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Les « Lumières » pourraient-elles déboucher sur le néant…?

Publié le mercredi, 28 novembre 2012 dans Non classé

Ci-dessous le texte d’un exposé qu’avait fait notre camarade Marc Atteia (Les Alternatifs 31) à Carcassonne en juillet 2010 sous le titre :
« Quand l’arbre de la Raison cache la forêt du non-sens. Les « Lumières » pourraient-elles déboucher sur le néant…? »

Quand l’arbre de la Raison cache la forêt du non-sens.

Les « Lumières » pourraient-elles déboucher sur le néant…?

par Marc Atteia, juillet 2010

Pemière partie . Les temps modernes

1. Au 19° siècle, le rêve primordial. Emile Zola et Karl Marx.

 Le 19° siècle fut le siècle des prophètes de la religion du Progrès. Ils annonçaient un monde nouveau. Leurs écrits nourrissent encore aujourd’hui l’imaginaire de beaucoup d’hommes et de femmes de bonne volonté.

Parmi tous ces prophètes j’en ai distingué deux qui sont aux extrémités d’un spectre très large.

Je voudrais vous lire un texte de chacun d’eux,.

Tout d’abord, ce texte d’Emile Zola, messianique onirique et irénique, extrait de son livre « Paris », paru en 1897 :

« […] Bertheroy se récria. Et ce grand savant officiel, ce membre de l’ Institut, renté, pourvu de toutes les charges et de tous les honneurs, montra le petit moteur avec une passion où se retrouvait la vigueur de ses soixante-dix ans.

 » Mais c’est ça qui est la révolution, la vraie, l’unique ! C’est avec ça , et non avec les bombes stupides qu’on révolutionne le monde ! Ce n’est pas en détruisant , c’est en créant, que vous venez de faire un acte révolutionnaire !… Et que de fois je vous l’ai dit, la science seule est révolutionnaire, la seule qui, par dessus les pauvres évènements politiques, l’agitation vaine des sectaires et des ambitieux, travaille à l’humanité de demain, en prépare la vérité, la justice, la paix !…

Ah, mon cher enfant si vous voulez bouleverser le monde en essayant d’y mettre un peu plus de bonheur, vous n’avez qu’à rester dans votre laboratoire, car le bonheur humain ne peut naître que de votre fourneau de savant. »

[…] Si le monde antique avait eu Rome, maintenant agonisante, Paris régnait souverainement sur les Temps Modernes, le centre aujourd’hui des peuples, en ce continuel mouvement qui les emporte de civilisation en civilisation, avec le soleil de l’est à l’ ouest.

Il était le cerveau, tout un passé de grandeur l’avait préparé à être parmi les villes, l’initiatrice, la civilisatrice, la libératrice.

Hier, il jetait aux nations le cri de liberté, il leur apporterait demain la religion de la science, la justice, la foi nouvelle attendue par les démocraties. Il était la bonté aussi, la gaieté et la douceur, la passion de tout savoir, la générosité de tout donner. En lui, dans les ouvriers de ses faubourgs, parmi les paysans de ses campagnes, il y avait des ressources infinies, des réserves d’hommes où l’avenir puisait sans compter. Et le siècle finissait par lui et l’autre siècle commencerait, se déroulerait par lui, et tout son bruit de prodigieuse besogne, tout son éclat de phare dominant la terre, tout ce qui sortait de ses entrailles en tonnerres, en tempêtes, en clartés victorieuses, ne rayonnait que de la splendeur finale dont le bonheur humain serait fait.

Marie eut un léger cri d’admiration, montrant Paris du geste.

« Voyez donc ! Voyez donc ! Paris tout en or, Paris couvert de sa moisson d’or !

[…] Paris flambait, ensemencé de lumière par le divin soleil, roulant dans sa gloire la moisson future de vérité et de justice.

Voici le deuxième texte qui est un extrait du Manifeste du Parti Communiste de Karl Marx (de 1848) ( que plusieurs d’entre vous connaissent bien) , texte messianique et révolutionnaire :

 » Jusqu’à nos jours, les prolétaires n’ont rien à sauvegarder qui leur appartienne ; ils ont à détruire toute garantie privée, toute sécurité privée existante.

Tous les mouvements historiques ont été accomplis jusqu’ici par des minorités au profits de minorités. Le mouvement prolétarien est le mouvement spontané de l’immense majorité au profit de l’immense majorité. Le prolétaire, couche infèrieure de la société actuelle, ne peut se soulever, se redresser, sans faire sauter toutes les couches superposées qui constituent la société officielle.

Les communistes ne s’abaissent pas à dissimuler leurs opinions et leurs projets. Ils proclament ouvertement que les buts ne peuvent être atteints que par le renversement violent de tout l’ordre social traditionnel.

