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Etat d’urgence : ils ne sont que six députés à s’être opposés à sa prolongation

Publié le vendredi, 27 novembre 2015 dans Libertés, Non classé

Ils ne sont que six députés, Pouria Amirshahi, Barbara Romagnan, Gérard Sebaoun, Isabelle Atard, Sergio Coronado et Noel Mamere à avoir refusé de voter la prolongation de l’état d’urgence. 

Ils ne sont que six sur 558 à avoir refusé un état d’exception aussi inutile pour protéger du terrorisme qu’attentatoire aux libertés démocratiques. 

Nous vous invitons à lire ci-dessous les explications de vote de Pouria Amirshahi et de Sergio Coronado.

Pourquoi je voterai contre la prolongation à 3 mois d’un état d’urgence

Par Pouria Amirshahi

il est persuadéÉnième sursaut ? Régressions démocratiques ? Réveil des consciences ? 

Comment empêcher d’autres morts, d’autres destins brisés par des esprits aussi manipulés que résolus à tuer ? Ce qui se joue depuis janvier 2014 et novembre 2015, c’est-à-dire l’avenir de notre société, se dessine en ce moment. Sur le front extérieur comme intérieur, le président de la République a déclaré la France « en guerre ».

La source de cette « guerre » prend racine d’abord dans la géopolitique : la faillite des Etats, les corruptions et les bouleversements qui font le terreau de croissance des monstres tels Daech. Interroger cette géopolitique, c’est nous interroger nous-mêmes, Français, sur les désordres du monde. C’est à cette échelle qu’il convient d’assécher immédiatement les sources de financement du groupe « Etat Islamique ». C’est à ce niveau que nous devrons réviser nos alliances – y compris de commerce d’armes – avec des États pour le moins ambigus si ce n’est directement impliqués dans les troubles actuels.

 

C’est enfin à cette échelle que doit se conduire effectivement une autre politique de reconstruction et de développement. En gros, traduire en actes une nouvelle doctrine qui pourrait se résumer ainsi : « leur développement, c’est notre sécurité ».

Il y a ensuite les fragilités françaises qui voient des jeunes Français manipulés et endoctrinés sur fond de désamour avec la République, devenir assassins et haineux de leur propre pays. Encore ultra-minoritaires, ils croissent et se radicalisent. Il faudra bien très vite sortir des discours de tribune parlant de nos banlieues pourmettre, dès maintenant, autant de créations de postes nouveaux pour les politiques publiques de la ville, de l’action sociale, de l’éducation que nous en mettons dans la police et l’armée – sans regarder jamais à la dépense, comme si c’était plus important.

Mais pour l’heure, il convient pour le Parlement de se prononcer ce jeudi 19 novembre, sur la prolongation pour 3 mois de l’état d’urgence, c’est-à-dire d’une « loi d’exception », dont le premier ministre avait pourtant dit le 13 janvier 2014 qu’elle n’était pas compatible avec l’esprit de notre République. Le projet du gouvernement – déposé avant même le terme des 12 jours légalement prévus et entamés le 13 novembre – entend renforcer les capacités coercitives de l’administration et des pouvoirs de police et durcir les conditions de détention des personnes suspectées prévues depuis 1955. C’est dans la précipitation que les législateurs vont délibérerd’une restriction sévère de nos libertés publiques, de nos loisirs et sorties, de nos manifestations de solidarité, de notre droit à nous réunir. Conformément à la loi de 1955, ces restrictions pourront intervenir à tout moment, à titre permanent le cas échéant, sur décision du préfet.

