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Devoir de Vacances n°11 : Lutte des classes et décroissance. Jean-Luc Pasquinet

Lutte des classes et décroissance. Jean-Luc Pasquinet

« la lutte de classes concrètement, c’est tout ce que nous vivons. »

Michel Foucault

 

Introduction :

La « lutte des classes » a beaucoup évolué, mais grossièrement on peut dire que l’on est passé d’une vision économiste à une vision critique de l’économisme, où l’on va privilégier la façon de penser des acteurs de la société sur leur rôle dans l’activité économique, ou bien le corps, les désirs et les luttes contre les pouvoirs pour le libérer. Dans la vision de départ, l’Etat est un arbitre ou un lieu à prendre, alors que dans la seconde l’Etat n’est plus qu’un pouvoir parmi d’autres, un pouvoir à combattre.

 

1 – D’une vision « économiste »….

La lutte des classes est une théorie qui explique les enjeux et les tensions dans une société divisée en classes sociales, chacune luttant pour améliorer sa situation sociale et économique de façon conflictuelle, car leurs intérêts sont radicalement divergents.

Ce concept est apparu au XIXe siècle chez les historiens libéraux français de la Restauration, François Guizot, l’initiateur, Augustin Thierry, Adolphe Thiers et François-Auguste Mignet, auxquels Karl Marx l’a emprunté.

Dès le départ il s’agit d’une vision économiste, pour les libéraux on oppose ceux qui payent des impôts et qui veulent en payer moins à ceux qui bénéficient de ces impôts et voudraient les augmenter.

Pour Karl Marx, dans une société capitaliste, les classes s’opposent pour des raisons économiques, dans la sphère de la production. Les capitalistes possèdent les moyens de production et ainsi peuvent exploiter les travailleurs qui n’ont que leur travail à proposer. 

Les classes en compétition sont des entités de l’activité économique,  le résultat de la production de moyens de production[1]. Le capital permet le travail et le travail génère du capital, et vice-versa. Il s’agit donc d’un mouvement réversible restreint à la sphère de production, où l’on ne se préoccupe ni des ressources naturelles en amont, ni des déchets en aval.

Comme on peut le voir, la lutte des classes n’est pas une création de Karl Marx. Celui-ci n’a d’ailleurs pas inventé grand-chose, il a plus fait un travail colossal de synthèse, mais en reprenant des créations émises souvent par des libéraux, pour les critiquer, les « dépasser ».Ceci n’enlève rien à ses mérites et au respect que l’on peut avoir pour cet homme qui a consacré sa vie à parfaire un travail commencé par les Lumières.

En ce qui concerne la lutte des classes, Karl Marx a juste élargi la notion dans le passé et dans le futur.

Karl Marx affirme, notamment dans le Manifeste du Parti communiste, que l’histoire des sociétés humaines a pour moteur la lutte des classes, et qu’à terme la bourgeoisie doit disparaître.

Dans Études philosophiques (publié en 1951), il nie explicitement la paternité du concept et explique comment il l’a enrichi:

  • la lutte des classes est une simple phase de l’histoire,

  • qui mène nécessairement à la dictature du prolétariat,

  • elle-même simple transition vers la société sans classe.

Marx se fonde sur la même idée que Hegel selon laquelle l’histoire a un sens et une fin. La fin de l’histoire correspond à l’achèvement de l’humanité, dans une société sans classe.

Aux annonces messianiques de fin de la lutte des classes (donc fin/aboutissement de l’Histoire) dans la société socialiste, s’oppose la conception maoïste  pour qui la lutte des classes est un principe éternel indépassable. Pour un Chinois où dans la pensée chinoise tout tourne autour de la lutte entre le yin et le yang, cet aboutissement n’est donc pas étonnant.

2 – Vers une vision antinéconomiste de la lutte des classes.

 

La crise de 1929, se développa comme l’avaient prévus les marxistes. A la suite d’une accumulation de capital, le travail ne suivant pas au même rythme, car il est un coût pour le capitaliste, il y eut une baisse tendancielle du taux de profit, ce qui engendra une chute des investissements, la vente des actions, des faillites, du chômage et finalement une crise de surproduction.