Que les classes dirigeantes tremblent à l’idée d’une révolution communiste !

Les prolétaires n’ont rien à y perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à y gagner.

Prolétaires de tous les pays unissez-vous !

2. Au 19° et 20° siècles, l’édification du nouveau monde sous l’égide de la Science.

Pour édifier le nouveau monde qu’annonçait les thuriféraires du Progrès, plusieurs chantiers furent ouverts au cours des 19° et 20° siècles.

La liste en est longue. La plupat de ces chantiers – phalanstères coopératives – furent de tailles modestes et leur durée éphémère.

Deux chantiers immenses furent ouverts par les communistes russes puis chinois. C’est le chantier ouvert par les soviets qui prétendait incarner la vision messianique de Karl Marx qui dura le plus longtemps. Il débuta en 1917 se termina en 1991 et s’étendit sur la moitié du Globe.

 

3. Au 20° siècle, le rêve primordial tourne au cauchemar.

Emile Zola pensait qu’avec l’avènement de la pensée scientifique, l’obscurantisme n’aurait plus d’emprise sur les sociétés humaines, que la Science apporterait à l’humanité la vérité, la justice et la paix. Il pensait que Paris serait l’initiatrice des nations, la libératrice, la civilisatrice.

Or, qu’advint-il ?

Au nom de sa mission civilisatrice la France colonisa une grande partie de l’Afrique et de l’Asie, faisant des indigènes de ces pays des serfs à son service ;au nom de la liberté, elle s’engagea dans un conflit sans merci qui embrasa toute notre Planète ; au cours de ce conflit les chercheurs scientifiques français mirent tout leur savoir à la disposition de l’Armée pour perfectionner et inventer des armements de plus en plus destructeurs et meurtriers.

Karl Marx, lui, pensait qu’avec l’avènement de la société communiste, finirait l’abêtissement du peuple par les enseignements du clergé ; que ces guerres au cours desquelles des hommes et des femmes se référant au même dieu se combattaient à mort ne se produiraient plus ; que c’en serait fini des système policiers des Inquisitions.

Or, qu’advint-il en URSS phare de la révolution communiste prolétarienne ?

Le gouvernement ordonna le massacre de millions de paysans qui refusaient de se plier à ses diktats ;

il instaura un système policier qui quadrilla la société soviétique, élimina physiquement et sans jugement les opposants au pouvoir politique ou les envoya grossir les rangs des millions de prisonniers du Goulag et il fit bien d’autres infamies,

Il en fut de même en Chine communiste et dans d’autres pays se réclamant du marxisme…

Et, en Europe, au cours des guerres de 14-18 et 39-45 s’affrontèrent avec une égale férocité les prolétaires des nations belligérantes.

 

Deuxième partie. Le temps de l’hypermodernité.

 

6. La vision prométhéenne de Frédéric Nietzsche.

Il y a plus d’un siècle Frédéric Nietzsche prophétisait:

« Nous harmoniserons la nature tout en la délivrant de son travesti divin. Nous lui prendrons ce qui nous est nécessaire pour porter nos rêves au-delà de l’homme. Il naîtra une chose plus grande que l’orage, la montagne ou la mer. »

Aujourd’hui, dans la Ville planétaire qui soude, agrège toutes les agglomérations de la Terre entre elles, des savants arrachent à la Nature de nouveaux secrets, des ingénieurs inventent des matèriaux et des produits étonnants, des techniciens inventent et fabriquent de nouvelles machines, des biologistes créent des êtres nouveaux, des médecins tentent de repousser sans cesse plus loin les limites physiques et intellectuelles des êtres humains.

Des millions de robots peuplent La Ville planétaire où ils pénètrent dans les foyers même les plus pauvres.

La Ville planétaire peut être comparée à un être vivant.

Le Cyberespace en est le système nerveux central.

C’est Lui qui a permis l’édification de l’industrie nucléaire militaire et civile des pays nucléarisés, la réalisation des programmes spatiaux des grandes puissances mondiales, etc.

Il ordonne et coordonne toutes les activités machiniques du monde informatique qui se complexifie chaque jour.

L’âme de la Ville planétaire siège dans le Cybercerveau.

Le Cybercerveau conditionne l’évolution de la Ville planétaire.

Il est le receptacle d’informations de plus en plus précises et complètes concernant un nombre croissant de terriens; chacun d’eux est identifiés par le Cybercerveau à un code numérique qui cerne au plus près sa personnalité, dans toutes ses dimensions.

Aux êtres humains qui ne discernent pas la finalité du dessein de la Nature, le Cybercerveau propose un dessein intelligible, apparemment rationnel qui les rassure, les fascine, les passionne ou les enfièvre.

