Notre Dame Des Landes : de la ZAD à Occupy Vinci !
Un article Nicolas Haeringer et Maxime Combes publié dans MOUVEMENTS
La manifestation nationale de réoccupation de la Zone à Défendre de Notre Dame Des Landes, le 17 novembre prochain, est l’occasion de marquer un tournant net et durable dans la mobilisation contre le projet d’aéroport. L’opposition au projet d’aéroport ne concerne pas les seuls riverains. Il est donc crucial de parvenir à construire un mouvement « translocal » d’opposition à l’aéroport. Dont le mot d’ordre pourrait être « Occupy Vinci ».
Les initiatives de soutien aux occupant-e-s de la ZAD (Zone À Défendre) de Notre Dame Des Landes se multiplient ces derniers jours. Pour autant, la répression brutale qui s’est abattue sur les opposant-e-s au projet d’aéroport ne faiblit pas. Elle se transforme en occupation policière continue et harassante. Jusqu’à présent, le gouvernement n’a montré aucun signe laissant entendre qu’il pourrait renoncer au projet.
La manifestation nationale de réoccupation du 17 novembre prochain pourrait marquer un tournant net et durable. La lutte reste pour l’heure essentiellement locale, même si les actions décentralisées de soutien sont de plus en plus nombreuses. Les différents collectifs et organisations impliqués dans l’occupation et l’opposition au projet ont certes multiplié les initiatives ponctuelles – Forum Social Européen contre les grands projets inutiles et imposés, rencontres nationales, etc. À chaque fois, les organisations écologistes, altermondialistes, les libertaires, les autonomes et certains syndicats ont répondu présents. Mais ils ne se sont pas durablement mobilisés.
À ce jour, Notre Dame Des Landes n’est pas (encore) le Larzac des années 2010. Comme si ce qui se jouait depuis des dizaines d’années dans le bocage de la région nantaise ne concernait que les seuls paysans en passe d’être expulsés de leur terre et les riverains du futur aéroport, victime de sa pollution atmosphérique et sonore.
Pourtant, ce qui se joue à Notre Dame Des Landes nous concerne tout-te-s. Les expulsions en cours ne sont pas seulement révélatrices de la logique dans laquelle le gouvernement et le président de la République ont décidé d’inscrire leur action (c’est-à-dire : la force plutôt que la concertation [1]). Elles constituent également un test crucial pour le mouvement social, dont elle met à l’épreuve la capacité à se saisir d’une lutte qui articule enjeux locaux et globaux ; défense de l’environnement ; question sociale et alternatives à la crise économique.
Plus encore, ce projet est exemplaire des principes d’un capitalisme qui ne peut fonctionner que par la prédation des ressources naturelles, la destruction de l’environnement – et le recours à la force montre également que cette prédation finit toujours par s’accompagner d’un déni de démocratie. Il montre en outre l’ineptie de l’idée d’un capitalisme vert – rappelons que le projet d’aéroport a été déclaré « compatible » avec les objectifs du Grenelle de l’environnement par le précédent gouvernement.
Pour le dire autrement, ce qui se joue actuellement à Notre Dame Des Landes est une mise en abime des enjeux politiques, sociaux et environnementaux du quinquennat, ainsi que de l’ensemble des débats autour des scénarios de sortie des crises économique, financière, sociale et écologique.
Notre Dame de La Honte : un projet inutile et dangereux
Le projet d’aéroport de Notre Dame Des Landes pose problème à au moins trois niveaux : climatique, alimentaire, démocratique.
Les prévisions des scientifiques travaillant sur le changement climatique les plus alarmistes apparaissent comme étant en deçà de la réalité. Fonte de la calotte glacière, élévation globale des températures, augmentation du niveau des mers et des océans, ampleur et fréquence inédite des tempêtes tropicales : les conséquences du basculement climatique se font partout sentir. Préparer et organiser l’extension du trafic aérien est, dans ce contexte, un crime contre la planète et ses habitant-e-s.