Celles et ceux qui assument que les libertés puissent (ou doivent) passer au second plan d’une sécurité première ont le mérite de la cohérence. Vieux débat qui traverse la France depuis 1789. Mais pour celles et ceux qui, nombreux dans les paroles, ont affirmé avec force que la démocratie ne gagnera qu’en étant elle-même, en ne rognant pas un pouce de droit ni de liberté, il y a une grave contradiction à défendre aujourd’hui l’inverse dans la Loi : est-ce assumer notre démocratie que d’interdire potentiellement des manifestations citoyennes ? Est-ce faire preuve d’audace que d’interdire des réunions publiques au moment où les Français ont besoin de parler, de se parler, pour comprendre ? Plus que jamais nous avons besoin que la société mobilisée se mette en mouvement : pour faire vivre la démocratie bien sûr, mais aussi pour entraîner les citoyens contre les dérèglements du monde et les fanatismes monstrueux qu’ils engendrent. On n’assigne pas une société à résidence.

Bien entendu la République doit être en capacité de se défendre. Contrairement à ce qui est affirmé par les tenants d’un virage néoconservateur, nous disposons d’un arsenal judiciaire et répressif très dense, révisé plus de 11 fois en 10 ans. Sait-on par exemple que les investigations qui ont conduit aux opérations de police mercredi à Saint-Denis ont été menées indépendamment de l’état d’urgence, dans un strict cadre judiciaire et d’enquête pénale ? « Oui, mais demain, après-demain… Comment faire ? » entend-on parfois du côté de ceux que l’uniforme rassure, même s’ils sont lucides sur l’effet peu persuasif des dispositions de sécurité de rue sur des terroristes déterminés, jusqu’à se faire sauter.

En premier lieu, il convient d’appliquer le code de procédure pénale qui autorise déjà, dans le cadre de la lutte antiterroriste, le recours à des perquisitions de nuit, mais également l’utilisation de techniques d’enquêtes spéciales que ne permet pas l’état d’urgence (écoutes, micros, surveillances etc.). La chancellerie a d’ailleurs déjà ordonné que les affaires de terrorisme soient prioritaires.

Ensuite, il est temps de changer de stratégie de sécurité, par exemple en déployant quelques milliers de policiers et gendarmes aujourd’hui affectés au peu efficace plan Vigipirate, qui de l’avis de tous les spécialistes vise d’abord à rassurer le quidam, vers des investigations, des enquêtes, des filatures… Ce qu’apprécieront juges et policiers, renforcera notre efficacité, et donnera des preuves aux citoyens.

Les actions de justice et de police ont montré que le besoin prioritaire de moyens et de coordination entre services était plus important sans doute que les dispositifs exorbitants de droit commun accordés aux services de sécurité que constituent par exemple la dernière loi renseignement ou une durée anormalement longue d’un état d’urgence.

Il est enfin un obstacle majeur à mon approbation d’une prolongation pour trois mois (durée d’ailleurs aussi arbitraire qu’inexpliquée par le gouvernement) : l’empressement d’une modification constitutionnelle, de notre Loi fondamentale, alors même que le chef des armées vient de nous déclarer « en guerre » et que la France sera en état d’urgence.

Pas une démocratie moderne ne modifie ses règles les plus précieuses en période où prime la possibilité de dérogation à ces mêmes règles. Sans même entrer dans le contenu des modifications envisagées, dont certaines sont la reprise des vieilles revendications du bloc réactionnaire (déchéance de nationalité, présomption de légitime défense – c’est-à-dire permis de tuer – des policiers), on ne saurait, en pleine conscience républicaine, accepter de procéder à ces modifications substantielles de droit fondamental en pleine application d’une loi d’exception. Cette dernière exigence de séparation des temps de notre démocratie ayant été refusée par le premier ministre je voterai contre la prolongation à 3 mois d’un état d’urgence qui va au-delà des pouvoirs administratifs exceptionnels et s’appliquera sans contrôle démocratique véritable.

Pouria Amirshahi est député socialiste des Français établis hors de France

Pourquoi j’ai voté contre la prorogation de l’état d’urgence !

Les jihadistes ont frappé Paris au cœur : aux environs du stade de France, dans les X et XI arrondissements, où je vivais il y a quelques mois, au Bataclan, où je suis allé souvent faire la fête. Ils avaient pour cible la jeunesse, notre façon de vivre, nos libertés. Ce vendredi 13 fut effroyable. Tant de victimes, tant de morts.

