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Maladie et santé. par Philippe Zarifian

Publié le vendredi, 27 mai 2016 dans Santé

04-02-2011-1-Small--283x300 Notre camarade Philippe ZARIFIAN (Paris) nous propose cette réflexion :

Pour mieux comprendre le point de vue que j’entends proposer, on peut partir de la santé, en se saisissant du concept de Canguilhem de « normativité biologique ». Normativité, comme production active de normes de vie. Tout se joue dans la confrontation entre un organisme et un milieu de vie. Cette confrontation est immanente au vivant. Entre un organisme et milieu, il y a des transactions permanentes. C’est à la vie ainsi produite, avec une large part de surprises, d’étonnements et d’inventions, qu’il faut s’intéresser pour parler de la santé.La notion de normativité biologique s’enracine dans ce fait jugé irréductible et indépassable : le vivant préfère la vie à la mort, la santé à la maladie, il sélectionne et s’adapte. Il n’y a pas pour le vivant d’indifférence au milieu. Il favorise, de façon largement inconsciente, certaines valeurs de vie et ainsi se maintient et s’individualise, générant, pour chaque organisme, une individualité.

Comme le dit Canguilhem, la vie n’est pas seulement soumission au milieu, mais institution de son milieu propre. Dès lors la vie n’est pas seulement fait naturel. La vie est aussi valeur, désir de vivre. Elle est polarité et par là position inconsciente de valeur. Dès lors la vie et la santé ne sont pas directement objectivables, aptes à être posées comme de purs objets passifs, indépendants de tout engagement subjectif d’un organisme individuel (d’un malade par exemple).

C’est pourquoi le premier comportement que j’ai eu l’occasion de décrire à l’hôpital, est aussi négatif. Et aussi positif le second. C’est pourquoi les atteintes à la vie que nous subissons actuellement sont si graves, mais c’est pourquoi aussi il faut toujours saisir les ressorts positifs du vivant et les dialogues qu’ils peuvent occasionner !

C’est cela que je propose d’appeler “santé” : institution d’un milieu propice au développement de son corps et les échanges avec autrui qui y contribuent. Quant à la maladie, elle n’est pas une absence de norme, mais une normativité restreinte, une norme de vie inférieure, une réduction de l’assurance biologique initiale, comme le dit Canguilhem. Et la maladie est définie comme un comportement (on pourrait dire une allure) de valeur négative pour un vivant individuel concret, en relation d’interaction avec son milieu. La maladie est en général centrée sur le fonctionnement d’un organe (le foie, le cœur, le cerveau, …). La santé, dès lors qu’on la prend comme le contraire du pathologique (on est malade ou en bonne santé), ne désigne aucun organe, mais la capacité globale des êtres vivants à surmonter la maladie, le stress et les modifications du milieu de vie, en se dépassant et créant leurs propres normes vitales. Elle est le produit d’une invention personnelle permanente.

J’insiste : au cœur de la question de la santé, il y a la capacité de l’organisme vivant à interagir avec un milieu de vie qui lui est propice. On devine alors que perdre la santé (selon l’expression ordinaire) est bien pire que de tomber malade !!! On devine à quel point les problèmes dits d’ « environnement », c’est-à-dire relatifs à la question écologique, prennent de l’importance car c’est avec eux – avec l’air, avec l’eau…- que notre corps ne cesse d’interagir. De même que l’ambiance ou le cadre de vie qui nous sont ordinaires.

Dans le cas, de ma maladie, une grave maladie au cerveau, j’ai toujours eu une claire conscience de m’appuyer sur ma bonne santé, pour faire face à cette maladie. La distinction entre les deux allait de soi. J’étais à la fois malade et en bonne santé.

Être conscient de.

L’expérience de cette maladie m’a fait apprendre deux choses contradictoires.