Il n’est pas nécessaire de rappeler à quel point l’avion est un méga pollueur, ce à au moins trois niveaux. Pour voler, l’avion a besoin de matière fossile. Il est donc un élément majeur de la pression extractiviste qui s’exerce partout dans le monde, dont les sables bitumineux, pétroles de schiste, et autres forages en eaux profondes ne sont que les derniers avatars. En volant, l’avion est un redoutable émetteur de gaz à effets de serre.
Enfin, pour se remplir, il a besoin d’infrastructures routières et autoroutières, et d’une croissance du trafic automobile. Réduire les émissions de gaz à effet de serre passe nécessairement par une diminution du trafic aérien, régional comme international, comme le prouve la très récente étude de Virage Energie Climat Pays de la Loire.
Il faut donc être aveugle pour vouloir construire un nouvel aéroport. Et ce d’autant plus que l’actuel aéroport de Nantes n’est pas saturé et qu’il ne devrait pas le devenir d’après les projections d’experts indépendants [2]. De fait, ce projet de nouvel aéroport n’est pas tourné vers le futur (ne serait-ce que parce qu’il participe à nous préparer une planète sans avenir). Il est une scorie du passé, sortie des cerveaux d’ingénieurs nourris de l’utopie des voyages supersoniques. Le Concorde s’est depuis définitivement posé.
Mais les imaginaires n’ont pas changé, et n’ont pas retouché terre. Jean-Marc Ayrault et François Hollande sont à ce point persuadé que seules de vieilles recettes, à base de croissance soutenue, d’industrialisation galopante et de grandes infrastructures permettront de « redresser » l’économie française, qu’ils sont malgré tout déterminés à aller au bout de ce projet inutile et néfaste.
Ce faisant, ils marquent leur renoncement à toute politique ambitieuse de réduction des émissions de gaz à effet de serre ; en même temps qu’ils prouvent leur incapacité à préparer et à anticiper le pic pétrolier – que les forages non conventionnels ne font que repousser.
En pleine crise alimentaire mondiale, bétonner plusieurs milliers d’hectares de terres agricoles est une aberration totale. Comme avec tous les grands projets inutiles, la production agricole est délocalisée, augmentant la pression au rendement sur d’autres terres.
Rappelons que l’agriculture est polluante à trois niveaux : la production elle-même (lorsqu’elle est industrielle) ; le transport des fruits et légumes vers leur lieu d’achat (le plus souvent via un marché d’intérêt national) ; le déplacement des consommateurs.
Dans le cas d’une production délocalisée et d’un achat effectué en supermarché, la pollution se répartit en trois tiers à peu près équivalents. Relocaliser la production (en promouvant l’agriculture biologique) permet d’agir aux trois niveaux, en faisant baisser la pression aux rendements (permettant de passer à une agriculture qui ne soit pas fondée sur l’utilisation intensive d’intrants chimiques) et en réduisant au maximum la distance entre producteur et consommateur.
En outre, ce projet est une illustration supplémentaire de la collusion des intérêts entre dirigeants politiques, très hauts fonctionnaires et dirigeants de multinationales. Il ne sert pas les intérêts de la population nantaise, mais ceux des multinationales de la construction [3].
Ici, les frontières entre intérêt général supposé, intérêts privés voire intérêts personnels se brouillent et deviennent poreuses. L’ancien préfet de région Pays de la Loire et du département de Loire Atlantique est désormais employé par Vinci. De ce point de vue, le futur de l’actuel aéroport de Nantes pose lui aussi question. S’il est officiellement acquis que la piste devrait être conservée pour des vols industriels d’Airbus (le groupe possède une chaine de montage à St Nazaire), le terrain de l’aéroport et son aérogare devraient néanmoins être restructurés – représentant, à n’en pas douter, l’opportunité d’excellentes affaires immobilières sur lesquels Vinci, Bouygues et consorts ne manqueront pas de se positionner.
