des terrorismes actuels.

Mais, ce qui me paraît intéressant, c’est de remarquer que, faute d’idéologies politiques identifiables_, le motif religieux fait l’affaire pour nombre de propagandes « _par l’acte », comme on le disait naguère des anarchistes. Les idéologies avaient eu tendance à remplacer les religions, aujourd’hui les motifs religieux tendent à recouvrir des idéologies. Mais les pratiques tendent à se maintenir, c’est toujours violence contre conscience, humanisme contre barbarie, Lumières contre ténèbres… mais, le clair-obscur brouille les pistes. On cherche désespérément le soleil !

Notre travail consiste donc à démasquer la question politique qui se cache derrière le religieux, le communautaire. Et ensuite, s’en saisir à bras-le-corps. Ce qui veut dire qu’il faut signer l’acte de décès du néolibéralisme, en urgence, en état d’urgence. Qu’il faut absolument, par exemple, reconsidérer la fonction sociale de l’art comme du soin ou de l’éducation ou de la justice, et la fonction politique de la culture et de l’information. Il y a eu le « pacte de stabilité », puis « l_e pacte de sécurité_ », il faut aujourd’hui « le pacte d’humanité », et à la manière de Zweig approcher la liberté moins comme une habitude que comme « un bien sacré ».

Concrètement, cela implique, par exemple, de favoriser la « fraternité européenne » en cassant la technocratie de Bruxelles et ses traités qui mettent les peuples en concurrence et en servitude. Il faut une « désintoxication morale de l’Europe » disait Zweig. Au risque de désespérer les peuples qui la composent. Si nos gouvernements ne sont pas capables de mettre un terme à cette technocratie, on verra monter l’extrême droite en Europe, et les théocraties ailleurs dans le monde.

Comment cela se fait-il que les politiques soient si inopérants ?

Aujourd’hui, le politique a déserté la spécificité de son champ. Hier, il l’a fait au profit de la religion du marché. Aujourd’hui, il le fait au profit d’une société du spectacle. Les hommes politiques essaient de vendre dans leurs discours des produits qui leur permettent d’acquérir un maximum de parts de marché de l’opinion publique. Faisant cela, ils aggravent la crise. Ils ne sont pas crédibles. Ils « gèrent » les opinions et maintiennent, sans les contrebalancer, les pouvoirs des oligarques de l’économie.

Après l’émotion terrible de cette semaine, comment voulez-vous que nous puissions croire autant le gouvernement que son opposition ? Il nous manque une parole politique, authentique, qui puisse faire un projet alternatif à la myriade de mouvements autoritaires, extrémistes, terroristes. Bref, il manque une parole politique consistante qui puisse contrer la propagande des monstres nés de la crise. Il nous faut un discours vrai, le feu sacré du politique, qui enthousiasme et donne envie de se battre autant que de rêver, de s’aimer autant que de s’opposer sans se détruire.

Et sinon ?

La suite a déjà eu lieu : on a déjà vu dans l’histoire, à la fin du XIXe siècle, entre 1885 et 1914, l’émergence de mouvements nationalistes, populistes, antisémites en France et en Europe. Ils poussaient sur le reflux des valeurs des Lumières, du progrès, du rationalisme. Le déclin de ces valeurs du libéralisme philosophique favorise l’émergence de monstres politiques, comme le fascisme et le nazisme.

La philosophe Simone Weil explique qu’en 1932-33, l’Allemagne s’est trouvée face à une crise politique terrible, et qu’on a interdit aux gens de résoudre cette crise. Aujourd’hui, c’est moins l’interdiction que l’empêchement. La censure est indirecte, insidieuse, mais elle existe : nos logiciels inhibent la capacité politique d’inventer des alternatives. Dans les années 1930, l’alternative monstrueuse politique a été Hitler et les fascismes… Aujourd’hui, on a quelque chose d’analogue avec Daesh : une propagande incohérente, un « attrape-tout » idéologique, des sentiments confus, une rhapsodie qui joue sur toutes les partitions de frustration et de mécontentement.

Peut-on vraiment faire l’analogie entre Hitler et Daesh ?

Ce qu’a fait Hitler, en encadrant les masses, en leur donnant des boucs émissaires face à leurs sentiments de colère et d’humiliation, c’est de leur donner des raisons fallacieuses de vivre et de mourir pour des illusions de pacotille. Il n’empêche que des forces, même minoritaires, surgies des ténèbres, peuvent apporter la violence et l’anéantissement. Aucune, ou presque, des mesures sociales promises par les nazis, n’ont été tenues, le régime de propriété et les oligarchies industrielles et financières se sont maintenues et accrues. Les classes sociales qui avaient cru éviter le déclin, ont été cocufiées. Il y a eu des millions de morts, une nouvelle industrie de la terreur qui a rendu plus que jamais l’humain superflu et obsolescent, matière première des techniques de production. Après la guerre, un vent humaniste a soufflé. Il est retombé. Aujourd’hui, de nouveau on entend la colère et le désespoir des opprimés. On finira par éteindre le soleil et les étoiles parce qu’ils ne nous versent pas de dividendes, aimait à rappeler mon ami Bernard Maris, en citant John Keynes. Jusqu’à quand laisserons-nous faire ?

Sur quoi peut-on se fonder pour envisager une autre politique ?

Cela ne peut se fonder que sur la réinvention de l’humanisme. Une posture éthico-politique, qui vise à faire « l’ontologie du présent », comme le dit Michel Foucault, pour essayer de voir ce qui, dans ce présent, brille comme un danger que l’histoire peut éclairer. C’est ce défi de la modernité que nous avons à relever : replacer l’humain au centre, de manière concrète, particulière, pas de manière universelle, réduit à la monotonie, pas de manière homogénéisée.

Il faut relire aujourd’hui Stefan Zweig, notamment son livre sur Le Brésil, terre d’avenir, où il explique comment la création d’une culture peut naître de la créolisation de l’ensemble des particularités culturelles qui la composent. C’est l’hétérogène qui rend fort. La création d’une véritable identité culturelle passe par le creuset d’une culture qui fait fondre ensemble – par des alliages subtils -, bien des composants humains.

Le politique, c’est à cette pluralité qu’il a à se confronter, pas parce qu’il en a besoin comme « forces de travail » à exploiter, mais parce que c’est ainsi que se crée un peuple,_ sa force et son histoire. Il faut faire passer le message de la désintoxication morale de l’Europe, qui doit passer par la République des Lettres, par la fraternité des cultures, des échanges, des expériences sensibles.

Zweig dit qu’on devrait enseigner à chaque nation son histoire, moins celle de ses conflits avec les autres nations, mais bien plutôt ce que chacune d’entre elles doit aux autres pour être aujourd’hui ce qu’elle est. Il s’agirait moins d’enseigner nos victoires et nos défaites, que nos dettes aux autres cultures. C’est en nous appropriant à notre manière singulière ce que les autres nous ont apporté que nous nous sommes créés, que nous avons, comme l’écrivait Camus, « donné une forme à notre destin ».

 http://www.politis.fr/articles/2016/07/daesh-nous-empeche-de-voir-que-la-question-majeure-est-politique-35183/

Roland Gori est psychanalyste et professeur émérite de psycho¬pathologie clinique à l’université d’Aix-Marseille. En janvier 2009, il a initié l’Appel des appels – une coordination de mouvements issus des secteurs du soin, de la recherche, de l’éducation, du travail social, de la culture… – dont le but est de fédérer une multitude d’acteurs critiquant l’idéologie néolibérale et ses conséquences sur les services publics notamment.

Il est l’auteur de plusieurs ouvrages de référence : L’Appel des appels. Pour une insurrection des consciences, Paris, Mille et Une Nuits-Fayard, 2009 ; La Fabrique des imposteurs, Les Liens qui Libèrent, 2013 ; et, plus récemment, L’Individu ingouvernable, Les Liens qui Libèrent, 2015.

 

 

Attentat de Nice : À ceux qui vantent le « modèle » israélien, par Denis Sieffert (édito de Politis)

 

Avec inconscience ou avec d’inavouables arrière-pensées, on ne sait pas. Toujours est-il que nombreux sont les médias qui, depuis le massacre de Nice, donnent en exemple de résilience au terrorisme le « modèle » israélien. 

 

Tous ne le font pas de la même façon. Rendons justice au correspondant du Monde qui prend soin de rappeler le contexte colonial du conflit israélo-palestinien. Mais, la plupart s’en tiennent à une approche apparemment « technique ». Les Echos, le JDD, France 2, France Inter (avec l’ex-porte parole de l’armée israélienne), entre autres, suggèrent que la France devrait s’inspirer d’Israël. 

 

On voit bien là toute l’ambiguïté du concept de terrorisme. Que ce soit Daech, un psychotique alcoolique et délinquant, ou un Palestinien dont on vient de détruire la maison et les terres cultivables pour cause d’extension coloniale, c’est du pareil au même. 

 

On retrouve là le discours colonial que l’on a bien connu pendant la guerre d’Algérie quand les militants du FLN étaient tous des « terroristes ». Inconsciemment ou non, les promoteurs du modèle israélien amalgament une révolte violente contre une injustice, et des actes de terreur sans cause immédiate. 

 

La révolte contre un État en infraction constante avec le droit international peut bien sûr être condamnée quand elle est aveugle et vise des innocents, mais la condamnation ne peut pas se faire sans en rappeler le contexte politique et historique : la colonisation massive à laquelle se livre le gouvernement israélien. 

 

En Israël, l’antiterrorisme le plus efficace consisterait à cesser la colonisation et à entamer une négociation pour la reconnaissance d’un État palestinien souverain. Ce à quoi se refuse totalement Benyamin Netanyahou. On ne peut pas s’émouvoir des conséquences quand on est soi-même la cause. 

 

Le discours pseudo-technique est également effrayant. On peut vanter l’efficacité des barrières métalliques devant les abris bus dans les rues de Jérusalem, mais il est plus difficile de faire l’éloge du « mur », comme certains le font. 

Si cet édifice géant, qui atteint parfois huit mètres de haut, est un obstacle à l’entrée de Palestiniens en Israël, il est aussi et d’abord un instrument de colonisation qui empiète massivement sur le territoire palestinien, isole les villages des terres cultivables, et sert de prétexte à la destruction d’habitations. 

 

Autrement dit, ce mur, présenté dans quelques uns de nos médias comme un instrument de la lutte anti-terroriste, est surtout une cause de révolte. Le « mur » symbolise à lui seul toute l’ambiguïté du modèle israélien d’anti-terrorisme. 

 

Mais il y a pire. Les laudateurs du système israélien vantent, involontairement ou non, deux « techniques » : les arrestations préventives et…les assassinats ciblés. Plus de sept cents Palestiniens sont aujourd’hui détenus administratifs sans jugement. Quant aux assassinats ciblés de simples suspects, ils sont toujours une pratique courante de l’armée israélienne. En 2006, la Cour suprême d’Israël en a autorisé la pratique « sous certaines conditions ». 

 

Le plus grave se cache sous une formulation innocente : la « sensibilisation du grand public ». On touche là à quelque chose de beaucoup plus complexe qui a un rapport étroit avec la propagande et le conditionnement de la population. Et, pourquoi ne pas le dire, avec un racisme massif, qui fait de tout Arabe un suspect sur lequel, au moindre geste inquiétant, on aura droit de vie ou de mort. 

 

Ce n’est pas par hasard si Israël a aujourd’hui le gouvernement le plus à droite de son histoire. Et si son ministre des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, est connu pour des propos tels que « ceux qui sont contre nous méritent d’être décapités à la hache ». « Contre nous », faut-il le préciser, cela veut dire contre la colonisation. 

