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SUR LA THÉORIE DU « REMPLACEMENT ». Tribune libre Patrick MIGNARD

Publié le dimanche, 4 octobre 2015 dans Point de vue

« Le concept de « migration de remplacement » correspond à la migration internationale dont un pays aurait besoin pour éviter le déclin et le vieillissement de sa population qui résultent d’un niveau bas des taux de fécondité et de mortalité ». Définition de laDivision de la population du Département des affaires économiques et sociales de l’ONU

ob_f2859c_migrationsNotons que la définition est extrêmement prudente. Elle se décline au « conditionnel » et porte simplement sur un constat démographique. Le concept existe, il est parfaitement défini. En réalité, il est aujourd’hui grossièrement détourné à des fins politiques… en particulier à propos des grandes migrations auxquelles nous assistons en Europe.

Comment est-il détourné ? De manière très simple qui peut se résumer à : « Sors-toi de là que je m’y mette ! ». Autrement dit, il s’agirait purement et simplement d’une substitution de populations… le conditionnel disparaît, de même que le constat d’un rééquilibrage démographique.

Qu’un tel processus migratoire – sans l’accord des populations autochtones – se soit réalisé dans l’Histoire c’est un fait,… c’est d’ailleurs ce que l’on appelle une invasion suivi d’une colonisation. Précisons que ces évènements n’ont jamais été condamnés, et même plutôt approuvés, par celles et ceux qui aujourd’hui hurlent à l’invasion par les migrants.(*)

La « théorie du remplacement », version modifiée, est devenue le cheval de bataille d’une extrême droite qui a trouvé là un moyen d’exciter et de mobiliser les peurs. En période de crise, le fascisme a toujours su trouver un angle d’attaque politique ayant pour fer de lance un bouc émissaire : hier le juif,… aujourd’hui le musulman !

Cette théorie du remplacement se fonde sur deux mythes :

  • la volonté des migrants d’envahir de nouveaux territoires ;

  • les fondements Européens d’une race blanche et d’une culture chrétienne.

La volonté d’invasion ?

Comparer, comme le fait le FN et d’autres, les migrants à des troupes d’occupation est, évidemment, absurde, et le procédé révèle par là-même la manipulation de l’opinion publique. Il n’y a pas l’ombre d’un projet d’occupation, pas plus qu’une volonté de remplacement d’une population par une autre. Il est de notoriété publique que ces migrants fuient la guerre et n’aspirent qu’à une vie de paix.

Ne pas le comprendre, ou ne pas vouloir le comprendre, a pour principale conséquence d’attiser les tensions entre populations, jouer sur une peur irrationnelle pouvant aboutir à de gravissimes conflits intérieurs. Il n’est pas à exclure que c’est probablement ce que cherchent les forces politiques néofascistes comme elles l’ont toujours fait dans le passé.

Ne pas le comprendre, ou ne pas vouloir le comprendre, c’est aussi renier toutes nos valeurs – n’avoir aucune confiance en elles – et, en particulier, celles de solidarité à l’égard d’hommes, de femmes et d’enfants en danger de mort. C’est nous rabaisser au rang de celles et ceux qui, il y a soixante dix ans, ont détourné les yeux devant l’indicible. Que celles et ceux qui ont cette ignoble attitude, professent impunément des valeurs de charité et de solidarité, en dit long sur leur personnalité.

Une Europe blanche et chrétienne ?

Raisonner à partir d’une telle affirmation c’est avoir une sérieuse courte vue de l’Histoire. C’est nier précisément ce qui fait les civilisations dans le monde.

La Nature n’a pas livré, clef en main, aux Européens, et à fortiori aux Français, une couleur de peau, pas plus que les églises.

Rappelons que les Francs, qui ont donné le nom au pays, étaient des envahisseurs nordiques qui se sont mélangés dans la Gaule romaine aux populations autochtones, qui n’étaient pas forcément « blanches ». Il est aujourd’hui établi que les premiers hommes étaient comme on dit « de couleur »… De plus les Francs n’étaient pas seuls,… Wisigoths et Vandales occupaient aussi le territoire. Rajoutez l’influence des Romains et des Sarrasins… et vous avez un beau mélange métissé.  Bonjour la pureté de la race !

 Il faudra attendre la conversion de Clovis, au 5e siècle pour voir apparaître « officiellement » la religion chrétienne… religion qui va s’imposer par une intolérance féroce durant des siècles…

Le siècle des Lumières et la Révolution Française seront le point de départ, en France, mais aussi, dans une certaine mesure en Europe d’une remise en cause des anciennes valeurs par l’instauration du statut de citoyen et la liberté de culte.

Celles et ceux qui parlent de France/Europe blanche et de religion chrétienne, font donc une impasse fâcheuse sur ce qui a été la base même de la notion de citoyenneté et de laïcité qui gomme toute différence de couleur de peau et d’adhésion ou non à une quelconque croyance. La valeur de base de la République, n’est pas une différenciation ségrégative entre individus, mais au contraire la reconnaissance et l’acceptation des différences.

Les valeurs qui fondent notre société ne sauraient être nullement des obstacles à l’arrivée de nouvelles populations et ce, quelle que soit la couleur de peau et/ou la religion. L’église – n’en déplaise aux intégristes catholiques – n’a pas une place exclusive dans le paysage européen… la mosquée, le temple et la synagogue y ont aussi leur place.

