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Budget 2016 : des engagements à géométrie variable, par Philippe LEGE

Publié le vendredi, 9 octobre 2015 dans Notre Economie et la leur

budgetPour le ministre de l’Économie, Michel Sapin, le budget 2016 est « celui des engagements tenus ». Mais auprès de qui le pouvoir actuel estime-t-il devoir rendre des comptes ? François Hollande n’avait-il pas promis, le 9 septembre 2012, « d’inverser la courbe du chômage d’ici un an » ? 

Depuis lors, elle n’a cessé de s’élever. On compte désormais 5,4 millions d’inscrits à Pôle Emploi (cat. A, B et C). Le niveau du chômage de longue durée est particulièrement préoccupant : 2,4 millions de personnes sont privées d’emploi depuis plus d’un an ; 1,3 million depuis plus de deux ans. Le projet de loi de finances (PLF) 2016 n’est absolument pas conçu pour y remédier[1]. 

En revanche, il alloue d’énormes cadeaux fiscaux aux entreprises alors que rien de tel ne figurait dans le programme du candidat Hollande. Ce dernier avait renié en quelques mois ses engagements électoraux et se présentait dès le 15 septembre 2013 comme « le président des entreprises » garant de la restauration de confortables profits. C’est surtout cet engagement-là qu’il s’évertue à tenir. 

Reprise de l’accumulation, persistance du chômage 

Avec ce PLF 2016, le gouvernement prétend « mobiliser tous les moyens pour l’emploi et l’investissement » mais en perpétuant l’austérité budgétaire qui déprime la demande il alimente en fait le maintien d’un niveau de chômage élevé. 

Quels sont les résultats de la politique économique amorcée en 2013 ? La dépense de consommation finale des ménages est demeurée atone en 2014 (+0,6%). Sa légère reprise début 2015 est due à des facteurs exogènes : pétrole bon marché et faiblesse de l’euro. L’investissement public a connu une chute historique en 2014 (- 7,3%) et une stagnation au premier semestre 2015. 

Qu’à cela ne tienne : le gouvernement avait tout misé sur l’investissement des entreprises dont il annonce le redémarrage depuis la fin 2012[2]. Or la reprise de l’accumulation a été faible et tardive, en dépit d’un taux de marge en hausse. 

L’investissement des entreprises a continué de reculer en 2013, a stagné en 2014 (+0,4%) et ne devrait s’accroître que de 2,1% en 2015 selon l’INSEE. Tout indique une accélération en 2016 mais l’ampleur de celle-ci est difficile à évaluer. 

Quant à l’investissement des ménages (achat de logement), il poursuit sa chute. Au final, le chômage amorcera seulement une timide décrue en 2016. Le gouvernement en est largement responsable pour avoir sous-estimé la gravité de la crise puis avoir fait le pari « que l’austérité budgétaire ne laisserait pas de traces trop profondes dans la dynamique du capitalisme français car son effet récessif serait partiellement limité par la baisse du taux d’épargne »[3]. Ce pari a été perdu[4]. Les engagements pris à Bruxelles ont donc dû être différés : le déficit public sera ramené à 3,3% du PIB en 2016 et à 3% en 2017 au prix d’une baisse massive des dépenses publiques. 

Baisse des dotations aux collectivités locales 

Alors que les administrations locales sont celles dont l’investissement a le plus baissé (-9,6% en 2014), le PLF réduit à nouveau leurs dotations. Celles-ci chuteront de 3,7 milliards d’euros en 2016, dont 2 milliards d’efforts pour les communes. Les conséquences sont prévisibles : le renoncement à des équipements socialement utiles, la hausse des impôts locaux et des tarifs des cantines scolaires, la multiplication des faillites de petites entreprises perdant des débouchés. 

Ni le fonds d’aide à l’investissement local, doté de seulement 150 millions d’euros de crédits de paiement, ni la réforme annoncée de la répartition de la dotation globale ne suffiront à atténuer l’impact récessif et antisocial des efforts imposés aux collectivités locales. 

Sécurité Sociale: un triste anniversaire 

La Sécurité Sociale, crée par les ordonnances d’octobre 1945 et porteuse de progrès social, a été affaiblie par les politiques menées depuis plus de trente ans. Le budget 2016 constitue un nouvel assaut contre la logique solidaire car il impose 7,4 milliards d’euros d’économies aux administrations de Sécurité Sociale. Une partie proviendra de la montée en charge de réformes déjà votées, comme celle des retraites ou des allocations familiales. Depuis le 1er juillet 2015, le montant de ces dernières est en effet modulé en fonction des revenus du foyer. 