Les forces de l’ordre et de sécurité qui ont risqué leur vie pour protéger notre sécurité, et les professionnels de santé à l’œuvre ont suscité une admiration unanime, bien au-delà de nos frontières. Les messages de solidarité et d’amitié venus du monde entier nous sont parvenus comme des baisers de réconfort.

L’objectif des assassins est clair ; créer les conditions d’une guerre civile au cœur même du pays, en y introduisant la haine, en s’attaquant aux libertés qui font la vie de chaque jour : la liberté de circuler, de se réunir, de manifester…

Ces jihadistes qui tuent au nom de Daech n’ont pas frontières, se meuvent dans un espace transnational et dans le cyberespace. Ils recrutent dans toute l’Europe, en Afrique, en Asie, au Moyen-Orient. Ils sont en partie le fruit des interventions occidentales en Afghanistan, en Irak, en Libye et en Syrie, dont nous n’avons jamais tiré le bilan. Sans doute parce que nous n’avons jamais eu à nous prononcer sur le bien-fondé de ces interventions.

L’état d’urgence a été instauré par la loi du 3 avril 1955 durant la guerre d’Algérie. Il n’a d’ailleurs guère servi, à l’époque, à décourager les attentats sur le territoire français. En revanche, il a ouvert la voie au vote des pouvoirs spéciaux en mars 1956.

Aujourd’hui, la menace est diffuse, sporadique, pouvant resurgir à tout moment. Elle est à la fois extérieure et interne. Ce sont en effet des jeunes français, des européens qui tuent et massacrent là où ils ont grandi, là où ils ont vécu. Dès lors l’hypothèse d’un état d’urgence qui dure plus longtemps que ce qui est prévu existe. Or l’état d’urgence est un état d’exception donc nécessairement temporaire, alors que la menace s’inscrit dans la durée, permanente selon les termes du Premier ministre.

Dans ce contexte, la prorogation de l’état d’urgence est-elle une nécessité ?
Est-ce à dire que l’état de droit est un état de faiblesse ?
Je crois à l’instar de Robert Badinter que l’état de droit n’est pas un état de faiblesse.

Des moyens importants ont été déployés depuis un an, et des moyens supplémentaires seront octroyés à la justice, à la police, au renseignement. Ces moyens ne dépendent pas de l’état d’urgence.

Depuis 1986, notre Parlement n’a eu de cesse de renforcer l’arsenal judiciaire contre le terrorisme. Plusieurs mesures rognant les libertés publiques et annoncées au moment de leur adoption comme temporaires ont ensuite été pérennisées.

De nombreuses modalités de poursuite, d’instruction et de jugement existent déjà dans le droit pour lutter contre le terrorisme. Pour dire les choses clairement, elles sont déjà exorbitantes du droit commun : c’est ainsi de la garde à vue, des perquisitions de nuit, des visites domiciliaires et saisies, des contrôles d’identité et fouilles des véhicules, des moyens de preuve allégés, du jugement des accusés et des délais de prescription. La procédure pénale en matière terroriste est déjà une procédure d’exception.

L’état d’urgence n’est pas en lui-même, malheureusement, de nature à écarter le danger. Il sert surtout à montrer que l’on agit, sans que son efficacité supérieure n’ait été démontrée. Les garanties de l’état de droit ne sont pas un obstacle à la lutte contre le terrorisme. La mise à l’écart de l’institution judiciaire est un risque pour notre démocratie. Alors qu’environ 2500 personnes travaillent au renseignement, à peine 150 personnes le font du côté judiciaire. Ce déséquilibre signifie que les juges n’ont pas les moyens de traiter les renseignements qui leur sont transmis.
Parce que mon intime conviction est que l’état d’urgence n’offre aucune supériorité opérationnelle dans la lutte contre le terrorisme, qu’il représente tout au contraire une suspension de notre état de droit, et donc des risques pour nos libertés, j’ai décidé de voter contre le projet de loi qui proroge l’état d’urgence.

Sergio Coronado

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