La première est qu’un malade sait des choses sur son état que personne d’autre ne peut savoir. Le cerveau est en lien direct avec tout ce qui se passe dans le corps et, même si ce n’est pas réfléchi, il se forme un « ressenti » qui peut offrir des indications précieuses. Le simple fait de dire « je ne me sens pas bien » est significatif et doit être pris au sérieux. On peut, par entraînement, développer cette sensibilité et améliorer son interprétation. Par exemple, j’ai souvent des maux de têtes. Rien de plus difficile à interpréter qu’un simple mal de tête ! Mais j’ai appris à en cerner différents types, à avoir quelques idées sur leurs causes et orienter les infirmières au sujet des médicaments à me donner, voire à décider de les prendre ou non.

La seconde va en sens inverse : il faut se méfier de ce que l’on ressent. C’est une leçon majeure que je retiens des diverses opérations que j’ai subies. Je pouvais parfaitement être chez moi, tranquillement assis dans un fauteuil, savourant l’instant. Alors que déjà tout se mettait en place pour qu’une « crise » survienne. Je me souviens même qu’une fois, alors que j’étais dans l’hôpital du Professeur qui me soignait, je me sentais tellement bien que j’avais demandé à rentrer chez moi. On ne me prodiguait plus aucun soin. On s’était mis d’accord au sujet de mon départ. J’avais déjà préparé mes affaires. Le médecin eut néanmoins un dernier réflexe : me faire passer un scanner pour s’assurer que tout allait bien. Or le résultat de ce scanner s’avéra tellement mauvais… qu’il fallut, non seulement annuler mon départ, mais prendre toutes les dispositions pour me transporter à nouveau en urgence dans le service de neurochirurgie habituel, à partir duquel il était possible de m’opérer immédiatement. Je n’avais rien vu venir ! Mon ressenti interne avait été pris en défaut.

Cela pose cette question : que signifie « être conscient de » ?

On voit bien que cette question est trop abstraite. S’il n’existe aucune expérience qui se signale à vous par un ressenti, il n’y aura pas de « conscience ». Le sentir conditionne la conscience « de ». Et il faut bien admettre qu’un état pathologique puisse se développer sans engendrer aucun ressenti, apte à être formulé dans la conscience. Ce sont, en quelque sorte, des développements silencieux. Nombre de maladies, comme le cancer, opèrent ainsi. Nous n’en avons pas conscience. Ce sont des examens médicaux, interprétés par un médecin, qui vont nous l’apprendre.

Il faut, me semble-t-il, admettre ces deux réalités à la fois. La réalité de la connaissance intime et privilégiée de notre état de santé. Et la réalité des développements silencieux, que seuls des examens médicaux permettront de connaitre.

Néanmoins, qu’en est-il de la santé, qui, j’ai insisté sur ce point, n’est pas une absence de maladie ? Car la capacité, non seulement à faire un diagnostic juste, mais à affronter la maladie, dépend bien d’un « ressort » qui existe au sein de chaque individualité, de ce que Spinoza appelle : la puissance de penser et d’agir, associée au désir de persévérer dans son être, donc de vivre.

Aujourd’hui il existe un débat difficile au sein du corps médical sur, non pas les symptômes de maladies graves, mais leur cause. S’agit-il d’une cause externe ou d’une cause interne ? Je remarque que les médecins, dont les plus grands spécialistes, peuvent soigner, tout en ignorant les causes réelles. C’est clairement le cas pour les maladies neurologiques. Par exemple : qu’est-ce qui provoque la maladie de Parkinson ? Autant dire qu’on n’est sait rien !

La tendance majoritaire actuellement pour accéder aux causes est de regarder du côté des gènes. Je n’ai pas les connaissances nécessaires pour contester cette tendance. Il est parfaitement possible qu’elle détienne une part de vérité. Dans ce cas, ce sont les causes internes au corps qu’on privilégie. Mais j’ai l’intuition que de telles maladies peuvent naître d’un environnement social et naturel dégradé, qui provoque une pression permanente sur le cerveau et/ou des chocs émotionnels graves. En tous cas, c’est une explication qui me semble plausible. Pourquoi la recherche médicale n’explore que très peu ce type de piste ?

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