Mais le gouvernement prévoit surtout de faire des économies sur la branche maladie. L’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM) sera fixé à « 1,75% en 2016, soit un niveau historiquement bas ». La hausse spontanée de ces dépenses est en effet de 3,6% en raison de l’inflation, du vieillissement de la population et de la multiplication des pathologies chroniques. Pour tenir l’objectif, il faudrait économiser 3,4 milliards d’euros. Le gouvernement compte sur « la lutte contre les prescriptions peu pertinentes » ou « le renforcement de l’efficience des établissements de santé ». 

Pourtant, la pression est déjà très forte dans les hôpitaux après les maintes réformes libérales imposées depuis une dizaine d’années (T2A, RGPP, MAP, etc.). Et depuis 2009, la masse salariale hospitalière a connu un fort ralentissement. 

Dans ces conditions, exiger de « faire plus avec moins » engendrera en fait une nouvelle dégradation des conditions de travail et du service public rendu aux patients. Fait rare, même la Fédération Hospitalière de France – regroupant les directions des hôpitaux – a réagi en expliquant qu’il est « irresponsable de demander des fermetures de lits en médecine, alors que les capacités actuelles s’avèrent insuffisantes pendant les périodes d’épidémies (grippe, bronchiolite…) ». 

Ecologie : la grande tartufferie 

Alors que le gouvernement n’a de cesse de communiquer au sujet de la Conférence climat (COP21), la mission « écologie » voit son budget réduit de 100 millions d’euros et ses effectifs diminués de 671 emplois. Alors que la ministre de l’Ecologie déclare qu’il « ne faut plus avantager le diesel », le PLF n’induit aucun début d’alignement de la fiscalité du diesel sur celle de l’essence. 

Mme Royal avait préparé le terrain cet été en expliquant que cette réforme, préconisée par la commission sénatoriale sur le coût économique et financier de la pollution de l’air, était certes « souhaitable à terme »… mais pas pour l’instant ! Les enfants asthmatiques et les victimes de pathologies respiratoires chroniques attendront donc ? 

Face au scandale, la ministre s’est ravisée en laissant entendre le 7 octobre que le gouvernement pourrait finalement soutenir un amendement proposant d’augmenter la taxation du diesel. Mais en l’état actuel du projet, les mesures budgétaires en faveur de l’environnement se limitent pour l’essentiel à la prorogation des dispositifs de crédit d’impôt et de prêt à taux zéro pour la transition énergétique. Utile, mais pas de quoi faire oublier la longue liste des décisions anti-écologiques de ce gouvernement : hausse de trois points de la TVA sur les transports collectifs, développement du transport par autocar, report de la fermeture de la centrale de Fessenheim, etc. 

Quelques créations de postes 

Quelques bonnes mesures figurent dans ce PLF, comme la création de 8 561 postes dans l’Education Nationale ou l’obligation pour les entreprises d’utiliser à partir de 2018 un système de caisse sécurisée qui devrait endiguer la fraude à la TVA. Celle-ci représente un manque à gagner de 14 milliards d’euros selon la Commission européenne. La lutte contre la fraude fiscale serait toutefois plus efficace si les effectifs du ministère des Finances cessaient de baisser. Ce n’est pas le cas puisque 2 548 nouvelles suppressions de postes sont prévues l’an prochain à Bercy. 

A l’inverse, pour la mission « défense », les 7 400 suppressions de postes initialement prévues par la loi de programmation militaire sont annulées et remplacées par la création de 2 300 postes ! Dans le PLF, cet « effort spécifique » est justifié par les attentats de janvier dernier : ces postes seraient nécessaires « afin d’assurer dans la durée le déploiement sur le territoire national de 7 000 hommes dans le cadre du contrat ‘’protection’’ » (p. 25). 

On peut toutefois se demander si le pouvoir en place n’instrumentalise pas l’émotion légitimement suscitée par les attentats pour récompenser un ministère auquel il a beaucoup demandé en raison du rythme effréné des opérations extérieures décidées par François Hollande[5]. 

33 milliards pour les entreprises 

L’engagement pris vis-à-vis du patronat français a été parfaitement respecté : en 2016 les entreprises seront extrêmement bien loties avec une nouvelle baisse de leurs prélèvements de 9 milliards. 

Les cadeaux consentis en vertu de l’application du Pacte de responsabilité et du CICE sont ainsi portés à 33 milliards d’euros en 2016! Les entreprises obtiennent donc l’équivalent de 68% du budget de l’enseignement scolaire, sans rien garantir en termes d’embauches. Il aura suffi à Pierre Gattaz d’évoquer en 2013 une « mobilisation patronale » susceptible de créer « un million d’emploi » pour obtenir la planification de quatre années d’offrandes. 

