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La transition énergétique, nécessite-t-elle de changer le système économique ?

Publié le mercredi, 11 novembre 2015 dans Construire des alternatives

climatQu’est-ce que la transition ? Trop souvent on la réduit à une transformation du produit. On parle alors de « la voiture à 2 l aux 100 », ou de la voiture électrique, d’éoliennes et autres innovations technologiques.

Mais une véritable transition énergétique, une véritable conversion écologique nécessitent d’agir à trois niveaux :

  1. Changer les produits et leur mode de fabrication, bien sûr.

  2. Changer les modes de consommation et le système des échanges.

  3. Changer l’organisation du territoire.

 

  1. Changer les produits et leur mode de fabrication

Cela consiste :

– à faire de nouveaux produits économes en matières premières, en consommation d’énergie et à durée de vie plus longue

– à diminuer l’usage de matières premières notamment organiques dans le procès de fabrication

– à développer l’économie circulaire permettant de réutiliser les rebuts et les déchets

Les solutions technologiques sont aujourd’hui aux mains des entreprises. Mais leur introduction pourrait entraîner une baisse de leur rentabilité. Elles nécessitent d’un côté un effort de recherche et un fort niveau d’investissement pour remplacer du matériel par forcément encore périmé ni amorti (notamment dans les équipements de réseau et les infrastructures) par du matériel qui pourrait se révéler plus cher à produire.

Par ailleurs, la production elle-même peut revenir plus cher (utilisation de matières de substitution plus chères; recours à de la main d’œuvre supplémentaire notamment en agriculture ou dans la collecte et le tri des déchets; imposition de normes …).

Enfin le recyclage, l’utilisation des rebuts, l’allongement de la durée de vie des produits, les économies d’énergie en général se traduisent par une diminution de la consommation et donc du chiffre d’affaires des entreprises.

  1. Changer les modes de consommation et le système des échanges

Le changement de nos comportements individuels (diminuer la consommation de viande, s’approvisionner localement, acheter des produits de saison, économiser l’eau …) sont certes nécessaires mais ne sauraient relever de la seule bonne volonté personnelle. Nécessaires donc, mais pas suffisantes, car nos comportements sont eux même conditionnés par l’organisation de nos sociétés et de leur économie.

Trois exemples:

a)    La consommation de produits hors saison

Elle est le fruit de l’internationalisation des échanges commerciaux. Quand uncrime_climat_ved3405thumb150x150 bateau, un avion, exporte des produits manufacturés européens, par exemple, vers le Kénya, que ses soutes soient pleines ou vides au retour ne change pas grand-chose à sa consommation d’énergie, mais contribue à rentabiliser le transport.

Dans ces conditions, refuser tout achat en plein mois de janvier d’haricots en provenance du Kénya, n’y change rien. Tout au plus une action collective ( et non individuelle) de boycott de ces produits, pourrait modifier à terme les conditions économiques des échanges, mais il est hasardeux de dire que cela remettrait en cause leur niveau global.

b)    Les flux tendus

Ils sont à l’origine d’une multiplication des circulations de camions sur nos routes. Mais il sont aussi au cœur du système économique. Ils permettent de faire des économies sur les stocks en les mutualisant pour plusieurs magasins. Ils permettent aussi d’effectuer le stockage dans des zones où le prix du foncier est faible plutôt que dans les zones denses et chères.

c)    Les achats en grandes surfaces et la consommation excessive de viande

Les grandes surfaces sont une source de gaspillage et de profusion des emballages. La production de viande se fait au détriment d’un usage plus productif en calories, des terres agricoles. Elle serait la source d’une émission excessive de méthane.

Pourtant ces modes de consommation ne sont pas seulement liés à des comportements individuels. Ils sont intimement liés à notre organisation sociale.

Pour nos contemporains le temps est une denrée rare (les anglais ne disent ils pas que « time is money ») en raison des contraintes des conditions de travail et de vie, conditionnées par l’organisation de nos économies et de nos territoires. Quand on a fait ses huit heures (et plus) de boulot, de plus en plus souvent à des heures indues, que l’on fait une heure ou plus de transport pour se rendre sur son lieu de travail et autant pour en revenir, la grande surface est le moyen le plus rapide de faire ses courses, les produits conditionnés et préparés sont les plus rapides à cuisiner, la viande à griller nécessite peu de préparation et permet d’absorber rapidement les calories nécessaires à notre alimentation.