 

En France, les responsables politiques ou les médias qui prétendent vouloir faire barrage au Front national font ainsi discrètement l’apologie d’un gouvernement qui n’a vraiment rien à envier au Front national. Un gouvernement qui veut évincer du Parlement les députés arabes et qui organise la traque des organisations des droits de l’homme. 

 

Il n’y a pas de mesures anti-terroristes qui ne mettent en cause toute la conception d’une société. Enfin, la référence à Israël est un véritable chiffon rouge quand on sait que la question palestinienne reste la cause principale d’amertume et de frustration du monde arabe. Ceux qui se livrent à ce jeu dangereux peuvent-ils l’ignorer ?

Après Nice: Résilience, résistance, responsabilité, par Noël Mamère

Notre souveraineté ne réside pas dans la seule protection de nos frontières, elle est alimentaire, climatique, sociale, humaine. Après Charlie, après l’hyper casher, après le Bataclan, après Nice, il est temps de changer notre manière de penser. Et voici déjà 7 évidences. 

 

Comment une société qui n’a pas été véritablement en guerre depuis plus de cinquante ans peut-elle résister à une épreuve qui la frappe régulièrement depuis janvier 2015 ? Telle est la question à laquelle nous devons répondre au delà de l’écume des événements et des digressions politiciennes.

 

Les réponses qui ont fusées depuis le 14 juillet au soir, disons le tout net, sont honteuses, non seulement pour ceux qui les ont proférées mais aussi pour toute la classe politique. Nous sommes salis par ces gens qui font de la surenchère dans l’ignoble en montrant que « eux , ils en ont » et pourraient arrêter un camion de 19 tonnes avec un lance roquette, installer un Guantanamo à la française, avec des camps de rétention pour suspects arabo musulmans, organiser l’état de siège, et sortir au plus vite de l’Etat de droit puisque, selon l’un de ces misérables : « pour ceux qui sont morts, l’Etat de droit, ce n’est pas leur problème. »

 

A tous ceux-là, comme à ceux qui cherchent à pactiser avec le diable, à la recherche désespérée de compromis qui, le matin, constatent que l’état d’urgence n’a plus lieu et qui le transforment le soir en six mois d’exception permanente, il faut répondre par quelques évidences :

 

1° Aucune force de police, aucun service de renseignements, aucune opération « Sentinelle » n’empêchera une personne, seule ou organisée, de mener à bien un attentat de ce type. La spécificité du terrorisme de proximité est qu’il n’est pas repérable – en général – dans les radars. Le passage à l’acte peut provenir de la radicalisation d’un individu motivé par le besoin de se donner en spectacle, comme d’un militant islamo fasciste assumant parfaitement ses actes, mais vivant sa « cause » dans la plus étanche clandestinité. Dès lors, la surenchère sécuritaire participe à la démobilisation des citoyens pour qui l’Etat, quoi qu’il fasse, est impuissant à enrayer la menace. Au lieu de tenter de faire acte de courage auprès du peuple, en redonnant du sens à l’événement, les responsables cherchent dans la boite à outil sécuritaire des armes illusoires.

 

2° En conséquence, le risque zéro n’existe pas. Ceux qui prétendent que nous pouvons échapper à tout attentat de ce type sont soit des imbéciles soit des menteurs soit, en général, les deux à la fois parce qu’ils conjuguent ignorance crasse et cynisme patent. La démagogie ne peut tenir lieu de viatique dans la lutte contre le terrorisme. Elle ne débouche que sur la chasse au bouc-émissaire. Pour autant, cela ne veut pas dire que nous devons nous résigner. Le pessimisme de la lucidité et de la raison est une arme de combat si elle se conjugue avec l’optimisme du courage et de la détermination.

3° Les pays qui ont le mieux résisté par le passé aux conséquences du terrorisme et qui l’ont vaincu, comme l’Italie ou l’Espagne, sont ceux qui ont le moins remis en cause l’Etat de droit, ce que cherche l’Etat islamique en provoquant des fractures entre les différentes composantes de notre peuple. Sa victoire serait, d’un côté, l’instauration d‘une guerre civile larvée, avec une riposte armée de quelques groupuscules d’extrême droite, de l’autre le développement d’un Etat du « tout sécuritaire », deux faces du même mal. Nous sommes au bord du précipice. Le gouvernement est paniqué par la tournure d’événements qui lui échappent. 

L’opposition de droite, sous la pression du FN et de sa propre primaire, fait de la surenchère et obtient du gouvernement une nouvelle prolongation de l’état d’urgence de six mois, avec droit aux perquisitions élargi et l’approbation d’un amendement scélérat contre les manifestations « mettant en cause l’ordre public », qui pourront être interdites sur la seule volonté du préfet. Cela veut dire que les douze manifestations contre la Loi Travail auraient pu être interdites. Où va-t-on ? où va la France ?

 

4° Il ne s’agit ni de minimiser ce qui vient de se passer ni de tomber dans le piège identitaire. J’avais expliqué, dès le 11 septembre 2001, que la danse du ventre autour de la société du risque – qui était à l’époque la nouvelle doxa de la gauche libérale – ne répondait pas à la nouvelle période. Quinze ans après nous en sommes toujours là. Mon analyse reste la même : on ne sortira pas de cette crise en hystérisant les débats que veulent nous imposer en commun la droite reac. etla gauche neo-conservatrice.

 

5° Les écologistes préconisent la prévention des conflits, pas la guerre à outrance que nous menons sur la base d’une folle course à l’intervention, de l’Afrique subsaharienne à l’Irak, la Lybie et la Syrie, avec les résultats que l’on connaît. L’interventionnisme guerrier est le problème, pas la solution. Je ne suis pas un pacifiste et je sais que, parfois, il est nécessaire de recourir à la guerre comme ultime moyen. Mais en ayant privilégié la canonnière contre la politique, en n’ayant pas appuyé sur place les composantes d’une résistance efficace parce que démocratique, en refusant de régler les questions palestinienne, afghane, kurde, en s’ingérant par la guerre pour imposer un Grand Moyen Orient, nous sommes tombés de Charybde en Scylla et nous sommes devenus la cible première des djihadistes pour lesquels nous représentons l’occidentalisme le plus brutal. De fait, nous sommes les nouveaux représentants de G.W Bush au Moyen Orient. C’est de ce piège que nous devons sortir en priorité.

 

6° Les écologiste ont inventé le principe de précaution. Celui-ci ne se limite pas à l’environnement mais devrait être appliqué à la démocratie mise en danger par tous les boutefeux qui foulent au pied ce principe en alimentant le terreau de la violence et le fantasme de guerre civile des islamo fascistes. Le choix qui nous est actuellement imposé entre la suppression de « quelques » libertés et notre sécurité contredit ce principe. Au contraire, c’est le moment où notre société devrait être capable de faire montre de cohésion, en intégrant mieux ses citoyens quelle que soit leur origine, leur religion, leur condition sociale ou leur orientation sexuelle. Protéger et recevoir  les migrants, les réfugiés et les sans papiers, se préoccuper des conditions carcérales pour favoriser la réinsertion et la déradicalisation, casser les ghettos et renforcer les dispositifs contre l’exclusion et le chômage, sont des conditions préalables d’une désescalade.

 

Les 1 257 caméras de surveillance et les 357 agents de la police municipale armée de Nice n’ont pas empêché l’attentat. Mais la disparition quasi totale de la prévention dans les quartiers et du tissu associatif ont empêché que l’on puisse repérer le basculement d’un individu dans la violence, contre sa femme, d’abord, contre la société ensuite. Ce dont nous avons le plus besoin aujourd’hui c’est d’espoir et de fraternité. Le principe fraternité, c’est le principe de précaution jamais appliqué par nos dirigeants. S’ils le refusent, la société doit se lever pour l’imposer.

 

7° Les écologistes défendent la protection des espèces. Elle s’applique aussi à l’homme. Et dans tous les domaines. L’humain est une espèce aujourd’hui non seulement menacée par les catastrophes écologiques et climatiques, mais aussi par l’embardée du capitalisme mondialisé.  Parce qu’il est fondé sur le droit du plus fort, la religion du profit et de l’argent, il est en train de réveiller les pulsions identitaires les plus primitives. Notre protection consiste d’abord à renforcer le bouclier social, à combattre les inégalités et la précarité dans les quartiers, en France mais aussi à l’étranger. 

 

Deux milliards d’humains parmi les plus démunis ne sont plus riens, ne valent plus rien, ne comptent pour  rien ; C’est aussi sur ce terreau que se développent des zones ensauvagées et que, en Occident même, des millions de personnes sombrent dans le désespoir. Ce n’est pas comprendre mais expliquer – contrairement à l’axiome de Manuel Valls – comment et pourquoi certains, à l’image du camionneur de Nice, peuvent devenir des futurs miliciens qui exprimeront leur frustration dans la violence.

 

Si l’homme devient un loup pour l’homme, il doit pouvoir se protéger, en renforçant, par exemple, le renseignement qui a été mis à mal par les réformes de Sarkozy. Nous avons besoin non seulement de moyens humains, qui ont été remplacés par les croyances en la toute puissance des nouvelles technologies, mais également d’une meilleure définition du terrorisme. L’Affaire Tarnac a montré que l’extension de cette définition débouchait sur des enquêtes inutiles et attentatoires aux libertés. Notre protection consiste aussi à refuser les amalgames et les généralisations abusives.

 

L’essentialisation de la religion musulmane empêche par exemple la délimitation entre ce qui est un ennemi, l’islamo fascisme, et les différents courants de l’islam. Notre protection réside d’abord dans nous mêmes : Combattre la peur de l’autre, de celui qui est différent, étranger à notre culture. Notre force c’est notre cosmopolitisme, ce lien entre notre condition d’habitant de la Terre-patrie et notre appartenance à une citoyenneté reposant sur la liberté, l’égalité et la fraternité.

Notre mal vient de loin. Il n’est pas franco-français. Le réduire à cette dimension locale ne permet pas de le combattre. Ce mal n’est pas européen. Brexit ou pas, l’Europe devenue un simple projet de marché et de concurrence libre et non faussée, continuera à s’enfoncer dans sa crise commencée justement dans les années 90 faute d’avoir répondu à la crise yougoslave et, déjà, à l’affrontement des identités meurtrières.

 

Nous devons penser le monde tel qu’il est et arrêter la comptabilisation macabre de « nos morts », sans considérer aussi ceux des « autres », de ces syriens, irakiens, libyens, victimes arabes et musulmanes de Daech et des pouvoirs en place, de ces réfugiés qui meurent par milliers en méditerranée, de ces Afghans, Pakistanais, Nigériens, Soudanais, Erythréens, qui fuient la guerre, la misère ou la dictature. Ceux-là se fichent des murs réels et virtuels que nous leur opposons.

Notre souveraineté ne réside pas dans la seule protection de nos frontières, elle est alimentaire, climatique, sociale, humaine. Après Charlie, après l’hyper casher, après le Bataclan, après Nice, il est temps de changer notre manière de penser.

 

 https://blogs.mediapart.fr/noel-mamere/blog/220716/apres-nice-resilience-resistance-responsabilite

 

 

Halte à la guerre, Halte à l’état de guerre

Communiqué collectif anti-guerre

 

Les charognards se lâchent!

Alors que tout indique que le carnage est l’acte d’un individu en état de démence. Que les vies détruites par sa démence valent toutes les vies.