Cette collusion s’accompagne d’un véritable déni de démocratie : plutôt que d’entendre l’opposition des habitant-e-s, occupant-e-s et riverains de la ZAD, le gouvernement préfère le passage en force, par la mobilisation de moyens quasi militaires.
Relocaliser les luttes et les imaginaires
Ce coup de force est bien sûr une mise à l’épreuve de la capacité des partis de la gauche du PS (EELV inclus) à peser sur le gouvernement et à se constituer comme une force pouvant faire infléchir ses choix politiques – de l’intérieur du gouvernement pour EELV (on pourra alors vérifier si la participation gouvernementale était un choix politique opportun, ou bien s’il ne s’agissait vraiment que d’assouvir des ambitions personnelles) ; et depuis les assemblées nationale et locale pour le EELV et le Front de Gauche.
Mais l’enjeu principal réside dans notre capacité collective à construire un vaste mouvement social d’opposition à ce projet d’aéroport. Plusieurs facteurs peuvent expliquer pourquoi la lutte contre l’aéroport est jusqu’à présent restée locale. La raison principale est sans doute la suivante : cette lutte remet directement en cause des imaginaires et schémas de pensée qui imprègnent jusqu’aux revendications des militants les plus progressistes.
Le projet d’aéroport repose en effet sur plusieurs contre-vérités, solidement ancrées dans nos représentations, qu’il est indispensable de déconstruire de la manière la plus concrète qui soit. C’est-à-dire : en construisant un vaste mouvement social qui s’appuie sur une lutte spécifique pour transformer nos mentalités et nos revendications.
Parmi ces contre-vérités, l’idée que l’aéroport serait du côté du progrès – technique, économique (via la création d’emplois directs et indirects qu’il engendrerait), mais aussi social : les partisans de l’aéroport ne cessent de défendre la « démocratisation » du trafic aérien. L’aéroport serait un outil indispensable au service de notre mobilité, autrement dit de notre liberté.
Mais c’est une idée fausse : le transport aérien est élitiste est ségrégationnaire. Chaque année, seuls 2 à 3% de la population mondiale a le privilège de faire un voyage aérien international – la démocratisation du transport aérien est donc un leurre. A l’échelle planétaire, il reste l’apanage des privilégiés et des plus riches – les mobiles d’un côté : hommes d’affaire et touristes d’un côté, libres de leurs mouvements ; et, de l’autre, les immobiles, assignés à résidence, qui, lorsqu’ils s’essaient à la libre circulation, se heurtent aux forteresses douanières et policières et ne connaissent des aéroports que leurs zones d’attente et autres centres de rétention.
Dans son texte « Énergie et Équité », Ivan Illich a brillamment analysé comment l’accélération des déplacements engendre de profondes inégalités. La vitesse implique en effet le développement d’une infrastructure spécifique, qui organise, spatialement comme socialement, la discrimination entre les mobiles et les immobiles. Loin d’être synonyme de liberté, l’accélération (et le progrès technique) instaure de nouvelles entraves. La modernisation des infrastructures implique une augmentation du prix des transports. Le maillage territorial par ces infrastructures modifie l’organisation spatiale de la société, et privilégie le fonctionnement par nœuds, qui concentrent l’essentiel du trafic rapide, à partir desquels il est ensuite redistribué vers les zones d’importance secondaires (si le TGV facilite les déplacements de métropole à métropole, le coût de son développement et de son entretien est tellement élevé que les liaisons TER de métropole à zone rurale sont délaissées).
Lutter contre ce projet d’aéroport, et, plus généralement, contre les autres grands projets inutiles (liaison grande vitesse, liaison autoroutière, etc.) implique de relocaliser et ralentir nos imaginaires. Il nous faut collectivement reconnaître que ces infrastructures, qui nous facilitent tellement la vie, sont tout autant sources de discriminations et d’inégalités.