C’est le technocapitalisme, dernier avatar du capitalisme qui donne maintenant à la Ville planétaire son extraordinaire dynamisme, son exubérante vitalité. Il possède la prodigieuse fécondité de la technoscience alliée à « l’esprit d’entreprise du capitalisme ».

  Troisième partie : l’ère de la fin ?

7. L’homme en état de servage.

Comme les philosophes des Lumières, nous rêvons de liberté, d’égalité, de fraternité et de paix .

Or, aujourd’hui, le plus grand nombre est de plus en plus exploité, aliéné, abusé, contraint à un effort épuisant pour ne pas sombrer dans l’insignifiance, la précarité ou la misère, victime des prétendues « lois inexorables » du « marché » et de la « concurrence » et soumis à une propagande qui nous martèle en tous lieux et en tout temps.

La Ville planétaire, « éclairée », guidée par le Cybercerveau, est un monde à la logique algorithmique inflexible, à l’éthique inhumaine.

Grâce à la Science, nous avons brisé les chaînes qui tenaient notre entendement captif et nous voici en état de servage.

8. Le groupe 2040.

La revue Esprit a consacré son numéro de mars-avril 2008 à une réflexion sur « le temps des catastrophes ».

Dans l’introduction à ce numéro, sous-titrée : « penser les catastrophes », est annoncée la création d’un « groupe 2040 » qui se présente ainsi :

«Notre temps semble être celui non pas seulement de « la » mais des catastrophes, climatiques, économiques ou politiques, sociales ou médicales.

Cette diversité de catastrophes non seulement nous oblige à les prendre en considération mais nous permet aussi de les penser et de mesurer les différents usages politiques qui en sont faits. C’est le défi que le groupe 2040 s’est lancé.

[…] Nous avons choisi 2040 parce que cette année devrait marquer, à en croire certains experts, un tournant dans de multiples domaines (épuisement des ressources fossiles, réchauffement climatique et autres)

[…] Le discours sur les catastrophes fait office de réorganisation du discours politique et de l’action politique.

L’idée de catastrophes semble occuper la place que remplissait hier l’idée de révolution. A travers elle on peut réarticuler la victimité, identifier les nouvelles attentes à l’égard du pouvoir.

9. Après nous le déluge !

L’aveuglement du groupe 2040 est incroyable.

Car la catastrophe qu’il envisage pour 2040 est manifeste dés aujourd’hui ; c’est aujourd’hui qu’elle broie la destinée de millions d’hommes et de femmes dans le monde.

Le 21° siècle s’ouvre sous de funestes auspices: chômage et misères sévissent à grande échelle ; les guerres dites « locales » sont de plus en plus destructrices et de plus en plus meurtrières ; la Terre est une poudrière où s’amassent des armes terribles ; les désordres écologiques, pollutions chimiques et nucléaires, accroissement de l’effet de serre et les maladies qui en résultent s’ajoutent aux inégalités et aux injustices de plus en plus criantes.

Notre génération, enfermée dans son délire prométhéen – contrairement à celles qui l’ont précédées, qui étaient bienveillantes à l’égard des générations qui les suivaient – lègue aux générations suivantes une série de calamités terrifiantes qui seront pour elles d’un poids écrasant pendant des millénaires.

Les « Lumières » nous promettaient des lendemains qui chanteraient ; notre génération a pour slogan implicite : « Après nous le déluge ! « 

10. L’évolution débouchera-t-elle sur le néant ?

 Ce néant n’est pas quelque état de la matière désintégrée ou quelque concept philosophique ou religieux ésotérique.

C’est l’état dans lequel se trouverait le monde après une guerre nucléaire planétaire ou bien encore une pandémie accidentelle sans remède ou une élévation de la température atmosphérique de quelques degrés centigrades ou ?

John Von Neumann, mathématicien éminent qui formula avec Dirac les axiomes fondamentaux de la théorie de la Mécanique quantique, qui fut un des créateurs de la théorie des Jeux et de l’Informatique, écrivait dans les années 1950 :

« Le progrès toujours accéléré de la technologie et les changements dans les modes de vie donnent à penser que nous approchons d’une singularité essentielle dans l’histoire de l’espèce humaine, au-delà de laquelle les affaires humaines telles que nous les connaissons ne pourront pas continuer ».

L’évolution débouchera-t-elle sur le néant ?

Question extravagante, délirante, penseront certains, sûrement.

Question posée déjà sous des formes différentes par des artistes, des philosophes ,des sociologues, des scientifiques, des religieux.

Question dérangeante qui devrait susciter interrogations, réflexions, engagements du plus grand nombre.

Question tellement dérangeante que pour l’escamoter se sont multipliées les stratégies de fuite: lire les évènements du monde de façon anachronique ; fermer les yeux sur tout ce qui se passe hors de notre pré carré ; se réfugier dans une niche intellectuelle, spirituelle, écologique, politique, etc.

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