Alors que l’on sait, maintenant, que le même individu, de nationalité tunisienne, a fini par trouver un véritable exutoire à sa démence dans les appels de DAESH à exécuter par n’importe quel moyen des attentats dans les pays impliqués dans la coalition internationale qui bombardent quotidiennement en Syrie ou en Irak et provoquent les mêmes carnages que ceux de Nice, de Paris ou de Bruxelles.

Alors que l’on sait que dans son discours à la nation, le président Hollande, en pleine possession de tous ses moyens, a déroulé la feuille de route pour les prochains carnages annoncés à Mossoul avec l’appareillage, outre d’un porte avions, de tout l’attirail militaire dont dispose le troisième marchand de canons au monde, qu’est la France.

Alors que cet acte sans nom, qu’aucune « politique sécuritaire » (et la ville d’Estrosi avec ses  dizaines milliers de caméras et sa police municipale armée fut dans l’incapacité de prévenir sa réalisation) ne peut « prévoir », ni contrecarrer; parce que personne ne peut empêcher un dément de se faire exploser au milieu d’une foule; les charognards du monde des médias, ou du monde des bateleurs d’estrades que l’on nomme à tord « politique » reprennent en coeur la même litanie du « tout sécuritaire ».

Les même bateleurs d’estrades et leur chiens de garde n’en finissent pas d’agiter, en véritable pousse au crime, de nouvelles propositions en matière de fichage extrême, de centres de rétention pour les fiches « S », de centres de « déradicalisation », d’expulsions de masses et la stigmatisation de « musulmans » qui servent de paillassons, sur le dos desquels tout ce que ce pays compte de crétins, se croit permis de s’essuyer les pieds.

Gageons que ce sont les stratèges de Daesh qui se frottent les mains en étant sûr d’une chose: la « pompe à haine » continuera à leur faire gagner de nouvelles allégeances parmi les « fous de dieu » et les « fous » tout court.

Aucune voix, si ce n’est dans les milieux qui s’opposent depuis plusieurs mois à l’ « état de guerre » intérieur: Loi d’urgence (prorogée pour encore quelques mois); Loi Travail imposée par la guillotine du 49/3 etc; ne s’est élevée pour dénoncer les nouvelles rodomontades d’un exécutif aux abois, à quelques mois de l’échéance présidentielle.

Oui il y a urgence, celle d’arrêter les carnages annoncés et qui viendront endeuiller, après ceux exécutés après les attentats de Paris,  non des dizaines de familles, mais des milliers, voir des dizaines de milliers de familles.

Et là, ce sont des bombes françaises, européennes, russes ou américaines larguées par des état-majors militaires exécutant des ordres émanant des exécutifs euro/russo/américains.

Les familles elles sont irakiennes, syriennes, kurdes de toutes confessions, et payent depuis des années le prix fort de la démence des dirigeants des puissances qui nous gouvernent.

Halte à la guerre, Halte à l’état de guerre.

 

 

Ni Islam, ni folie : la terreur est politique ! (Arrêt sur info)

Par Bruno Guigue 18 juillet 2016

http://arretsurinfo.ch/ni-islam-ni-folie-la-terreur-est-politique-par-bruno-guigue/

30-01-2011--4---Small-Des premiers éléments de l’enquête, il ressort que l’auteur de l’ignoble tuerie de Nice se moquait de la religion comme d’une guigne, ne faisait pas la prière, ne respectait pas le jeûne du ramadan, collectionnait les conquêtes masculines et féminines, menait une vie dissolue, affectionnait les sites internet violents et avait une fâcheuse tendance à régler ses différends au pistolet automatique. Il est temps, me semble-t-il, de tirer quelques enseignements d’un tel portrait, qui est désormais de l’ordre des faits, et d’analyser les dommages collatéraux qu’il ne peut manquer d’exercer quant à leur interprétation.

A des années-lumière de la pratique islamique la plus courante, ce portrait de l’auteur de la tuerie du 14 juillet en jouisseur compulsif, irascible et sans tabou, en effet, n’est pas sans intérêt. Il couvre de ridicule, c’est le moins qu’on puisse dire, la meute des télé-experts prompts à dénicher la quête du frisson apocalyptique chez n’importe quelle petite frappe du djihad global. Pour ceux qui ne veulent voir dans le terrorisme que le stade suprême du fanatisme religieux, le démenti est catégorique et sans appel. Difficile, désormais, de soutenir la thèse de la responsabilité immémoriale de l’islam, quand on sait que le meurtrier était musulman comme les Borgia étaient catholiques et que 10 des 84 victimes du massacre de Nice, en revanche, étaient bien de confession musulmane.

Cet examen impitoyable des faits renvoie aussi dans les cordes ces politiciens avides qui se jettent sur l’islam comme sur une proie facile au moindre événement susceptible de jeter de l’huile sur le feu. Rêvant sans doute de dépasser le FN sur sa droite en se livrant à une manœuvre audacieuse, ils ne voient pas qu’ils se couvrent de honte tout en creusant leur tombe, politiquement s’entend. Lorsque l’un d’eux réclame à cor et à cri l’interdiction du voile islamique, en France, pour lutter contre le terrorisme, on ne sait d’ailleurs s’il faut en rire ou en pleurer, tant le propos est grotesque et la tentative de manipulation si patente.

A l’évidence, l’auteur de l’abominable crime de Nice avait en lui une violence sourde. Nourrie de ses échecs et de ses frustrations, cette violence, le tueur de la Promenade des Anglais l’a soudain déchaînée en commettant un acte horrible, un meurtre de masse. Mais pourquoi ? Au fond, nul ne le sait exactement. On pourra gloser sans fin sur ses motivations, recourir aux expertises les plus savantes, mobiliser toutes les ressources de la psychologie et de la sociologie, l’objet d’étude a disparu avec l’acte qui l’a fait naître. Le faisceau de ses justifications s’est volatilisé avec lui, dissipant à jamais toute explication exhaustive. Que nous le voulions ou non, l’engrenage qui conduisit au drame du 14 juillet risque de demeurer nimbé de mystère.

Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y ait rien à comprendre. On a invoqué à juste titre l’absence de motivation politique explicite de la part du tueur. Mais tous les terroristes ne laissent pas à l’usage de la postérité un testament politique destiné à justifier leurs forfaits. L’absence de discours, en l’occurrence, peut valoir tous les discours. Et puis, il faut bien admettre que cette lecture a-politique du geste criminel du 14 juillet est sérieusement battue en brèche par sa revendication a posteriori. La justification de l’acte par l’organisation terroriste transforme l’acte lui-même à l’insu de son auteur, elle en dissipe l’ambiguïté initiale. Formulée par Daech, cette revendication, dit-on, serait opportuniste. Mais qui peut le prouver ? Et cette preuve serait-elle fournie, que faudrait-il en déduire ?

Ajouté au mode opératoire utilisé (le camion-bélier), l’endossement de l’attentat par l’organisation terroriste, sans l’exclure absolument, paraît invalider l’hypothèse d’un acte isolé, dénué de toute signification politique et commis sous l’effet d’un accès de folie. Oui, un attentat a bien été accompli par un individu décidé à tuer aveuglément, et ce crime a été revendiqué par une organisation terroriste internationale qui ne cesse d’inviter ses affidés à le faire. Disposant de partisans disséminés partout et nulle part, Daech, en réalité, n’a nul besoin d’organiser les attentats en amont, puisqu’il lui suffit de s’en attribuer la paternité en aval, la violence de ces adeptes passés à l’acte s’inscrivant spontanément dans le projet de subversion par la terreur qui constitue le fonds de commerce djihadiste depuis la création d’Al-Qaida sous parrainage américano-saoudien.

C’est pourquoi l’auteur du crime (individuel) et son parrain (collectif) en partagent clairement la responsabilité. Ils coproduisent cette monstruosité, l’un parce qu’il l’a commise, l’autre parce qu’il la revendique. Le terrorisme n’existe que parce qu’il y a des petites frappes pour accomplir la sale besogne, mais il n’y aurait pas de petites frappes s’il n’y avait aucune organisation pour diffuser des mots d’ordre. On ne se lassera jamais de le répéter : le terrorisme est une entreprise politique, et s’il fournit à des individus désaxés le moyen d’exhaler leur mal-être, c’est parce que l’organisation préexiste à cette piétaille et l’utilise comme « soldats du djihad ».

En interprétant le terrorisme sur le mode psychiatrique, au contraire, on s’offre un alibi qui en occulte la signification. Exempté de toute rationalité, y compris meurtrière, le djihadisme est réduit au statut de curiosité anthropologique. On en fait une sorte de trou noir de la pensée, une aberration sans cause assignable, comme si rien ne pouvait l’expliquer hormis le dérangement mental de ses acteurs. On veut condamner les terroristes pour ce qu’ils font, mais on les dépossède, en même temps, de toute responsabilité politique. Comme celle qui n’y voit que l’empreinte de l’islam, cette interprétation du phénomène djihadiste, en occultant sa motivation première, le soustrait à toute analyse rationnelle. Et elle jette un écran de fumée devant les raisons de ce péril mortel que nos dirigeants, par cynisme et lâcheté, ont fait croître en prétendant le combattre.

Bruno Guigue, ancien élève de l’École Normale Supérieure et de l’ENA, Haut fonctionnaire d’Etat français, essayiste et politologue, professeur de philosophie dans l’enseignement secondaire, chargé de cours en relations internationales à l’Université de La Réunion. Il est l’auteur de cinq ouvrages, dont « Aux origines du conflit israélo-arabe, L’invisible remords de l’Occident, L’Harmattan, 2002 », et de centaines d’articles.

Après Nice, la promesse intenable

16 JUILLET 2016 | PAR HUBERT HUERTAS MEDIAPART

Dans la foulée du massacre de la promenade des Anglais, la droite et l’extrême droite ont dénoncé « l’impuissance de l’exécutif », et réclamé que « la vérité » soit enfin assumée. Nicolas Sarkozy estime ainsi que « le moment de dire les choses viendra bientôt ». Reste à savoir de quelles promesses il veut parler…

Contrairement aux attentats de janvier et de novembre 2015, la polémique s’est engagée très vite. Christian Estrosi a interpellé le gouvernement, suivi d’Éric Ciotti, de François Fillon, et même d’Alain Juppé d’ordinaire plus réservé dans ce type de circonstances (lire nos reportages sur Mediapart : « Des élus veulent pointer la responsabilité du pouvoir » et « François Hollande mesure le risque de dislocation »).

Il faut dire que l’horreur du bilan, le mode d’action impitoyable du tueur, la symbolique du 14-Juillet, et la succession désormais régulière d’attentats peuvent provoquer dans les esprits une lassitude mêlée de colère et d’impatience : « Mais que font les pouvoirs publics ? », cette interjection habituelle, lancée à l’occasion des malheurs ou des contrariétés du quotidien, prend cette fois une résonance tragique. Ce sont des hommes, des femmes, des enfants, qui ont été frappés à l’aveugle, mais c’est un pays tout entier et un mode de vie commun qui sont visés et malmenés. Il est donc naturel que le regard des citoyens se tourne vers ceux qui détiennent l’autorité. Les questions sur le renseignement, le suivi des suspects, les moyens et leur mise en œuvre, l’efficacité ou l’inutilité de l’état d’urgence, ne sont pas superflues…

Mais quelque chose étonne dans le discours public, notamment de la part des grands élus de l’opposition. À force de coller aux sentiments et aux ressentiments des anonymes qui s’expriment dans la rue ou sur les réseaux sociaux, de surfer sur les peurs et les fureurs, et même de souffler sur les braises, ne prennent-ils pas le risque de ruiner l’autorité politique qu’ils aspirent à exercer ?

