Matière à réflexion : URBANITE CONTRE RUSTICITE ? Patrick MIGNARD
Publié le mercredi, 23 janvier 2013 dans Point de vue
Le sens des mots en dit long sur ce que l’on veut bien leur faire inconsciemment exprimer.
Ainsi les mots « urbanité » et « rusticité » directement issus des termes « urbain » et « rural » expriment des valeurs différentes et pas du tout innocentes.
URBANITE – politesse, courtoisie, affabilité, manières… Ainsi le terme signifie – ou a la prétention de signifier- les « qualités exquises » de celles et ceux qui habitent les villes, la cité.
RUSTICITE – simple, balourdise, grossier, barbare … Ainsi le terme signifie – ou prétend signifier – les traits « grossiers » de celles et ceux qui habitent la campagne, l’espace rural.
Le distinguo n’est certes pas d’aujourd’hui,… mais dans beaucoup d’esprits, il persiste… et aggrave les rapports entre la ville et la campagne.
Historiquement, quoique elle ait représenté jusqu’à la deuxième moitié du siècle dernier, le milieu dans lequel vivait la majorité de la population,… la campagne a toujours était dévalorisée.
Les villes ont été de tout temps le lieux privilégié de la pensée, de la conscience, du pouvoir…et ce, même au Moyen Age durant lequel une partie du/des pouvoirs est/sont décentralisés,… la hiérarchie vassal/suzerain aboutit inéluctablement à la ville.
Les grandes cités, même quand elles avaient un rapport étroit, et pour cause, avec le milieu rural, tenaient ce dernier comme mineur.
Le terme de « paysans », « vilains », « jacques » , « cul terreux », « bouseux », … est de manière générale, péjoratif, méprisant, dévalorisant… et s’étend à tous les statuts des travailleurs de la terre.
UNE MARGINALISATION PERMANENTE À L’AVANTAGE DES VILLES
Au fur et à mesure que la civilisation progresse, elle s’urbanise. La cité fait l’évènement. Le pouvoir y réside. Les décisions s’y prennent, les changements sociaux et politiques s’y produisent,…
La révolution industrielle au 19e siècle en Europe et aux Etats-Unis consacre définitivement – du moins jusqu’à aujourd’hui – la ville dans la « fonction noble » d’être le lieu des arts, de la culture, du savoir et du pouvoir, des découvertes, des innovations.
L’importance de la campagne commence à se relativiser dans les esprits et dans les perspectives de développement économique. Les liens qui unissaient les villes et les campagnes continuent à se distendre.
Au 20e siècle, la campagne, encore majoritaire sur le plan démographique, est utilisée pour fournir lors de la 1er Guerre Mondiale la « chair à canon » pour une guerre industrielle, faite entre nations industrielles pour des raisons industrielles et financières. Les paysans sont envoyés massivement (voir les monuments aux morts de nos villages) à l’abattoir pour une cause qui leur est totalement étrangère. Le « déclin » massif de la campagne continue et s’accélère après 1918. Commencée avec l’industrialisation qui absorbe les paysans pour les transformer en « prolétaires » pour l’industrie, la désertification de la campagne se double d’un exode vers les villes où se créent désormais les emplois sources du « développement économique », du confort et de la relative stabilité sociale.
Les transformations qu’ont connues les petits métiers « industriels » au 19 siècle, l’agriculture les connaît au 20e avec le développement de la mécanisation et l’emploi de plus en plus massif des engrais. La population rurale a de « bonnes raisons » économiques de se réduire… la productivité du travail agricole croit comme jamais dans le passé.
Parallèlement à cette évolution, la « richesse » glisse de plus en plus de la campagne vers les villes. Le riche est de moins en moins celui qui « possède des terres », des exploitations agricoles. La richesse est désormais dans les villes, dans les usines et dans les banques. La richesse ne se compte plus en hectares, mais en actions, en placements boursiers.
La campagne, a été prédominante sociologiquement pendant quasiment la totalité de l’histoire de l’humanité. 2007 marque, à l’échelle mondiale, le basculement de la majorité de la population qui habite désormais les villes… les paysans devenant minoritaires.
LA TERRE NOURRICIERE
Les temps de crises dont le capitalisme est coutumier renvoient inéluctablement à ce qu’il y a d’essentiel pour l’être humain, comme pour toutes les autres espèces, le rapport à la terre.
L’adage, « la terre qui ne ment pas », cher à la Révolution Nationale du régime Pétain, rappelle étrangement le précepte des Physiocrates du 18e siècle qui proclamaient face à la montée de la nouvelle classe sociale, la bourgeoisie, qui allait réaliser la révolution industrielle : « Seule la terre crée de la valeur ».
La deuxième guerre mondiale, et ses restrictions, illustre parfaitement ce retournement vers la terre pour des populations urbaines en peine de ravitaillement. « Il y a toujours à manger sur la table du paysan ». C’est l’époque durant laquelle le paysan est réhabilité dans les esprits, les cœurs et… les estomacs. La rusticité vaut alors beaucoup plus que l’urbanité.
Le développement économique de l’espèce humaine et ses vicissitudes ne saurait finalement faire totalement oublier le lien charnel, essentiel, vital qui relie l’homme à la terre.
Le caractère dévalorisé, et dévalorisant, de la rusticité n’est que le reflet d’une vision trompeuse de l’urbanité. Cette dernière a créé des canons de beauté, une esthétique originale qui a la prétention d’être en rupture avec ce qu’il y a de simple et primaire : le rapport à la terre, à la nature.
Les dérives industrielles de l’urbanité censées exprimer sa supériorité sur la rusticité,… exemple les cultures « hors sols » – et ce n’est qu’un exemple – tournent à la farce, voire à la décadence et à la tragédie quand elles ont des implications sur la qualité des aliments, le goût –plutôt le « non goût » et plus gravement sur la santé.
Le besoin d’un « retour à l’authentique » remet en question les principes de l’urbanité qui les faits apparaître comme des artifices, à terme insupportables. La rusticité rythme alors, à nouveau, et dans un contexte progressiste, avec qualité et respect de ce qui fait une bonne part de l’essentiel de l’existence : le bien vivre.
Les excès de l’urbanité, de l’industrialisation à outrance, de l’asservissement du rural aux lois du capital et du marché ont abouti à des catastrophes sanitaires point de départ d’une, il est vrai encore, timide, prise de conscience.
Il est trop tôt pour diagnostiquer un reversement des mentalités et des pratiques, mais le gouffre vers lequel nous entraîne le système capitaliste mondialisé et hyper industrialisé contribue à une réflexion et même à des pratiques qui montrent que le développement actuel ne saurait se poursuivre de manière linéaire.
Le saccage de la campagne, corrélatif à celui plus général de l’environnement, a atteint un degré critique. Il est temps de réagir !
Janvier 2013 Patrick MIGNARD
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