Jusque là tout était conforme à la théorie, malheureusement au lieu d’une crise finale du capitalisme on a vu apparaître le nazisme, le fascisme, bref des mouvements nationalistes et d’exclusion qui n’avaient pas été prévus par la théorie et qui étaient soutenus par une partie très importante de la population laborieuse. Adolf Hitler a vu son parti recueillir le suffrage de 40 % des électeurs, ce qui lui as permis d’ obtenir  la majorité relative.

Par conséquent la crise du capitalisme a débouché sur le nazisme et plus récemment certains pensent qu’elle pourrait déboucher sur la barbarie, voire la disparition de l’humanité.[2]

Tout cela engendra des questions sur le marxisme,notamment chez les « conseillistes », ceux que Lénine traita de « gauchistes » dans un texte publié en 1920, parce qu’ils s’opposaient au pouvoir du Parti et promouvaient l’autogestion ; Karl Korsch notamment développa une critique « marxiste » du marxisme. Puis vinrent des réflexions s’éloignant du marxisme pur, et intégrant le freudisme, le gestaltisme, etc.…comme dans les textes de l’école de Francfort, une analyse de moins en moins économiste et de plus en plus axée sur les façons de penser des gens, voir ethnologiques, certains évoquent une « civilisation bourgeoise »…

Pour Herbert Marcuse dans « L’homme unidimensionnel », la société capitaliste a développé de nouveaux moyens de contrôles, un langage réifié et in fine totalement intégré le prolétariat à son monde. Il s’agirait pour lui de l’aboutissement de la société nazie.

Seul les outsiders (on ne parle pas encore des « exclus »), la jeunesse pourraient constituer une opposition au Système. « Il est d’une importance qui dépasse de loin les effets immédiats que l’opposition de la jeunesse contre la « société d’abondance » lie rébellion instinctuelle et rébellion politique. La lutte contre le système, qui n’est portée par aucun mouvement de masse, qui n’est impulsée par aucune organisation effective, qui n’est guidée par aucune théorie positive, gage dans cette liaison une dimension profonde qui compensera peut-être un jour le caractère diffus et la faiblesse numérique de cette opposition. »[3]

Il pense que la « société industrielle avancée » crée des besoins illusoires (false needs) qui permettent d’intégrer les individus au système de production et de consommation par le truchement des mass media, de la publicité et de la morale. La conséquence en est un univers de pensée et de comportement « unidimensionnel », au sein duquel l’esprit critique ou les comportements antisystémiques sont progressivement écartés. À l’encontre de ce climat ambiant, Marcuse se fait le champion d’une « négation intégrale » (great refusal), seule opposition adéquate aux méthodes de contrôles de la pensée en cours. Une grande partie de l’ouvrage consiste en une défense de cette « pensée négative » comme force de fracture contre le système positiviste.

Marcuse rend également compte de l’intégration de la classe ouvrière industrielle dans la société capitaliste et des nouvelles formes de la stabilisation du capitalisme, remettant ainsi en question les postulats marxistes d’une nécessaire crise du capitalisme et révolution prolétarienne. Contrastant avec la doctrine orthodoxe marxiste, Marcuse met de surcroît en valeur la force non intégrée des minorités, des outsiders, et des intelligentsias radicales, dans l’espoir de nourrir la pensée critique d’opposition.

Nous passerons rapidement sur les thèses situationnistes qui remettent en cause la notion de révolution comme prise du pouvoir de l’Etat et développent une critique de l’économisme, au nom de la « conscience ». La conscience, c’est une application de la dialectique à une dénonciation de la conservation de l’inconscient que contient la société du Spectacle. L’inconscient étant représenté par tout ce qui est fait pour maintenir un mode de production d’objets inutiles à seule fin de conserver le Système, alors que les changements pratiques des conditions de l’existence pourraient permettre d’avoir l’abondance sans la démesure, sans l’aliénation.