Henri Guaino dégage-t-il une impression de sagesse lorsqu’il invite à armer de lance-roquettes les militaires chargés d’assurer la sécurité des rues ? Christian Estrosi est-il crédible, quand il interpelle l’État en oubliant que les grands élus locaux ou régionaux ne sont pas des quidams ? Emportés par leur zèle, les chefs des diverses oppositions, au fil des temps et des alternances, se sont souvent aventurés sur des chemins intenables, qui les ont ridiculisés dès qu’ils sont passés du ministère du verbe aux allées du pouvoir. Avec le terrorisme qui porte à incandescence des questions aussi fondamentales que la sécurité, l’autorité, ou l’identité, ce risque est multiplié par mille. C’est l’essence même du pouvoir politique, sa capacité à agir, à entraîner, à gérer le réel, qui se trouve mise en question.

À ce titre, et au-delà des dérapages des uns ou des autres, une rhétorique est en train de devenir dominante. Elle parle, comme l’a fait Nicolas Sarkozy à la sortie d’une cérémonie religieuse, de « dire les choses » pour être cru. De les nommer. De lever les tabous. D’oser mener la guerre, puisqu’on nous la déclare.

Le problème, c’est que ce discours martial (« Aux armes citoyens, formez vos bataillons, marchons, marchons, qu’un sang impur abreuve nos sillons ») est justifié par une autre exigence. La promesse de sécurité et de tranquillité. À entendre ces proclamations, il faut oser la guerre pour se mettre à l’abri ! On entre là dans un concept qui date de la première guerre du Golfe. On a dégainé à cette époque l’idée d’une guerre technologique où ne mourraient que les ennemis, et encore… La guerre propre. La fameuse guerre à zéro mort.

On a vérifié depuis cette époque, et de façon souvent affreuse, que ce concept de guerre à zéro mort était une escroquerie. Le plus grand bobard des quarante dernières années. On meurt toujours à la guerre, qu’elle soit symétrique ou pas. Partir en guerre c’est décider, à tort ou à raison, qu’un intérêt collectif supérieur surpasse le droit individuel de vivre, et qu’il peut être utile, au nom du bien public, que des gens trouvent la mort. Si la guerre dont on parle est une nécessité, elle fera d’autres victimes, quelles que soient les précautions.

S’avancer devant l’opinion en promettant que personne ne mourra, parce qu’on prendra de fantastiques mesures de protection, et soutenir dans le même mouvement qu’il faut déclarer la guerre et l’assumer, est un mensonge intenable. Soit on se planque pour survivre, soit on se bat quitte à mourir, mais pas les deux à la fois. Alors qu’ils s’apprêtent à revenir au pouvoir en réclamant qu’on « dise les choses », les candidats à la primaire de droite feraient bien de ne pas les escamoter.

 

 

La Quadrature du Net publie ici une tribune de Philippe Aigrain, co-fondateur et président de La Quadrature du Net.

Encore une fois. Mais encore quoi ? On ne sait même pas. Encore des dizaines de morts, des blessés en plus grand nombre. Encore un être humain1 qui les a emportés dans sa trajectoire de violence et d’autodestruction et qu’on présente comme soldat d’une cause dont on ne sait même pas si et quand il l’aurait découverte.

Mais aussi encore une occasion de plus pour des politiciens de se livrer à une compétition obscène dans la destruction des valeurs qu’ils osent affirmer défendre. La commission d’enquête parlementaire sur les attentats de janvier et novembre 2015 vient de conclure à l’inutilité de l’application de l’état d’urgence pour lutter contre la répétition des attentats, le président de la République vient d’annoncer sa suppression et voilà qu’on le remet, qu’on remobilise une dizaine de milliers de soldats à soi-disant rassurer, c’est-à-dire à instituer l’état de peur permanente. Et les candidats à occuper les mêmes postes en remettent une couche en ressortant l’internement préventif des fichés S à l’occasion de l’acte de quelqu’un qui ne l’était pas. Et le mot « guerre » dix fois par minute, dans toutes les bouches. La double invocation d’un ennemi extérieur qui n’existe que des désastres antérieurs de nos politiques et d’un ennemi intérieur encore inexistant mais qu’on finira bien par arriver à créer en suivant les leçons de nos amis américains. Bref, un gigantesque concours à réaliser précisément ce que souhaitent les stratèges qui revendiquent ces attaques : rendre notre propre univers invivable pour qu’il ressemble à la caricature qu’ils en font.

Alors que peut dire une organisation comme La Quadrature du Net qui se consacre tout entière à promouvoir ce qui pourrait faire sens dans le monde à venir ? Un monde qui pourrait ressembler à celui qui existe déjà dans les pratiques de tant de gens de toutes origines mais qu’on semble avoir comme seul souci de nier. Un monde où l’on produit des communs et du commun. Où l’on considère que les trajectoires du devenir sont ouvertes pourvu qu’on pose les bonnes questions, qu’il s’agisse des technologies ou des modes de production et de consommation, des capacités et de l’expression de chacun et de ce à quoi on accorde valeur. Nous pouvons juste dire ce que nous avons déjà dit : ce qu’il reste de dignité dans les parlementaires se comptera au nombre de ceux qui voteront contre la prolongation de l’état d’urgence. Ce qu’il reste de raison et de justice dans notre société se comptera au nombre de ceux qui refuseront de faire exister la guerre pour pouvoir dire ensuite qu’on n’a plus que le choix de la faire.

Et nous allons continuer à labourer le sol des possibles pendant que c’est l’idée même du politique que certains enterrent.

Philippe Aigrain, 18 juillet 2016

  • 1. Oui, il vaut mieux regarder en face le fait que ce sont des êtres humains qui commettent ces massacres.

 

 

La France médiocre

·         20 JUIL. 2016 PAR FRANCOIS.BEAUNE BLOG : L’ENTRESORT sur MEDIAPART

La France est devenue depuis une quinzaine d’années une des cibles privilégiées du terrorisme globalisé. Bien que le problème auquel on est confronté ne puisse s’expliquer qu’à cette échelle nationale, il me semble intéressant de réfléchir à cette nouvelle spécificité de notre glorieuse République.

J’étais le mois dernier au Liban, où j’ai pu rencontrer à Tripoli Mr Lameh Mikati, petit-fils de mufti, qui m’a parlé entre autre de son amour inconditionnel pour le Quartier Latin, où il a vécu les dix plus belles années de sa vie, entre 1958 et 1968.

C’est une période qui ne recommencera pas, me disait-il, celle de Sartre, des lettristes, où les français pensaient qu’être intellectuel peut changer le monde. Dommage que la France ait changé, maintenant c’est devenu un pays comme tout le monde, un pays médiocre. Tous les pays sont médiocres, pas seulement la France, mais avant elle avait quelque chose à offrir, quand Sartre soutenait les Algériens.

Depuis l’attentat de Nice, je repense à ce que m’a dit Lameh, et à travers ses mots à la perception que le monde a de la France. Car il ne faut pas se tromper, ce n’est ni l’Allemagne, ni l’Italie qui est attaquée en priorité aujourd’hui, mais bien la France et ce qu’elle représente pour une partie du monde, les soldats endoctrinés de l’Etat Islamique mais aussi plus globalement, comme on l’a vu à Nice, des êtres en souffrance, malades, incapables de trouver leur place dans la société qu’on nous propose aujourd’hui. Des hommes et femmes, pour le dire autrement, qui se vivent comme des victimes du monde contemporain, une partie du peuple arabe certainement, mais aussi le smicard qui vote Le Pen à chaque fin de mois pour que ça change.

Or ce qui est attaqué aujourd’hui, nous le suggère Lameh, ce n’est pas l’exception française, ses valeurs de liberté, son mode de vie, sa laïcité unique au monde, comme on nous le rabâche depuis Charlie, mais au contraire le nouveau caractère non-exceptionnel de la France, sa terrible médiocrité.

Dans la représentation de Lameh et il me semble d’une majorité de la population dans le monde, la France est rentrée dans le rang, est devenue ce pays comme les autres, aligné à l’Empire régnant Etats-unien.  La France n’est plus ce pays gaullien à la voix discordante, qui s’oppose à l’entrée en guerre en Irak en 2003, comme a pu le faire De Villepin, mais celui de Sarkozy qui quelques mois plus tard rejoint les forces alliées, celui d’Hollande qui supplie sans résultat Obama de le laisser frapper la Syrie.

La France qui est attaquée aujourd’hui, ce n’est pas la France libre du CNR, mais la France qui a peur au point de renier ses devoirs et ses valeurs, qui ferme sa porte aux réfugiés, qui n’est plus à la hauteur des idéaux que depuis deux siècles elle agite devant les peuples du monde entier.

Ce n’est pas notre super style de vie français que le terroriste cible, mais la France qui applaudit les frappes israélienne sur Gaza durant l’été 2014, la France qui se cherche des ennemis internes, qui crée des ministères de l’identité nationale, qui stigmatise la partie arabe et noire de sa population au lieu de lui faire la place qu’elle mérite. Qui montre du doigt les musulmans et leur demande de s’excuser. C’est cette France-là qui est attaquée par les victimes qu’elle engendre.

On est passé, dans les imaginaires – à tort ou à raison d’ailleurs, car le modèle français était souvent loin de s’appliquer dans les faits – de la France de Jean-Paul Sartre à celle de Bernard-Henri Lévi. De la France des justiciers du peuple, qui parlaient au nom des opprimés, de décolonisation et d’égalité entre les hommes, à celle des opportunistes à cols blancs, qui complotent des bombardements avec leur président pour leurs gloires personnelles. La France, pour parler à la fois de façon manichéenne et sartrienne, a basculé dans le camp des salauds.

Maintenant que faire de ce constat ? L’attentat de Nice a, il me semble, clairement démontré les limites des mesures sécuritaires telles que le plan Sentinelle ou les perquisitions arbitraires, sans parler du fichier S. Pourquoi alors ne pas revenir à des solutions qui ont fait leurs preuves ? Dans les années 2000, après la déclaration de De Villepin contre l’entrée en guerre en Irak, ce n’est pas la France qui était attaquée, mais l’Espagne d’Aznar et l’Angleterre de Blair, deux fidèles alliés de Bush. Redorer l’image de la France à l’international, en changeant de politique étrangère, est une manière efficace de lutter contre le terrorisme. Condamner fermement les frappes de l’Arabie Saoudite sur le Yémen et arrêter de remettre des légions d’honneur à des dictateurs. Reconnaître l’Etat palestinien, un geste fort qui nous vaudrait de solides amitiés dans les pays arabes et partout dans le monde. Mener une politique d’accueil des réfugiés, grâce à des passeports humanitaires délivrés par la France dans des pays comme le Liban, la Turquie. Plus généralement, prendre le parti des plus faibles, de ceux qui ont besoin d’aide. Voilà qui serait perçu par les peuples du monde comme un acte courageux de solidarité, digne de cette France d’avant dont me parlait Lameh avec nostalgie, et même le pire des terroristes, né de père et de grand-père terroriste, qui a appris à haïr les droits de l’homme sur sept générations, aurait quand même du mal ensuite à s’en prendre à nous en priorité, comme c’est le cas aujourd’hui.

L’urgence d’une réconciliation nationale

·         20 JUIL. 2016: LE BLOG DE LAURENT MUCCHIELLI Sur MEDIAPART

S’il reste un peu d’intelligence, de vision collective, de courage et de grandeur d’âme chez nos dirigeants, il serait urgent qu’ils fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour produire de la réconciliation nationale. Si nous voulons gagner cette bataille autrement qu’en espérant un hypothétique effondrement total de l’état islamique sous les bombes, c’est sur ce terrain moral qu’il faut agir.