Face à un gouvernement qui lui est acquis, la surenchère du Medef s’est révélée très payante. Les efforts imposés aux retraités, aux usagers du service public, aux fonctionnaires et aux salariés du privé serviront à accroître les bénéfices des entreprises. 

Baisse de l’IR : une fausse bonne idée 

Le gouvernement met en avant la nouvelle réduction de l’impôt sur le revenu (IR), qui amputera les recettes fiscales de deux milliards en 2016, après une baisse de trois milliards en 2015. 

Faut-il, comme Europe Ecologie Les Verts, saluer cette décision ? Le poids de l’IR est déjà plus faible qu’en 1995. En effet, il représentait à cette époque 4,8% du revenu primaire des ménages. En 2014, il n’en représente que 4,5%. Pourquoi le réduire davantage ? 

De nombreux medias soulignent la hausse de l’impôt sur le revenu opérée entre 2009 et 2013 sans indiquer que celle-ci était rendue nécessaire par la crise de 2008 et que dans les années 2000 les gouvernements successifs, de droite comme de gauche, avaient considérablement sapé l’impôt sur le revenu. Alors que le bureau du Parti Socialiste avait voté fin juillet en faveur de la proposition du député Jean-Marc Germain de réduire la CSG, impôt proportionnel, le gouvernement a préféré réduire l’impôt sur le revenu, qui est progressif et donc plus juste. Ce n’est pourtant pas la meilleure façon d’accroître le revenu des classes populaires. 

Une grande partie d’entre elles n’est pas concernée par la mesure. La proportion de foyers fiscaux concernés par l’IR est passée de 65% à la fin des années 1970 à 46,5% en 2015. Réduire un peu plus ce ratio, c’est miner encore davantage le consentement à l’impôt et encourager la tendance à la hausse des prélèvements les plus injustes. 

Rappelons que l’impôt sur le revenu ne représentait en 2014 que 7,3% des prélèvements obligatoires. La TVA en représentait 15,5% et la CSG près de 10%. 

Incertitudes 

Le scénario macroéconomique prévu par le gouvernement pour 2016 et 2017 comporte de fortes incertitudes. 

Premièrement, nul ne sait combien de temps perdurera la conjonction exceptionnelle d’un euro faible, d’un pétrole bon marché et de taux d’intérêt quasi-nuls. Ces facteurs produiront à nouveau des effets favorables sur l’investissement et la consommation en 2016. Mais au-delà ? 

Deuxièmement, il est supposé dans le PLF (page 11) que la demande extérieure adressée aux entreprises française se redresse « avec l’accélération de la demande mondiale », avant que ne soit évoqué, quelques lignes plus bas, une « demande mondiale adressée à la France moins vigoureuse »… 

Comprenne qui pourra. Cette phrase a-t-elle été ajoutée in extremis parce que la directrice du FMI a laissé entendre fin septembre que son institut effectuerait une révision à la baisse de ses prévisions de croissance mondiale ? Toujours est-il que cette révision a été effectuée le 6 octobre. L’économiste en chef du FMI en a profité pour expliquer qu’au niveau mondial, « la croissance de court terme restera modérée et inégale : le Saint-Graal d’une expansion économique robuste et synchrone est toujours hors d’atteinte ». Dans de telles conditions, même les engagements pris par Hollande auprès des classes dirigeantes européennes à l’horizon 2017 pourraient n’être que partiellement tenus. 

Philippe Légé 

[1] Sauf mention contraire, les citations sont extraites du PLF 2016. Il est consultable en ligne : http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/projets/pl3096.pdf

[2] A l’automne 2012, le gouvernement prévoyait pour 2013 une hausse de l’investissement des entreprises de 1,5%. La variation fut négative (-2,2%).

[3] P. Légé, « Politique économique de François Hollande. De la persévérance dans l’échec », Contretemps, octobre 2014.

[4] Le taux d’épargne des ménages n’a que légèrement baissé en 2013 avant de retrouver dès 2014 son niveau de 2012. Le taux d’épargne financière est même remonté en 2014 à un niveau supérieur à celui de 2012. En volume, la dépense de consommation finale des ménages n’a progressé que de 0,4% en 2013 et 0,6% en 2014.

[5] Lire à ce sujet : P. Leymarie, « Le sacre du printemps », Défense en ligne, blog du Monde Diplomatique, 30 avril 2015.

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