  1. Changer l’organisation du territoire

Les distances domicile travail et les temps de trajet s’allongent. Outre leur conséquence sur nos modes de consommation évoquées précédemment, ils sont source de consommation croissante d’énergie, augmentation jusqu’ici plus rapide que les économies engendrées par la mise au point de nouvelles technologies.

Mais cette augmentation des déplacements contraints sont eux-mêmes le fruit de notre organisation sociale.

Sont notamment en cause :

– Le chômage qui pousse chacun et chacune à suivre son entreprise quand elle se délocalise à l’autre bout de la région ou même plus loin, et qui incite les chômeurs à accepter des emplois éloignés de leur domicile.

– Le zonage des activités : cités résidentielles et villes dortoirs, zones industrielles, zones commerciales, zones de loisir et de culture, segmentent notre espace et nous contraignent à des déplacements d’un lieu à l’autre pour tout simplement vivre

– La densité urbaine, responsable d’embouteillages, de l’explosion du prix du foncier, de l’éloignement des lieux de travail, des pertes de temps évoqués précédemment. Elle est la conséquence d’une concurrence mondiale des métropoles pour attirer sièges sociaux, centres de recherche et de pôles universitaires. C’est dans cette perspective que s’inscrivent les dernières lois sur l’organisation territoriale. Regroupement de régions et création des métropoles dont celle du grand Paris, ne peuvent déboucher que sur une augmentation des déplacements contraints.

Que conclure ?

Les surcoûts liés à la conversion de l’appareil productif, la baisse du chiffre d’affaires qui pourrait se produire, remettent en cause l’équilibre de nos économies.

Sans intervention des états, aucune entreprise ne se risquera à produire moins et plus cher que les autres sous peine de se voir éliminée du marché. On l’a vu avec la crise du porc en Europe : la mise en place de normes environnementales et éthiques en Grande Bretagne y a fait disparaître cette activité sous le flux des importations en provenance de pays où de telles règles n’existent pas. L’introduction de nouvelles technologies nécessite donc une réglementation étatique à l’échelle internationale, un contrôle de son application et des sanctions effectives en cas de non respect.

Changement majeur, ou plutôt opposition frontale au libéralisme qui préside aux échanges internationaux et à l’absence de gouvernance mondiale démocratique, qui n’est pas près de s’instaurer à l’horizon d’une vie humaine.

On peut penser que de telles normes pourraient s’imposer au moins à des niveaux locaux ou régionaux, ou/et dans certains secteurs.

Restera la question du financement des cette conversion. En termes d’investissement, les banques ne sont intéressées que par le niveau de rentabilité et l’absence de risque de leurs placements. On les voit mal s’engager dans l’aventure pour les financer sans aide ou caution des états. La conversion nécessite donc au minimum une intervention dans le système financier, un contrôle publique voire une nationalisation ou tout au moins une participation publique dans les banques.

Le financement par les États, même partiel, des efforts de recherche et des investissements, la compensation des surcoûts liés à des modes de production écologiques (via le service public du ramassage et du tri des déchets, l’aide à l’agriculture paysanne et écologique etc…) peut se heurter aux règles nationales de la concurrence et aux règles de l’Organisation Mondiale du Commerce. Il suppose d’autre part de trouver des ressources publiques, c’est-à-dire d’augmenter les impôts (sauf à supprimer les dépenses sociales), idée saugrenue et tout à fait incompatible avec le libéralisme ambiant et la concurrence généralisée.

Influer sur le système des changes et les modes de consommation, relocaliser l’économie, réorganiser nos territoires de façon à limiter les transports en tous genres, et à consommer autrement, c’est totalement l’inverse du libre échange mondial. Car cela implique une intervention étatique, une intervention citoyenne très forte.

Pour toutes ces raisons, on peut dire que la transition, la conversion écologique obligent à changer de modèle économique. Le capitalisme en est il capable ou faut il en sortir ? Il n’y a pas de réponse sure et scientifique tant le capitalisme a démontré dans le passé sa capacité d’adaptation. C’est une question de conviction.

Je laisse le soin à chacun de nous d’apporter la réponse. D’autant que la réponse dépasse le seul cadre de la transition énergétique et concerne plus généralement la conception du monde dans lequel nous voulons vivre.

Jacques PIGAILLEM

En cette période de COP 21, je pense que le contenu de mon intervention au village Alternatiba de Savigny le temple (77) peut servir de support à nos réflexions et nos débats, et nourrir les éventuelles interventions que  nous pourrions être amené-es à faire. . .
Jacques PIGAILLEM

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