Je reproduis ici la version longue d’une interview parue ce matin de façon raccourcie sur le site de France Télévision.

1/ Le gouvernement de Manuel Valls s’apprête à proroger une nouvelle fois l’Etat d’urgence. En novembre dernier, vous évoquiez déjà une « surenchère sécuritaire inédite », jusqu’où peut nous conduire cette surenchère ?

On voit ces jours-ci que l’attention se concentre effectivement sur la question de l’état d’urgence, mais ce n’est pas l’essentiel à mon avis. Certes, on doit s’interroger sur la reconduite répétée de cette situation juridique sensée être exceptionnelle. Mais on voit bien qu’elle est davantage symbolique que pratique. En réalité, il y a longtemps que les perquisitions administratives ont épuisé leurs effets en matière de terrorisme, et que les policiers ou les gendarmes s’en servent en réalité avant tout dans des affaires de délinquance « classique » telles que des trafics de drogues. L’interdiction de manifester est par ailleurs un aspect très secondaire. Quant aux assignations à résidence, le gouvernement est assez opaque, on ne sait pas dans le détail qui en fait l’objet et pourquoi. Je ne peux donc pas en dire grand chose. Reste que l’essentiel est ailleurs à mon sens. Il réside dans le fait que, dans la panique générale, les élus de tous bords, nationaux comme locaux, sont en train de céder à toutes les revendications sécuritaires et de sombrer dans le mythe de la dissuasion situationnelle. On réclame ici des armes de guerre pour les policiers nationaux, des armes de poing pour tous les policiers municipaux voire même pour les agents de sécurité privée, encore plus de caméras de vidéosurveillance, encore plus de portiques de détection, des drones au dessus de nos têtes, etcetera. Certains nous vantent le modèle américain voire même le modèle israélien. Comme si le terrorisme et les tueries de masse n’existaient pas dans ces pays. C’est vraiment une illusion qui fait surtout l’affaire des marchands de sécurité.

2/ Depuis novembre plusieurs attentats se sont produits, cela prouve que cette réponse sécuritaire est insuffisante, voire inefficace ?  

Il faut que nous comprenions qu’aucune arme et aucune technologie ne nous protégeront durablement de gens qui sont décidés à se suicider en même qu’ils tuent les autres. Notre meilleure protection n’est pas la dissuasion situationnelle mais l’anticipation par le travail policier de renseignement et d’enquête. La bonne question n’est pas de savoir comment réagir une fois que le danger est déjà là car il est généralement trop tard. La bonne question est : comment le voir venir et le stopper avant ? Le rapport de la commission d’enquête sur les attentats de novembre 2015 vient de rendre un rapport de 1 500 pages, qui met notamment en avant la question de la police du renseignement et des problèmes qui s’y posent. C’est de cela que les responsables politiques devraient discuter, plutôt que de se livrer à cette lamentable surenchère verbale aux arrière-pensées électoralistes évidentes.

3/ Et pourtant une partie de l’opinion semble réclamer cette réponse sécuritaire, n’est-il pas du rôle des politiques de rassurer la population ?

Nous réclamons évidemment de nos dirigeants qu’ils nous protègent et qu’ils débattent sur la sécurité, mais pas en nous endormant avec des paroles et des symboles. Il faut cesser de traiter les gens comme des enfants en leur disant en substance : « regarde, le policier il a un gros fusil, il pourra tuer les méchants, tu peux te sentir en sécurité mon petit ».

4/ Comment « garder la tête froide » (selon vos mots utilisés en novembre) devant la multitude des morts ?

Il y a un temps pour tout. Il faut d’abord un temps pour l’émotion et le recueillement. C’est pour ça du reste que ces cérémonies et ces minutes de silence sont importantes, bien sûr pour les familles et les proches des victimes, mais aussi pour nous tous. Cela participe du travail de résilience dirait Boris Cyrulnik. Puis l’émotion doit céder la place à la réflexion et au débat, prélude à l’action. Mais donc, chaque chose en son temps. J’en veux beaucoup à ces politiciens (les Estrosi, Ciotti et consorts) qui ont commencé à polémiquer dans les 48 heures, pour mieux se mettre en valeur, alors que le sang des victimes de la promenade des Anglais n’avait même pas fini de sécher.

5/ Plusieurs opposants dénoncent aussi un usage détourné de l’État d’urgence afin de faire taire les contestations des militants écologistes au moment de la COP 21 ou des opposants au projet de loi Travail ?

C’est un fait que le gouvernement et les préfets ont utilisé la loi sur l’état d’urgence pour interdire certaines manifestations et assigner à résidence quelques militants au moment de la COP 21, moment où le gouvernement français était placé sous le feu des caméras de télévision du monde entier et redoutait tout débordement. Et c’est également un fait que la chose a été réitérée à certains moments du conflit sur le projet de loi Travail. Dès lors, même si une partie de ces assignations étaient légitimes compte tenu du comportement violent de certains militants, il s’agit clairement de l’aspect le plus anti-démocratique de l’état d’urgence.

6/ Que vous inspire le fait que ces mesures sécuritaires soient prises par un gouvernement revendiqué de gauche ?

En tant que chercheur au CNRS, je n’ai pas vocation à porter des jugements de valeur. Je peux néanmoins essayer de regarder froidement les choses politiques. Il n’est un mystère pour personne que le chef du gouvernement, Manuel Valls, considère la distinction droite/gauche comme très relative et qu’il avait proposé il y a quelques années de changer le nom du parti politique auquel il appartient pour mettre définitivement le mot « socialisme » à la poubelle. Cela donne une tonalité générale il me semble. Quant au président de la République, François Hollande, il se déclare bruyamment de gauche quand il est en réunion électorale en vu de 2017. Mais dès qu’il est dans les habits de la fonction, et dès que la situation est tendue comme dans ces contextes d’attentats, il se veut au-dessus des partis et recherche tout le temps le consensus. Dans ces conditions, je ne vois pas pourquoi il y aurait une politique de gauche sur la sécurité. Plus largement encore, je dirais qu’il y a longtemps maintenant que la gauche a perdu la bataille intellectuelle face à la droite sur la question de la sécurité. L’évolution a commencé dans les années 1990, elle a pris un tournant supplémentaire en 2001-2002 (après les attentats du 11 septembre puis pendant la campagne présidentielle) et elle se renforce encore sous nos yeux.

7/ En novembre dernier, vous évoquiez « une défaite symbolique » face aux terroristes avec « le spectacle d’une société en panique totale ». Huit mois plus tard, considérez-vous que les jihadistes se rapprochent encore de leurs objectifs ?

Daech a besoin de faire croire à ses troupes et ses potentielles recrues qu’il est très fort, qu’il peut frapper n’importe où et n’importe quand et ainsi mettre à genoux ces pays occidentaux qu’il accuse de tous les maux. C’est cette force apparente qui lui permet de recruter potentiellement partout dans le monde les esprits les plus faibles qui espèrent revêtir ainsi un costume de super-héros et mourir en glorieux martyrs. Dès lors, à chaque fois que nous nous empressons de mettre à son crédit les tueries, de l’accuser de barbarie terrifiante et de déclarer un peu tout et n’importe quoi dans l’urgence et l’émotion, il est clair que nous ne faisons que renforcer sa propagande. Il m’apparaitrait au contraire urgent de faire plutôt le contraire : montrer notre cohésion et notre froide détermination, désigner les terroristes comme des malades mentaux misérables et pitoyables, des ratés de la vie qui cherchent à donner un sens à leur suicide, montrer aussi les images de la guerre que nos soldats mènent en Syrie et en Irak contre les troupes de l’État islamique (on en voit bizarrement jamais aucune). Bref, nous montrer réellement forts et sûrs de nous, ce qui n’est pas le cas.

8/ Mais la société française apparaît de plus en plus divisée, fragmentée. N’est-ce pas là un des plus grands dangers qui nous menacent ?

Vous avez parfaitement raison. c’est la limite de mon raisonnement à laquelle j’allais venir pour terminer. Il faudrait que nous nous montrions forts, que nous affichions notre cohésion, notre solidarité, notre fraternité et par là même notre identité. Or nous sommes au contraire de plus en plus divisés. La principale division est de type ethnico-religieuse. Après avoir développé un fort racisme anti-maghrébin après la Guerre d’Algérie, nous ne cessons de stigmatiser l’Islam depuis la première affaire du foulard en 1989. Le discours sur l’Islam « incompatible avec la République » a d’abord été la signature de l’extrême droite, mais il y a longtemps qu’il a emporté toute une partie de la droite classique avec lui. Et je dirais que depuis les débats sur la loi contre les signes religieux dans les écoles (c’est-à-dire la loi contre le voile), en 2004, il a emporté aussi une partie de la gauche. Cette fracture devient majeure, l’islamophobie se généralise et il est à craindre que beaucoup de politiciens chercheront à placer ce thème pseudo-identitaire au cœur de la campagne présidentielle de 2017.

J’estime pour ma part que, en amalgamant musulman pratiquant et terroriste potentiel, ces politiciens à l’esprit lepénisé sont les pires fossoyeurs de notre République, et qu’ils ne valent pas mieux que les extrémistes qu’ils dénoncent. Je pense que s’il reste un peu d’intelligence, de vision collective, de courage et de grandeur d’âme chez nos dirigeants, il serait urgent qu’ils fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour produire au contraire de la réconciliation nationale, pour affirmer haut et fort qu’être français n’est ni une couleur de peau ni une religion, pour établir une frontière très claire entre la liberté fondamentale de conscience et de pratique religieuse et les dérives sectaires quelles qu’elles soient. En effet, toutes les formes de stigmatisation et de discriminations visant les français musulmans sont autant de victoires pour Daech dont la propagande ne cesse de victimiser les musulmans et de les appeler à la rébellion contre ces États « mécréants » qui les oppriment. Si nous voulons gagner cette bataille autrement qu’en espérant un hypothétique effondrement total de l’état islamique sous les bombes (et en attendant que s’éveillent leurs successeurs qui voudront les venger), alors c’est sur ce terrain moral qu’il faut agir. Et il y a urgence absolue.

 

 

L’impasse du tout-sécuritaire, vue par les acteurs de l’antiterrorisme

22 juil. 2016 | Par Matthieu Suc et Faïza Zerouala   – Mediapart.fr

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Illustration de KALIE

Policiers et magistrats, anciens des services et chercheurs : nombreux sont les experts de la lutte antiterroriste à mettre en cause le tout-sécuritaire. Alors que le Parlement vient d’adopter une prolongation de l’état d’urgence de six mois, ils expliquent pourquoi les dispositifs uniquement répressifs sont voués à l’échec. Et appellent le gouvernement à valoriser les contre-discours émanant de la société civile.

Et donc le Parlement a définitivement adopté, jeudi 21 juillet, le projet de loi prolongeant l’état d’urgence pour six mois. À l’unanimité ou presque. 87 voix pour, 5 contre pour la seule Assemblée nationale.

Depuis Lille où il exerce désormais, Marc Trévidic a dû soupirer. Et, avec lui, une bonne partie de ceux, policiers et magistrats, qui travaillent pour empêcher des attentats ou, anciens des services et chercheurs, qui réfléchissent à la lutte antiterroriste. Comme Mediapart l’a relaté, la mesure n’est qu’un placebo appliqué de manière très suspecte par les forces de l’ordre.