Nous nous étendrons un peu plus sur les thèses de Toni Négri relatives à la « multitude », dans le numéro 9 de « Multitudes » on trouve les définitions suivantes :

Il est nécessaire d’insister un peu plus sur la différence séparant le concept de multitude de celui de peuple. La multitude ne peut être saisie ni expliquée dans les termes du contractualisme (par contractualisme, j’entends moins une expérience empirique que la philosophie transcendantale à laquelle il aboutit.). Dans son sens le plus général, la multitude se défie de la représentation, car elle est une multiplicité incommensurable(….). La multitude n’est pas, comme le peuple, une unité, mais par opposition aux masses et à la plèbe, nous pouvons la voir comme quelque chose d’organisé. C’est en effet un acteur actif d’auto organisation. Un des grands avantages du concept de multitude est ainsi de neutraliser l’ensemble des arguments modernes basés sur la « crainte des masses » ou sur la « tyrannie de la majorité », arguments souvent utilisés comme une forme de chantage pour nous contraindre à accepter (voir même à réclamer) notre propre servitude.

Du point de vue du pouvoir, que faire de la multitude ? En fait le pouvoir ne peut strictement rien en faire, car les catégories qui intéressent le pouvoir ont été mises de côté : unité du sujet (peuple), forme de sa composition (contrat entre les individus) et mode de gouvernement (monarchie, aristocratie et démocratie, simples ou combinées). La modification radicale du mode de production advenue à travers l’hégémonie de la force de travail immatérielle et du travail vivant coopératif – révolution ontologique, productive et bio politique au sens plein du terme – , tout cela a complètement renversé les paramètres du « bon gouvernement », et détruit l’idée moderne, depuis toujours désirée par les capitalistes, d’une communauté fonctionnant en vue de l’accumulation capitaliste.

Rappelons pour finir que le premier matériau de la multitude est la chair, c’est-à-dire la substance vivante commune dans laquelle corps et intellect coïncident et sont indiscernables. « La chair n’est pas matière, n’est pas esprit, n’est pas substance », écrit Merleau Ponty. « Il faudrait, pour la désigner, le vieux terme d’ »élément », au sens où on l’employait pour parler de l’eau, de l’air, de la terre et du feu, c’est-à-dire au sens d’une chose générale (…). La chair est en ce sens un « élément » de l’être ». Telle la chair, la multitude est donc pure potentialité, elle est la force non formée de la vie, un élément de l’être. Telle la chair, la multitude est elle aussi orientée vers la plénitude de la vie. Le monstre révolutionnaire qui a pour nom multitude, et qui apparaît à la fin de la modernité, veut continuellement transformer notre chair en nouvelles formes de vie.

Bref là encore on dépasse la strict définition économiste pour une définition intégrant le corps et ses désirs….On dépasse aussi la séparation entre classes pour partir des corps, d’un ensemble d’individus constituant la « multitude ». La lutte des classes ne débouche plus sur la dictature du prolétariat, mais sur la liberté de réaliser ma singularité.

La liberté en effet, comme libération à l’égard du commandement, n’est matériellement donnée que par le développement de la multitude et par sa constitution comme corps social des singularités.

Comme chez Michel Foucault, quand il s’agit de «lutte des classes », il est  de plus en plus question de pouvoir et de pouvoir sur les corps, par les autres, différent de celui coercitif de l’Etat,:

Michel Foucault : « Moi ce que je voudrais essayer de saisir, c’est le pouvoir. Non pas tel qu’on l’entend d’ordinaire, cristallisé dans des institutions ou dans des appareils, mais si vous voulez, le pouvoir en tant qu’il est à travers tout un corps social, l’ensemble de ce que l’on peut appeler la lutte de classes. Pour moi, à la limite, je dirais, le pouvoir, c’est la lutte de classes, c’est-à-dire l’ensemble des rapports de force, c’est-à-dire des rapports forcément inégalitaires, mais également changeants, qu’il peut y avoir dans un corps social et qui sont les actualisations, les drames quotidiens de la lutte de classes.