Hormis certains cas très particuliers dans l’Histoire : colons en Amérique du Nord, nazis en Union Soviétique (théorie du Lebensraum), colons britanniques en Australie,…la plupart des mouvements migratoires n’ont pas été, ou tentaient d’être, des « remplacements de population ».

L’actuelle phobie du remplacement, agitée par des formations politiques xénophobes à propos des déplacements de population, ne sont que des productions idéologiques destinées à effrayer et à orienter des choix politiques faisant de l’Europe une forteresse ouverte aux marchandises et capitaux, mais pas aux hommes ( ?).

Les conservateurs de tous poils, néofascistes – voire néonazis – et faux-culs (des noms ?) qui se gargarisent de « valeurs humanistes », les ignorant dans leurs pratiques et croyant en une mythique stabilité des civilisations, nous entraînent droit dans le mur de la guerre civile. Face à un flux de réfugiés désemparés, la solution n’est pas de dresser des frontières – ce qui est d’ailleurs physiquement impossible et humainement inadmissible, mais de traiter le problème en terme d’accueil et de répartitions des richesses.

Face à l’augmentation de la population mondiale et au dérèglement climatique la seule attitude responsable est, non pas de fermer nos yeux, nos cœurs et nos cerveaux,… mais de poser les vraies questions de la cohabitation de toutes et tous sur la planète. Refuser de poser ces questions, c’est à terme disparaître.

                     2 octobre 2015                                                                                 Patrick MIGNARD

LE SENS DES MOTS,

        LE CHOC DES FANTASMES

L’arrivée massive de réfugiés bouscule incontestablement notre société, non seulement sur les plans économique, politique et idéologique mais aussi et surtout sur le plan moral.

Cette situation n’est pas exceptionnelle tant dans ses causes que dans ses conséquences. Dans nos sociétés, et en particulier en Europe, le citoyen a une vision relativement figée du monde dans lequel il vit ; cela explique certainement sa passivité « civique » et sa réaction conservatrice qui se révèlent dévastatrices dans une situation de changement.

L’arrivée massive de réfugiés n’est pas un phénomène nouveau et exogène à nos sociétés. Partout et à toutes les époques, les déplacements de populations ont été provoqués par des phénomènes sociaux et politiques et ont eu pour conséquences de « bousculer » les contrées qui les ont vu arriver.

Il serait abusif et malhonnête de confondre invasion et exode.

Les conquistadors espagnols, au 15e siècle, en Amérique du Sud ; les « colons européens », en Amérique du Nord, dans de nombreuses régions d’Afrique, de même que les hordes nazies, lors de l’Opération Barbarossa en 1941 en URSS, sont incontestablement les acteurs d’une invasion qui peut se résumer à : destruction systématique des populations autochtones, expropriation, occupation des territoires, création d’une nouvelle société. L’invasion aboutit à une colonisation, voire un remplacement de la population.

Les exodes, parfois massifs, au 20e siècle, en France, d’Italiens, de Polonais, d’Espagnols fuyant Franco (un demi million), de Juifs persécutés par les nazis, d’Algériens, de rapatriés d’Afrique du Nord en 1962 (plus d’un million), de réfugiés du Sud Est-Asiatique,… et aujourd’hui de réfugiés du Moyen Orient, ne peuvent évidemment pas être assimilés à une invasion. Ils n’en ont ni les objectifs, ni les caractéristiques.

A toutes les époques, sauf curieusement dans le cas des rapatriés d’Algérie – qui eux, avaient colonisé l’Algérie – l’extrême droite a dénoncé l’exode comme une « invasion camouflée ». Or, l’Histoire montre qu’il n’en est rien.

Qu’un exode perturbe la société « réceptrice » est une évidence. Il interroge la société non seulement quant à son rapport à l’autre, à celui qui est différent, mais aussi sur la manière dont elle fonctionne. Mais vouloir faire croire qu’il s’agit d’une invasion est une manipulation de l’opinion publique à finalité politique. Le but étant de faire peur et de jouer sur cette peur pour engranger des voix aux élections.

La force d’une société est donc, non pas de se défausser face à un exode, en faisant croire à une invasion, mais au contraire – au nom des valeurs qui sont les siennes – d’assumer la situation, autrement dit : accueillir, aider, intégrer, voire, à terme, pour les volontaires, faciliter le retour dans le pays d’origine. Le repli frileux sur soi, la politique de la « forteresse assiégée », le rejet de l’autre, voire l’hostilité à son égard dénote une faiblesse congénitale du lien social et une « relative fragilité », pour les citoyens, des valeurs qui sont censées fonder la société.

La manipulation est donc grossière de la part de celles et ceux qui se gargarisent de valeur de charité et de solidarité, mais qui pour des raisons purement politiciennes font fantasmer l’opinion publique agitant le spectre d’une invasion. Les sociétés humaines sont ainsi faites, depuis la nuit des temps, qu’elles se sont construites par des circulations de populations L’Histoire montre que la stabilité des sociétés n’est que toute relative. Vouloir conserver, à tout prix, une civilisation dans une « mythique pureté » est une utopie.

Celles et ceux qui refusent l’aide aux réfugiés ont une vision très sélective des évènements : ils ne se sont jamais élevés contre la colonisation,… ils en ont même été les principaux acteurs et défenseurs. Etrange attitude !

Refuser un état de fait, un état du monde, un principe d’évolution des sociétés, c’est refuser de voir en face la réalité. Une telle attitude ne peut aboutir qu’à une catastrophe comme le monde en a déjà connu.

            18 septembre 2015                                                                                             Patrick MIGNARD

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