Entendu le mercredi 6 avril par la commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier 2015, l’ancien juge d’instruction du pôle antiterroriste avait livré le fond de sa pensée sur la mesure phare du gouvernement : « L’état d’urgence m’inquiète car, en assignant un individu à résidence parce que l’on n’a pas de preuves contre lui – s’il en allait autrement, il ferait l’objet d’une procédure judiciaire –, ne le pousse-t-on pas dans les bras de l’État islamique ? […] Les individus chez qui l’on s’est rendu au début de l’état d’urgence sont des gens qui étaient encore tangents ; je crains l’évolution que ces mesures ont pu entraîner. L’état d’urgence est nécessaire immédiatement après un attentat, alors que les gens sont dans les rues et qu’un autre attentat peut être commis, qu’il faut éviter. Mais, à long terme, cela peut avoir des effets pervers. »

Quelques semaines plus tard, un espion français s’asseyait à la table d’une brasserie parisienne et confiait à l’un des auteurs de ces lignes : « Il ne s’agit pas de s’exonérer de nos responsabilités, nous sommes en situation d’échec, mais parfois on trouve injuste que vous stigmatisiez à chaque attentat les failles de nos services alors que nous ne sommes que le dernier maillon de la chaîne. Quand nous devons intervenir pour empêcher un attentat, cela veut dire que des individus se sont radicalisés. Vous devriez écrire sur ce problème de société et les divers manquements de l’État… »

Cet espion ne faisait que relayer les propos tenus par ses patrons, Bernard Bajolet et Patrick Calvar, les directeurs respectifs de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) qui, lors d’une audition commune en février devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, avaient prôné une réponse globale pour lutter contre le terrorisme (ici).

« Je suis convaincu, à titre personnel, que la réponse sécuritaire n’est que partielle et ne résoudra pas le phénomène », affirme Patrick Calvar. « C’est une question pour notre société. L’ensemble des pays européens sont touchés, et même le monde, comme en témoignent des événements survenus en Australie et aux États-Unis. Une partie – certes infime – de la jeunesse est secouée par une crise profonde. »

Selon le patron du renseignement intérieur, les plus de 300 jeunes arrêtés par son service « n’ont aucun espoir, ils n’ont pas d’existence en tant qu’individus, ils ne sont “personne”. Une fois qu’ils sont passés dans le monde de la barbarie, cela change, mais au départ, ce que nous entendons est bien un cri de désespoir ». Il s’avoue démuni face à ces « individus déshumanisés, revenus à l’état d’animaux » : « Si nous les interceptons, qu’allons-nous en faire ? Faut-il les maintenir en prison à vie ? Il y a là un problème psychiatrique. » Et le maître-espion de conclure : « C’est une question pour notre société. »

Patrick Calvar s’interroge : « Nous ne pouvons pas ne pas nous demander : qu’est-ce qui pousse une gamine de 15 ans à partir en Syrie, ou un gamin de quinze ans à poignarder un enseignant juif ? […] Nous sommes comme le Samu : nous traitons l’urgence, pas le mal de fond. »

Le patron de la DGSI avait alors reçu le soutien de celui de la DGSE. Bernard Bajolet : « À mon tour de souligner que la réponse sécuritaire seule ne suffit pas. […] Nous avons besoin d’une réponse politique. »

Et Patrick Calvar allait réitérer ses propos, quatre mois plus tard, lors de son audition cette fois devant la commission d’enquête sur les attentats de 2015. « Sans chercher à aller plus loin, je constate que nous sommes en première ligne ; mais j’estime que si nous nous limitons à une réponse sécuritaire, nous allons droit dans le mur. »

Si ces propos dans la bouche des patrons des services de renseignement sont nouveaux, on a déjà pu les lire, comme Mediapart l’avait révélé dans un rapport confidentiel-défense qui condamnait dès 2013 le tout-sécuritaire. Il était l’œuvre du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et portait sur la « prévention de la radicalisation ».

« Nous sommes aujourd’hui face à un phénomène de fond auquel les dispositifs en place ne répondent qu’imparfaitement car ils ne prennent en compte qu’une partie de la réponse, uniquement sous l’angle de la répression », écrivait son rapporteur, le directeur de la protection et de la sécurité de l’État au sein du SGDSN, Yann Jounot, aujourd’hui préfet du département des Hauts-de-Seine.

Et, déjà en 2013, ce rapport concluait que, face au phénomène de radicalisation pouvant aboutir à la violence terroriste, « les ministères sécuritaires ne peuvent à eux seuls y répondre ». La crise des filières djihadistes syriennes a commencé à prendre de l’ampleur à partir de la fin de l’année 2012. Le rapport du SGDSN pointe les lacunes de la prévention française et il faudra attendre le printemps 2014, alors que 700 Français sont déjà impliqués dans ces filières, pour qu’un plan de lutte contre la radicalisation soit adopté, reprenant deux des propositions phares du rapport : la mise en place du fameux numéro vert – une plateforme de signalement et d’écoute à destination des familles –, et un dispositif territorial pour suivre les personnes signalées. Associant le procureur de la République, les acteurs institutionnels et associatifs compétents, ainsi que les collectivités territoriales, chaque département devait avoir sa « cellule de suivi dédiée ».

« Un retard certain en matière de prévention de la radicalisation »

Au printemps 2015, un autre rapport, celui du sénateur Jean-Pierre Sueur dans le cadre de la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe (consultable ici), s’étonnera de « ce retard » qui « s’explique d’autant moins que nombre de nos partenaires européens, touchés eux aussi par cette menace, avaient déjà adopté des plans d’action globaux ». « De l’avis largement partagé des personnes entendues par votre commission d’enquête ainsi que des responsables rencontrés au sein des institutions européennes, la France aurait, par rapport à ses voisins européens, un retard certain en matière de prévention de la radicalisation », insistera le sénateur socialiste.

Preuve de ce retard : les cellules de suivi dédiées préconisées par le rapport Jounot et adoptées par le gouvernement en 2014. Un an plus tard, Jean-Pierre Sueur constate qu’en février 2015, seules 42 préfectures sur 67 ont obéi à l’injonction du ministère de l’intérieur. Toutes les préfectures se seraient désormais mises en conformité, non sans plusieurs relances du ministère. Ainsi, le sénateur louait les résultats obtenus par la cellule de suivi dédiée du Bas-Rhin grâce « [au] caractère très rigoureux du suivi de tous les cas individuels, [à] la diversité des solutions apportées ou [au] partage de l’information entre les partenaires qui y sont rassemblés ». Des solutions existent. Encore faut-il se donner les moyens de les appliquer.

Le sénateur en liste une centaine : enseigner aux élèves dans les établissements du primaire et du secondaire à être critiques face aux contenus en libre accès sur Internet, renforcer le rôle de l’aumônerie musulmane en prison, développer des contre-discours sur Internet en s’appuyant sur la parole d’anciens djihadistes ou extrémistes repentis, élaborer une grille d’analyse listant les différents comportements susceptibles de signaler l’engagement dans un processus de radicalisation, etc.

Depuis, si quelques évolutions ont pu être remarquées (voir l’article de Feriel Alouti), on est encore très en deçà des approches globalisantes et complexes abordées par les rapports Jounot et Sueur.

Les attentats de janvier 2015 ont tout de même inauguré une prise de conscience. Il fallait tout changer, travailler sur tous les domaines pour réparer les manques, en misant sur l’école en tête. Retisser les liens abîmés dans la société, réfléchir à comment se prémunir contre la radicalisation et la détecter étaient alors érigés en priorité absolue.

Dans la foulée des attentats, Najat Vallaud-Belkacem, la ministre de l’éducation nationale, a réagi et annoncé le 22 janvier 2015 un plan de « mobilisation de l’école pour les valeurs de la République », bien moins ambitieux que son intitulé ne le laissait entendre. Surtout constitué de onze mesures symboliques, le dispositif pensé par le ministère prévoit, entre autres, la création d’un parcours citoyen, de l’éducation aux médias, la mise en place depuis la rentrée 2015 d’un enseignement moral et civique ou de la Journée nationale de la laïcité du 9 décembre, ou la création de la réserve citoyenne. Ce dispositif consiste à agréger les bonnes volontés en faisant intervenir des membres de la société civile auprès des jeunes. Ils sont juristes, magistrats ou encore retraités et souhaitent s’impliquer dans ce projet. Le concept n’a toutefois jamais vraiment décollé : à ce jour, seulement 5 382 réservistes ont manifesté leur désir d’en faire partie. C’est d’ailleurs après plusieurs interpellations en ce sens que la ministre a décidé de lancer ce dispositif, explique-t-on au ministère.

L’éducation nationale encourage aussi des interventions comme celles de Latifa Ibn Ziaten, mère d’Imad, première victime de Mohamed Merah le 11 mars 2012, qui a depuis créé son association « Imad Ibn Ziaten pour la jeunesse et la paix ». La mère de famille endeuillée intervient pour prôner la tolérance, le dialogue interreligieux, culturel et mettre en garde son public contre les dangers de la radicalisation.

Les outils mis à disposition sur le site pédagogique du ministère depuis les attentats, comme cette fiche intitulée « liberté de conscience, liberté d’expression », sont étoffés régulièrement. Ainsi peut-on trouver sur le site du ministère une sélection de journaux qui expliquent aux enfants, actuellement en vacances, l’attentat de Nice. Rue de Grenelle, on précise que ces mesures « ambitieuses comme jamais » restent évidemment en vigueur, près d’un an et demi après leur création et qu’elles vont être renforcées. Elles s’articulent autour du projet sur les « valeurs républicaines » et s’appuient sur l’ensemble des réformes, comme celle de l’éducation prioritaire, visant à instaurer plus de mixité sociale, et plus d’égalité. Le ministère explique vouloir éviter que les grands principes et symboles, « importants malgré tout », ne viennent se fracasser sur une réalité autrement différente.

Plusieurs responsables syndicaux restent néanmoins sceptiques quant à l’efficacité de telles mesures, jugeant que l’école ne peut résoudre seule tous les maux de la société. Les enseignants répondent pour leur part qu’ils font déjà ce qu’ils peuvent, avec leurs moyens et leurs contraintes. Parfois, certains se sentent désarmés face à cette responsabilité qu’on leur fait endosser, sans prendre en compte leur implication quotidienne.