Ce qui se passe dans une famille par exemple, les rapports de pouvoir qui s’y jouent entre parents et enfants, mari et femme, ascendants et descendants, jeunes et vieux, etc., ces

rapports de force, ces rapports de pouvoir sont des rapports de force qui, d’une manière ou d’une autre, – et c’est ça qu’il faut analyser-, sont la lutte de classes. C’est-à-dire que, c’est là où est peut-être le point difficile et que vous n’admettriez pas, je ne dirais pas : il y a une lutte de classes comme ça, à un certain niveau fondamental, dont le reste n’est que l’effet, la conséquence, mais que la lutte de classes concrètement, c’est tout ce que nous vivons.[4] »

Bref la lutte des classes est sortie de l’entreprise pour entrer dans la famille, dans le corps social, dans les relations entre l’homme et la femme, c’est devenu une critique du pouvoir en général et plus seulement une simple lutte messianique entre deux classes, dont le destin de l’une est de disparaître.

On s’éloigne totalement de la vision marxiste du pouvoir qui est quelque chose à prendre, il est maintenant question de remise en cause de tous les pouvoirs, pas de les prendre : la lutte des classes comme lutte contre les pouvoirs.

3- Dans ces conditions que signifie la lutte des classes pour les décroissants ?

 

  • Sortir de l’économisme :

 

1 – Les décroissants veulent sortir de l’économisme, ils ne peuvent donc que s’opposer à une vision de l’histoire comme lutte entre entités économiques.

2-  Et pourtant la « pauvreté », les « pauvres » existent, c’est indéniable, mais apparemment ils ne veulent pas détruire la bourgeoisie, quand on regarde les luttes récentes, la plupart du temps, les travailleurs se battent pour trouver un « repreneur », un entrepreneur différent qui à la longue délocalisera…Les pauvres veulent être intégrés au monde de la bourgeoisie. Quand on dit que la victoire de la bourgeoisie est totale cela signifie que les peuples du monde entier désirent la modernité qui est de moins en moins occidentale. Par conséquent, même si on peut parler de « pauvres » et de « riches », il s’agit de notions à manipuler avec précautions et peut-être pas très opératoires en ce qui concerne la réalisation de la « lutte des classes ».

  • Sortir du messianisme, sortir de l’Histoire :

 

3 – Si la lutte de classe n’est plus la lutte entre le « pauvre » et le « riche » dans ce cas on pourrait évoquer des luttes entre le yin et le yang, entre deux forces toujours à redéfinir. Par ailleurs, cette vision « maoïste » de la lutte des classes ne peut pas déboucher sur la fin de la lutte des classes mais toujours sur une opposition recommencée entre deux équilibres précaires. Dans ce contexte, la lutte des classes viserait à obtenir un équilibre social, une harmonie provisoire.

4 – Si les décroissants ne croient pas que l’Histoire débouche sur la dictature du prolétariat et le communisme, alors l’histoire n’a pas de sens prédéfini, l’homme est libre, même si la conscience de l’histoire est une conscience dans l’histoire. Tout au plus les décroissants peuvent-ils croire que le seul sens de l’histoire c’est un mouvement irréversible de disparition de ressources rares et donc que la disparition de l’humanité est possible si l’on n’invente pas une organisation permettant de contrecarrer ce mouvement.

Paradoxalement l’homme dans cette acception n’a plus à aller dans le sens de l’histoire mais bien au contraire il se doit de le contrecarrer afin de pouvoir survivre. L’histoire est de plus en plus imbriquée dans la géologie, c’est devenu de la géographie…

  • Sortir de l’Etat, sortir des pouvoirs :

 

5- Les décroissants devraient aussi traiter des relations de pouvoir au-delà de celle entre l’Etat et le peuple, mais considérer les relations entre l’homme et la femme, et sans doute entre le Système technicien et l’homme.

6- Les thèses foucaldiennes sur le « biopouvoir »[5] devraient aussi être intégrées et digérées par les objecteurs de croissance. Elles remettent en cause la lutte de classe comme simple prise du pouvoir de l’Etat et nous obligent à réfléchir sur les relations de pouvoir que nous avons tendance à mettre en œuvre dans nos relations quotidiennes pour les comprendre et les changer, sur la relation entre le système technicien et l’Etat pour assurer la discipline.