L’utopie de la liberté effective de déplacement et d’installation ne se réalisera pas au moyen du progrès technique. La tâche est ici ardue. Hommes d’affaires et autres traders sont bien entendu les premiers usagers des aéroports. Mais le trafic aérien ne s’est pas développé à partir des seuls déplacements d’affaire. Il est indissociable de l’imaginaire lié aux congés payés. Les charters remplis de salariés sous pression 11 mois sur 12 désireux de se détendre à l’autre bout de la planète pendant le mois restant y contribuent également.
La lutte contre l’aéroport de NDDL nous renvoie donc aussi à nos propres choix. Cette relocalisation de nos imaginaires ne se fera pas sans heurts et sans tensions – y compris au sein des mouvements les plus progressistes. L’indispensable horizon de la solidarité internationale y passe trop souvent par les aéroports internationaux.
Inventer des formes de solidarité « translocale », autrement dit relocaliser les luttes sans pour autant démondialiser les revendications et les solidarités est le défi auquel ces mouvements doivent désormais s’atteler.
Occupy Vinci !
La lutte contre l’aéroport de Notre Dame Des Landes est, dans cette perspective, une excellente opportunité d’expérimenter ces formes nouvelles de solidarité translocale. La ZAD de Notre Dame Des Landes s’apparente en effet à une déclinaison rurale du mouvement « Occupy » et de la lutte des 99% contre les 1% : une mobilisation directement ancrée dans une occupation, qui, dans sa résistance comme dans l’expérimentation de pratiques alternatives, pose des problèmes globaux.
À partir du bocage nantais, il s’agit en effet de lutter contre tous les « grands projets inutiles et imposés », pour la préservation des terres cultivées, et, bien entendu, contre le réchauffement climatique. Les opposant-e-s au projet d’aéroport en ont eux-mêmes posé les premiers jalons, en participant directement à la création d’un réseau international de lutte contre les « grands projets inutiles et imposés ». Les organisations du mouvement social doivent désormais à leur tour inventer ce que pourrait être la branche urbaine de la lutte contre l’aéroport.
L’omniprésence de Vinci sur l’ensemble du territoire en fait la cible idéale d’actions décentralisées. « Occupy Vinci » pourrait ainsi devenir le mot d’ordre de celles et ceux qui luttent contre l’aéroport de Notre Dame Des Landes. Occupy Wall Street nous a rappelé la puissance de l’occupation des interstices urbains : s’immobiliser durablement dans des espaces de transit et de flux, qui sont tout entiers dédiés au passage rapide permet d’engager des conversations politiques d’une intensité et d’une diversité rares, tout en articulant construction de rapport de forces et réflexion sur les comportements individuels.
En occupant, de manière ponctuelle (chaque semaine, à heure fixe), ou durable ; des infrastructures Vinci (entrées de parking, chantiers, etc.) le mouvement de solidarité avec les occupant-e-s de la ZAD pourrait ainsi contribuer à renforcer la lutte contre le projet d’aéroport, et, de là, sur les alternatives à la crise dont l’aéroport est l’antinomie : relocalisation, défense de l’agriculture paysanne, rupture avec le mythe de la croissance infinie.
Vive la ZAD ! Occupy Vinci !
Notes
[1] Le préfet a ainsi déclaré : « Si la République n’est pas capable de reprendre ce terrain, il y a de quoi s’inquiéter pour la République »
[2] L’inutilité du projet a été démontrée par des études indépendantes :http://aeroportnddl.fr/articles. php…
[3] Vinci, mais aussi les groupes qui seront retenus pour réaliser les infrastructures routières et autoroutières de desserte de l’aéroport.
Publié par Mouvements, le 6 novembre 2012.
http://www.mouvements.info/Notre-Dame-Des-Landes-de-la-ZAD-a.html
Soyez le premier à poster un commentaire.