« Ils doivent avoir peur de moi, croire que ma déradicalisation est feinte… »

Contacté ce vendredi, le sénateur Jean-Pierre Sueur estime qu’il y a eu tout de même, un an après son rapport, « une prise de conscience », qu’on « se préoccupe davantage de repérer les individus en voie de radicalisation, que ça soit à l’école ou dans les prisons ». Mais selon lui, « on reste encore trop timide dans notre société, on répugne à nommer les choses ». « Lorsque les fonctionnaires, les acteurs de la société civile ou tout simplement les parents se trouvent face à un jeune en train de plonger, il faut oser lui tenir un discours cash, en tête à tête, lui dire que l’État islamique, ce n’est pas l’islam, que ce sont des barbares… »

Et en matière de contre-discours, selon le rapport du SGDN, la réponse la plus efficace proviendrait de la société civile. « Les jeunes penseurs franco-musulmans ainsi que différents relais d’opinion (artistes, journalistes, blogueurs, etc.) existent mais sont peu entendus. Une meilleure connaissance de ces acteurs et de ces discours représenterait une première étape importante. Elle permettrait de les associer plus étroitement à la discussion publique. »

Dans son rapport, Jean-Pierre Sueur citait lui l’exemple britannique qui fait porter son contre-discours par le milieu associatif, celui-ci s’appuyant sur le témoignage de terroristes repentis mais aussi sur la parole des mères, des sœurs ou des épouses. Là où le gouvernement français choisit d’investir dans le lancement d’un très institutionnel site internet stop-djihadisme.gouv.fr, le 28 janvier 2015, posant les premières bases d’une campagne de contre-discours officiel. « De l’avis général des personnes entendues par votre commission d’enquête, la parole publique de l’État serait vouée à l’échec en ce domaine, soulignait le rapport Sueur : les individus radicalisés, sous l’effet notamment de la doctrine complotiste qui leur est inculquée par les recruteurs, deviennent peu à peu insensibles au discours des médias comme à celui des autorités. Ainsi, le format même de l’adresse du site Internet stop-djihadisme.gouv.fr nuirait à son crédit auprès de publics souvent en rupture, ou en passe de le devenir. »

En revanche, les repentis ou, à tout le moins, les personnes ayant un parcours les rendant audibles auprès des jeunes avancés sur la voie de la radicalisation, sont sous-utilisés. Comme Farid Benyettou, l’ancien émir des Buttes-Chaumont : guide spirituel des frères Kouachi, il a été incarcéré pour son rôle joué dans une filière d’acheminement djihadiste avant de se déradicaliser. Alors qu’on préparait son portrait en janvier (à lire ici), il nous confiait son envie de faire partager son expérience afin d’éviter que d’autres ne reproduisent ses erreurs. Croisé récemment par hasard, il nous avouait sa déception : il devait intervenir au sein d’une association jusqu’à ce qu’on lui réponde que ce n’était plus possible, le ministère de l’intérieur s’y opposant. « Ils doivent avoir peur de moi, croire que ma déradicalisation est feinte… »

Mourad Benchellali n’est guère mieux loti. Celui qui se définit lui-même comme un « ancien de Guantanamo » est amené, explique-t-il, à intervenir auprès de jeunes sur demande personnelle de membres de la communauté éducative qui le contactent par les réseaux sociaux. Il faut dire que Mourad Benchellali a une histoire hors norme, et une expérience précieuse pour qui veut mieux appréhender les ressorts du départ pour faire le djihad en Irak et en Syrie.

Son parcours est celui d’un homme « naïf », dit-il, de 19 ans, convaincu par son frère en juin 2001 de rejoindre l’Afghanistan. Le jeune homme des Minguettes, à Vénissieux dans la région lyonnaise, n’a jamais quitté son quartier et atterrit dans un camp d’entraînement d’Al-Qaïda. Après le 11-Septembre, il fuit vers le Pakistan où il est arrêté par les Américains. Transféré vers le centre de détention de Guantanamo, il subit les conditions carcérales que l’on connaît, tortures incluses, durant deux ans et demi. Il obtient son transfert vers la prison de Fleury-Mérogis pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ». Il est libéré en 2006.

Une décennie plus tard, il travaille sur des chantiers d’insertion avec des jeunes. Sur son temps libre, Mourad Benchellali essaie de transmettre son expérience à d’autres, pour espère-t-il les dissuader d’emprunter le même chemin que lui jadis. Il espère réussir ainsi à « démythifier le djihad ». Son profil de témoin, juge-t-il, est plus susceptible d’avoir de l’écho que celui d’un intervenant extérieur qui pourrait être tenté de « faire la morale », ce qui serait contreproductif.

Parfois, l’institution reste rétive aux interventions de l’ex de Guantanamo. Fin février, par exemple, le rectorat de Rennes lui a refusé l’accès aux écoles de l’académie. « Les pouvoirs publics se méfient des vrais faux repentis qui peuvent se révéler des agents dormants durant très longtemps, concède Jean-Pierre Sueur. C’est vrai qu’il faut être très vigilant et, en même temps, les repentis, ceux qui ont une expérience du djihad, une crédibilité vis-à-vis de cette jeunesse, peuvent être très utiles. »

En attendant de leur donner la parole, l’État s’en remet aux fonctionnaires au contact des individus pouvant se radicaliser. Mais selon le rapport Sueur, les « assistants sociaux, juges des enfants ou aux affaires matrimoniales, officiers de police judiciaire ou encore personnels d’établissement scolaires appartiennent à une administration peu habituée à être confrontée au fait religieux et traditionnellement tournée vers la défense de la liberté de culte et la lutte contre, notamment, l’islamophobie. De ce fait, ils ne seraient pas toujours en mesure de distinguer ce qui relève de la liberté de conscience de ce qui ressort d’une dérive dans le radicalisme islamiste ».

Et même si, depuis le rapport Sueur, ils y ont été sensibilisés, faute de formation suffisante, ils ont toujours du mal à appréhender le problème. Ainsi, un interlocuteur nous raconte l’histoire de cette employée de l’ASE (aide sociale à l’enfance) qui téléphone au collège d’un adolescent radicalisé dont elle a la charge : « Il est revenu vers moi ! Il a un projet intéressant ! Pour cela, il a besoin qu’on lui obtienne un passeport ! » Son interlocutrice s’est efforcée de lui faire comprendre que cela ne serait pas possible.

URL source: https://www.mediapart.fr/journal/france/220716/limpasse-du-tout-securitaire-vue-par-les-acteurs-de-lantiterrorisme

 

La surveillance de masse des citoyens est inutile face au terrorisme

Publié le 21 juillet 2016 dans Libertés publiques

http://www.contrepoints.org/2016/07/21/260844-surveillance-de-masse-statistiquement-inoperante?utm_source=Newsletter+Contrepoints&utm_campaign=5ebe16883c-Newsletter_auto_Mailchimp&utm_medium=email&utm_term=0_865f2d37b0-5ebe16883c-113905257&mc_cid=5ebe16883c&mc_eid=1611c53f55

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Peinture de KALIE

Il y a un aspect de la lutte antiterroriste qui semble ne pas être encore tout à fait évident pour tout le monde : la surveillance de masse, statistiquement, ça ne fonctionne pas.

Par Guillaume Nicoulaud.

Au chapitre des fausses bonnes idées en matière de lutte antiterrorisme, la surveillance de masse – ou le chalutage si vous préférez – continue manifestement à faire rêver celles et ceux qui nous gouvernent ou prétendent le faire. Au-delà des évidentes questions morales que ce type de système pose, il y a un aspect qui semble ne pas être encore tout à fait évident pour tout le monde : la surveillance de masse, ça ne fonctionne pas.

Je reposte un papier initialement publié le 10 avril 2015 qui faisait suite à cet article.

« La grande question que nous devrions tous nous poser est : sachant que notre système de surveillance vient de générer une alerte, quelle est la probabilité qu’il ait effectivement repéré un terroriste ?

Quelle probabilité de repérer un terroriste ?

« Pour répondre à cette question, nous allons devoir faire appel au théorème de Bayes et évaluer trois probabilités :

« Primo, la fréquence de base ; c’est-à-dire la proportion de terroristes dans la population – le chiffre de 3 000 individus circule ce qui, rapporté à la population française âgée de 20 à 64 ans (37,8 millions d’individus1) nous donne une fréquence de base de l’ordre de 0,008%.

« Deuxio, le taux de précision du système de surveillance ; c’est-à-dire la probabilité qu’un terroriste génère effectivement une alerte – par hypothèse, nous allons retenir un taux extrêmement élevé de 99%.

« Tercio et pour finir, nous avons également besoin du taux d’erreur ; c’est-à-dire de la probabilité qu’un innocent soit accusé à tort par le système – prenons, là encore, une hypothèse très optimiste de 1%.

« Ce que nous dit le théorème de Bayes c’est qu’avec ces paramètres, la probabilité qu’une alerte ait effectivement identifié un terroriste est de l’ordre de 0,78%. Non, ce n’est une typo : concrètement, notre système va générer 380 940 alertes dont 2 970 vrais positifs (99% des 3 000 terroristes) et 377 970 faux positifs : soit 1% des 37 797 000 citoyens innocents comme vous et moi.

« En d’autres termes, même en prenant des hypothèses hautement irréalistes quant au taux de précision et au taux d’erreur d’un hypothétique système de surveillance de masse, on aboutit à rien d’autre qu’une déperdition colossale d’énergie. La surveillance de masse en matière d’antiterrorisme est statistiquement impossible. »

19 juillet 2016

 

http://www.georgescorm.com/personal/download.php?file=article%20gc%20on%20site%20michelcollon.pdf

RACISMES ou ISLAMOPHOBIE ?

22 JUIL. 2016 BLOG : HUBERT HUERTAS sur MEDIAPART

https://blogs.mediapart.fr/hubert-huertas/blog/220716/racisme-ou-islamophobie?utm_campaign=Quotidienne&utm_medium=email&utm_source=Emailvision&utm_content=20160725&xtor=EREC-83-%5BQuotidienne%5D-20160725

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KALIE

Parmi les terribles questions soulevées par l’attentat de Nice, ainsi que par les tueries de janvier et novembre 2015, et au milieu des surenchères d’une droite qui court après son extrême, on entend monter un commentaire, plutôt venu de la gauche. Il redoute une montée de « l’Islamophobie ». Je comprends cette inquiétude, mais je me démarque de ce vocabulaire.

La question de l’Islamophobie est chauffée à blanc depuis les attentats. Ce mot est apparu en 1910 mais ne s’est répandu qu’à la suite des attentats du World Trade Center, puis de Londres et de Madrid. Après le massacre de Nice, le terme « Islamophobie » est devenu un objet incontournable. Un marqueur. Le 15 juillet, sur Twitter, un hashtag ouvertement islamophobe (dont je tairai le nom), d’abord isolé et fort peu répandu, est devenu numéro 1 quand il a été cité des centaines de fois par des tweets qui entendaient le condamner.

Il y aurait les « Islamophobes », virulents et comme dopés par les morts de la promenade des Anglais, y compris quand des familles entières de musulmans se comptent parmi les victimes, et les « Anti-islamophobes » qui dénonceraient le rejet radical et violent de millions de Français en raison de leur origine. Tous les arabes de France seraient ainsi soupçonnés en bloc, et sommés de faire leur autocritique.

Ce qui frappe dans cette confrontation empoisonnée, et susceptible de fracturer la société française, comme le souhaitent d’ailleurs les Jihadistes de l’Etat Islamique, c’est un glissement sémantique. Le rejet de l’autre, sa mise en accusation, la volonté d’exclusion, l’obsession de mettre des hommes, des femmes, et des enfants à la mer, ne sont plus présentés comme les marqueurs éternels du racisme le plus tribal, mais comme une question religieuse, donc élevée. La société française, confrontée aux attentats, ne serait pas travaillée par une tentation raciste mais par une allergie de nature théologique ! La question ne serait pas celle de notre terre commune mais des Dieux qu’on adore, même quand on ne les adore pas !

Au nom de quoi faudrait-il, quand on est de gauche et athée, ou intéressé par les croyances mais anticlérical, se référer à cette géographie. D’un côté les « Islamophobes », de l’autre les « Anti-islamophobes » ?  Nul ne pourrait y échapper… Pourquoi ce glissement qui passe de l’expression d’un racisme anti-arabe, un racisme trivial, à une notion religieuse, une espèce de dispute céleste ?

Pardonnez-moi de parler à la première personne. Je m’exprime ici dans un blog, et pas dans un article. Personnellement je suis « Antiraciste », un « Antiraciste viscéral » pour des raisons intimes, et un « Anticlérical», et même un « Anticlérical fanatique » comme disait Brassens, pour les mêmes raisons intimes. Je respecte, et j’envie même parfois les croyants pris un par un, mais je redoute les religions quand elles deviennent des armées.