  • Sortir du désir de puissance :

 

7 – Une autre notion devrait aussi être intégrée c’est celle de « reconnaissance sociale » comme élément moteur de l’activité humaine. Ce désir d’être aimé est intimement lié à un désir de puissance et il est décuplé, encouragé dans la société du spectacle dans laquelle nous vivons, alors qu’auparavant les sociétés ont toujours mis en œuvre des procédures pour limiter ce désir de puissance. La réflexion des décroissants devrait aussi intégrer cette vision pour voir comment satisfaire l’Ego des individus sans que la concurrence pour la « reconnaissance sociale » ne débouche sur la guerre.

  • Sortir une communication ; au choix :

 

8 – Pour terminer, les décroissants veulent créer un front antiproductiviste et se situer à gauche ; pour cela ils sont obligés de travailler avec les seuls groupes critiques de la société actuelle. Eu égard aux considérations précédentes, comment les décroissants doivent-ils s’adresser à ces groupes pour espérer être entendus sans se renier ? C’est donc un travail de communication qui devrait aussi être entrepris.

Ou

9 – Le principal problème des objecteurs de croissance c’est la peur de se lancer dans une nouvelle forme de communication relative au pouvoir. Quand les socialistes utopistes, les marxistes, les anarchistes ont commencé leur aventure, ils n’ont pas hésité à mettre en avant leurs thèses, faisant fi de savoir si on allait les taxer d’ « intello » ou non, de « grands Seigneurs » ou non. Autrement dit, ils n’ont pas eu peur de d’exprimer leurs idées, ils n’ont pas pensé les tronquer pour séduire.

En guise de conclusion :

A l’issue de ce petit voyage au sein de la lutte des classes on peut se demander si comme la notion de « service public » elle ne s’est pas dissoute au cours du temps, et si finalement elle ne serait plus qu’une lutte sans fin et toujours renouvelée contre les pouvoirs ou le désir de puissance.

Un autre problème à résoudre c’est la relation à l’histoire, si elle devient une course effrénée vers la catastrophe, comment les objecteurs de croissance pourraient soutenir la lutte des classes qui justement parie sur le mouvement historique pour obtenir l’émancipation ?

Dans ces conditions,il serait nécessaire pour ceux qui voudraient malgré tout sauver la notion de poser des limites, de « recadrer » la notion, afin de la rendre de nouveau opératoire.


[1]              « Le capitalisme ne peut exister sans bouleverser constamment les instruments de production , donc les rapports de production, donc l’ensemble des conditions sociales »…. « Manifeste du Parti Communiste »

[2]              Paul Aries, A. Meheutz, etc…

[3]              «  L’homme unidimensionnel . Sur l’idéologie de la société industrielle avancée. » H. Marcuse Ed. de Minuit 1964

[4]           Entretien inédit entre Michel Foucault et quatre militants de la LCR, membres de la rubrique culturelle du journal quotidien Rouge (juillet

                1977)

[5]              Foucault repère une transformation du pouvoir lorsque la vie entre dans ses préoccupations à partir du XVIIIe siècle. Il appelle « bio-pouvoir » les techniques spécifiques du pouvoir s’exerçant sur les corps individuels et les populations, hétérogènes aux mécanismes juridico-politiques du pouvoir souverain. D’où l’importance du pouvoir médical dans le débordement du pouvoir disciplinaire et le passage au biopouvoir. Le pouvoir médical assure la jonction entre le pouvoir disciplinaire et le biopouvoir. En prenant en charge la vie sous ses grandes tendances, la médecine s’intéresse à la limite même de la discipline qui est non la production suscitée par la force mais la production empêchée par la faiblesse de la force. Le pouvoir médical, en faisant de la vie sa préoccupation, fait régresser la limite même de la discipline (elle rend possible le « toujours plus de discipline ») tout autant qu’elle déplace l’analyse des corps individués au corps collectif. Ce n’est pas, on le voit clairement, n’importe quelle médecine qui opère cette fonction. Il ne s’agit pas de la clinique dont la valeur n’a de sens qu’à l’intérieur du fameux colloque singulier (clinique sur laquelle Foucault se montre extrêmement réservé -nouvelle différence avec Canguilhem- mais d’une médecine collective, d’Etat, attentive aux régularités des populations, aux fréquences statistiques des maladies dans des groupes de populations identifiés au préalable.

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