Le racisme me révulse, mais les religions m’insupportent. Ils sont intolérables ces gugusses mégalomanes, officiellement animés par la grandeur de Dieu, qui n’éprouvent pas une infinie modestie face à l’infiniment grand, mais s’emparent au contraire de sa toute sa puissance présumée pour nous emmerder sur terre.

Au nom de quelle conversion tardive, parce qu’un racisme évident menacerait nos compatriotes arabes, devrais-je me mettre à devenir « proclérical » à propos d’une religion que pratique une partie d’entre eux ?

Voilà pourquoi je me refuse à utiliser le mot d’ « Islamophobie ». Fidèle à ce que je crois, et en réponse à ceux qui font le parallèle entre « l’Islamophobie et l’Antisémitisme d’avant guerre », je dirai plutôt que « le racisme anti-arabe menace de devenir le racisme anti-juif des années 30 ». Nous n’en sommes pas encore là, ce racisme n’est pas d’Etat, chez nous il n’y a pas de « Nuit de Cristal » organisée d’en haut, mais à entendre les dérapages de certains hommes aspirant à diriger cet Etat on peut s’inquiéter un peu.

Parler de « Racisme » plutôt que d’« Islamophobie », est-ce que cela ne revient pas exactement au même ? Est-ce que c’est une élégance ou une inélégance ? Ni l’un ni l’autre, mais une conviction profonde et inquiète. Je ne veux pas être embarqué dans la défense d’une religion alors que je me méfie de toutes, surtout quand elles sont monothéistes. Et pour cause. Elles ont leur grandeur, elles ont leur beauté, elles sont profondes, mais que de massacres, que de malheurs en leur nom !

 

 

Olivier Roy: «Daech fait feu de tout bois», entretien avec Joseph Confavreux (Médiapart)

Olivier Roy est professeur à l’Institut universitaire européen de Florence, où il dirige le Programme méditerranéen. Il est notamment l’auteur de L’Islam mondialisé (Le Seuil, 2002), La Sainte Ignorance (Le Seuil, 2008) et En quête de l’Orient perdu (Le Seuil, 2014) et fera paraître, toujours au Seuil, un ouvrage intitulé Le Djihad et la mort, à la rentrée prochaine.

Entretien.

 

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Au regard des éléments actuels de l’enquête, peut-on qualifier la tuerie de Nice de djihadiste ?  

 

Je suis comme vous dépendant de l’enquête de police. On nous a d’abord dit qu’on avait affaire à un type isolé, à un cas psychiatrique. Maintenant, il semblerait qu’il y ait des complices, une préparation, des contacts… On se trouve dans un terrorisme de nature mixte, disposant d’un spectre allant du militant aguerri et formé en Syrie, de type Abdelhamid Abaaoud, au loser à forts problèmes psychiatriques qui inscrit son action dans le scénario Daech, car cela donne une valeur supérieure à son action. Mais ce n’est pas l’un ou l’autre, c’est l’un ET l’autre. Il existe aujourd’hui une telle prévalence du narratif Daech que toute une gamme de personnes d’origines et de motivations variées peuvent entrer dans ce paradigme.

La revendication tardive par l’organisation « État islamique » (EI) de la tuerie de Nice, commise par quelqu’un dont le profil ne correspond guère au soldat classique du califat (bisexuel, éloigné de l’islam, sans contact avec la Syrie ou l’Irak…), ou la revendication de l’attentat d’Ansbach, vous semblent-elles opportunistes ? Autrement dit, faut-il les voir comme le signe d’une faiblesse accrue de l’EI, pour lequel tout est bon à prendre en ce moment, ou plutôt comme le signe d’une force inédite de l’EI qui n’a même plus besoin d’armer idéologiquement et concrètement ceux qui le servent ? 

Les deux à la fois. Il arrive à Daech ce qui est arrivé à Al-Qaïda, qui montait des coups très bien préparés par des commandos, mais récupérait aussi des actions de losers et loners. Le problème n’est pas ce qui se passe dans l’état-major de AQ ou Daech, mais à la marge, avec un réservoir de radicalisations transversales, composé de jeunes nihilistes qui, selon qu’ils se réclament ou non de Daech, modifient le sens et la résonance de leurs actes. Peut-être le tueur d’Orlando aurait-il de toute façon attaqué une boîte de nuit gay, mais il a mis son acte sous l’étiquette Daech pour être certain d’amplifier le bruit. Mais on prend les choses à l’envers si on ne voit les choses qu’à travers la stratégie de l’organisation. Il faut d’abord saisir que, sous le narratif Daech, se radicalisent violemment des catégories très différentes de la population : des militants politiques, mais aussi des suicidaires.

 

Peut-on lier des attentats comme Orlando, Nice ou Ansbach aux pertes de terrain subies par l’EI sur les territoires irakien et syrien ? 

 

Certainement. Daech ne revendiquait, jusque-là, que des attentats qu’il avait organisés. Désormais, il revendique un peu n’importe quoi, même si cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas eu de contact entre l’EI et les tueurs d’Orlando ou de Nice. Daech fait en ce moment feu de tout bois, en frappant complètement au hasard, alors qu’Al-Qaïda s’efforçait de choisir des cibles symboliques. Non pas dans la perspective de soulever les musulmans partout dans le monde en créant une guerre de civilisation, comme le pense Gilles Kepel, mais pour obliger les Occidentaux à renoncer à leurs frappes, parce que les frappes lui font mal.

 On assiste actuellement à un lent grignotage des zones Daech en Irak et en Syrie par des acteurs divers, avec des motivations variées : les Kurdes, les chiites, voire le régime de Bachar al-Assad. Daech perd à la fois des troupes et des cadres, et a donc comme priorité de mettre fin aux opérations militaires contre lui.

 

François Hollande a donc eu raison d’annoncer, tout de suite après l’attentat de Nice, l’intensification des frappes françaises en Irak et en Syrie ?  

 

Non, parce que cela ne fait que continuer l’escalade, sans se donner les moyens de vaincre. On reste dans l’incantatoire, et non dans l’analyse froide du rapport de force. On ne va pas se débarrasser de Daech dans les six mois. Il faudrait pour cela envoyer des dizaines de milliers de troupes au sol. Par ailleurs, l’éradication des places fortes de Daech en Syrie et en Irak ne mettra pas fin à la radicalisation de jeunes nihilistes, pour lesquels il n’existe pas d’action militaire possible, et au sujet desquels il faudrait commencer par abandonner la fausse piste salafiste trop longuement suivie par le gouvernement. Les djihadistes ne viennent pas des mosquées salafistes.

Que faire alors ?

 

Sur le terrain, l’action passe par une liaison avec les acteurs locaux. Aller directement sur le terrain donnerait raison à Daech et à sa vision apocalyptique du combat entre « croisés » et musulmans. Il faut donc du politique et pas seulement du militaire. Obama l’a compris en réintroduisant l’Iran dans le jeu, alors que nous avons mis trop de temps. Il faut donc un travail politique et ne pas apparaître au premier plan sur le terrain militaire.

Sur l’autre point de la radicalisation nihiliste et suicidaire, on a fait du progrès en renseignement, et je pense donc que les cellules organisées, avec des filières d’armement, vont tomber. Mais il y aura d’autres attentats similaires, jusqu’à ce que la fascination pour Daech s’épuise, soit par une réaction de dégoût, soit par effet de routine. Mais je ne vois pas comment éviter de nouvelles actions de cas psychiatriques, comme le Syrien qui s’est fait sauter devant un festival de musique à Ansbach, qui transforme un geste de loser en manière de faire la une et de donner du sens à sa mort.

 

La différence de réaction des responsables allemands et français s’explique-t-elle seulement par le fait que l’Allemagne a été moins durement frappée ?
L’Allemagne n’a pas connu les massacres de masse qu’il y a eu en France en 2015 et 2016. Mais cela s’explique aussi parce que le discours à la Gilles Kepel qui articule la révolte des banlieues avec les attentats ne fait pas sens en Allemagne, même si, pour moi, il ne fait pas sens non plus en France. Les Turcs allemands ne bougent pas et sont absents du terrorisme, à quelques exceptions près. Il n’existe donc pas ce climat de peur d’une conjonction entre une révolte sociale et l’islamisme qui agite tout le monde ici.

Pourquoi la France est-elle autant visée ?

La surreprésentation des francophones parmi les djihadistes est déterminante, non pas parce que ceux-ci auraient souffert de la laïcité française, puisque la plupart d’entre eux n’avaient pas de pratiques religieuses avant de devenir djihadistes, mais parce que l’espace francophone a un problème de déculturation bien plus grand que les autres, que ce soit en France, en Belgique ou même au Maghreb.

Le fondamentalisme vient d’abord de la déculturation du religieux, qui est porteuse de violence symbolique susceptible de se transformer en violence réelle. Cette déculturation, où les gens ne parlent pas la langue de leurs grands-parents et où le rapport à la religion ne s’ancre dans aucune culture, touche d’abord les francophones et les russophones, qui constituent les contingents les plus importants en Syrie, que ce soient les Daghestanis ou les Tchétchènes. En Belgique, ce sont les francophones qui partent en Syrie. Aux Pays-Bas, ce sont les Marocains. Et si l’on regarde les djihadistes portugais, ce sont des Luso-Angolais qui sont en majorité concernés par le djihadisme. C’est lorsque l’obsession de l’islam rencontre une acculturation violente qu’elle se transforme en terrorisme. La laïcité française n’arrange pas les choses, non pas à cause de sa pratique autoritaire, mais parce qu’elle participe de la déculturation du religieux en refusant sa pratique publique.

L’idée de « radicalisation express » a-t-elle un sens ?

J’ai toujours dit que la radicalisation se faisait dans les mois ou l’année précédant le passage à l’acte. Mais ce n’est pas forcément « express ». Pour le tueur de Nice, il faut voir si la thèse initiale d’une radicalisation express va résister à l’enquête. Mais ce qu’on constate est que celui qui adopte le « paradigme » Daech, quelles qu’en soient les raisons personnelles (révolte ou trouble de personnalité), mûrit son acte pendant un temps assez court. On ne connaît aucun cas de maturation très lente par l’étude religieuse dans les mosquées. Tous les djihadistes le deviennent en un temps très rapide.

 

Dans le débat entre islamologues sur le terrorisme comme « radicalisation de l’islam », « islamisation de la radicalité », voire « djihadisation de la folie », quel sens prend l’attentat de Nice ?

 

La tuerie de Nice s’inscrit dans ma thèse sur l’islamisation de la radicalité. Mais il existe un risque à faire de chaque attentat la clé de tous les autres. Les djihadistes ont des profils variés. J’ai écrit qu’ils se recrutaient surtout dans la seconde génération. Le tueur de Nice fait partie de la première génération arrivée en France, mais l’acculturation fonctionne dans son cas. Il existe indéniablement un désir de radicalité qui pousse des profils variés à « faire du Daech », lequel organise ou récupère cette radicalité.

 

Pourquoi est-ce le djihadisme qui capte en priorité les frustrations, colères, violences et folies de notre époque ? 

Il n’y a que ça sur le marché. L’extrême gauche s’est provincialisée dans les zones à défendre et n’a plus de perspective internationaliste, et Daech est le seul mouvement universaliste. Si vous êtes déjà globalisé et en rupture, Daech vous tend les bras. Par ailleurs, Daech a remarquablement compris la culture jeune et capitalise sur le thème des souffrances de l’Oumma musulmane, mais avec un vocabulaire jeune, ce qui attire aussi bien les enfants d’immigrés que les convertis.

www.mediapart.fr

 

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